Charpentier et Fasquelle (p. 55-113).


ACTE DEUXIÈME


Même décor : le mur a disparu. Les bancs qui lui étaient adossés ont été repoussés à droite et à gauche. Menus changements, massifs de fleurs, kiosques de treillages, faux marbres prétentieux, serre. À droite, table de jardin, chaises.

Au lever du rideau, Pasquinot, assis sur le banc de gauche, lit sa gazette. Blaise, au fond, ratisse.


Scène I

PASQUINOT, BLAISE, puis BERGAMIN.
Blaise, ratissant.

Donc, Monsieur Pasquinot, ce soir vient le notaire ?…
Hé ! voici bien un mois que ce mur est par terre
Et que vous vivez tous ensemble. Il était temps ;
Nos petits amoureux doivent être contents !

Pasquinot, levant la tête et regardant autour de lui.

Ça fait bien sans ce mur, hein, Blaise ?

Blaise.

Ça fait bien sans ce mur, hein, Blaise ?C’est superbe !

Pasquinot.

Oui. mon parc a gagné. Cent pour cent.

Il se penche et tâte une touffe de gazon.

Oui. mon parc a gagné. Cent pour cent.Mais cette herbe
Est mouillée !… On a donc arrosé ce matin ?…

Furieux.

Il ne faut arroser que le soir, vieux crétin !

Blaise, placidement.

C’est Monsieur Bergamin qui m’en a donné l’ordre.

Pasquinot.

Ah ?… Ce bon Bergamin !… Il ne veut pas démordre
De son idée !… Il croit qu’arroser sans repos
Vaut mieux qu’arroser peu, mais bien, mais à propos !
Enfin !…

À Blaise.

Enfin !…Vous sortirez les plantes de la serre.

Blaise aligne au fond des plantes qu’il va chercher dans la serre. Pasquinot lit. Bergamin paraît au fond.
Bergamin, arrosant les arbustes avec un énorme arrosoir.

Ouf !… On leur donne d’eau juste le nécessaire !
Ce qui leur fait du bien, c’est ce superflu-là !

À un arbre.

Hein, mon vieux, tu mourais de soif ?… Tiens, en voilà,
De l’eau… tiens, en voilà ! Moi, j’aime ça, les arbres.

Posant son arrosoir, et regardant autour de lui avec satisfaction.

Oui, mon parc a gagné… Très jolis, ces faux marbres
Très, très…

Apercevant Pasquinot.

Très, très..Bonjour.

Pas de réponse.

Très, très.. Bonjour.Bonjour ! !

Pas de réponse.

Très, très.. Bonjour. Bonjour ! !Bonjour ! !!

Pasquinot lève la tête.

Très, très.. Bonjour. Bonjour ! ! Bonjour ! !!Eh bien, j’attends ?

Pasquinot.

Oh ! mon ami, mais nous nous voyons tout le temps !

Bergamin.

Ah ? — bien !…

Voyant les plantes que range Blaise.

Ah ? — bien !…Veux-tu rentrer ces plantes !

Blaise, ahuri, les rentre précipitamment. Pasquinot lève les yeux au ciel, hausse les épaules, et lit. Bergamin va, et vient, l’air désœuvré, finit par s’asseoir à côté de Pasquinot. Silence. Puis, tout à coup, avec mélancolie :

Ah ? — bien !… Veux-tu rentrer ces plantes !À cette heure,
Chaque jour je sortais, furtif, de ma demeure…

Pasquinot, rêveur, baissant sa gazette.

Je filais de chez moi, subreptice et léger…
C’était très amusant !

Bergamin.

C’était très amusant !Le secret !

Pasquinot.

C’était très amusant ! Le secret !Le danger !

Bergamin.

Il fallait dépister Percinet ou Sylvette
Chaque fois qu’on venait tailler une bavette !

Pasquinot.

On risquait, chaque fois qu’on grimpait sur le mur,
La casse d’une côte, ou le bris d’un fémur.

Bergamin.

Nos conversations monoquotidiennes
Ne se pouvaient qu’au prix de ruses indiennes !

