Les Singularitez de la France antarctique/48

Texte établi par Paul GaffarelMaisonneuve (p. 243-249).


CHAPITRE XLVIII.

Des oyseaux plus communs en l’Amerique.


Entre plusieurs genres d’oyseaux que nature diuersement produit, descouurant ses dons par particulieres proprietez, dignes certes d’admiration, lesquelles elle a baillé à chacun animal viuant, Description du Carinde, oyseau de excellête beauté. il ne s’en trouue un qui excede en perfection et beauté, cestuicy, qui se voit coustumierement en l’Amerique, nommé des Sauuages Carinde[1], tant nature se plaisoit à portraire ce bel oyseau, le reuestant d’un si plaisarit et beau pennage qu’il est impossible n’admirer telle ouuriere. Cest oyseau n’excede point la grandeur d’un corbeau : et son plumage depuis le ventre iusques au gosier, est iaune comme fin or : les œlles et la queue laquelle il a fort longue, sont de couleur de fin azur. A cest oyseau se trouue un autre semblable en grosseur, mais different en couleur : car au lieu que l’autre a le plumage iaune, cestuy cy l’a rouge, comme fine escarlatte, et le reste azuré. Ces oyseaux sont especes de perroquets, et de mesme forme tât en teste, becs, que pieds. Les Sauuages du païs les tienêt fort chers à cause que trois ou quatre fois l’ânée ils leur tirêt les plumes[2], pour en faire chapeaux, garnir boucliers, espées de bois, tapisseries et autres choses exquises, qu’ils font coustumieremêt. Les dits oyseaux sont si priuez, que tout le iour se tiennêt dans les arbres, tout autour des logettes des Sauuages. Et quàd ce viêt sur le soir, ces oyseaux se retirêt les uns dâs les loges, les autres dans les bois : toutefois ne faillent iamais à retourner le lendemain, ne plus ne moins que font noz pigeons priuez, qui nidifient aux maisons par deça. Ils ont plusieurs autres especes de perroquets tous differens de plumage les uns des autres. Aiouroub oyseau verd. Il y en a un plus verd que nul autre, qui se trouue par delà, qu’ils nôment Aiouroub[3] : Marganas. autres ayans sur la teste petites plumes azurées, les autres vertes, que nôment les Sauuages, Marganas. Il ne s’en trouue point de gris comme en la Guinée, et en la haute Afrique. Les Ameriques tiennent toutes ces especes d’oyseaux en leurs loges, sans estre aucunement enfermez, comme nous faisons par deça : i’entens apres les auoir appriuoisez de ieunesse à la manière des Anciens, comme dit Pline au liure dixieme de son histoire naturelle, parlât des oyseaux : Qui fut le premier qui a mis les oyseaux en cage. où il afferme que Strabon a esté le premier qui a môstré à mettre les oyseaux en cage lesquels parauant auoyent toute liberté d’aller et venir. m1s les oyseaux Les femmes specialemêt en nourrissent quelques uns semblables de stature et couleur aux loriôs de par deça, lesquels elles tiennent fort chers, iusques à les appeller en leur langue, leurs amis[4]. Dauantage nos Ameriques apprennent à ces oyseaux à parler en leur langue, comme à demander de la farine, qu’ils font de racines : ou bien leur apprennent le plus souuent à dire et proferer qu’il faut aller en guerre contre leurs ennemis, pour les prendre, puis les manger et plusieurs autres choses. Pour rien ne leur dôneroient des fruits à mâger, tant aux grands qu’aux petis : car telle chose (disent ils) leur engendrêt un ver, qui leur perce le cœur. Abodâce de perroquets en l’Amerique. Il y a multitude d’autres perroquets sauuages, qui se tiennent aux bois, desquels ils tuent grande quâtité à coups de flesches, pour mâger. Et font ces perroquets leurs nids[5] au sommet des arbres, de forme toute ronde, pour crainte des bestes piquantes. Depuis quel têps auons eu cognoissance des perroquets. Il a esté un temps que ces oyseaux n’estoient congneuz aux anciês Romains et autres païs de l’Europe, sinon depuis (comme aucûs ont voulu dire) qu’Alexandre le Grand enuoya