DE LA RÉPUBLIQUE
DE LA COMPARAISON DES TROIS RÉPUBLIQUES
publiques légitimes, c’eſt à ſçauoir de l’eſtat populaire, Ariſtocratique
& royal, & que la puiſſance royale est la meilleure.


CHAP. I.



P uisqu’il n’y a que trois sortes de Republiques, ainsi que nous avons monstré, c’est à sçavoir quand tout le peuple, ou la plus grande partie, commande avect puissance souveraine : ou bien la moindre partie : ou un seul : & que chacune des trois peut estre loüable, 
ou vicieuse, il ne faut pas seulement fuyr la plus vicieuse, ains aussi choisir, qui pourra, la meilleure. La tyrannie d’un Prince est pernicieuse : & de plusieurs encore pire : mais il n’y a point de plus dangereuse tyrannie que celle de tout un peuple. Ainsi l’appelle[1] Ciceron. Toutesfois elle n’est point encores si mauvaise que l’Anarchie, où il n’y a forme de Republique, ny personne qui commande, ou qui obeisse. Fuyons 
donc ces vices là, & faisons chois de la meilleure des trois formes legitimes, c’est à sçavoir de l’estat legitime populaire, ou Aristocratique, ou 
royal. & affin que le tout soit mieux esclarci, je mettray les commoditez, & incommoditez, de part & d’autre. Premierement on peut dire que l’estat populaire est le plus loüable, comme celuy qui cherche une égalité, & droicture en toutes loix, sans faveur ny acception de personne : & qui reduist les constitutions civiles aux loix de nature : car tout ainsi que nature n’a point distribué les richesses, les estats, les honneurs aux uns plus qu’aux autres : aussi l’estat populaire tend à ce but là, d’esgaler tous les hommes. Ce qui ne peut estre fait, sinon en esgallant les biens, les honneurs, & la Justice à tous, sans privilege, ny prerogative quelconque : comme fist Lycurgue apres avoir changé l’estat Royal en populaire, bruslé toutes obligations, banni l’or & l’argent, & partagé les terres au sort esgal : alors il print grand plaisir, voyant par les champs les tas de gerbes tous esgaux : & par ce moyen l’avarice des uns retranchee, & l’arrogance des autres ravalee : qui sont deux pestes des plus pernicieuses qui soyent aux Republiques. Combien que par ce moyen il bannissoit encores les rapines, larcins, concussions, calumnies, partialitez, & factions, qui ne peuvent avoir lieu, quand tous sont esgaux, & que l’un ne peut avoir aucun avantage sus l’autre. Et s’il est ainsi que la société humaine ne le peut entretenir que par amitié : & que la nourrice d’amitié est l’equalité, & qu’il n’y a point d’equalité hors l’estat populaire, il s’ensuit bien que c’est la plus belle forme de Republique qu’on pourroit choisir. En quoy faisant la liberté naturelle, & la Justice esgale est tousjours renduë à chacun, sans crainte de tyrannie, de cruauté, d’exaction : & la douceur de la vie sociable à tous semble reduire les hommes à la felicité que nature nous monstre. Mais encores il y a un point qui semble fort considerable, pour monstrer que
 l’estat populaire est le plus beau, le plus digne, & le plus parfaict : c’est 
qu’il y a tousjours eu és démocraties de plus grands personnages, en
 armes, & en loix : & de plus grands orateurs, jurisconsultes, artisans, qu’il n’y a és autres Republiques, ou la faction de peu de seigneurs entr’eux, & la jalousie d’honneur d’un Monarque empesche les
 sugets de rien attenter de grand. Et qui plus est, il semble que la vraye 
marque de Republique, est en l’estat populaire seulement : car tout le
peuple joüist du bien public, partageant à chacun les biens communs, 
les despoüilles, les loyers, les conquestes : au lieu que peu de seigneurs en l’Aristocratie, & un seul en la Monarchie semble tourner tout le bien public en particulier. Brief s’il n’y a rien plus à desirer, que les Magistrats soyent obeissans aux loix, les sugets aux Magistrats, il semble aussi que
 cela soit mieux gardé en l’estat populaire, où il n’y a que la loy qui soit 
