Éditions des Cahiers vaudois (p. 194-201).

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Alors, c’est que ce serait vrai ! il y en a qui disent que c’est vrai !

Ainsi la personne de chez qui Caille vient de sortir : « Il m’a dit les Signes, il vous persuade. »

— Yvonne ! Yvonne !

— Allume vite ! tourne le bouton !

« Si c’était pourtant vrai ! » « C’est vrai ! » Toute la peine qu’on s’est donnée ! Mets le couvercle sur la machine à coudre, on ne sait pas ce qui peut arriver.

Et moi qui m’étais fait faire une robe neuve ; vingt francs de façon !

Ceux qui sont en train de traire s’arrêtent de traire. On pense au toit. Il pourrait bien arriver qu’il se fasse des gouttières sous le faîte, qui est la partie la plus exposée ; le père de Jules :

— Où est-il, Jules ?

— Il n’est pas là.

Il monte seul. Le foin fermente encore un peu, raison de plus pour qu’on empêche qu’il ne se mouille, sans quoi il refermenterait.

Par les plus minces fentes et les plus petits trous, ça vous souffle et vous siffle contre ; cette poussière d’eau, Dieu sait comment elle fait pour entrer, elle entre pourtant, on est dedans ; ça sent fort et sucré, c’est en même temps chaud et frais ; il fait le tour des hauts-lieux, descend, fait le tour de la remise, s’avance jusque sur la porte :

— Ah ! saleté !

Il se cogne à la brouette, il fait tomber le trident, on ne pourra pas dire qu’on a eu peur. Ce n’est pas, d’ailleurs, à soi qu’on pense. C’est ces récoltes, c’est le raisin, le petit peu de bien qu’on a, pour quoi on y tient, ah ! saleté ! On n’est pas comme les gens de la ville, ils disent : « Il gèle, » ils s’en moquent, ils sont au chaud ; nous, cette gelée nous coûte des centaines de milliers de francs. Il grêle, et ça les amuse, mais nous, cette mitraille, on aimerait mieux la recevoir en pleine poitrine, parce que les produits de la terre, c’est encore plus sacré qu’un enfant qu’on aurait…

Il ne pense qu’à ses récoltes.

Et cet autre dans l’auberge ne pense guère plus loin, qui dit : « Moi, je suis tranquille, je n’ai plus rien. Regardez si je ne continue pas à boire, et si la qualité n’y est pas toujours pour moi, et la finesse de goût. Couchez-vous, vous autres, sur vos écus ! Le malheur seulement, c’est qu’ils sont pour la plupart en nature et ainsi pas tant à l’abri que ceux avec des rois dessus… »

Et il donne un coup de poing sur la table :

— Vas-y, là-haut !… Crache, gueule !… C’est ça !… Moi, je marque les points comme au jeu de quilles. Patron ! tu as de la craie ?…

On lui dit :

— Taisez-vous, malheureux !

— Moi !

Il crie :

— Deux !… quatre !… cinq !… cinq !…

Et Clinchant est vu tout-à-coup, qui ne dit plus rien à présent, et, seulement, il vous regarde, avec le fourneau de sa pipe et sa barbe ; et puis plus point de fourneau, ni de barbe.

Ils ne pensent encore qu’à leur bien ou au bien d’autrui ; est-ce qu’ils ne finiront pas par comprendre ?

Un a caché pour quatre mille francs de billets sous le plancher dans le grenier, si la maison prenait feu !

Seulement il ne faudrait pas qu’on m’entende, sans quoi on connaîtrait la cachette ; il monte pieds nus.

Il est comme s’il se volait lui-même, il est devant l’argent qui lui appartient comme si cet argent ne lui appartenait pas.

Sûrement que sa femme ou sa fille l’a entendu et elles sauront, et il ne veut pas qu’elles sachent. Il écoute : est-ce qu’on n’a pas crié ? Qui est-ce qui crie ? ou bien si c’est dans mes oreilles ? Et il lui semble, à présent, qu’on monte, peut-être est-ce seulement mon cœur ; mais, tout-à-coup, la maison a penché, comme un homme qui a trop bu.

Si les maisons se mettent à tomber, où est-ce qu’on cachera son argent ? Je le prendrai sur moi, mon argent, tant pis ! Je travaillerai avec, je mangerai avec, je dormirai avec.

Mais, nous autres, nos provisions ? On a été comme la fourmi : la fourmi ne peut pas se passer de sa fourmilière.

Qu’est-ce qu’on fera de nos sacs de farine, de nos sacs de sucre, de nos pots de graisse ? La huche aussi est pleine, qu’on ne peut pas déménager. Et le lard qui est dans la cheminée ? Est-ce qu’il nous faudra nous sauver tout nus, comme on a lu qu’on faisait dans les pays où on se bat ; est-ce qu’il nous faudra mourir de faim, quand même on a été précautionneux et prévoyants ?

Si rien ne tient plus ! si on ne peut compter sur rien ! mais quel mal a-t-on fait pour qu’on soit traité de la sorte ?

Beaucoup n’ont pas compris encore, ou ils n’ont pas encore entièrement compris, bien que les maisons à présent ne soient plus fixes sur leur base.

Ils voient bouger contre le mur les choses qui sont pendues au mur, les portraits dans leurs cadres, les photographies, la pendule ; ils voient bouger sous le plafond la lampe qui pend au plafond ; ne vont-ils pas voir dans le ciel la Croix, le Calice, la Colombe, après quoi une voix viendra ?

Ils entendent craquer les poutres, battre la porte, gémir la pierre d’angle où le vent se déchire en deux ; ne vont-ils pas entendre la voix ? parce qu’après les derniers Signes, une voix dira : « C’en est fait. »

La mère dit seulement : « On ne peut jamais savoir, prépare des choses dans le grand panier ; » le propriétaire trie parmi ses papiers les plus importants, met des titres dans sa poche.

On fait en sorte qu’on soit prêt à partir, parce que, quand nos maisons brûlent, elles brûlent vite, vu le foin et la paille qui y sont entassés, la remise qui est en bois.

Et des fois, et des fois aussi, n’est-ce pas ? on les a vues tomber, bien que pas souvent, mais on n’aura qu’à ouvrir la porte, la femme et les enfants sortiront les premiers.

— As-tu ta montre ?… Va vite la chercher !

C’est une montre d’argent avec une chaîne d’argent qu’il a donnée à sa femme, du temps ils n’étaient encore que fiancés ; elle monte vite la chercher.

Et, dans la maison d’à côté :

— As-tu pensé à ta police d’assurance ?

Il lève le bras, il monte aussi ; ni l’un ni l’autre n’arrive à temps ; l’électricité s’est éteinte.