Les Singularitez de la France antarctique/68
CHAPITRE LXVIII.
Indisposition de l’air près de l’equinoctial. Pour ne trouuer grand soulagemêt de noz trauaux en ceste isle, il fut question sans plus seiourner, de faire voile auecques vêt assez propre iusques sous nostre equinoctial, à l’entour duquel et la mer et les vents sont asses inconstans. Aussi là voit on tousiours l’air indisposé : si d’un costê est serein, de l’autre nous menasse d’orage : donc le plus souuent là dessoubs sont pluies et tonnerres, qui ne peuuent estre sans danger aux nauigants. Or auant qu’approcher de ceste ligne, les bons pillots et mariniers experts conseillent tousiours leurs astrolabes, pour congnoistre la distance et situatiô des lieux où lon est. Et puis qu’il vient à propos de cest instrument tât nécessaire en nauigation, i’en parleray legeerement en passant pour l’instructiô de ceux qui veulent suiure la marine, si grand que l’entendement de l’homme ne le peut bonnement comprendre. Et ce que ie dis de l’astrolabe, autant en faut entendre de la bossole, ou esguile de mer, par laquelle on peut aussi conduire droitement le nauire. Cest instrument est aussi tant subtil et prime, qu’auec un peu de papier ou parchemin, comme la paume de la main, et auecques certaines lignes marquées, qui signifient les vents, et un peu de fer, duquel se fabrique cest instrument, par sa seule naturelle vertu, qu’une pierre luy dône et influe, par son propre mouuement, et sans que nul la touche, môstre où est l’Orient, l’Occident, le Septentrion et le Midy : et pareillement touts les trente deux vents de la navigation, et ne les enseigne pas seulement en un endroit, ains en tous lieux de ce monde : et autres secrets, que ie laisse pour le present. Parquoy appert clerement que l’astrolabe, l’esguille, auec la carte marine sont bien faites, et que leur adresse et perfection est chose admirable, d’autant qu’une chose tant grande, comme est la mer, est portraite en si petite espace, et se conforme, tant qu’on adresse par icelle à nauiger le mode. Signification de l’Astrolabe marin. Dont le bon et iuste Astrolabe n’est autre chose que la sphere pressée et representée en un plain, accompli en sa rotondité de trois cêts soixante degrez, respondant à la circonference de l’uniuers diuisée en pareil nombre de degrez : lesquels derechef il faut diuiser en nostre instrumêt par quatre parties egales : c’est à sçauoir en chacune partie nonante, lesquels puis après faut partir de cinq à cinq. Puis tenât vostre instrument par l’anneau, l’eleuer au Soleil, en sorte que lô puisse faire entrer les rayons par le pertuis de la lidade, puis regardât à vostre declinaison, en quel an, moys, et iour vous estes, quand vous prenez la hauteur, et que le Soleil soit deuers le Su, qui est du costé de l’Amerique et vous soyez deuers le Nort, il vous faut oster de vostre hauteur autant de degrez que le Soleil a decliné loing de la ligne, de laquelle nous parlons, par deuers le Su. Et si en prenât la hauteur du Soleil vous estes vers midy delà l’equinoctial, et le Soleil soit au Septentrion, vous deuez semblablement oster autant de degrez que le Soleil decline de la ligne vers nostre pole. Exemple : Si vous prenez vostre hauteur, le Soleil estant entre l’Equinoctial et vous, quâd aurez pris ladicte hauteur, il faut pour sçauoir le lieu où vous estes, soit en mer ou en terre, adiouster les degrez que le Soleil est decliné loing de la ligne, auecques vostre hauteur, et vous trouuerez ce que demandez : qui s’entend autant du pole Arctique qu’Antarctique. Voila seulemêt, Lecteur, un petit mot en passant de nostre Astrolabe, remettant le surplus de la congnoissance et usage de cest instrument aux Mathematiciês, qui en font profession ordinaire. Il me suffît en auoir dit sommairement ce que ie congnois estre necessaire à la nauigation, specialement aux plus rudes, qui n’y sont encores exercez.