dame, & maistresse de tous. Voila les principaux points qu’on peut dire 
pour soustenir l’estat populaire, qui ont beau lustre en apparence, mais 
en effect ces raisons semblent aux toiles des araignes, qui sont bien fort 
subtiles & deliees, & toutesfois n’ont pas grande force, Car en premier
 lieu, il n’y eut jamais de Republique, où cette equalité de biens, & d’honneurs fust gardee, comme nous avons monstré cy dessus.Raisons contraires à l’estat populaire. Quant aux biens & quant aux honneurs, on seroit aussi contre la loy de nature, qui a fait les uns plus sages, & plus ingenieux que les autres, a aussi ordonné les uns pour gouverner, & les autres pour obeir. Et quant à la liberté naturelle, qu’on presche tant en l’estat populaire, si elle avoit lieu, il n’y auroit ny
 magistrats, ny loix, ny forme d’estat quelconque : & neantmoins il n’y a pas une forme de Republique, qui ayt tant de loix, tant de magisters, tant
 de contrerolleurs que l’estat populaire. Et quant au bien public, il est 
tout certain qu’il n’y a Republique où il soit plus mal gouverné, que par
 le peuple, comme nous avonss monstré en son lieu. Mais veut on meilleur jugement, ou tesmoignage plus digne que celuy de[2]Xenophon ? Je ne puis, dit-il, approuver l’estat des Atheniens : parce qu’ils ont suivi la for
me de République en laquelle tousjours les plus meschans ont du meilleur, & les hommes d’honneur, & de vertu, sont foulez aux pieds. Si Xenophon, qui a esté l’un des plus grands capitaines de son age, & qui lors
 emporta le prix d’honneur, d’avoir heureusement conjoint le maniment
 des affaires, avec les armes, & la philosophie, à fait un tel jugement de sa 
République, qui estoit la plus populaire, & entre les populaires la plus
 estimee, & la mieux establie, ou pour mieux dire la moins vicieuse, com
me dit Plutarque, quel jugement eust-il fait des autres Démocraties, & Ochlocraties ? En quoy[3]Macciavel s’est bien fort mesconté, de dire que
 l’estat populaire est le meilleur : & neantmoins ayant oublié sa premiere opinion, il a tenu en un autre[4] lieu, que pour restituer l’Italie en sa liberté, 
il faut qu’il n’y ait qu’un Prince, & de fait, il s’est efforcé de former un estat le plus tyrannique du monde. & en autre lieu il confesse, que l’estat de Venize est le plus beau de tous : lequel est une pure Aristocratie s’il en fut onques : tellement qu’il ne sçait à quoy se tenir. Si nous prenons l’advis de Platon, nous trouverons qu’il a blasmé l’estat populaire, l’appellant une foire où tout se vend. Nous avons mesme jugement d’Aristote, qui dit que l’estat populaire ny Aristocratique n’est pas bon, usant de l’auctorité d’Homere, ςγχάγαζίιπιλυχοιραγέη.L’eſtat populaire blaſmé de tous les grands perſõnages. Et l’orateur Maximus Tyrius, tient que la Democratie est pernicieuse, blasmant pour ceste cause l’estat des Atheniens, Syracusains, Carthaginois, Ephesiens. Car il est impossible, dit Seneque, que celuy plaise au peuple, à qui la vertu plaist. Aussi Phocion, l’un des plus sages, & vertueux hommes qui fut onques, estoit tousjours contraire au peuple, & le peuple à luy : & comme un jour le peuple trouvait son son conseil bon, il se tourna vers ses compagnons disant, M’est-il point eschapé quelque mauvaise opinion ? Et comment pourroit un peuple, c’est à dire une beste à plusieurs testes, sans jugement, & sans raison, rien conseiller de bien ? Et demander conseil au peuple, comme l’on faisoit anciennement és Republiques populaires, n’est autre chose que demander sagesse aux
 furieux. Ce qu’ayant veu Acharnasis, & que les Magistrats, & anciens
 disoyent leur opinion en pleine assemblee, puis apres le peuple donnoit sa resolution, il dist qu’en Athènes les sages proposoyent, & les fols disposoyent. & quand ores on pourroit tirer quelque bonne resolution
 d’un peuple, qui est l’homme si despourveu de sens, qui trouvast bon
