Les Romans de la Table ronde (Paulin Paris)/Introduction/4

Léon Techener (volume 1p. 89-119).


IV.

sur le livre latin du graal et sur le poème de joseph d’arimathie



Établissons d’abord comme un fait dont nous aurons plus tard à fournir les preuves, que les cinq branches romanesques qui forment le Cycle primitif de la Table ronde, bien que réunies assez ordinairement dans les anciens manuscrits, ont été séparément écrites, sans qu’on eût d’abord l’intention de les coordonner l’une à l’autre. Ces récits ont été disposés comme on les voit aujourd’hui par des assembleurs (il faut me permettre ce mot) qui, pour en effacer les disparates, en former les jointures, ont été conduits à des interpolations et additions assez nombreuses.

Le Saint-Graal et Merlin parurent les premiers. Un second auteur donna le livre d’Artus, que les assembleurs réunirent au Merlin. Un troisième fit le Lancelot du Lac ; un quatrième, la Quête du Saint-Graal, qui compléta les récits précédents.

Ces livres, composés à des époques assez rapprochées, furent d’abord transcrits à petit nombre, en raison de leur longueur et du refus que faisaient les clercs de les admettre dans le trésor des maisons religieuses. On n’en trouvait çà et là un exemplaire que chez certains princes pour lesquels on les avait copiés et qui rarement les possédaient tous. Helinand, dont la chronique s’arrête à l’année 1209, n’en avait parlé que par ouï-dire, et Vincent de Beauvais, qui nous a conservé cette chronique en l’insérant dans le Speculum historiale, ne semble pas les avoir mieux connus. Voici les précieuses paroles d’Helinand :

« Anno 717. Hoc tempore, cuidam eremitæ monstrata est mirabilis quædam visio per Angelum, de sancto Josepho, decurione nobili, qui corpus Domini deposuit de cruce ; et de catino illo vel paropside in quo Dominus cœnavit cum discipulis suis ; de qua ab eodem eremita descripta est historia quæ dicitur Gradal. Gradalis autem vel Gradale dicitur gallicè scutella lata et aliquantulum profunda in qua pretiosæ dapes, cum suo jure » (dans leur jus), « divitibus solent apponi, et dicitur nomine Graal… Hanc historiam latinè scriptam invenire non potui ; sed tantum gallicè scripta habetur à quibusdam proceribus ; nec facilè, ut aiunt, tota inveniri potest. Hanc autem nondum potui ad legendum sedulò ab aliquo impetrare. »

La curiosité, vivement éveillée, conduisit bientôt à la pensée de former un recueil unique de ces romans, devenus l’entretien de toutes les cours seigneuriales[1]. En les étudiant aujourd’hui, on pourrait encore y distinguer la main des assembleurs. Ainsi, tandis que le romancier du Saint-Graal avait annoncé le livre comme apporté du ciel par Jésus-Christ, les assembleurs le donnent pour une histoire faite de toutes les histoires du monde ; messire de Boron l’aurait composée, tantôt seul et par le commandement du roi Philippe de France, tantôt avec l’aide de Me Gautier Map, et par le commandement du roi Henry d’Angleterre. Ils privent le livre de Merlin de son dernier paragraphe, où se trouvait annoncée la suite de l’histoire d’Alain le Gros, et remplacent la branche promise par celle d’Artus. On lisait encore vers la fin du Merlin qu’Artus, à partir de son couronnement, « avait longuement tenu son royaume en paix. » La ligne a été biffée, parce qu’immédiatement après on insérait le livre d’Artus, œuvre d’un autre écrivain, où d’abord étaient racontées les longues guerres d’Artus avec les Sept rois, avec Rion d’Islande, avec Les Saisnes ou Saxons. Il faut prendre garde à toutes ces retouches, à ces interpolations, si l’on veut se rendre compte de la composition successive de ces fameux ouvrages.

Voilà tout ce que j’avais besoin de dire ici de l’ensemble des cinq grands romans, qui, comme on le pense bien, ne sont pas venus d’une manière fortuite, prolem sine matre creatam, changer le mouvement des idées et le caractère des œuvres littéraires. L’écrivain français auquel revient l’honneur d’avoir mis sur la trace d’une source si féconde est, ainsi que tous les critiques l’ont déjà reconnu, Robert de Boron. Robert de Boron n’est cependant pas l’auteur du roman[2] du Saint-Graal, comme l’ont dit et répété les assembleurs ; il n’a fait que le poëme de Joseph d’Arimathie.

