Septième

Salazienne.


A Monsieur N. R. de La Serve,
(de l’Ile Bourbon).
Le Salaze a vu les orages,
Cent fois, d’un vol impétueux
S’abattre du sein des nuages
Sur son sommet majestueux.

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Vaine fureur ! rage inutile !
Le Piton géant de mon ile
Opposait sa face immobile
Ax coups des autans furieux ;
Vainqueur des vents et du tonnerre
Il voyait passer leur colère,
Ses pieds forts toujours dans la terre,
Sa tête toujours dans les cieux !
Et quand la sereine nature
Succédait aux vents irrités,
Il voyait flotter la verdure
Des monts qu’il avait abrités.
L’arbuste à la feuille éphémère,
L’arbre à la tige séculaire,
Du ciel défiant la colère,
Voilaient les zochers ombragés ;
Et l’onde de ses larges veines,
Tombant en cascades hautaines,
Allait abreuver dans les plaines
Les champs qu’il avait protégés.

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Pour ce sommet sans chevelure,
Pour ce front haut et sans cimier,
Pas de panache de verdure,
Jamais de gracieux palmier.
Mais qu’importe, ò Piton sublime !
Tes pieds dépassent toute cime :
De l’Ether franchissant l’abime
Top ombre au loin couvre les mers !
Ta masse résiste aux orages,
Et des monts à qui tu surnages
Nul ne porte au sein des nuages
Plus haut la tête dans les airs !
Que t’importe aussi qu’on t’oublie,
Homme loyal au cœur altier ?
Qu’importe à ta tête fléchie
De vieillir chauve de laurier ?
N’éclipses-tu pas de ton ombre
Ces envieux, au regard sombre,
Grèles rivaux, jaloux sans nombre,
Trop bas pour des yeux immortels ?

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Des élus tu portes lesigne,
Mais tu le sais, caprice insigne,
Ce n’est jamais qu’au plus indigne
Que nous élevons des autels !
Aujourd’hui que l’océan gronde,
Que la tourmente a commencé,
Qui doit, Français d’un autre monde,
Sauver votre esquif menacé !
Sans guide, hélas ! sur l’onde il flotte ;
Où donc est-il votre pilote ?
Qu’il parle et que de sa voix haute
Il commande aux flots révoltés !
Vaine attente ! leur lâche audace
Du mérite usurpe la place ;
Mais quand le péril est en face
A quoi servent ces nullités !
La Serve, en nocher plus habile
Combattant le flot mutiné,
Oh ! qu’avec éclat pour ton ile
Ta forte voix eût résonné !

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Libre organe d’une àme ardente,
Ta bouche austère, indépendante,
Cratère à la lave éloquente,
Pour nous eût enflammé les cœurs !
Mais le mérite, on le rejette ;
Dans l’ombre inutile il végète,
Et c’est à sa tombe muette
Qu’on rend les éternels honneurs !
II
Aussi, plaisible et grave, auguste intelligence,
Tu ne t’en émeus pas, tu gardes le silence.
Tu sais que l’homme oublie : et calme et satisfait
Ton cœur dans le passé voit le bien qu’il a fait,
Et goûte, au sein des bois et de la solitude,
De tes devoirs remplis la douce quiétude.
Ta conscience heureuse, asile des vertus,
Se repose des jours mauvais et révolus ;
Comme la fleur s’endort dans sa dernière haleine
Après avoir donné ses parfums à la plaine.

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Ton pays rend justice à ta haute équité.
De ta dette envers lui ton cœur s’est acquitté ;
Et cela te suffit.
Que la voix généreuse
Se taise on serve encor ta patric oublicuse !
Mais moi, je parlerai : car j’ai pour le malheur
Des accents qu’à mon âme a diets Le Seigneur.
J’irai, je chanterai ; ma jeune Poésie
Demandant la chaumière aux bois de Salazie,
Sur ton front, à défaut de lauriers et de fleurs,
Répandra ses accords, son amour et ses pleurs.
III
C’est toi dont l’éloquence ardente et filiale
Rendit à ton pays sa voix coloniale,
Et pour ses intérêts, au conseil agités,
Fit parler dans ses fils ses hautes volontés ;
T’associant toujours à toute action bonne,
C’est toi que pour son bien ne devança personne ;