 d’esvanter en public le conseil d’un estat ? est-ce pas soüiller les choses
 sacrees ? encores les choses sacrees estant prophanees peuvent estre purifiees : mais d’un conseil d’affaires concernant l’estat, qui est esventé, il n’en
 faut rien esperer, qui ne tourne au dommage, & deshonneur de la Republique. Et pour ceste cause principale, l’estat d’Athenes, de Syracuse, & de Florence est tombé en ruine. Je laisse les difficultez qu’il y a d’assembler un peuple en un lieu, le desordre qui est en une multitude, la variété
 & inconstance des gens ramassez de toutes pieces. & toutesfois s’il ne plaist au Magistrat, ny le Sénat, ny le peuple n’est point assemblé : comme il advint au consulat de Cesar, lequel pour venir à chef de ses entreprises, ayant estonné Bibule son collègue, ne voulut que le Senat s’assemblast, tant que dura son office. Et si la pluspart des Tribuns s’enten
doyent avec le Consul, ny le Sénat, ny le peuple ne se pouvoit assembler : de sorte que l’auctorité du Sénat, & la majesté souveraine
 estoit par ce moyen asservie à six ou sept testes. Et ce pendant, on sçait le
 danger qu’il y a de ne pourvoir soudain aux affaires urgentes. Car par les loix de Solon, & des douze tables, il falloit par trois fois assembler le
 peuple, au paravant que l’ordonnance publiée fut receuë. Or il advenoit souvent, que le vol dextre d’un oiseau, ou le cri d’un rat, ou le mal caduc, 
peut estre de quelque yvroigne, empeschoit l’assemblee, & à la moindre dénonciation d’un bening augural, ou l’opposition d’un Magistrat tout estoit
 cassé, dequoy[5] Ciceron & Caton mesmes se plaignoient bien fort. Car la puissance & la faveur des competiteurs, qui estoyent tousjours en
 grand nombre, pour avoir les offices, & ennemis les uns des autres, empeschoit l’assemblee du peuple, ou le troubloit quand il estoit assemblé, & les Magistrats qui estoyent en charge y tenoyent la main, pour continuer leur puissance : de sorte qu’il passoit quelquesfois un an tout entier sans faire aucun Magistrat, comme il advint quand Pompee le 
Grand fut esleu Consul tout seul. C’est pourquoy les Grisons, qui tiennent l’estat populaire, ne s’assemblent que de deux en deux ans à Coire pour faire leurs officiers, ou publier nouvelles ordonnances. Or il n’y a 
rien plus dangereux, ny plus contraire à l’estat populaire, que soufrir les 
Magistrats continuer longuement en leur charge, comme nous avons monstré cy dessus. Mais il y a bien plus grand danger, quand il est question de prendre conseil, & résolution pour la Republique, qui est en peril extreme. Car les Magistrats ne peuvent rien faire sans l’advis du peuple, & n’est possible de l’assembler si tost qu’il est besoing, & les plus sages n’osent rien dire en l’assemblee, craignans la fureur d’un peuple, qui descharge toujiours ses fautes sus les gouverneurs : en sorte que Philippe I. Roy de Macedoine, ayant couru, & fourragé jusques au pays d’Attique, il n’y eut pas un Magistrat qui osast assembler les estats, mais le rebut du peuple vint tout effrayé sus la place, & ne se trouva personne, dit Demosthene, osast porter la parole. Et le mesme cas advint à Florence, quand l’armee de l’Empereur fist les aproches pour l’assieger, à l’instance du Pape Clement VII. tout le peuple estoit si estonné, qu’il ne sçavoit en quoy se resoudre. Car les ordonnances de Florence vouloyent, que tous les citoyens s’assemblassent devant la maison de ville, pour deliberer tout haut, sus les articles proposez par le grand Magistrat : alors le peuple estoit esperdu. Et tout ainsi que le naturel d’une peuple, dit Tite Live, est insolent, & desbordé en toute licence, quand les afaires se portant bien : aussi est-il tout soudain ravalé, & abatu d’une perte, comme nous avons monstré cy devant. Et comment seroit-il possible, que la majesté souveraine d’un estat fust