Ce roman en vers est fondé sur une tradition que j’appellerais volontiers l’Évangile des Bretons, et qui remontait peut-être au troisième ou quatrième siècle de notre ère. Le pieux décurion qui avait mis le Christ au tombeau était devenu, sous la main des légendaires, l’apôtre de l’île de Bretagne. Il avait miraculeusement passé la mer, était venu fonder sur la Saverne, dans le Sommersetshire, le célèbre monastère de Glastonbury, et son corps y avait été déposé. Telle était l’ancienne croyance bretonne, et l’on peut voir combien elle était devenue chère à ce peuple, en se reportant aux dernières années du sixième siècle, quand le pape saint Grégoire, à la demande du roi saxon Ethelbert, envoya des prêtres romains pour travailler à la conversion des nouveaux conquérants. Les vieux Bretons s’indignèrent de cette intervention de l’évêque de Rome, qui venait ouvrir les portes du paradis à la race détestée de leurs oppresseurs. Et ce fut bien pis, quand Augustin, le chef de la mission, s’avisa de blâmer les formes consacrées de leur liturgie. « De quel droit, » disaient-ils, « le Pape vient-il désapprouver nos cérémonies et contester nos traditions ? Nous ne devons rien aux Romains ; nous avons été jadis chrétiennés par les premiers disciples de Jésus-Christ, miraculeusement arrivés d’Asie. Ils ont été nos premiers évêques ; ils ont transmis à ceux qui leur ont succédé le droit de sacrer et ordonner les autres. »

Il faut voir, dans le beau livre des Moines d’Occident, l’histoire de cette grande et curieuse querelle. L’animosité prit alors d’assez larges proportions pour que les envoyés de Rome fussent accusés par les clercs bretons d’avoir provoqué la ruine et l’incendie du célèbre monastère de Bangor, centre de la résistance à la nouvelle liturgie. Que l’accusation ait ou n’ait pas été fondée, que les motifs de séparation aient été plus ou moins plausibles, il n’en faut pas moins admettre que, pour justifier une si longue obstination, le clergé breton devait alléguer une ancienne tradition qui ne s’accordait pas avec les traditions des autres églises et les décisions de la cour de Rome.

M. le comte de Montalembert, après avoir reconnu l’ancienneté de la légende de l’apostolat de Joseph d’Arimathie[3], refuse cependant, avec M. Pierre Varin, d’admettre que l’Église bretonne ait jamais eu la moindre tendance schismatique. Suivant lui, les Bretons, avant les Anglo-Saxons, croyaient bien devoir les premières semences de la foi à Joseph, « qui n’aurait emporté de Judée pour tout trésor que quelques gouttes du sang de Jésus-Christ ; et c’est ainsi que le midi de la France faisait remonter ses origines chrétiennes à Marthe, à Lazare, à Madeleine. Mais, » ajoute ailleurs le grand écrivain[4], « les usages bretons ne différaient des usages romains que sur quelques points qui n’avaient aucune importance ; c’était sur la date à préférer pour la célébration de la fête de Pâques ; c’était sur la forme de la tonsure monastique et sur les cérémonies du baptême[5]. » Si M. de Montalembert et les autorités qu’il allègue avaient pu devancer l’opinion générale et attacher quelque importance à la lecture du Saint-Graal, ils auraient assurément changé d’opinion ; ils auraient reconnu que les légendes vraies ou fabuleuses de l’arrivée en Espagne et en France de saint Jacques le Mineur, de Lazare, Marthe et Madeleine, pouvaient bien se concilier avec la tradition romaine, mais qu’il en avait été tout autrement de la légende de Joseph, qui, le faisant dépositaire du vrai sang de Jésus-Christ, le présentait comme le premier évêque investi par le Christ du droit de transmettre le sacrement de l’Ordre aux premiers clercs bretons, desquels seuls aurait procédé toute la hiérarchie sacerdotale, dans cette ancienne Église.

Bien que le Vénérable Bede n’ait pas déterminé quels étaient ces sentiments « contraires à l’église universelle, — ces traditions que les Bretons et les Scots mettaient au-dessus de celles qui sont admises par toutes les Églises du monde, » peut-être dans la crainte de jeter un nouveau brandon dans le feu des résistances, il n’est pas malaisé de voir, dans son livre même, une sorte d’indication des points sur lesquels portait le désaccord. Au livre V, dans le chapitre xxi consacré à rappeler la vie de saint Wilfride, originaire d’Écosse et réformateur de plusieurs monastères, nous voyons le saint, avant même d’être tonsuré, apprendre les Psaumes et quelques autres livres[6]. Puis, entré dans le monastère de Lindisfarn[7], Wilfride vient à penser, après un séjour de quelques années, que la voie du salut telle que la traçaient les Scots, ses compatriotes, était loin d’être celle de la perfection[8] : il prend donc le parti de se rendre à Rome, pour y voir quels étaient les rites ecclésiastiques et monastiques qu’on y observait. Arrivé dans cette ville, il doit à Boniface, savant archidiacre et conseiller du Souverain Pontife, les moyens d’apprendre dans leur ordre les quatre Évangiles, le comput raisonnable de Pâques, « et beaucoup d’autres choses qu’il n’avait pu apprendre dans sa patrie[9]. » Arrêtons-nous ici. N’est-il pas singulier de voir Wilfride obligé d’aller à Rome pour y entendre les quatre Évangélistes ? et n’est-il pas permis d’en conclure que les Scots, et à plus forte raison les Gallois, mettaient quelque chose au-dessus de ces quatre livres consacrés ? En tout cas, on sait qu’ils refusaient de reconnaître le droit réclamé par les papes de nommer ou désigner leurs évêques. C’était suivant eux du métropolitain d’York, que devait exclusivement procéder toute la hiérarchie de l’Église bretonne. Comment auraient-ils pu justifier cette prétention, sinon sur la foi d’un cinquième Évangile, ou du moins de seconds Actes des Apôtres ? MM. Varin et de Montalembert triomphent en nous défiant de trouver, dans la liturgie bretonne, un autre rapport avec l’Église grecque que celui du comput pascal. Mais, d’abord, nous ne savons pas bien toutes les formes de cette liturgie bretonne ; puis, nous comprenons sans peine que la tradition de l’apostolat de Joseph d’Arimathie, née peut-être de la possession de quelque relique attribuée à ce personnage, et déposée originairement dans le monastère de Glastonbury, que cette tradition, disons-nous, n’ait rien eu de commun avec les usages et les rites de l’Église byzantine. Les Bretons croyaient simplement avoir été faits chrétiens sans le secours de Rome, et ils ne tenaient qu’à rester indépendants de ce siége suprême.