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C’est toi qui, déplorant l’abus des vieilles mœurs,
De pensers libéraux ensemençais les cœurs ;
Toi qui, des préjugés flétrissant l’existence,
Aux uns prêchais l’amour, à nous la patience ;
Et d’une oppression inique et sans pitié
Ne pouvant nous sauver, nous pris en amitié !
Et moi, je me tairai ! jeune homme sans mémoire
Je resterai sans voix devani ta noble histoire !
Non ! l’on ne dira pas qu’oublieux du passé
Je n’aurai pas chanté le juste délaissé,
Et que mon luth, gardant un silence complice,
Se sera tù jamais devant une injustice !
IV
Amassez-vous, vents des orages,
Soufflez du nord à l’occident,
Et du dais obscur des nuages
Voilez l’éclat du firmament !
Jalouse des feux de l’aurore,
O nuit ! la dois-tu voir encore,

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Du trone riant du matin,
Chasser par degrés tes ténèbres,
Et blanchir tes ombres funèbres
A son reflet doux et lointain.
Ouvrez-vous ! répandez vos ondes,
Vastes cataractes des cieux,
Éteignez les flammes fécondes
De l’astre aux rayons glorieux !
Sur le firmament sans étoiles,
Obscurité, jette tes voiles,
Sur notre globe étends la main ;
De ténèbres couvre la terre,
Et que cette nuit sans lumière
Soit une nuit sans lendemain !
Oh ! quelle nuit profonde et sombre !
Des cieux désertant le séjour,
Soleil, astre vainqueur de l’ombre,
T’es-tu donc voilé pour toujour ?
La terre est morne et taciturne,
L’étoile à la voûte nocturne

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N’a pas allumé son flambeau ;
Le ciel est comme une urne obscure,
Et tout semble dans la nature
Dormir du sommeil du tombeau.
Mais, regardez ! voici l’aurore
Qui lève ses rideaux d’azur ;
L’ombre blanchit et s’évapore
Aux bords de l’orient plus pur.
L’aube, ouvrant sa molle paupière,
Du faible éclat de sa lumière
Sème les premiers feux du jour.
L’air est pur, l’horizon est rose,
Le ciel que la lumière arrose
Semble sourire avec amour.
Mais l’astre a fait pâlir l’aurore,
Tout cède à sa vaste clarté :
Il chasse, il aspire, il dévore
Les vapeurs de l’obscurité.
Repliant ses voiles funèbres,
La nuit, sur son char de ténèbres,

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Fuit à sen aspect glorieux ;
Et, s’élançant dans sa carrière,
Il monte éclatant de lumière
Sur le trône azuré des cieux.
V
Ainsi, monstre exécré, dont la serre homicide
Étouffe le talent dans son germe timide,
Reptile dont le souffle impur et venimeux
S’épanche incessamment sur tous les noms fameux ;
Toi dont le dard caché brûle de sa piqûre
Tout ce qui, dans les cieux, lève une tête pure,
Toi que l’enfer pétrit d’un fétide levain,
Toiqu’enfin l’homme abhorre et que l’on nomme Envie,
Et que l’heureux mortel qu’attend une autre vie
Ne voit que des hau teursd’un sublime dédain.
Ainsi tu veux ternir dans ta rage jalouse
Le talent qu’on admire et que ia gloire épouse ;

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Mais détestant l’éclat dont le mérite a lui,
Tu te places en vain entre la terre et lui !
Rampe ! tu ne dois pas obscurcir la lumière !
Rampe ! puisque c’est là ta nature première !
Rampe ! et maudis toujours toute chose à bénir !
Rampe ! et darde au génie un œil sanglant et sombre !
Tu ne pourras jamais éclipser de ton ombre
Son astre éblonissant qui luit sur l’avenir !
Et vous,
ambitieux, rivaux aux mains débiles,
Dont la faiblesse aspire aux charges difficiles,
Pourdes fardeaux si lourds vos bras sont chancelants !
Imposez done silence à des vœux insolents !
Il faut la main géante à l’œuvre colossale !
Faites place inclinez votre tête vassale,
Et ne disputez plus au noble élu des cieux
La place où veut siéger votre orgueil ridicule ;
Caril faut pour prétendre aux grands travaux d’Hercule
Sentir couler en soi le sang du roi des dieux !
Amis, ouvrons les yeux au jour qui nous éclaire !
A ces vils intrigants ne jetons pour salaire

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Qu’un éloquent sourire et de justes mépris !
Du talent méconnu reconnaissons le prix !
Que l’avenir répare un oubli réparable,
Et ne croupissons plus dans une erreur coupable !
Vous êtes abusés par un reflet vermeil !
Ce nuage enflammé que la lumière dore,
C’est l’ombre et non le Dieu que la nature adore ;
Levez plus haut les yeux, c’est là qu’est le soleil !..