Pasquinot.

Il fallait se glisser sous les buissons épais…
C’était très amusant !

Bergamin.

C’était très amusant !Quelquefois, je rampais…
Et, le soir, aux genoux, ma culotte était verte !

Pasquinot.

L’un de l’autre il fallait, sans fin, jurer la perte…

Bergamin.

Et dire un mal affreux…

Pasquinot.

Et dire un mal affreux…C’était très amusant !

Bâillant.

Bergamin ?

Bergamin, de même.

Bergamin ?Pasquinot ?

Pasquinot.

Bergamin ? Pasquinot ?Ça nous manque, à présent.

Bergamin.

Non, voyons !…

Après réflexion.

Non, voyons !…Si, pourtant. Oh ! c’est très drôle ! — Est-ce que
Ce serait la revanche, ici, du Romanesque ?…

Silence. Il regarde Pasquinot qui lit.

Son gilet est toujours veuf de quelque bouton !
C’est crispant !…

Il se lève, s’éloigne, va et vient.
Pasquinot, le regardant, par-dessus sa gazette, à part.

C’est crispant !…Il a l’air d’un vaste hanneton
Qui virevolte, avec ses basques pour élytres.

Il feint de lire quand Bergamin repasse devant lui.
Bergamin, le regardant, à part.

Il louche, quand il lit, ainsi que font les pitres
Après leur papillon.

Il remonte en sifflotant.
Pasquinot, à part, nerveux.

Après leur papillon.Il siffle !… c’est un tic !

Haut.

Ne sifflote donc pas toujours, comme un aspic.

Bergamin, souriant.

Nous distinguons le brin d’éteule aux yeux des autres
Et nous ne sentons pas la solive en les nôtres !
Vous avez bien vos tics…

Pasquinot.

Vous avez bien vos tics…Moi ?

Bergamin.

Vous avez bien vos tics… Moi ?Vous vous dandinez,
Vous reniflez sans fin, Roi des Enchifrenés,
Le nez toujours noirci d’un vain sternutatoire,
Vous contez six-vingts fois par jour la même histoire

Pasquinot, qui, assis, jambes croisées, balance son pied.

Mais…

Bergamin.

Mais…Vous ne pouvez pas un instant vous asseoir
Sans balancer le pied comme un gros encensoir ;
À table, vous roulez votre mie en boulettes…
Maniaque, mon cher, ah ! non, ce que vous l’êtes !

Pasquinot.

Oui, comme maintenant on s’ennuie à moisir,
De m’inventorier vous avez le loisir ;
Vous dénombrez mes tics, vous en dressez la liste,
Mais la vie en commun, cette grande oculiste,
Me désaveugle aussi ! Je vous vois ladre, faux,
Égoïste, et chacun de vos menus défauts
Grossit, — comme la mouche amusante et gentille
Devient un monstre affreux, Monsieur, sous la lentille.

Bergamin.

Ce dont je me doutais, maintenant j’en suis sûr !

Pasquinot.

Quoi ?

Bergamin.

Quoi ?Le mur te flattait.

Pasquinot.

Quoi ? Le mur te flattait.Tu perds beaucoup sans mur.

Bergamin.

De te voir tous les jours tu calmas mon envie !

Pasquinot, éclatant

Depuis un mois, Monsieur, ce n’est plus une vie !

Bergamin, très digne.

C’est bien, Monsieur, c’est bien. Ce que nous avons fait,
Ce n’était pas pour nous, n’est-ce pas ?

Pasquinot.

Ce n’était pas pour nous, n’est-ce pas ?En effet !

Bergamin.

C’était pour nos enfants !…

Pasquinot, convaincu.

C’était pour nos enfants !…Pour nos enfants, oui, certe !…
Souffrons donc en silence, et supportons la perte
De notre liberté, sans soucis apparents.

Bergamin.

Car, se sacrifier, c’est le sort des parents !

Sylvette et Percinet paraissent à gauche, au fond, entre les arbres, et traversent lentement la scène, enlacés, avec des gestes d’exaltés.
Pasquinot.