Voilà donc quel fut le vrai sujet de la résistance du clergé breton aux missionnaires du pape Grégoire. Si les dissidences de ce genre ne constituent pas une tendance au schisme, je ne vois pas trop qu’on ait le droit d’appeler schismatiques les Arméniens, les Moscovites, et les Grecs. J’oserai donc appliquer à M. de Montalembert les paroles que notre romancier adresse au poëte Wace. Si le clergé breton ne lui semble pas avoir jamais décliné la suprématie du souverain pontife, c’est qu’il n’avait pas connaissance du livre du Saint-Graal, dans lequel il eut vu l’origine et les motifs de cette résistance incontestable.

Que les Bretons du sixième siècle aient reconnu pour leurs premiers apôtres les disciples du Sauveur, ou bien seulement le décurion Joseph d’Arimathie, cette tradition est, en tous cas, le fondement de l’édifice romanesque élevé dans le cours du douzième siècle. Passons de l’époque de la première conversion des Anglo-Saxons, à la fin du septième siècle, alors que l’antagonisme des deux Églises, exalté par le massacre des moines de Bangor et le triomphe des Saxons, n’a rien perdu de sa violence. Les deux derniers rois de race bretonne, Cadwallad et Cadwallader, ont été l’un après l’autre chercher un refuge en Armorique : le premier, auprès du roi Salomon[10], dont les vaisseaux le ramenèrent bientôt dans l’île ; le second, auprès du roi Alain le Long, ou le Gros. Cadwallad, pour quelque temps rétabli, laissa dans les établissements saxons une trace sanglante et prolongée de son retour. Après sa mort, son fils Cadwallader, victime d’une lutte renouvelée, quitta et abandonna la Grande-Bretagne en promettant d’y revenir comme avait fait son père ; mais, au lieu d’accepter les secours que semblait lui offrir Alain, il s’en va mourir à Rome, où le Pape le met au rang des saints et lui fait dresser un tombeau, objet de la vénération des pèlerins bretons. Ceux-ci, refoulés dans le pays de Galles, attendaient toujours de leurs princes la fin de la domination étrangère ; car les bardes, dont l’influence se confondait avec celle des clercs, avaient annoncé que Cadwallad, d’abord, puis Gadwallader, étaient prédestinés à renouveler les beaux jours d’Artus, et que ce n’était pas en vain que Joseph d’Arimathie avait jadis apporté dans l’île le vase dépositaire du vrai sang de Jésus-Christ.

Je ne sais ; mais tout me porte à croire que la tradition de ce vase miraculeux grandit au milieu des circonstances que je viens d’indiquer. Les noms de Cadwallad et d’Alain le roi de la Petite-Bretagne rappellent de trop près ceux de Galaad, chevalier destiné à retrouver le vase, et d’Alain le Gros, qui devait en être le gardien, pour nous permettre d’attribuer au hasard une telle coïncidence. Mais les rois Cadwallad, Cadwallader et Alain le Long, triple fondement de tant d’espérances, étant morts sans que le précieux sang eût été retrouvé, et que les Saxons eussent été chassés, la même confiance ne fut plus sans doute accordée aux bardes, aux devins, quand ils répétèrent que le triomphe des Bretons était seulement retardé, que l’heure de la délivrance sonnerait quand le corps de saint Cadwallader serait ramené en Bretagne, et quand on aurait retrouvé la relique tant regrettée et jusque-là si vainement cherchée.

Geoffroy de Monmouth, tout en se gardant de prononcer le nom de Joseph d’Arimathie et de son plat, s’est rendu l’interprète de ces espérances bretonnes.

