Les Singularitez de la France antarctique/72

Texte établi par Paul GaffarelMaisonneuve (p. 377-381).


CHAPITRE LXXII.

Des Isles de Cuba et Lucaïa.


Reste pour le sommaire des isles du Peru, Description de l’isle de Cuba. reciter quelques singularitez de l’isle de Cuba, et de quelques autres prochaines, combien qu’à la vérité, lon n’en peut quasi dire gueres autre chose, qui desia n’ait esté attribué à l’Espagnole. Ceste isle est plus grande que les autres, et quant et quant plus large : car on côte du promontoire[1] qui est du costé du Leuant, à un autre qui est du costé de Ponent, trois cens lieues, et de Nort à Midy, septante lieues. Quant à la disposition de l’air, il y a une fort grade température, tellement qu’il n’y a grand excès de chaud, ne de froid. Il s’y trouue de riches mines[2], tant d’or que d’argent, semblablemêt d’autres métaux. Du costé de la marine se voyent hautes montagnes, desquelles procèdent fort belles riuieres, dont les eaues sont excellentes, auec grande quantité de poisson. Au reste parauant qu’elle fust decouuerte, elle estoit beaucoup plus peuplée des Sauuages[3], que nulle de toutes les autres : mais auiourd’huy les Espagnols en sont Seigneurs et maistres. Le milieu de ceste isle tient deux cens nonâte degrez de longitude, minutes nulles, et latitude vingt degrés minutes nulles. Il s’y trouue Montagne de sel. une montagne pres de la mer, qui est toute de sel, plus haute que celle de Cypre, gràd nôbre d’arbres de cotô, bresil et ebene. Sel terrestre. Que diray-ie du sel terrestre, qui se prend en une autre môtagne fort haute et maritime ? et de ceste espece s’en trouue pareillement en l’isle de Cypre, nommé des Grecs ôpûxTO ?, lequel se prend aussi en une montagne prochaine de la mer. D’auantage se trouue en ceste isle abondâce d’azur, vermillô, alun, nitre, sel de nitre, galene et autres tels, qui se prennêt es entrailles de la terre. Espéce de perdris. Et quât aux oyseaux, vous y trouuerés une espece de perdrix assez petite, de couleur rougeastre par dehors, au reste diuersifiées de variables couleurs, la chair fort délicate. Les rustiques des môtagnes en nourrissêt un nôbre dâs leurs maisons, côme on fait les poulles par deça. Et plusieurs autres choses dignes d’estre escrites et notées. En premier lieu y a une valée, laquele dure enuirô trois lieues, entre deus môtagnes où se trouue un nôbre infini de boules de pierre, grosses, moyênes, et petites rondes côme esteufs, engêdrées naturelemêt en ce lieu, combien que lon les iugeroit estre faites artificiellement. Vous y en verrés quelques fois de si grosses, que quatre homes seroyêt bien empechez à en porter une : Les autres sont moindres, les autres si petites, qu’elles n’excedêt la quâtité d’un petit esteuf. Liqueur admirable sortât à une môtagne. Bré, sorte de liqueur. La secôde chose digne d’admiratiô est, qu’en la mesme isle, se trouue une môtagne prochaine du riuage de la mer, de laquelle sort une liqueur semblable à cele que l’ô fait aux isles Fortunées, appellée Bré, côme nous auons dit : laquelle matiere viêt à degoutter et rêdre dans la mer. Quinte Curse[4] en ses tiares qu’il a fait des gestes d’Alexâdre le Grâd recite qu’iceluy estât arriué à une cité nomée Memi, voulut voir par curiosité une grade fosse ou cauerne en laquelle auoit une fontaine rendât grande quâtité de gôme merueilleusement forte, quâd elle estoit appliquée auec autre matiere pour bastir : Pourquoi iadis de Babylone ont esté estimées si fortes. telemêt que l’Auteur estime pour ceste seule raison, les murailles de Babylone auoir esté si fortes, pour estre côposées de tele matiere. Et no seulemêt s’en trouue en l’isle de Cuba, mais aussi au païs de Themistitan, et du costé de la Floride. Quât aux isles de Lucaia (ainsi nommées pour estre plusieurs en nombre) elles sont situées au nort de l’isle d’Cuba et de Saint Dominique. Elles sont plus de quatre cens en nombre, toutes petites, et non habitées, Isles de Lucaia. sinon une grande, qui porte le nom pour toutes les autres, nommée Lucaia[5]. Les habitans de ceste isle vont communément traffiquer en terre ferme, et aux autres isles. Ceux qui font residence, tât hommes que femmes, sont plus blancs qu’en aucune des autres. Puis qu’il vient à propos de ces isles, et de leurs richesses, ie ne veux oublier à dire quelque chose des richesses de Potosi[6] : Montagne de Potosi fort riche en mines. lequel prend son nom d’une haute montagne qui a de hauteur une grande lieue, et une demie de circuit, elevée en haut en façon de pyramide. Ceste montagne est merueilleusement riche à cause des mines d’argent, de cuiure, et estain, qu’on a trouué quasi aupres du coupeau de la môtagne, et s’est trouuée là mine d’argent si tres bonne, qu’à un quintal de mine, se peut trouuer un demy quintal de pur argent. Les esclaues ne font autre chose que d’aller querir ceste mine, et la portent à la ville principale du païs, qui est au bas de la montagne, laquelle depuis la decouuerture a esté là bastie par les Espagnols. Tout le païs, isles, et terre ferme est habitée de quelques Sauuages tous nuds ainsi qu’aux autres lieus de l’Amérique. Voila du Peru et de ses isles.