conservee en une multitude guidee par un Magistrat, & qu’il faut ranger bien souvent à coups de baston ? & in qua regenda plus pœna quàm obsequium valet, disoit Tite Live. Aussi Phocion, voyant que le peuple d’Athenes ne vouloit pas lui faire audience, alors il s’escria, ô foüet de Corfou, combien tu vaux de talents. Qui monstre bien que la majesté perist en un peuple, qui toutefois est le seul point, & pivot, sur lequel la Republique est soustenuë. Mais passant outre, tous ceux qui ont discouru des estats sont d’accord, que le but principal, & la fin de toutes Republiques, est de fleurir en honneur & vertu : & neantmoins l’estat populaire est contraire aux gens de bien. Car la conservation d’une Republique populaire, si nous suivons l’advis de Senophon, est d’avancer aux offices, & benefices les plus vicieux, & les plus indignes : & si le peuple estoit si mal advisé de bailler aux gens vertueux les charges honnorables, & dignitez, il perdroit sa puissance, d’autant que les gens de bien ne porteroyent faveur sinon à leurs semblables, qui sont tousjours en fort petit nombre : & les meschans, & vicieux, qui sont la pluspart du peuple, seroyent rebutez des honneurs, seroyent condamnez, & chassez peu à peu par les Juges entiers, & incorruptibles, & en ce faisant les hommes sages se saisiroyent de l’estat, & l’osteroyent au peuple. c’est pourquoy le peuple Athenien, dit Xeno
phon, donnoit audience aux plus meschans, sçachant bien qu’ils di
royent choses plaisantes, & utiles aux hommes vicieux, qui sont la 
pluspart du peuple. Voila, dit Xenophon, pourquoy je blasme les Atheniens,Droit jugement de Xenophon de l’estat populaire. d’avoir choisi la forme de Republique la plus vicieuse de toutes, mais l’ayans choisie, je les estime fort de se gouverner en la sorte qu’ils font : c’est asçavoir de rebuter, chasser, bannir les hommes nobles, sages, & vertueux : & avancer les impudens, vicieux, & meschans. car le vice que tu blasmes si fort, dit-il, est la conservation de l’estat populaire. Et quant à la justice, le peuple, dit-il, ne s’en soucie aucunement, pourveu qu’il tire profit des jugemens qu’il
 vend au plus offrant, & qu’il ayt moyen de ruiner les riches, les nobles, les gens de bien, qu’il harasse sans cause, pour la haine capitale qu’il a contre telles gens, du tout contraires à son humeur naturel. c’est pourquoy la Republique populaire est la ressource, & le re
fuge de tous hommes turbulens, mutins, seditieux, bannis, qui donnent conseil, confort, & ayde au menu peuple, pour ruiner les grands. 
car quant aux loix on n’y a point d’esgard, veu qu’en Athènes le vouloir du peuple est loy. Voila le jugement que fait Xenophon de la Republique d’Athenes, qu’il dit avoir esté la mieux ordonnée de toutes les Republiques populaires qui fussent de son temps, & ne vouloit 
qu’on y changeait rien, pour maintenir le peuple en sa puissance. Le Jurisconsulte fait semblable jugement de la paillarde, disant que ce n’est pas bien fait d’avoir abandonné son honneur : mais ayant perdu sa honte, que ce n’est pas mal fait de tirer tout le profit qu’elle pourra de son mestier. ainsi conclud Xenophon, que l’estat populaire ne vaut rien, 
mais estant tel, qu’il faut pour sa conservation, bannir des citez populai
res tout honneur, & vertu : c’est à dire que la plus forte tyrannie n’est pas si dangereuse que l’estat populaire ainsi gouverné.Impunité de vices en l’estat populaire. Mais encores y a il une peste plus capitale, des Republiques populaires, c’est l’impunité donnée aux meschans, pourveu qu’ils soyent citoyens, c’est à dire petits Roys : & mesmes en l’estat populaire des Romains, il il estoit defendu à tous Magistrats sus la vie[6], de condamner à 
mort naturelle , ou civile, ny le priver de sa liberté, ou droit de 
bourgeoisie : ny mesme de batre3 de verges le citoyen Romain. Auffi J"duPeUbSb.