« Cadwallader, » dit-il, « avait obtenu du roi Alain, son parent, la promesse d’une puissante assistance : la flotte destinée à la conquête de l’île de Bretagne était déjà prête, quand un ange avertit le prince fugitif de renoncer à son entreprise. Dieu ne voulait pas rendre aux Bretons leur indépendance avant les temps prédits par Merlin : Dieu commandait à Cadwallader de partir pour Rome, de s’y confesser au Pape, et d’y achever pieusement ses jours. À sa mort, il serait mis au rang des saints, et les Bretons verraient la fin de la domination saxonne quand sa dépouille mortelle serait ramenée en Bretagne et qu’on retrouverait certaines reliques saintes[11] qu’on avait enfouies pour les soustraire à la fureur des païens. »

Ce fut trente ans environ après la mort du roi Cadwallader, vers l’an 720, qu’un clerc du pays de Galles, prêtre ou ermite, s’avisa d’insérer dans un recueil de leçons ou de chants liturgiques l’ancienne tradition de l’apostolat de Joseph d’Arimathie et du précieux vase dont il avait été dépositaire. Pour donner à ce Graduel (voyez Du Cange, à Gradale) une incomparable autorité, il annonça que Jésus-Christ en avait écrit l’original, et lui avait ordonné de le copier mot à mot, sans y rien changer. Il avait, dit-il, obéi, et transcrit fidèlement l’histoire de l’amour particulier du Fils de Dieu pour Joseph, de la longue captivité de celui-ci, de sa délivrance miraculeuse, due au fils de l’empereur Vespasien, que la vue de l’image du Sauveur, empreinte sur le voile de la Véronique, avait guéri de la lèpre. Joseph, premier évêque sacré de la main de Jésus-Christ, avait reçu le privilége d’ordonner les autres évêques et de donner commencement à la hiérarchie ecclésiastique. Il était arrivé miraculeusement dans l’île de Bretagne, avait marié ses parents aux filles des rois de la contrée nouvellement convertis, et était mort après avoir remis le dépôt du vase précieux à Bron, son beau-frère, qui, plus tard, en avait confié la garde à son petit-fils, le Roi pécheur. Le Gradale finissait par la généalogie, ou, comme dit Geoffroy Gaimar, la transcendance des rois bretons, tous issus des compagnons de Joseph d’Arimathie.

Ce livre fut conservé dans la maison religieuse où sans doute il avait été composé ; soit à Salisbury, comme prétend le pseudonyme auteur du livre de Tristan, soit plutôt à Glastonbury, que Joseph avait, dit-on, fondée, où l’on croyait posséder son tombeau, où l’on crut ensuite retrouver celui d’Artus. Mais l’influence que cette œuvre audacieuse devait exercer plus tard sur le mouvement littéraire ne fut pas celle que son auteur en avait attendue. Le clergé breton sentit de bonne heure le danger d’en faire usage, et recula devant les conséquences du schisme qu’elle n’eût pas manqué de provoquer. C’eût été rompre en effet avec l’Église romaine, et révoquer en doute les paroles de l’Évangile, qui font de saint Pierre la pierre angulaire de la nouvelle loi. Demeuré secret, le Graal breton fut, durant trois siècles, oublié ; du moins n’éveilla-t-il une sorte de curiosité respectueuse que parmi les bardes du pays de Galles. Peut-être même n’en aurait-on jamais parlé, sans les luttes de la papauté et de Henri II, sans le désir qu’eut un instant ce prince de rompre entièrement avec l’Église romaine.

L’auteur du Liber Gradalis avait rapporté sa vision à l’année 717. J’aurai bien étonné ceux qui ont jusqu’à présent étudié le roman du Saint-Graal, en avouant que cette date ne me semble pas chimérique, et que je la trouve même en assez bon accord avec la disposition d’esprit où pouvaient et devaient être les Bretons du huitième siècle. Ils avaient cessé de voir dans les deux Cadwallad et dans Alain les libérateurs prédestinés de la Bretagne : mais, bien que la tradition religieuse ne fût plus, dans leur imagination, liée aux aspirations patriotiques, la légende de Joseph était demeurée chère à tous ceux qui tenaient encore à la liturgie nationale. D’ailleurs ils s’étaient résignés à souffrir pour voisins les Anglo-Saxons, qu’ils ne voulaient pas avoir pour maîtres. Les leçons du Gradale ne faisaient plus mention de ces vieux ennemis de la race bretonne ; elles ne présentaient plus ces noms mystérieux de Galaad et du Roi pécheur comme le reflet, le dernier écho des espérances patriotiques longtemps fondées sur les rois Cadwallad et Cadwallader, sur le prince armoricain Alain le Long. Les traditions qui s’étaient liées un demi-siècle auparavant aux aspirations politiques avaient même perdu dans ce livre leur sens et leur portée. Galaad n’était déjà plus que l’heureux enquêteur, Alain que le gardien prédestiné du vase eucharistique, et le silence de l’auteur laissait croire que les Bretons n’avaient plus rien à attendre de cette relique, bien qu’on lui eût dû tout ce que les Bardes racontaient d’Artus. Mais, comme cet auteur affectait la prétention d’appartenir à la race des anciens rois bretons, il avait eu soin de rassembler les preuves de sa généalogie, depuis Bron, beau-frère de Joseph, jusqu’aux successeurs d’Artus. Or, je le répète, la date de 717, attribuée à la vision, répond à tout ce qu’il est permis de conjecturer des sentiments qui devaient animer les Gallo-Bretons de cette époque. Rien n’y fait disparate, et n’offre la moindre allusion aux tendances, aux événements du douzième siècle, époque de la forme romanesque imprimée aux leçons du Gradale. La seule intention qu’on puisse y reconnaître, c’est de constater la séparation de l’Église bretonne et de l’Église romaine, en glorifiant les princes que l’auteur déclarait ses ancêtres et dont un grand nombre de familles galloises prétendaient également descendre.

