Albin Michel (p. 103-107).

CHAPITRE XIII

Suite de l’histoire de la signora G..... et de Monsieur Men...z. Mémoires de Mme P...pe… Description de sa personne. Son mari, par une acte, la vend au juge H… Son introduction chez lord S… Genre d’amusements dans une certaine coterie femelle.

Nous avons laissé à la Haye le pauvre monsieur Men...z, suppliant une beauté tyrannique de daigner lui accorder un sourire pour soulagement de ses peines et tourments ; mais lorsque nous ajouterons qu’il lui présenta le plus puissant de tous les avocats, un billet de banque de mille livres sterlings, on sera tenté de croire que l’amant en miniature fut complètement heureux. — Point du tout. — Elle prit le billet qu’elle mit dans sa poche, et lui dit, d’un ton moitié plaisant et moitié sérieux, que c’étoit, par pur égard pour sa personne, qu’elle ne favorisoit pas ses désirs, parce qu’elle étoit entièrement convaincue, que la gratification d’une seule nuit anéantiroit sa petite masse, et qu’il ne resteroit rien de son individu, que le pur caput mortuum de sa passion extravagante, et de sa concupiscence imaginaire.

Nous conclurons cette histoire en ajoutant seulement que la signora G.... circoncisa une fois de plus le petit juif d’une manière peu chrétienne, en l’écorchant tout vif, par la soustraction du billet qu’elle n’avoit pas gagné, et en ne lui laissant d’autre fortune que ses os.

Nous allons maintenant parler de Mme P...pe.

Cette dame qui avoit épousé un sous-officier, auroit pu, par rapport à la beauté, disputer le pas avec Heidegger : elle étoit, peut-être, une des plus belles femmes de l’Angleterre ; ses traits étoient très réguliers ; son port si majestueux, qu’il y a vingt ans, que le chevalier Josué Reynolds l’auroit supplié de lui faire la faveur de lui servir de modèle pour une Vénus de Médicis : ajoutez à cela, que son teint étoit véritablement le sien ; elle ne se servoit point de ces secours factices pour augmenter l’incarnat de ses joues ni le vermillon de ses lèvres attrayantes qui cachoient deux rangs de dents dont la blancheur surpassoit l’ivoire ; sa taille étoit svelte et déliée ; son maintien agréable ; en un mot, elle représentoit, sous tous les rapports possibles, la déesse de Paphos.

La continence n’étoit pas au nombre de ses vertus ; et, quoiqu’elle fût très passionnée des chiens, elle n’avoit point de justes prétentions à la parentée de Diane : en effet, le dur traitement de son mari, joint au désagrément de sa personne, pouvoit bien servir d’apologie excusable à son infidélité conjugale ; mais lorsqu’on ajoute à la conduite de son époux, le marché régulier qu’il a fait de sa femme, il semble alors qu’on ne doit point lui imputer les fragilités dont elle a été accusée.

Son mari la vendit trois cent livres sterlings au juge H....d ; elle lui fut transférée d’une manière légale ou illégale (nous ne prétendons pas le dire) à Shakespeare-Tavern. Malgré le mauvais traitement que madame P...pe avoit reçu de son époux, elle ne voulut pas le quitter à ces conditions, et elle lui dit, en pleurant : « Pouvez-vous vous séparer de moi aussi facilement ? »

« À quoi il lui répliqua les expressions du lord Lace, dans la Farce de The Lottery. — Vous quitter aussi facilement !… J’abandonnerois tout votre sexe pour la moitié de la somme. »

Étant ainsi séparée, elle resta néanmoins constante au juge H....d pendant presqu’une année : il faut avouer que, pendant ce temps, elle ne pensa pas que trois cent livres sterlings, fussent un prix suffisant pour ses charmes, tandis qu’elle dépensoit six fois davantage avec Monsieur H....d. En effet, la volupté et l’extravagance sembloient être sa devise. Parmi d’autres témoignages en évidence de cette opinion, nous allons rapporter une anecdote que nous croyons véritable. Elle se promenoit, un après-dîner, dans un jardin, vers la fin d’avril ou au commencement de mai ; elle épia une seule cerise sur un arbre, de laquelle elle devint si passionnée, qu’elle dit au juge qu’elle mourroit, si elle ne l’avoit pas, lui donnant, en même temps, à entendre, qu’elle croyoit que c’étoit une fantaisie de grossesse, Monsieur H...d, dont la passion pour elle étoit incroyable, n’apprit pas plutôt cette nouvelle, qu’il appella le jardinier, et lui demanda le prix qu’il vouloit de cette cerise. Le jardinier refusa d’abord de l’entendre ; mais à la longue, étant informé que la dame étoit enceinte, que c’étoit une fantaisie provenant de cet état, il consentit de laisser à Mme P...pe la simple cerise à moitié mûre, pour le prix modéré d’une guinée.

Elle quitta après M. H...d, pour des raisons qu’elle jugea prudentes, car il ne pouvoit pas réellement lui offrir à chaque instant des cerises mûres ou non mûres, au prix d’une guinée chaque. Elle eut une variété d’amants, au nombre desquels étoit le lord S....h, à qui elle fut présenté par Mme C....ns, qui depuis quelque temps, tient un hôtel dans Suffolk-Street ; et nous apprenons que cette dame avoit non-seulement le courage suffisant pour engager occasionnellement un premier lord de l’amirauté, mais tour-à-tour, tous les officiers de Coldstream, et même tout le Corps diplomatique.

Mmes P...pe et C...ce avec la signora G...i composèrent une coterie dans laquelle Miss Ray venoit souvent. Un certain marin avoit coutume d’assister fréquemment à leur bruit particulier, quoiqu’il les rendit ordinairement assez public par le battement des timballes, du prix, au moins, de trois faveurs par heure.