  1. Ce sont les caps de Maysi et San Antonio.
  2. Sur Cuba à l’époque de la conquête espagnole par Diego Velasquez, on peut consulter Gomara. Historia general de las Indias. — Oviedo. Même titre. — Pierre Martyr. Décad. iii, i, 3.
  3. Les Espagnols massacrèrent systématiquement les insulaires, dès qu’ils se furent aperçu que le travail des mines ne répondait pas à leurs espérances. Aussi cette conquête leur fut-elle d’abord peu profitable. Manquant de bras, ils ne purent tirer parti des richesses du sol. A la Havane, en 1561, après la publication du livre de Thevet, on ne comptait encore tjue trois cents familles, et, à l’exception de cette ville, deux siècles devaient encore se passer avant que cette riche possession fut considérée comme autre chose qu’une étape commode.
  4. Quinte Curce. v, 1. Alexander ad Mennin urbem pervertit : caverna ubi est ex qua fons ingentem vim bituminis effundit.
  5. Les îles Lucayes ou Bahama sont plus nombreuses que ne le croyait Thevet. On en compte 3077, dont 19 habitées, 10 inhabitées, 661 cayes ou îlots rocheux et 2387 rocs ou récifs. Il est peu probable qu’au temps de Thevet une de ces îles fut encore habitée, car les Espagnols avaient transporté les inoffensifs insulaires qu’ils y rencontrèrent aux mines de Haïti ou aux pêcheries de perles de Cumana. Ce sont les Anglais qui s’y établirent de nouveau en 1629. Cf. Bacot, The Bahamas, a sketch. L’île dont parle Thevet se nomme aujourd’hui Grand Abaco ou Lucaya. Elle compte 2362 habitants.
  6. Transition singulière, puisque Potosi se trouve au centre du continent et non plus dans les Antilles. La montagne ou Cerro de Potosi est en effet en Bolivie. Ce furent longtemps les mines d’argent les plus riches du monde. D’après Humboldt, elles ont fourni, depuis la découverte jusqu’en 1789, un total de 107.736.299 marcs d’argent. On y compte plus de 5.000 ouvertures, mais quelques-unes sont seules exploitées de nos jours.