Occupons-nous maintenant du poëme de Joseph d’Arimathie, première expression française de toutes ces traditions gallo-bretonnes.

Robert de Boron n’eut pas sous les yeux le livre latin qui lui fournissait les éléments de son œuvre, ni le roman en prose, déjà, comme nous dirions, en voie d’exécution. Il en convient lui-même :


Je n’ose parler ne retraire,
Ne je ne le porroie faire,
(Neis se je feire le voloie),
Se je le grant livre n’aveie
Où les estoires sont escrites,
Par les grans clercs feites et dites.
Là sont li grant secré escrit
Qu’on nomme le Graal…


C’est-à-dire : « Je n’ose parler des secrets révélés à Joseph, et je voudrais les révéler que je ne le pourrais, sans avoir sous les yeux le grand livre où les grands clercs les ont rapportées et qu’on nomme le Graal. »

D’ailleurs, en sa qualité de chevalier, il ne devait pas entendre le texte latin, comme il l’a prouvé en transportant au vase de Joseph le nom du livre liturgique ; mais je ne doute pas que le Gradale ne fût connu de Geoffroy de Monmouth, bien que dans sa fabuleuse histoire des Bretons il ait évité de dire un seul mot de Joseph d’Arimathie. La position de Geoffroy dut naturellement l’empêcher d’aborder un pareil sujet. Il était moine bénédictin ; il aspirait aux honneurs ecclésiastiques, auxquels il ne tarda pas d’arriver : une grande réserve lui était donc commandée à l’égard d’un livre aussi contraire à la tradition catholique.

Pour Robert de Boron, il n’a voulu prendre parti ni pour ni contre les prétentions romaines ou galloises. On lui avait raconté une belle histoire de Joseph d’Arimathie et de la Véronique, consignée dans « un livre qu’on nommait le Graal, » et d’une table faite à l’imitation de celle où Jésus-Christ avait célébré la Cène : il ne vit dans tout cela rien qui ne fût orthodoxe, et il ne crut pas un instant que l’amour de Jésus-Christ pour Joseph pût porter la moindre atteinte à l’autorité de saint Pierre et de ses successeurs. En un mot, il n’entendit pas malice à toutes ces histoires, et il ne les mit en français que parce qu’elles lui parurent faites pour plaire et pour édifier. Il n’en sera pas de même, comme nous verrons, de l’auteur du roman du Saint-Graal, qui, traducteur plus ou moins fidèle, ne craindra pas d’opposer aux droits de la souveraineté pontificale, les fabuleuses traditions de l’Église bretonne.

Maintenant il y a, j’en conviens, quelque raison d’être étonné qu’un Français du comté de Montbelliart ait, le premier, révélé au continent l’existence d’une légende gallo-bretonne. Mais que savons-nous si Robert de Boron n’avait pas séjourné en Angleterre, ou si, dans un temps où les villes et les châteaux étaient le rendez-vous des jongleurs de tous les pays, quelqu’un de ces pèlerins de la gaie science ne lui avait pas raconté le fond de cette tradition religieuse ? En tout cas, nous ne pouvons récuser son propre témoignage ; Robert s’est nommé, et il a nommé le chevalier auquel il soumettait son œuvre. Après avoir conté comment Joseph remit le vase qu’il nomme le Graal aux mains de Bron, comment étaient partis vers l’Occident Alain et Petrus : « Il me faudrait, » ajoute-t-il, « suivre Alain et Petrus dans les contrées où ils abordèrent, et joindre à leur histoire celle de Moïse précipité dans un abîme ; mais

Que nus hons nes puet Je bien croi
Que nus hons nes puet rassembler,
S’il n’a avant oï conter
Dou Graal la plus grant estoire[12],
Sans doute qui est toute voire.
A ce tens que je la retreis,
O mon seigneur Gautier en peis,

Qui de Montbelial esteit,
Unques retreite esté n’aveit
La grant estoire dou Graal,
Par nul home qui fust mortal.
Mais je fais bien à tous savoir
Qui cest livre vourront avoir,
Que se Diex me donne santé
Et vie, bien ai volenté
De ces parties assembler,
Se en livre les puis trouver.
Ausi, come d’une partie
Lesse que je ne retrai mie,
Ausi convenra-il conter
La quinte et les quatre oblier.


