Les Sérails de Londres (éd. 1911)/44
CHAPITRE XLIV
L’Honnêteté de jésuite en refusant de s’associer
avec un empirique, dont les principaux profits
venoient de l’usage d’un remède pour procurer
les fausses couches, porta Kitty Nelson, qui pensoit
que le prêtre lui fait un pareil présent, à s’informer
où l’on pouvoit avoir ce remède : son désir
fut bientôt rempli un jour qu’elle traversoit Leicester-Fields,
par un avertissement que l’on lui
remit dans la main. Cet avis étoit l’annonce au
beau sexe d’un remède pour détruire les obstructions ;
mais on lui conseilloit particulièrement d’en
faire usage dans l’état de grossesse. Cette dernière
observation prouvoit clairement l’intrigue du charlatanisme,
car Kitty, d’après les informations
qu’elle prit à ce sujet, apprit qu’un nombre
Gravure de l’édition originale des Sérails de Londres.
considérable de jeunes personnes étoit péri par l’usage
de cette préparation fatale et contre-nature. Il est
en effet étonnant qu’il n’y ait point de loi salutaire
pour empêcher ces sortes de remèdes mis, journellement
et à toute heure, en pratique dans cette
capitale par des charlatans ignorants qui sont certainement
la plus grande peste de la société. Si
l’on ajoutoit foi à leurs avertissements, toutes les
maladies auxquelles le corps humain est sujet,
doivent être à l’instant guéries, même les maladies
qui n’ont jamais existées, excepté celles qui
sont dans la tête du valétudinaire. Le monde,
quoique dans un siècle éclairé, est cependant si
crédule, que la plupart de ces imposteurs roulent
équipages, ont des maisons de ville et de campagne,
et vivent dans le luxe, l’abondance et les
plaisirs. Le charlatanisme est aujourd’hui un
commerce si important, qu’il n’est plus comme
autrefois un mystère ; c’est un commerce en règle
que l’on peut apprendre sans apprentissage, que
l’on peut acheter ou faire avec liberté. La modestie
et la science de l’un des membres de cette fraternité,
servira à illustrer l’habilité, la pénétration, le
jugement et l’érudition du reste de ses frères.
Vanbutcher (n’ayant ni associé, ni successeur) désire apprendre son art de chirurgien-dentiste pour mille guinées.
Bien dit maître Vanbutcher. Il n’y a qu’un boucher qui puisse tailler et écorcher notre langue d’une manière si barbare, si cruelle et si inhumaine… Pour l’amour du ciel, disposez de votre art si vous le pouvez, seulement pour cinq cents guinées, ne marchandez pas pour les bagatelles… Renoncez à votre nom de chirurgien, et attachez-vous à votre état naturel, Vanbutcher ; certainement vous couperiez non seulement un grand nombre de carcasses, mais encore des têtes très-excellentes, au coin de Litchfield-Street. C’est un commerce de prospérité, Monsieur Butcher, soit dans l’avant-garde, ou dans l’arrière-garde.
Nous avouons que nous nous sommes trahis en nous égayant sur un sujet très-sérieux. D’abord la postérité est privé de ses droits justes et naturels ; la population dégénère ; pour quel motif ? pour graisser les roues de la voiture de qui ? d’un chrétien ? non, il doit être un juif dans son cœur tant par l’exercice de sa profession religieuse, que pour faire un commerce aussi infernal au prix du sang humain ; car en effet c’est l’acheter. Quand aux autres charlatans, quoiqu’ils ne montrent pas aussi directement le poignard mortel, généralement parlant, ils minent les esprits vitaux, et par degrés, ils détruisent la forme humaine.
Pour ce qui regarde les dentistes, ils vivent de chicots pourris. La moitié d’eux après avoir été derrière la voiture, jettent de côté la livrée, et sautent dedans. Nous pouvons en désigner plusieurs dans cette ville que nous avons vu dans la situation que nous venons de mentionner.
Mais l’impertinence et l’abus de la médecine ne sont pas purement du ressort de la tribu des charlatans. Les réguliers même de Warwick-Lane sont souvent consultés pour une maladie qu’ils essayent d’anéantir, mais qu’ils ne guérissent jamais, ou rarement. On a souvent tenu des consultations de médecins, tandis que le malheureux patient se mouroit ; et tandis que ces Messieurs sont à se disputer sur les mots, l’objet infortuné de leur consultation a souvent rendu le dernier soupir. Les charlatans retirent un gain considérable de leurs remèdes réguliers, si je puis les appeler ainsi ; mais ces profits sont plus foibles et plus calculés en France qu’en Angleterre. Dans ce pays, la médecine et la loi sont payées modérément ; et par conséquent, il n’est pas surprenant qu’il y ait si peu de personnes expérimentées dans ces deux corps, d’autant que ces professions sont rarement suivies par des hommes de rang ou d’opulence, comme étant indignes de leur attention. Pour prouver cette assertion, et faire connoître l’opinion que la noblesse française a de cette faculté, nous allons rapporter une anecdote indubitable arrivée en ce pays. On prescrit à la veuve d’un ambassadeur français de ce faire saigner, elle envoya chercher un chirurgien qui n’étoit rien moins que Cæsar Hawkins ; l’opération étant faite, elle lui présenta un petit écu ; il le salua poliment et se retira. Son excellence ayant le même soir de la compagnie, elle mentionna la circonstance, ajoutant qu’elle croyoit que Monsieur Hawkins fut un très-habile chirurgien ; à quoi une dame de l’assemblée lui demanda quel présent elle lui avoit fait pour sa visite ; elle lui répondit avec une grande naïveté, un petit écu. La dame lui ayant fait apercevoir son erreur, elle envoya chercher le lendemain l’habile chirurgien, lui fit mille excuses de sa bévue, et lui fit un présent pécuniaire convenable à sa reconnoissance.
Nous sommes presque fatigués de ce sujet. Nous abhorrons les charlatans et le charlatanisme ; et, quoique, différents du docteur Pangloss dans l’optimiste, nous nous bouchions le nez, nous ne pensons pas que tout est pour le mieux. Nous avons personnellement connus plusieurs femmes infortunées qui ont malheureusement été forcées de s’adresser à ce que l’on appelle des chirurgiens expérimentés, et qui malgré qu’elles les ayent amplement récompensés pour leur cure supposée radicale, n’ont été, au scandale de la médecine, que littéralement blanchies. Ainsi donc, bien loin d’avoir été guéries parfaitement, le virus a toujours agi si puissamment sur elles, qu’après avoir fait circuler la maladie parmi leurs amis et leurs connoissances, elles sont devenues à la longue le martyre de l’infection.
Nous ne pouvons pas nous empêcher de répéter qu’il n’y a point parmi le nombre des maux sortis de la boëte de Pandore, de peste si grande à la société que les charlatans ignorants, prétendus chirurgiens et les médecins sans expérience qui s’intitulent ainsi. Si nous avions occasion de donner des preuves légales sur ce sujet, nous en appellerions seulement au procès de Miss Butterfield touchant l’empoisonnement supposé de Monsieur Scawen, c’est un champ d’observations et d’informations importantes et utiles ; mais nous sommes réellement si malade de ce sujet que nous allons terminer ce Chapitre.