son lieutenant Onesicrite en l’isle Trapobane, lequel en apporta quelque nombre : et depuis se multiplierent si bien, tant au païs de Leuant qu’en Italie, et principalemêt à Rome, côme dit Columelle au liure troisieme des dits des Anciès, que Marcus Porcius Cato (duquel la vie et doctrine fut exemple à tout le peuple Romain) ainsi côme se sentât scandalizé, dist un iour au Senat : Exclamation de Marcus Cato côtre les delices de son têps. O peres côscripts, o Rome malheureuse, ie ne sçay plus en quel têps nous sommes tôbez, depuis que i’ay veu en Rome telles monstruositez, c’est a sçauoir les hommes porter perroquets sur leurs mains, et veoir les femmes nourrir et auoir en delices les chiens. Retournons à noz oyseaux, qui se trouuent par delà, d’autre espece et fort estranges (comme est celuy qu’ils appellent Toucan, duquel nous auons parlé cy deuant) tous differens à ceux de nostre hemisphere : comme pouuez plus clerement voir par ceux qui nous sont representez en ce liure, et de plusieurs autres, dont i’ay apporté quelques corps garniz de plumes, les unes iaunes, rouges, vertes, pourprées, azurées, et de plusieurs autres couleurs : qui ont esté presentez au Roy, comme choses singulieres, et qui n’auoyent oncques esté veues par deça. Il reste à descrire quelques autres oyseaux assez rares et estranges : Panou, oyseau estrange. entre lesquels se trouue une espece de mesme grandeur et couleur que petis corbeaux, sinon qu’ils ont le deuant de la poitrine rouge, comme sang et se nomme Panou[6], son bec est cendré, et ne vit d’autre chose, Jeranhuua, espece de palmier. sinon d’une espece de palmier, nommé Jerahuua. Il s’en trouue d’autres erans comme noz merles, Quiapiâ, oyseau. tous rouges comme sang de dragon, qu’ils nomment en leur langue Quiapian. Il y a une autre espece de la grosseur d’un petit moineau, lequel est tout noir, viuant d’une façon fort estrange. Quand il est soul de formis, et autre petite vermine qu’il mange, il ira en quelque arbrisseau, dans lequel il ne fera que voltiger de haut en bas, de branche en bràche sans auoir repos quelconque. Annou, oyseau. Les Sauuages le nômèt Annou. Entre tous les oyseaux qui sont par delà, il s’en trouue encore un autre que les Sauuages ne tueraient ou offenseraient pour chose quelconque. Autre espece d’oyseau. Cest oyseau a la voix fort esclatàte et piteuse[7], côme celle de nostre Chathuant : et dient ces pauures gês que son chât leur fait recorder leurs amis morts estimans que ce sont eux qui leur enuoyent, leur portant bonne fortune, et mauuaise à leurs ennemis. Il n’est pas plus grand qu’un pigeon ramier, ayàt couleur cêdrée, Hiuourahé, arbre. et viuât du fruit d’un arbre qui s’appelle Hiuourahé. Ie ne veux oublier un autre oyseau. nômé Gonabuch[8], Gonambuch, fort petit. qui n’est pas plus gros qu’un petit cerf volant, ou une grosse mousche : lequel oyseau neantmoins qu’il soit petit, est si beau à le voir, qu’il est impossible de plus. Son bec est longuet et fort menu, et sa couleur grisâtre. Et combien que ce soit le plus petit oyseau, qui soit (côme ie pense) soubs le ciel, neantmoins il chante merueilleusement bien et est fort plaisant à ouyr. Ie laisse les oyseaux d’eau douce et salée, qui sont tous differens à ceux de par deçà, tant en corpulence qu’en varieté de plumages. Ie ne doute, Lecteur, que noz modernes autheurs des liures d’oyseaux, ne trouuent fort estrange la description que i’en fais, et les pourtraits que ie t’ai représentez. Mais sans honte leur pourras reputer cela à la vraye ignorance qu’ils ont des lieux, lesquels ils n’ont iamais visité, et la petite congnoissance qu’ils ont pareillement des choses estrangeres. Voyla donc le plus sommairement qu’il m’a esté possible, d’escrire des oyseaux de nostre France Antarctique, et ce que pour le temps que nous y auons seiourné, auons peu obseruer.