C’est-à-dire : « Mais quand je fis, sous les yeux de messire Gautier de Montbéliart, le roman qu’on vient de lire, je n’avais pu consulter la grande histoire du Graal, que nul mortel n’avait encore reproduite. Maintenant qu’elle est publiée, j’avertis ceux qui tiendront à la suite de mes récits, que j’ai l’intention d’en réunir toutes les parties, pourvu que je puisse consulter les livres qui les renferment. »

Je ne crois pas qu’on puisse entendre et développer autrement cet important passage, et j’en conclus que si Robert de Boron écrivit le poëme de Joseph avant la publication du Saint-Graal, c’est dans une tardive révision, seule parvenue jusqu’à nous, qu’il a réclamé le mérite de l’antériorité, afin de se justifier, soit de n’avoir pas suivi et continué la légende, soit d’arriver sans autre transition à l’histoire de Merlin, en attendant la suite des récits commencés dans le Joseph d’Arimathie. Eut-il le temps ou la volonté d’acquitter cette promesse ? Je ne sais et n’en ai pas grand souci, puisque nous possédons les romans qu’il n’eût plus alors fait que tourner en vers.

J’ai dit qu’il était originaire du comté de Montbéliart. On trouve en effet, à quatre lieues de la ville de ce nom, un village de Boron, et ce village nous fait en même temps reconnaître un des barons de Montbéliart dans le personnage auprès duquel Robert composa son livre. J’ai longtemps hésité sur le sens qu’il fallait donner à ces deux vers :


O monseigneur Gautier en peis
Qui de Montbelial esteit.


En changeant quelque chose au texte, en lisant Espec au lieu d’en peis, en ne tenant pas compte du second vers, je m’étais demandé s’il ne serait pas permis de retrouver dans le patron de Robert de Boron, Gautier ou Walter Espec, ce puissant baron du Yorkshire, constamment dévoué à la fortune du comte Robert de Glocester, le protecteur de Geoffroy de Monmouth et de Guillaume de Malmesbury[13]. Mais, après tout, nous n’avions pas le droit, même au profit de la plus séduisante hypothèse, de faire violence à notre texte pour donner à l’Angleterre l’œuvre française d’un auteur français. Walter Espec n’a réellement rien de commun avec la ville de Montbéliart, située à l’extrémité de l’ancien comté de Bourgogne ; et le nom de Gautier, qui appartenait alors au plus célèbre des frères du comte de Montbéliart, ne permet pas de méconnaître, dans l’écrivain qui tirait son nom d’un lieu voisin de la ville de Montbéliart, un Français attaché au service de Gautier. Cette conjecture si plausible est d’ailleurs justifiée par le texte d’une rédaction en prose faite peu de temps après la composition originale. Voici comme les vers précédents y sont rendus : « Et au temps que messire Robers de Boron lou retrait à monseigneur Gautier, lou preu conte de Montbéliart, ele n’aveit onques esté escrite par nul homme. » Et un peu auparavant : « Et messire Robers de Boron qui cest conte mist en autorité, par le congié de sainte Église et par la proiere au preu conte de Montbéliart en cui service il esteit… » Comment, à une époque aussi rapprochée de l’exécution du poëme, le prosateur aurait-il pu commettre la méprise d’attribuer à un chevalier de Gautier de Montbéliart l’œuvre d’un chevalier attaché au baron anglais Walter Espec ?

Reste une dernière incertitude sur le sens qu’on doit attacher à ces mots : en peis :

En ce tens que je le retreis
O monseigneur Gautier en peis
Qui de Monbeliat esteit.

Remarquons d’abord que l’imparfait esteit

s’applique assez naturellement à un personnage défunt : d’où la conjecture, qu’au moment où Boron parlait ainsi, Gautier de Montbéliart avait cessé de vivre. Alors ne peut-on reconnaître dans en peis le synonyme du latin in pace, lu sur tant d’anciennes inscriptions funéraires ?[14] Je traduirais donc ainsi : « Au temps où je travaillais à ce livre avec feu monseigneur Gautier, de la maison de Montbéliart. »

Quelques mots maintenant sur ce dernier personnage, qui ne figure pas dans nos biographies dites universelles.

C’était le frère puîné du comte Richard de Montbéliart : il avait pris la croix au fameux tournoi d’Écry, en 1199. Mais, au lieu de suivre les croisés devant Zara et Constantinople, il les avait devancés pour accompagner son parent Gautier de Brienne en Sicile. Joffroy de Villehardoin, le grand historien de la quatrième croisade, revenant de Venise en France pour y rendre compte du traité conclu avec les Vénitiens, avait rencontré, en passant le mont Cénis, le comte Gautier de Brienne, qui « s’en aloit en Poulle conquerre la terre sa femme, qu’il avoit espousée puis qu’il ot prise la crois, et qui estoit fille au roi Tancré. Avec lui aloit Gautier de Montbeliart, Robert de Joinville et grans partie de la bonne gent de Champaigne. Et quant Joffrois leur conta coment il avoient exploitié, si en orent moult grant joie et disrent : Vous nous troverez tout près quant vous venrez. Mais les aventures avienent si com à Nostre Seignour plaist ; car onques n’orent povoir qu’il assemblassent à leur ost ; dont ce fut moult grant domage, quar moult estoient preudome et vaillant durement. »

De Pouille Gautier de Montbéliart passa dans l’île de Chypre, où il ne tarda pas à faire un grand établissement en épousant Bourgogne de Lusignan, sœur du roi Amaury. À la mort de ce prince arrivée en 1201, il obtint le bail ou régence du royaume de Chypre pendant la minorité de son neveu, le petit roi Hugon ; enfin il mourut lui-même vers 1212, avec la réputation de prince opulent, habile et valeureux, mais sans avoir revu la France, dont il s’était éloigné quatorze ans auparavant.