voit’On vn Verrés eftant accufé, attaint, ôc conuaincu d’auoir brigandé, J71fx1^rtia Cicc
voilé,& commis cent mil concuflions, ôc fauxiugemens, eftre quitte roprorabuio
en fortant de Rome,ôc abandonant partie de fes larcins.Et neantmoins jus
on bannifloit Rutilius.Metellus, Coriolanus, les deux freres Scipions, vertyeüx
Ciceron: comme en Athenes on chafla Ariftidc le iufte, Themiftoclet[esDI*mourut banni,Miltiade en prifon,Socrate auffi fut executé.Et combien mefchaPs
quePhocion, le plus entier, ôc vertueux homme de fon aage,euft efté
quarâte ôc cinq fois efleu capitaine en chef,fans auoir receu aucun blaf- en i’cfl.aC
me:neantmoinsfansautremét inftruire fon procès,ny celuy de fes co- popuJajrc
paignons,vn harangueur feleua deuantle peuple, ôc demanda s’il leur
plaifoit qu’on fift mourir Phocion,ôc fes compaignons : tousfeleuerét,
fans qu’il en demeuraft vn feul affis, Ôc hauflant la main les condamne-
rent^ôc plufieurs portèrent des chapeaux de fleurs pourles condamner,
fans qu’il y euft efclaue,ny femme,ny eftrangerforclos du iugement4: 4 Piutar.inPho-
quant à moy,dift Phocion,pafle:mais ceuxcy pourquoy mourront ils? clonc-
le peuple forcené refpond,par ce qu’ils font tes amis: ôc furent tous exe-
cutez. Et toutesfois les plus mechâsordinairemét rechapoyencla main
du peuple: quoy voyant Demofthene, ôc quele peuple auoit abfouls
Antiphon,ilpourfuiuit neantmoins,ôclefiftcondamner, ôc depuis e- s PIutarinDc
xecuteràmort, pararreftdes Areopagites, ne fe fouciant; pas du peu-
ple,ôc n’en fut onques reprisrqui monftré bien qu il n’y auoit ny iuftice,
ny maiefté quelconque aux eftats du peuple.Et tout ainfi qu en la Re¬
publique populaire ainfigouuernee,tous eftats font vendus au plus of¬
frant,aufliles magiftrats reuendent endctail, cc qu’ilsontachepté en
gros.Et mefmes en Rome Mariusofi bié faire porter des minots pleins
d’argent *pour achapterles voix du peuple. Pompee fift le femblable. 6 PIutar-InMano-
Aufli c’eft chofe incroyable des concuflions quifefaifoycnt en plein 7.ciccro.Pro dùg-
iugemét,& en veüe d’vn 7 chacun,iufques à là que Stratocles,Ôc Demo- î^,!“ adatdcum
clides Atheniens,lors quMs prenoyentpofleffion de leurs offices,allons cPift°i
difoyent ils,à la moiflon d’or.Et fi les eftats, Ôc la iuftice eftoyent fi in-
dignement vendus eh ces deux grades Republiques, enrichies delade-
poüille des autres peuples,que doibt on iuger des eftats populaires, où
Iepeupleeft indigent? Nousauonsl’exemple desMagarenfes lefquels Eftatpopu-
ayant chafle leur Prince Theagenes, eftablirët vn eftat populaire fi de- laire dé¬
bordé,qu’il eftoit licite aux pauures d’aller viure en iamaifô des riches, bordé en
comme dit Platon. Mais ceux là qui font tant d’eftime de Peftat popu- toute Iicen-
laire des Romains,fedebueroyent mettre deuant les yeux les feditions, ce.& guerres ciuiles,qui ont toufiours agité ce peuple là : ôc fe reprefenter
tantoft le peuple d’vn cofté en vne montaigne,ôc la nobleffe d’autre co-
fte,diuifez par trois fois : tantoft vn Tribun Saturnin auec fa troupe deLl iiij gens ramassez, esclaves, & artisans, armez de bastons, & de pierres venir en pleine assemblee du peuple, & chasser la plus saine partie, & tuer celuy qui avoit emporté le Consulat à la voix du peuple. Qui n’estoit pas chose nouvelle : car les competiteurs venoyent ordinairement armez soubs la toge, & bien accompaignez : Nous avons veu, disoit Ciceron, fort souvent en pleine assemblee des estats, les coups de pierre ruez de tous costez, & les espees aussi tirees, non pas si souvent, mais neantmoins trop souvent. Brief qu’on face recherche de toutes les Republiques populaires qui furent onques, on trouvera qu’elles ont presque tousjours eu guerre, ou à l’ennemi, ou à leur estat, ou bien qu’elles ont esté gouvernees en apparence par le peuple, & en effect par quelques uns des citoyens, ou du plus sage d’entre eux, qui tenoit lieu de Prince, & de monarque. Tandis que la Republique d’Athenes fut belle, ôc fleuriffante,
