Alphonse Lemerre (p. 14-16).
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V.


Ah ! parce qu’ils sont forts, et qu’ils sont en grand nombre,
Qu’ils se sont préparés dans le silence et l’ombre
Comme des renards ou des loups ;
Parce qu’ils ont surpris notre France endormie,
Qu’ils ont mis leur poing lourd sur sa bouche blémie,
Et sur sa gorge leurs genoux,

Ils ont crié victoire, et dit qu’elle était morte !
Mais le torrent de sang qu’ils font couler, emporte
Son dernier rêve et son sommeil ;

Et leur glaive, inhabile à bien servir leur haine,
A tout d’abord frappé, tordu, brisé sa chaîne :
Elle est libre pour le réveil !

Comment n’ont-ils pas vu l’œuvre de leur démence ?
Ne comprennent-ils pas que la guerre commence,
Et, devant la Patrie en deuil
Qui presse de la main sa blessure béante,
N’ont-ils pas frissonné de honte et d’épouvante ?
Comment donc ont-ils tant d’orgueil ?
Est-ce qu’ils ont si mal appris leur propre histoire ?
Nous faut-il de nouveau leur remettre en mémoire
Les fastes de la liberté ?
Et quoiqu’ils aient gagné les premières étapes,
Ressusciterons-nous Valmy, Fleurus, Jemmapes,
Pour confondre leur vanité ?

Sans doute ils sont puissants, et leur audace est grande,
Il se peut même encor qu’au droit elle commande
Aujourd’hui, peut-être demain ;
Il se peut que le sort trompe notre courage,
Que jusqu’au lieu marqué pour laver tant d’outrage,
Nous devions faire un long chemin ;

Mais plus lente elle vient, plus la justice est sûre.
Passent les jours, les mois, les ans ! L’heure future
A déjà sonné sur nos fronts.
Nous saurons bien l’attendre et prendre patience ;

— Et s’il n’est plus qu’un cri, celui de la vengeance,
Ô France, nous le pousserons !

25 novembre 1870.