Les Signes parmi nous/31
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— Dis donc !
Un autre qui appelle sa femme.
Autre espèce de commencement ou de recommencement : dans cette cuisine, la grande table de sapin peinte en brun se voit de mieux ou mieux, on n’ose pas y croire.
Un de nouveau pourtant, qui dit :
— Il me semble que ça chotte (mot du pays qui signifie : cesser de pleuvoir.)
Il n’en est pas sûr, il va à la fenêtre : il voit devant la fenêtre une barbe d’eau pendre encore, mais les poils qu’elle a s’en vont un à un ; on commence à voir au travers.
Il a écouté, on recommence à entendre la fontaine, une pâleur gagne dans l’air comme quand le matin vient.
On a entendu un roulement pareil à celui que font les chars de blé quand ils entrent dans la grange ; sa femme lui dit :
— Méfie-toi !
Il répond :
— Bah ! je crois bien que c’est fini…
Il se hasarde à ouvrir la croisée ; brusquement les bruits de dehors ont grandi ; n’est-ce pas les bruits d’avant ?
— Dis-donc (il recommence,) écoute !
Et on entend la gouttière qui s’égoutte. La fontaine lit de nouveau.
Et puis il semble qu’on ait entendu aussi miauler le petit chat dans la remise…
Ils se mettent alors à bouger un peu partout, bien que personne encore ne se soit risqué à sortir ; sous l’abri encore des toits, dans les maisons, dans ces caves, dans ces chambres, dans ces cuisines où ils se tiennent ; et puis de nouveau :
— Dis donc !
Ou bien :
— Eh ! là-haut !
Elle a ouvert la porte et crie dans l’escalier. Et, à présent, on commence à aller et venir d’une pièce à l’autre ; et le petit s’est déjà échappé de dedans les bras de sa mère, mais, nous, il faut d’abord nous secouer des choses qu’on avait imaginées.
Est-ce qu’on est encore dans les choses imaginées, quand on regarde, et on voit l’armoire, on voit les chaises ?
On voit le tableau, mais est-ce que c’est vrai ? et ce petit commencement de jour qu’il fait, est-ce sûr qu’il existe ? il y en a qui se touchent les bras, les jambes ; c’est comme s’ils se refaisaient leurs bras et leurs jambes en les touchant.
Ils doivent d’abord se les refaire et se refaire eux-mêmes, avant de se servir d’eux-mêmes, puis commencent à s’en servir, s’étant remis debout, tendant le bras, posant le pied sur le plancher ; mais ils se disent : « Le plancher est là. »
Ils sont refaits, le plancher est refait ; ils vont au mur, le mur est refait.
Le mur qui est là, eux aussi qui sont là ; je me suis regardée dans le miroir : je m’y suis vue, alors ?…
Alors c’est qu’on a cru des choses, et que ces choses n’étaient pas vraies.
Tout ça ! et puis, pour finir… (ils jettent le mot) rien du tout !
On a cru que c’était la fin du monde : ce n’était qu’un orage, un orage comme les autres. On a cru qu’on allait mourir ; ils se touchent encore, ils se mettent à rire, « il paraît bien qu’on n’est pas morts ! »
Pinget a retrouvé son bateau, celles-ci leurs enfants, ceux-là leurs maisons, leurs provisions ; on s’est trompé, eh bien ! tant mieux, n’en parlons plus. Et déjà les autres malheurs, ces morts, ces deuils, ces maladies, tous ces malheurs d’avant sont oubliés, à cause que ce dernier malheur n’a pas été ce qu’ils ont cru ; toutes ces autres menaces sur nous et ces Signes sont oubliés, à cause que cette grande dernière menace et ces derniers Signes n’ont pas été suivis d’effet.
Qu’un souci seulement vous soit enlevé, tous s’en vont du même coup.
Ils disent : « C’est ce grand fou avec son livre et ses histoires ; qu’il n’y revienne pas ! Mais aussi pourquoi l’a-t-on écouté ? »
Et, là où il y avait en eux une grande colère contre les choses, n’existe déjà plus qu’une petite colère indulgente contre eux-mêmes ; là où ils avaient peur, ils se mettent à plaisanter : « Tant pis, après tout ; ça nous apprendra. »
Encore un roulement de tonnerre, mais très loin ; il ne fait pas plus de bruit que quand on tire le lit.
La barbe d’eau ne pend plus du tout. Elle a découvert, en se retirant, la barrière qui est de l’autre côté de la cour. Des haricots, à fleurs rouges et blanches, qui se voient, s’entortillent autour des barreaux ; et ce sombre, c’est seulement que la nuit ne va pas tarder.