Chut ! voici les Amants !

Bergamin, les regardant.

Chut ! voici les Amants !Voyez-moi cette pose !…
Semblent-ils pas marcher dans une apothéose ?

Pasquinot.

Depuis que l’aventure exauça tous leurs vœux,
Ils sentent des rayons mêlés à leurs cheveux !

Bergamin.

C’est l’heure où, copiant les attitudes lentes
Des Pèlerins d’Amour dans les Fêtes Galantes,
Ils viennent chaque jour, avec componction,
Sur le lieu du combat faire une station !

Sylvette et Percinet, qui ont disparu à droite, y reparaissent, à un plan plus rapproché, et descendent en scène.

Voici nos pèlerins.

Pasquinot.

Voici nos pèlerins.S’ils brodent sur leur thème
Coutumier, cela vaut d’être écouté !…

(Bergamin et Pasquinot se retirent derrière un massif.)



Scène II

SYLVETTE, PERCINET ; BERGAMIN et PASQUINOT, cachés.
Percinet

Je t’aime !…

Sylvette.

Je vous aime…

Ils s’arrêtent.

Je vous aime…À l’endroit illustre nous voici !

Percinet

Oui, c’est ici qu’eut lieu la chose. C’est ici
Que tomba lourdement la brute transpercée !

Sylvette.

Là, je fus Andromède !

Percinet

Là, je fus Andromède !Et là, je fus Persée !

Sylvette.

Combien donc étaient-ils contre toi ?

Percinet

Combien donc étaient-ils contre toi ?Dix !

Sylvette.

Combien donc étaient-ils contre toi ? Dix !Oh !… vingt !…
Vingt au moins, sans compter ce grand dernier qui vint,
Et dont tu corrigeas l’humeur récalcitrante.

Percinet

Oui, vous avez raison, ils étaient au moins trente.

Sylvette.

Ah ! redis-moi comment, dague au poing, flamme aux yeux.
Tu les frappas dans l’ombre, ô mon Victorieux !

Percinet

Je ne sais si ce fut en sixte, ou bien en quarte…
Mais ils tombaient, pareils aux capucins de carte !

Sylvette.

Ami, si vos cheveux avaient été moins blonds,
J’aurais cru voir le Cid !

Percinet

J’aurais cru voir le Cid !Oui, nous nous ressemblons.

Sylvette

Il manque à nos amours d’être mis en poème.

Percinet

Sylvette, ils le seront !

Sylvette.

Sylvette, ils le seront !Je vous aime.

Percinet

Sylvette, ils le seront ! Je vous aime.Je t’aime !

Sylvette.

C’est du rêve vécu !… Je m’étais tant juré
D’épouser le héros follement rencontré,
Et pas le bon petit fiancé des familles !..

Percinet

Ah ?

Sylvette.

Ah ?Non, non, pas celui qu’on offre aux jeunes filles,
Le doux Monsieur que cherche à marier sa sœur,
Ou quelque digne abbé, son vague confesseur.

Percinet

Tu n’aurais surtout pas épousé, que j’espère,
L’inévitable fils d’un ami de ton père !

Sylvette, riant.

Ah ! non !… Remarques-tu que mon père et le tien
Sont depuis quelques jours d’une humeur ?…

Percinet

Sont depuis quelques jours d’une humeur ?…Oui, de chien

Bergamin, derrière le massif.

Hum !

Percinet

Hum !Et je sais pourquoi leur bonne humeur s’altère…

Bergamin, derrière le massif.

Ah ?

Percinet

Ah ?Mais oui ! notre envol vexe leur terre-à-terre.
Je respecte beaucoup mon père, — et ton auteur ;
Mais ce sont bons bourgeois pas très à la hauteur.
Notre éclat les relègue un peu dans les ténèbres.

Pasquinot, derrière le massif.

Hein ?

Sylvette, de même.

Hein ?Les voilà passés pères d’amants célèbres !

Percinet, riant.

Mon panache excessif leur devient importun.

Sylvette.

