Vingt-deuxième

Salazienne.


I fall upon the thorns of life !. I bleed !.
SHELLEY.

A une femme.
Des ombres du malheur mon front triste se voile,
Mon horizon est sombre et mon jour est obscur ;
Mais dans mon ciel éteint, ò ma fidèle étoile,
Je vois briller toujours ton rayon doux et pur.
Lorsque pour me punir tout fuit et m’abandonne,
Tendre pour mes erreurs ton cœur me les pardonne ;
Sans me blàmer jamais tu gémis avec moi ;
Et, sensible aux douleurs que ta bonté partage,
Tu convres de ta voix la clameur qui m’outrage.
Non ! il n’est point au ciel d’ange meilleur que toi !

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Si d’un sourire encor la sereine nature
Peut réjouir mon ceil morne et désenchanté,
C’est qu’elle a de ton àme, ó noble créature,
Le sourire ineffable et l’auguste beauté.
Si le courroux des vents en guerre avec les ondes,
A réveillé des mers les colères profondes,
Mon cœur peut être ému mais ce n’est point d’effroi !
Des hommes et des flots que me font les tempêtes ?..
Mais cette vague, hélas ! qui gronde sur nos têtes,
M’enlève à ton beau ciel et m’éloigne de toi !
T’en souvient-il ? assis aux bords de la colline,
Par un beau soir demai, nous révions tous les deux ;
Un souffle tiède et pur embaumait ta poitrine,
Mais des larmes voiloient tes yeux tristes et bleus.
Ton pâle et doux sourire à mes regards de frère
Révélait de ton cœur le douloureux mystère :
D’un sort cruel déjà nous subissions la loi.
A confondre nos pleurs j’ai trouvé bien des charmes !
Que m’importe aujourd’hui l’amertume des larmes,
J’ai connu la douceur de pleurer avec toi !

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Sœur, à mon amitié tu fus toujours fidèle,
Femme, tu vins à moi quand je fus délaissé,
Ange, tu m’abritas à l’ombre de ton aile,
Et ton cœeur à m’aimer ne s’est jamais lassé.
O ma rose d’enfance, ò ma fleur la plus chère,
Je puis songer du moins qu’il est sur cette terre
Une âme riche encor de tendresse et de foi !
De mon lac trouble ou bleu tu fus toujours le cigne.
Et la plus adorée est aussi la plus digne
Du noble et sain ! amour que j’ai conçu pour toi.
Que l’homme en son orgueil me condamne et m’accuse,
Qu’il se lève et s’acharne et marche sur mes pas,
Qu’il blâme avec dédain mon amour pour la muse,
Il pourra me briser, il ne me ploiera pas !
Aux souffles des autans j’opposerai la tète,
Car mon cœur se dilate au vent de la tempête
Et j’aime à voir bondir les flots autour de moi !
Bercé par le courroux de la vague orageuse,
Je laisserai flotter ma barque voyageuse,
Insoucieux de l’onde et ne rèvant qu’à toi.
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Et si le sort un jour trahissant mon courage,
Je m’alfaissais vaineu sous le flot triomphant,
Mais toujours insoumis et défiant l’orage
Et les coups acharnés contre un débile enfant ;
Dans cet instant suprème, incliné vers la tombe,
Ma lèvre déjà froide, ô ma sainte colombe,
Murmurera ton nom pour la dernière foi ;
Et sur les flancs brisés de ma barque qui sombre
Je descendrai mourant dans ma demeure sombre,
L’âme et les yeux levés vers le ciel et vers toi !