Ce serait donc avant ce départ, avant l’année 1199, que Robert de Boron aurait composé le poëme de Joseph d’Arimathie, et après 1212 qu’il en aurait fait une sorte de révision. Or les romans en prose du Saint-Graal et de Lancelot sont antérieurs aux poëmes du Chevalier au Lion, de la Charrette et de Perceval qu’ils ont inspirés, et Chrestien de Troyes, auteur de ces poëmes, était mort vers 1190. Les romans en prose ont donc été faits avant cette année 1190[15], et ont assurément suivi de très-près le Joseph d’Arimathie. Ainsi nous arrivons aux dates approximatives de 1160 à 1170 pour le Joseph et pour les romans en prose du Saint-Graal et de Merlin ; à 1185 pour le Chevalier au Lion et la Charrette : enfin à 1214 ou 1215 pour notre remaniement du Joseph d’Arimathie.

Je ne prétends pas mettre ces supputations chronologiques à l’abri de toute incertitude ; j’attendrai toutefois pour y renoncer qu’on en trouve de plus satisfaisantes. Et je le répète en finissant, si Robert de Boron avait écrit les vers du Joseph après la prose du Saint-Graal, il ne se serait pas avisé de dire qu’avant lui personne n’avait encore mis à la portée des laïques cette légende du Saint-Graal.

Avant qu’on soupçonnât l’existence du poëme de Joseph d’Arimathie, la critique était en droit de reconnaître l’œuvre de Robert de Boron dans le roman du Saint-Graal, qui lui est fréquemment attribué par les assembleurs du treizième siècle. La méprise n’est plus permise depuis que M. Francisque Michel a publié le Joseph[16]. Le savant philologue le fit imprimer en 1841 (Bordeaux, in-12), avec l’exactitude qu’on était en droit d’attendre de lui. Malheureusement le texte unique qu’il avait reproduit était assez défectueux. Un feuillet en avait été enlevé ; un autre semblait y avait été placé par méprise et se rapporter à quelque éloge de la vierge Marie. Mais la rédaction en prose permet de combler ces lacunes et de retrouver le sens des cinquante vers qui appartenaient au feuillet perdu.

J’ai déjà dit un mot de cette rédaction en prose, qui avait dû suivre de bien près le poëme original : sous cette forme, le récit semble avoir été plus goûté. Au moins en conservons-nous un assez grand nombre d’exemplaires[17], tandis qu’un seul manuscrit nous a jusqu’à présent révélé l’existence du poëme.

On pourra demander ici quelles raisons de croire que le poëme ait été le modèle suivi par celui qui nous en représente toute la substance en prose. Ces raisons, les voici : malgré l’intention que le prosateur avait de suivre pas à pas le poëme, il en a souvent mal rendu le véritable sens, et quelquefois il y a fait des additions impertinentes. Citons quelques exemples, que j’aurais pu facilement multiplier.

Le poëte, au vers 165, expose comment Jésus-Christ avait donné charge à saint Pierre d’absoudre les pécheurs, et comment saint Pierre avait délégué son pouvoir aux ministres de l’Église :


A sainte eglise a Dieu doné
Tel vertu et tel poesté :
Saint Pierre son commandement
Redona tout comunalment
As menistres de sainte eglise ;
Seur eus en a la cure mise.


Ces vers sont d’un sens plus clair pour nous qu’ils ne le furent pour notre prosateur ; car il les rend ainsi :

« Cest pooirs dona nostre Sire sainte Église, et les comandemens des menistres dona messire sains Pierres. »

Voici qui est plus fort : au vers 473, Robert de Boron avait écrit :

D’ileques Joseph se tourna,
Errant à la crois s’en ala,
Jhesu vit, s’en ot pitié grant…


Puis, s’adressant aux gardiens du corps, Joseph dit, au vers 479 :


Pilates m’a cest cors donné,
Et si m’a dit et comandé
Que je l’oste de cest despit…


Et plus loin encore, vers 503 :

Ostez Jhesu de la haschie
Où li encrismé l’ont posé.


Notre prosateur ne va-t-il pas s’imaginer que le mot despit (honte, outrage) du vers 482 était le nom particulier de la croix ? « Lors s’entorna Joseph et vint droit à la croix qu’il apeloient despit…… Si li comanda que il alast au Despit, et lou cors Jhesu en ostast. »

Au vers 171, le poëte dit que la mort de Jésus-Christ avait racheté le péché de luxure dont Adam s’était rendu coupable :

Ainsi fu luxure lavée
D’ome, de femme, et espurée.

Peut-être le prosateur avait-il lu espousée au lieu d’espurée, ce qui l’a conduit à une énorme bévue : « Ainsi lava nostre sire luxure d’homme et de femme, de pere et de mere par mariage. » Mais le mariage, ayant été institué avant la chute d’Adam, ne devait rien à Jésus-Christ fait homme, et Boron n’avait rien dit de pareil.