elle futgouuerneeparleSenat des Areopagites:&lors que leurpuiflan-
ce fut retranchee,Periclcs,dit Thucidide, eftoit vray Monarque d’icel-
Pericle ÔC ^e>ores qu’en apparence elle fuft populaire.Et Pierre Soderin, en la ha-
Laurens de ranguequ ^fifl; au peuple de Florence pour changer l’eftat,dift que du
Medicis temPs de Laurens de Medicis, la Republique en apparence eftoit po-
mona es pulaire, ôc eneffed: vne pure tyrannie: parce que Laurens gouuernoit
d’Athenes tout feu^mais ^ ne dit pas quelle ne fut onques plus fleuriflante, ôc que
Ôc de Floré- au Parauant » auoyent iamais eu dix ans de relafche,des feditions,&
cctfadions les plus fanglantes quifurent onques en Republique 8du mon-8 Macciaud.cn de. Auflî pouuons nous dire, que l’eftat populaire des Romains a efté
rhiftoire de Flore- niajntenu par JeSenat, & lauthorité d’iceluy fouftenuepar vnMane-
nius Agrippa, vn Camil, vn Papirius Curfor, vn Fabius Maximus, vn
Scipion,vn Caton,vn Scaurus,quiretenoyentlafplendeur du Sénat,ôc
feruoiëtau peuple de frein, pourlerefTerreraucunemét entre les barrie-
rûb"vmbra Scîpio- res d’onneur5 .Ainfi lifons nous quePelopidas,ôc Epamynodas eftoient
msvrbem terra- comme feigneurs de l eftat populaire des Thebains9 : apres la mortrum dominam la- ,t. O y r • r ■ » -1 •ti rt• n -1tere:nmus cms ^ defquels, le peuple lentit loudain qu il auoit perdu les mailtre-pilotes:
pro^puiuX’m comme il aduint en cas parcilaux Atheniens,apres la mortde Pericles,5jHutar.inPclo- ’ alors,dit Plutarque,, le peuple flotoit comme vn nauirefans gouuer-
pîdtnail:&commc chacun vouluftgouuerner,Ies vns faire voile, les autreslLTmPm- furgir au port, l’orage furuint, dit Polybe, qui fift périr le’nauire. Et
L’eftat po- combien que les Atheniens apres auoir perdu la fouueraineté de la
pulaire co- Grcce gouuernerent leur ville, & territoire populairement, fi eft-ce
feruépar vn queDemofthene difoit haut,& clair deuant le peuple, que l’cftat d’A-
petit nom- thenes, eftoit (oubs la puiflance des orateurs,& harangueurs defquels
bredefages dependoyent les capitaines, quiauoyent pourle plus trois cens hom¬
mes apoftez, pour faire paffer tout ce qu’ils vouloyent a prix d argent,
maladie commune, dit Plutarque,à toute Republique populaire: & de
celle de Tarente difoit vnAmbaflàdeur, Inpoteflate iuniorumplebem, in
manuplchis rem Tarentinam ejje. E t fus le déclin de leftat pop ulaire en RoPage:Bodin - Les Six Livres de la République, 1576.djvu/701 Page:Bodin - Les Six Livres de la République, 1576.djvu/702 Page:Bodin - Les Six Livres de la République, 1576.djvu/703 Page:Bodin - Les Six Livres de la République, 1576.djvu/704 Page:Bodin - Les Six Livres de la République, 1576.djvu/705 Page:Bodin - Les Six Livres de la République, 1576.djvu/706 Page:Bodin - Les Six Livres de la République, 1576.djvu/707 Page:Bodin - Les Six Livres de la République, 1576.djvu/708 Page:Bodin - Les Six Livres de la République, 1576.djvu/709 Page:Bodin - Les Six Livres de la République, 1576.djvu/710 Page:Bodin - Les Six Livres de la République, 1576.djvu/711 Page:Bodin - Les Six Livres de la République, 1576.djvu/712 puissance qu’ils ayent en vertu de leurs estats, si est-ce que les estats populaires, & Aristocratiques, se voyans en guerre perilleuse contre les ennemis[7], ou contre[8] eux mesmes, ou en difficulté de faire le[9] proces à quelque puissant citoyen, ou donner ordre à la[10] peste, ou[11] faire les magistrats, ou quelque autre chose de consequence, faisoyent un Dictateur, comme souverain Monarque : cognoissans que la Monarchie estoit l’ancre sacree, à laquelle il falloit par necessité avoir recours. Trepidi patres, dit Tite Live[12]. ad summum auxilium decurrunt, Dictatorem dici placet. Et lors que Annibal pressoit les Romains, Ad Dictatorem dicendum remedium iam diu desideratum, civitas[13] confugit. Et la raison estoit, parce qu’ils tenoyent le Dictateur pour quelque Dieu, & ses mandemens