Dix-huitième

Salazienne.


CALME EN MER.
A MES AMIS E. ET J. MARTINEAU,
de la Martinique).
Le soleil qui descend sous la vague profonde
A rougi l’occident que sa lumière inonde.
Le ciel etend sur moi son pavillon d’azur ;
La vague en réfléchit l’éclat profond et pur,
Et la nuit, déroulant ses ombres et ses voiles,
Et posant sur son front sa couronne d’étoiles,

160
Répand à mes côtés ses feux mystérieux
Et poursuit dans les airs son cours silencieux.
Entrainé par le sort vers de nouvelles plages,
De mon pays aimé j’ai quitté les rivages ;
Et, voguant sur les eaux du perfide élémeni,
Je ne vois plus que l’onde et le bleu firmament.
Mais le souffle des nuits s’assoupit sur la vague ;
Son haleine affaiblie, indécise et plus vague,
Sur le sein onduleux du tiquide miroir
A répandu la paix et les pavots du soir ;
Et comme un doux zéphyr dont l’aile familière
Soulève du lion la royale crinière,
Il semble, en se jouant dans l’écume des flots,
Du terrible Océan caresser le repos.
Quel calme sous les cieux ! Quel auguste silence !
Le vaisseau lentement s’incline et se balance ;
J’écoute, et n’entends plus que les mourants accords
Du flot qui mollement vient baigner nos sabords ;
Aucun bruit dans les airs n’a frappé mon oreille :
La nuit marche en silence et l’Océan sommeille.

461
Mais quelqu’un avec moi de cette immensité
Ressent-il dans son cour la vague majesté ?
Est-il une àme aussi qui, pensive à cette heure,
Et parcourant des yeux la céleste demeure,
Promene un long regard sur ce dôme d’azur
D’où descend de la nuit le rayon doux et pur ;
Et qui, du firmament étoilé de lumière,
Ramène ainsi que moi sa rèveuse paupière
Sur les flots assoupis de l’abime éternel,
Et contemple des mers le calme solennel ?
Je ne sais mais peut-être un chérubin qui passe
Et franchit de l’éther les déserts et l’espace,
Suspend son vol léger, et des sphères des cieux
Sur ce monde endormi porte un moment les yeux.
Aux mourantes lueurs des tremblantes étoiles,
Dont la faible clarté blanchit au loin nos voiles ;
Il voit notre vaisseau, comme un cygne des mers,
Laissant tomber son aîle au bord des flots amers,
S’endormir au roulis des onduleuses lames,
Où l’astre de Vénus fait vaciller ses flammes.

162
Le voyageur divin, immobile et surpris,
Laisse flotter sur nous ses regards attendris ;
Il plaint l’homme imprudent qu’un fol orgueil égare,
Ou que des vains trésors l’ambition avare
Expose à la fureur d’an élément fatal
Et ravit au doux ciel de son climat natal ;
A ses champs abrités dont l’ombre et le feuillage
Ont voilé tant de fois les jeux de son bel âge ;
A la vallée ombreuse où de paisibles eaux
Murmurent en coulant sous l’ombre des roseaux ;
Où la colombe vient haigner ses pieds de rose
Sur le bord des gazons qu’une eau limpide arrose ;
A ces beaux lieux enfin qu’un Dien dans son amour,
Comme un nouvel Éden, lui donna pour séjour.
Et l’archange attristé plaint la douleur amère
D’un ami, d’une sœur, ou d’une pauvre mère,
Que cet ingrat mortel a laissés loin de lui.
Peut-être en ce moment, sur le bord qu’il a fui,
Pensive et solitaire, et pleurant sur l’absence
De l’ami que son âme adorait en silence,
Une amante a bandonne au souffle des zephyrs
Sa plainie do uloureuse et ses secrets soupirs.

165
Hélas ! je vogne aussi loin de mon toit champetre,
Loin de l’asile aimé du champ qui m’a vu naifre,
Ou d’un Dieu paternel la prodigue bonté
A versé tout aussi pour ma félicité.
Mais si la soif de l’or et son ardeur servile
Loin de ces lieux si chers n’est pas ce qui m’exile,
En ai-je moins coûté bien des regrets amers,
Bien des larmes d’adieux à ceux qui me sont chers ?
Angélique habitant des célestes domaines,
Toi qui de l’infini parcours les vastes plaines,
Guide ton vol léger vers le lointain séjour
Où s’ouvrit ma paupière à la clarté du jour ;
Tes yeux reconnaîtront à ses hautes montagnes,
A son ciel rayonnant, à ses vastes campagnes,
Mon ile fortunéc assise au sein des mers
Et montrant son front bleu dans le vague des airs.
Descends du ciel alors vers la triste demeure
Où ma sœur me rappelle, où ma mère me pleure ;
Alléger des mortels la peine et la douleur
Des esprits bienheureux doit être le bonheur :
Va consoler les maux qu’a causés mon absence

164
Ei verse dans leur sein le calme et l’espérance.
Mais avant de partir, doux ange, bénis-moi !
Fais d’un Dieu juste et bon que j’observe la loi.
Mon âge à peine échappe à celui de l’enfance ;
J’ai besoin d’un ami pour prendre ma défense,
D’un guide et d’un appui pour diriger mes pas,
Dans les hazards nouveaux que je ne connais pas.
J’entreprends de mes jours le long pélerinage,
J’ai peur de m’égarer ; indique à mon jeune âge
Les sentiers parfumés de vertus et de fleurs.
Du remords à mon âme épargne les douleurs.
Débile et malheureux, prodigue à ma faiblesse
L’espoir de surmonter le destin qui me blesse.
Viens répandre parfois dans mon obscurité
Et du bien et du vrai la divine clarté.
Offre enfin à mes yeux cette épouse, cette Eve,
Ce vague objet d’amour qu’incessamment je rève ;
Dont la jeune beauté, la grâce et la douceur
De mes jours d’ici-bas consoleront mon cœur.]
Et quand pour m’abreuver d’une douce tristesse,
Je livre à ses pensers ma rèveuse jeunesse,

Et que je vais d’un pas mélancolique et lent,
M’asseoir près des ruisseaux sous l’ombrage coulant,
Alors pour consoler ce qui dans moi soupire,
À mes doigts inspirés prête parfois ta lyre.