  1. Le Carindé est appelé Canidé par Léryxi). Sa description est à peu près identique : « Ayant tout le plumage sous le ventre et à l’entour du col aussi iaune que fin or, le dessus du dos, les aisles et la queue, d’un bleu si naïf qu’il n’est pas possible de plus, estant aduis qu’il soit vestu d’une toile d’or par dessous et emmantelé de damas violet figuré par dessus. » Cf. Thevet. Cosm. univ. P. 85. Gandavo. Santa Cruz. P. 85.
  2. Ni Léry ni Thevet n’ont indiqué la méthode indienne pour prendre ces oiseaux. Belon l’a donnée (Hist. de la nature des oyseaux. P. 297) : « Les sauvages du Brésil ont des flesches moult longues, au bout des quelles ils mettent un bourlet de cotton à fin que tirant aux papegaux ils les abattent sans les naurer. » Cf. Yves D’Evreux. Voyage au nord du Brésil. P. 204.
  3. Sur les aiouroubs, appelés aiourous par Léry, voir le § {{sc|xi} de Léry.
  4. Amusant récit de Léryxiii) sur la grande affection que portait une Brésilienne à son perroquet : « Aussi ceste femme sauuage l’appelant son Chérimbané, c’est-à-dire, chose que i’aime bien, le tenoit si cher que quand nous le lui demandions a vendre, et que c’est quelle en vouloit, elle respondoit par moquerie, moca-ouassou, c’est-à-dire, une artillerie, tellement que nous ne le sceusmes iamais auoir d’elle. » Gandavo (Santa Cruz. P. 85) rapporte qu’ils préféraient un perroquet apprivoisé à deux ou trois esclaves.
  5. Léryxi) s’inscrit en faux contre ce passage : « Ayant veu le contraire en ceux de la terre du Brésil, qui les font tous en des creux d’arbres, en ronds et assez durs, i’estime que c’a esté une faribole et conte fait à plaisir par l’auteur de ce livre. »
  6. Léry donne une description à peu près identique du panou et du quapian (§ xi).
  7. Léryxi). « Nos pauvres Touoùpinambaoults l’entendant crier plus souuent de nuict que de iour, ont ceste resuerie imprimée en leur cerueau, que leurs parens et amis trespassez en signe de bonne aduenture et surtout pour les accourager à se porter vaillemment en guerre contre leurs ennemis, leur envoient ces oiseaux. » Cf. Yves d’Evreux. (Voyage au nord du Brésil. P. 281.) : « Il y a aussi de certains oiseaux nocturnes, qui n’ont point de chant, mais une plainte moleste et fâcheuse à ouyr, fuyards et ne sortent des bois appelez par les Indiens ouyra giropari, les oiseaux du diable. » Cette croyance aux oiseaux prophétiques s’est conservée chez les Guaycourous, mais la plupart des indigènes se bornent à croire que ces oiseaux leur annoncent l’arrivée d’un hôte.
  8. Thevet. Cosm. univ. P. 939. Charmante description de Léry : « Ayant le bec et gosier touiours ouuert, si on ne l’oyoit et voyoit par experience, on ne croiroit iamais que d’un si petit corps il peut sortir un chant si franc et si haut, voir diray si clair et si net qu’il ne doit rien au rossignol. »