C’est encore par suite d’une autre méprise que le prosateur qualifie du titre de comte de Montbéliart messire Gautier, qui ne fut jamais investi de ce fief, régulièrement recueilli par son frère aîné. Il serait superflu de donner d’autres moyens de distinguer le texte original de la mise en prose. D’ailleurs je craindrais de retenir trop longtemps mon lecteur sur une matière aride, en accumulant les arguments en faveur des allégations précédentes. Je dirai seulement qu’une étude opiniâtre m’a fait pénétrer dans les nombreux détours du terrain que j’avais à parcourir ; que je crois avoir reconnu l’ordre chronologique des récits, la forme et l’étendue de chaque rédaction, la part qui revient à chacun des auteurs désignés ou anonymes. Je crois marcher sur un fond solide, et l’on peut me suivre avec confiance ; sauf à me confondre plus tard, si l’on parvient à détruire la force des raisons auxquelles je me suis rendu.

  1. « Ferebantur per ora,» dit Alfred de Beverley, vers 1160, « multorum narrationes de historia Britonum ; notamque rusticitatis incurrebat qui talium narrationum scientiam non habebat. » (Cité par sir Fred. Madden.)
  2. Je préviens une fois pour toutes que je laisse au mot roman son ancienne signification de livre écrit en français.
  3. Moines d’Occident, t. III, p. 24, 25.
  4. P. 87
  5. Bède, après avoir parlé de cette supputation différente du temps pascal, ajoute pourtant : « Alia plurima unitati ecclesiasticæ contraria faciebant. Sed suas potius traditiones universis quæ per orbem concordant ecclesiis, præferebant » (lib. II, ch. ii).
  6. Quia acri erat ingenii, didicit citissimè Psalmos et aliquos codices, necdum quidem attonsus.
  7. Aujourd’hui Holy-Island, en Écosse, à quatre lieues de Berwick.
  8. Animadvertit animi sagacis minimè perfectam esse virtutis viam quæ tradebatur a Scotis.
  9. Veniens Romam, ac meditatim rerum ecclesiasticarum quotidiana mancipatus instantia, pervenit ad amicitiam viri sanctissimi Bonifacii… cujus magisterio quatuor Evangeliorum libros ex ordine didicit, computum Paschæ rationabilem et alia multa quæ in patria nequiverat, eodem magistro tradente, percepit.
  10. La Nef de Salomon dont l’imagination gallo-bretonne a tiré un si merveilleux parti dans le Saint-Graal et la seconde partie de Lancelot, doit peut-être son inspiration à l’un des vaisseaux fournis par le roi breton Salomon à Cadwallad.
  11. Tunc demum, revelatis etiam cæterorum sanctorum reliquiis, quæ propter paganorum invasionem absconditæ fuerant, amissum regnum recuperarent, etc.
  12. La suite des histoires de Petrus, d’Alain et de Moïse, se retrouve en effet dans le roman en prose du Saint-Graal.
  13. Ce qui rendait l’attribution séduisante, c’est qu’un autre rimeur contemporain, Geoffroy Gaimar, nous apprend que Walter Espac ou Espec lui avait communiqué un livre d’histoires ou généalogies galloises :

    Il (Gaimar) purebassa maint essemplaire,
    Livres angleis et par grammaire,
    Et en romans et en latin ;…
    Il enveiad à Helmeslac
    Pur le livre Walter Espac ;
    Robers li bons cuens de Glocestre
    Fist translater icelle geste
    Solunc les livres as Waleis
    Qu’il aveient des Bretons reis.
    Walter Espec la demanda,
    Li quens Robers li enveia…
    Geffray Gaimart cest livre escrist
    Et les transcendances i mist
    Que li Walleis orent lessié.
    Que il avoit ains purchassié,
    U fust à dreit u fust à tort,
    Le bon livre d’Oxenefort
    Ki fu Walter l’Arcediaen ;
    S’en amenda son livre bien.

  14. Voyez dans le précieux Dictionnaire des Antiquités chrétiennes de l’abbé Martigny, l’article In pace, mot que bon nombre d’épitaphes portent simplement, sans l’addition de requiescat : Urse in paceAchillen in pace ; — Victori, — Donati, in pace.
  15. M. le professeur Jonckbloet, de La Haye, dans un excellent travail sur les poëmes de Chrestien de Troyes, a mis hors de doute l’antériorité des romans en prose du Lancelot et de la Quête du Graal sur les poëmes de la Charrette, du Chevalier au Lion et de Perceval.
  16. Le seul manuscrit qui l’ait conservé vient de l’abbaye de Saint-Germain des Prés, et porte aujourd’hui, dans la Bibliothèque impériale, le n°1987. Il est réuni à un texte de l’Image du monde de Gautier de Metz ; ce qui vient encore à l’appui de l’origine présumée lorraine de la composition.
  17. J’en ai jusqu’à présent reconnu quatre manuscrits : deux dans la Bibliothèque impériale, un à l’Arsenal, un autre dans le précieux cabinet de mon honorable ami M. Ambr.-Firmin Didot.