pour oracles. Dictatoris edictum pro numine[14] semper observatum. Et mesmes les ennemis assiegeans la ville de Rome, quitterent le siege, aussi tost qu’ils entendirent qu’on avoit fait un dictateur. Tantus[15] erat Dictatoris terror apud hostes, ut eo creato statim à mœnibus discesserint. Car bien souvent, les Consuls mesmes, & leurs mandemens estoyent foulez aux pieds : & ceux qui avoyent offensé se retiroyent à leurs compaignons, c’est à dire au peuple auquel l’apel ressortissoit. Ce que voyant le Consul Appius, dit Minas esse Consulum, non Imperium, ubi ad eos qui una peccaverunt provocare liceat : agedum dictatorem à que provocatio non est[16] creemus. Or l’impunité des vices, & le mespris que fait le peuple des Magistrats en l’estat populaire, sufist pour monstrer qu’il est necessaire pour la conservation de la societé humaine, avoir des Monarques : veu mesmes que les Romains, qui pour la faute d’un prince avoyent tous les Roys en horreur, faisoyent un Dictateur, pour venir à chef de toutes les grandes affaires : comme faisoyent aussi les Lacedemoniens en l’extremité un Magistrat semblable en[17] puissane au Dictateur, qu’ils appelloyent Harmoste : & les Thessaliens celuy qu’on appelloit Archus : comme en cas pareil les Mytileniens leur grand Æzymnete : auquel se peut aucunement comparer le grand Prouidadour des Venitiens : jugeans à veuë d’œil, que la puissance souveraine unie en un chef, est beaucoup plus illustre, & de plus grand effect : & que la mesme puissance departie à deux, ou trois, ou plusieurs seigneurs, ou à tout un peuple s’aneantist, & perd sa force : tout ainsi comme un fesseau deslié, & divisé en plusieurs parties. C’est pourquoy Tacite disoit, que pour faire de grands, & beaux exploits, il faut que la puissance de commander soit en un personnage. À quoy se raporte ce que dit Tite Live, que les trois Tribuns avec puissance Consulaire, firent bien cognoistre que la force du commandement attribuee à plusieurs, est inutile : & principalement au fait de la guerre[18]. Ce que monstra bien aussi Annibal, ayant affaire à une armee de soixante mil hommes, commandee par deux Consuls, Paul Æmyl, & Terence Varus : & Amorat contre les princes Chrestiens à la journee de Nicopolis : & Charle V. Empereur contre les deux chefs des protestans. Et ne faut pas s’esmerveiller, si le Duc d’Urbin avec bien peu de gens ramassez de toutes pieces, fist teste, & resista fort & ferme à une puissante armee, conduite par trois capitai
nes en chef, qui ne tenoyent rien l’un de l’autre : asçavoir Rause Vitelli,
 & Laurens de Medicis : car mesme Leon l’historien escript, que les peuples d’Afrique tiennent pour maxime indubitable, que le prince ores
 qu’il soit foible, defera tousjours l’armee plus puissante où il y a deux
 chefs. Et de fait tandis que le Roy de Lacedemonne Cleomenes fut seul
 en puissance souveraine, il eut de grandes, & belles victoires, & ne fut 
onques vaincu : mais apres avoir rappellé le Roy qui estoit banni, pour 
luy communiquer sa puissance, tost apres il fut defait, & ruiné. Et pour
 cette cause, Aristide le juste estant esleu capitaine avec Miltiade, pour
 commander[19] à l’armee chacun son jour, (comme faisoyent aussi les consuls Romains) donna toute sa puissance à son compagnon, qui empor
ta la victoire sus les Perses. Il y a mil exemples pareils, qui nous monstrent
 evidamment la necessité d’avoir un chef, non seulement en guerre, où
 le danger est plus grand, ains aussi dobeir à vn prince fouuerain en vne
République, car tout ainfi quel armee eft mal conduite, & le plus fou-
uent defoite, qui a plufieurs generaux-.aufli eft la Republique quia plu¬
fieurs feigneurs : foit pour la diuifion, foit pour la diuerfité d’opinions,
foitpour la diminution de puiflance donnee. à plufieurs, foit pour la
difficulté de s’accorder,ôc refeudre, foit pource queles fugets ne fçauéc
à qui obeinfoit pou r euenter les chofes qui doiuent eftre fecrettes, foit
