Les Romans de la Table ronde (Paulin Paris)/Introduction

Léon Techener (volume 1p. 3-6).


INTRODUCTION.




Le nom de Romans de la Table ronde appartient à une série de livres écrits en langue française, les uns en vers, les autres en prose, et consacrés, soit à l’histoire fabuleuse d’Uter-Pendragon et de son fils Artus, soit aux aventures d’autres princes et vaillants chevaliers, contemporains présumés de ces rois. Ces livres ont offert, durant les quatre siècles littéraires du Moyen âge, la théorie de la perfection chevaleresque : on se plut, dans un grand nombre de familles baronales, à donner aux enfants, même sur les fonts de baptême, le nom de ces héros imaginaires, auxquels on attribua des armoiries, pour avoir le plaisir de les leur emprunter. On alla plus loin encore, en plaçant sous leur patronage les joutes, les tournois, parfois même les combats judiciaires. Dans cet ordre de compositions, un certain nombre de traditions religieuses, particulières à l’église gallo-bretonne, devinrent le tronc d’où parurent s’échapper les récits primitifs, comme autant de branches et de rameaux. Disposition réellement fort habile, quoique peut-être elle se soit présentée d’elle-même, pour donner une apparence de sincérité aux inventions les plus incroyables et les plus éloignées de toute espèce de vraisemblance.

On est aujourd’hui d’accord sur l’origine de ces fameuses compositions. Elles sont comme le reflet des traditions répandues au douzième siècle parmi les Bretons d’Angleterre et de France. Le courant de ces traditions provenait lui-même de trois sources distinctes : — les souvenirs de la longue résistance des Bretons insulaires à la domination saxonne ; — les lais ou chants poétiques échappés à l’oubli des anciennes annales, et dont l’imagination populaire était journellement bercée ; — les légendes relatives soit à l’établissement de la foi chrétienne dans la Bretagne insulaire, soit à la possession et à la perte de certaines reliques. Encore faut-il ajouter à ces trois sources patriotiques un certain nombre d’émanations orientales, répandues en France et surtout en Bretagne, dès le commencement du douzième siècle, par les pèlerins de la Terre sainte, les Maures d’Espagne et les Juifs de tous les pays.

Nos romans représentent donc assez bien l’ensemble des traditions historiques, poétiques et religieuses des anciens Bretons toutefois modifiées plus ou moins, à leur entrée dans les littératures étrangères. Étudier les Romans de la Table ronde, c’est, d’un côté, suivre le cours des anciennes légendes bretonnes et, de l’autre, observer les transformations auxquelles ces légendes ont été soumises en pénétrant, pour ainsi dire, la littérature des autres pays. Le même fond s’est coloré de nuances distinctes, en passant de l’idiome original dans chacun des autres idiomes. Mais je n’ai pas l’intention de suivre les Récits de la Table Ronde dans toutes les modifications qu’ils ont pu subir : je laisse à d’autres écrivains, plus versés dans la connaissance des langues germaniques, le soin d’en étudier la forme allemande, flamande et même anglaise. La France les a pris dans le fond breton et les a révélés aux autres nations, en offrant par son exemple les moyens d’en tirer parti : j’ai borné le champ de mes recherches aux différentes formes que les traditions bretonnes ont revêtues dans la littérature francaise. La carrière est encore assez longue, et si j’arrive heureusement au but, la voie se trouvera frayée pour ceux qui voudront se rendre compte des compositions du même ordre, dans les autres langues de l’Europe.