Les Singularitez de la France antarctique/31
CHAPITRE XXXI.
Pourtant que plusieurs ont ceste folle opiniô que ces gens que nous appelles Sauuages, ainsi qu’ilz viuent par les bois et châps à la manière presque des bestes brutes, estre pareillement ainsi pelus par tout le corps, comme un ours, un cerf, un lion, mesmes les peignent ainsi en leurs riches tableaux : bref, pour descrire un homme Sauuage, ils luy attribuerôt abondâce de poil, depuis le pied iusques en teste, comme un accident inséparable, ainsi qu’à un corbeau la noirceur : ce qui est totalement faux : mesmes i’en ay veu quelques uns obstinez iusques là, que ils affermoyent obstinément iusques à iurer d’une chose, qui leur est certaine, pour ne l’auoir veûe : combien que telle soit la cômune opinion. Quant. à. moy,.ie le. scay. et l’afferme asseurément, pour l’auoir ainsi veu. Mais tout au contraire, les Sauuages tant de l’Inde Orientale, que de nostre Amérique, issent du ventre de leur mère aussi beaux et polis, que les enfans de nostre Europe. Et si le poil leur croist par succession de temps en aucune partie de leurs corps, comme il auiêt à nous autres, en quelque partie que ce soit, ils l’arrachent auecques les ongles, reserué celuy de la teste seulement, tant ils ont cela en grand horreur, autant les hommes que les femmes. Et du poil des sourcils, qui croist aux hommes par mesure, les femmes le tondent et rasent auec une certaine herbe[1] trenchante comme qui a force un rasoir Espèce d’herbe qui a force de coupper. Ceste herbe ressemble au ionc qui vien près des eaux. Et quant au poil amatoire et barbe du visage ils se l’arrachent comme au reste du corps. Depuis quelque temps ença, ils ont trouvé le moyen de faire ie ne sçay quelles pinsettes, dont ils arrachent le poil brusquemêt.
Car depuis qu’ils ont esté fréquentez des chretiês, ils ont appris quelque usage de maller le fer. Et pource ne croirez d’oresnauant l’opinion cômune et façon de faire des peintres, auxquels est permise une licence grande de peindre plusieurs choses à leur seule discrétion, ainsi qu’aux Poètes de faire des comptes. Que s’il aduient une fois entre les autres qu’un enfant sorte ainsi velu du vètre de la mère, et que le poil se nourisse et augmète par tout son corps, côme l’on en a veu aucuns en France, cela est un accident de nature, tout ne plus ne moins que si aucun naissoit auec deux testes, ou autre chose semblable. Ce ne sont choses si admirables, considéré que les médecins et philosophes en peuuent donner la raison. Monstre de forme humaine couuert d’escailles. I’en ay veu un en Normandie couuert d’escailles, comme une carpe. Ce sont imperfections de nature. Ie confesse bien, mesme selon la glose sur le treziesme d’Esaie, qu’il se trouue certains monstres ayats forme a homes, qu’ils ont appeliez Satyres, vivants par les bois, et velus comme bestes sauuages. Et de cela sont pleins les escrits des poètes, de ces Satyres, Faunes, Nymphes, Dryades, Hamadryades, Oreades, et autres manières de monstres, lesquels ne se trouuêt auiour d’huy, ainsi comme le têps passé, auquel l’esprit malin s’efforçoit par tous moyens à deceuoir l’hôme, se transformant en mille figures. Mais auiourd’huy, que nostre Seigneur par compassiô s’est cômuniqué à nous, ces esprits malings ont esté chassez hors, nous donnant puissance côtre eux, ainsi que tesmoigne la Sainte escripture. Aussi en Afrique[2] se peuuêt encores trouuer certains monstres difformes, pour les raisons que nous auôs alleguées au cômencement de ce liure, et autres que ie lairray pour le present. Au surplus quàt à noz Ameriques ils portent cheueux en teste façonnez presque ainsi que ceux des moynes, ne leur passans point les oreilles. Vray est qu’ils les couppêt par le deuàt de la teste et disent pour leurs raisons, ainsi que ie m’en suis informé, mesme à un roitelet du païs, que s’ils portoyent cheueux longs par deuant, et barbe longue, cela leur seroit occasion de tôber entre les mains de leurs ennemis, qui les pourroyent prendre aux cheueux et à la barbe : aussi qu’ils ont appris de leurs ancestres, qu’estre ainsi ecourtez de poil leur causeroit merueilleuse hardiesse. Abantes peuple d’Asie. I’estimeroys que si noz Sauuages eussent frequêté vers l’Asie, qu’ils eussent appris cela des Abâtes[3], qui trouuerent ceste inuention de se raser la teste, pour estre, disent-ils, plus hardis et belliqueux entre leurs ennemis. Coustume des Atheniês Aussi Plutarque[4] raconte en la vie de Theseus, que la Coustume des Atheniens estoit, que les Ephores, c’est à dire, constituez comme Tribuns en leur Republique, estoyent tenuz d’offrir la tôsure de leurs cheueux et perruques aux dieux en Delphe : de manière que Theseus ayant fait raser le deuàt de la teste à la mode de noz Amériques, fut incité à cela par les Abantes, peuple d'Asie. Et défait nous trouuôs qu'Alexàdre roy la Macédoine cômanda à ses gens de prendre les Macédoniens par les cheueux et barbe, qu'ils portoyêt longue : pour ce lors il n'y auoit encores de barbiers pour les tondre ou raser. Et les premiers que l'on vit en Italie estoient venus de Sicile. Voyla donc quant au poil des Amériques.
- ↑ Thevet revient sur cet usage dans sa Cosmographie universelle (P. 931) : « Le poil leur croissant, les femmes l’arrachent aux hommes avec une certaine herbe, laquelle tranche comme un rasoir. Quant au poil amatoire, ils se l’arrachent réciproquement, les uns aux autres… Depuis que nous y auons fréquenté ils ont apprins à auoir des pincettes, avec lesquelles elles se pincettent et arrachent brusquement le poil. » Cf. Léry. § viii. — Gomara. Hist. gen. de las Indias. § LXXIX. — Osorio. "De rebus Emmanuelis. ii. 49. — H. Staden. P. 267.
- ↑ Il n’y a pas plus de monstres en Afrique qu’ailleurs : Pourtant le proverbe est vrai, in Africa semper aliquid novum. C’est que l’Afrique est la moins connue de toutes les parties du monde. Sur la formation et la propagation de ces mythes géographiques, il faut lire les pages si lumineuses de Tylor. Origines de la civilisation.
- ↑ Homère. Il. ii. 49.
- ↑ Plutarque. Thésée. § iv. La citation est inexacte. Plutarque dit simplement que c’était l’usage à Athènes, au sortir de l’enfance, d’aller à Delphes pour y consacrer à Apollon les prémices de sa chevelure.