pour le tout enfemble.En quoy plufieurs s’abufent, qui penfent que la
feigneurie Ariftocratique eft meilleure,dautât que plufieurs feigneurs
ont plus de iugemét,de fagefle,de confeil, qu’vn feuhçarily a bien dif¬
férence du confeil au commandementtle confeil de plufieurs bons cer-
ueaux peut eftre meilleur qu’vn: comme Ion dit que plufieurs voyent
mieux que ne fait vn feul : mais pour refoudre,pour conclure, pour co-
mander, vn le fera toufiours mieux que plufieurs. Ioint aufli que l’am¬
bition eft fi naturelle entre les feigneurs égaux en puiflance, qu’il y a tel
qui aimeroit mieux voir perirla Republique, que recognoiftre plus fa¬
ge que foy. les autres le cognoiflent bien,mais la honteïes empefche de
changer d’opinion, craignans perdre vn feul point de leur réputation:
de forte qu’il eft neceflaire qu’il y ait vn prince fouuerain, qui ait puif*
fonce dereioudre, ôc decider les aduis du cofeil.Combien qu il eflini-
poflible que la Republique qui n’a qu’vn corps^ayt plufieurs teftes, co¬
me difoit Tybere l’Empereurau Senat:autrement ce n eft pas vn corps,
ains vn môftre hideux,& difforme:Mais on dit, que les nouueaux prin¬
ces cherchétlcs nouueautez:celafe peut dire de quelques vns,qui pour
foire congnoiftre leur puiflance,font des loix à propos, ôc fans propos,
fi eft-cc toutesfois que cela eft encores plus frequent és eftats populai¬
res,ôc Ariftocratiques : caries nouueaux Magiftrats, fi fouuent renou-
uellez, ôc qui tranchent des Roys en ces Republiques la, feroyent bienmarris Page:Bodin - Les Six Livres de la République, 1576.djvu/715 Page:Bodin - Les Six Livres de la République, 1576.djvu/716 Page:Bodin - Les Six Livres de la République, 1576.djvu/717 Page:Bodin - Les Six Livres de la République, 1576.djvu/718 LIVRE SIXIESME.jnc de Medicis, (queles bannis de Florence appdloyent tyran, quoy c ^
quil fuft eftimé des autres bon , & fage Prince) baftir fes fortereffes, ~CU§ftS
& accroiftre fa Monarchie de la ruine de ceux qui auoyent coniuré Dieneu-
contre fa vie, & fon eftat, ôc neantmoins pas vne coniuration ne reüf- reLlxlou^s
fit onques à effed. Ioint auffi que la tyrannie eft beaucoup plus in- ^ Sranci^
fuportable , fi le tyran n’eft grand terrien:car eftant afamé il ronge Monarque,
fans ceffe les fugets : ôc s’il eft cruel, il en vient bien à bout, ou le
Monarque riche , ôc puiffant a dequoy fouler fes appétits :& s’il eft
cruel, il craindra qu il ne s en trouue en vn grand peuple , quelcun
qui fe reuange. Tout ainfi donc que les fiigets font bien-heureux,
foubs vn grand & puiffant Monarque, s’il a tant foit peu la Iuftice
deuant les yeux : auffi vn petit eftat, eft bien feant à vne feigneurie
Ariftocratique: ôc maintient beaucoup mieux les fugets, que ne fe¬
roit vn pauure tyran, c’eft: pourquoy nous voyons quatorze Répu¬
bliques des ligues Ariftocratiques , ôc populaires fins y comprendre
les Grizons, qui n’ont en longueur depuis Genefue iufques à Con¬
fiance que deux cens quarante mil pas, ôcclx. mil de largeur, de¬
puis les Alphes iufques au mont Iura: Ôc la plufpart du pays en ro¬
ches , auoir maintenu leurs fugets fort long temps,affez heureufement.
mais fi leur prend enuie de l’eftat dautruy,ils perdront bien toft le leur.


  1. 1. In lib. de Repub. & Aristot. lib.5.cap.10.polit.
  2. in lib. de Repub. Athen.
  3. sus les discours.
  4. lib.I du prince, chap.9.
  5. Scire velim, inqui, num censum impedant tribuni diebus vitiandis. & ay mesme lieu, Proseripsit Marcellinus se per omnes dies comitiales de cœlo servaturum conciones turbulentæ Metelli, remeratiæ Apij, furiosissimæ Publij.
  6. 2. leges Valerie ttres lex Sempronia. Cicero pro rabirio perduel. Livius lib. 7.&10.
  7. Livius lib. 3.
  8. Livius lib. 2.
  9. lib. 7.
  10. lib. 4.
  11. lib. 4.
  12. Livius lib. 6.
  13. lib. 22.
  14. lib. 6.
  15. lib. 6.
  16. Livius lib. 2.
  17. Dionys. Halic. lib. 6.
  18. Plurium Imperium bello inutile.
  19. 8. Plutar in Aristide.