Ton père a devant toi la gêne obscure d’un…
Je ne sais si je peux dire ?

Percinet

Je ne sais si je peux dire ?Tu peux, espiègle

Sylvette.

D’un canard ayant fait la couvaison d’un aigle !

Bergamin, derrière le massif.

Ho ! ho !

Sylvette, riant plus fort.

Ho ! ho !Pauvres parents, notre amour clandestin,
Comme il se joua d’eux !…

Pasquinot, derrière le massif.

Comme il se joua d’eux !…Hé ! hé !

Percinet

Comme il se joua d’eux !… Hé ! hé !Oui, le Destin
Joint toujours les Amants par d’imprévus méandres,
Et le hasard se fait le Scapin des Léandres !

Bergamin, derrière le massif.

Ha ! ha !

Sylvette.

Ha ! ha !Et donc, ce soir, le contrat, nous allons
Le signer !

Percinet, remontant.

Le signer !Et je vais mander les violons !

Sylvette.

Allez vite !

Percinet

Allez vite !Je cours !

Sylvette, le rappelant

Allez vite ! Je cours !Tenez, je suis gentille,
Et je vais vous mener, Monsieur, jusqu’à la grille

Ils remontent enlacés, Sylvette minaudant

Nous égalons, je crois, les plus fameux Amants.

Percinet

Oui, nous serons parmi ces Immortels Charmants :
Roméo, Juliette, — Aude et Roland…

Sylvette.

Roméo, Juliette, — Aude et Roland…Aminte
Et son pâtre !

Percinet

Et son pâtre !Pyrame et Thisbé !

Sylvette.

Et son pâtre ! Pyrame et Thisbé !Mainte et mainte
Encore…

Ils sont sortis. On entend leurs voix s’éloigner parmi les arbres.
La voix de Percinet

Encore…Francesca, tu sais, de Rimini,
Et Paolo…

La voix de Sylvette.

Et Paolo…Pétrarque et Laure…

Bergamin, sortant du massif.

Et Paolo… Pétrarque et Laure…As-tu fini ?



Scène III

PASQUINOT, BERGAMIN.
Pasquinot, gouailleur.

Le succès de ton plan, Monsieur l’homme sagace,
Répond à ton espoir, et même il le dépasse !
Résultat qui sans doute était prévu par vous,
Cher maître : nos enfants sont complètement fous !

Bergamin.

Il est clair que ta fille est assez énervante
Avec son fameux rapt, que sans cesse elle vante !

Pasquinot.

Et ton fils, qui se croit un héros, prend des airs
Qui ne me portent pas moindrement sur les nerfs !

Bergamin.

Mais le plus irritant, c’est qu’ils nous représentent
Comme deux bons bourgeois dupés, qu’ils nous plaisantent

Sur notre aveuglement voulu, sur ce que nous
Ne surprîmes jamais un de leur rendez-vous !
C’est bête, si tu veux, mais enfin ça m’agace.

Pasquinot.

Avais-tu prévu ça, Monsieur l’homme sagace ?
Grâce à toi, ton moutard tient d’insanes propos,
Et se croit le premier des moutardiers papaux.

Bergamin.

Moutardier dont au nez me monte la moutarde !

Pasquinot.

Je vais tout leur conter, sans plus tarder.

Bergamin.

Je vais tout leur conter, sans plus tarder.Non, tarde !
Il ne faut pas aller leur dire tout de go ;
On parlera sitôt après le conjungo ;
Jusqu’aux derniers accords des nuptiales harpes,
Sachons leur opposer un mutisme de carpes.

Pasquinot.

Soit, mais nous voilà pris nous-mêmes dans nos rêts,
Grâce à ton fameux plan.

Bergamin.

Grâce à ton fameux plan.Mon cher, tu l’admirais !

Pasquinot.

Ah ! il était joli, ton plan !

Bergamin, à part.

Ah ! il était joli, ton plan !Il m’exaspère !



Scène IV

les mêmes, SYLVETTE.
Elle entre gaiement, une branche fleurie à la main, dont elle fait à la cantonade des signes à Percinet qu’elle vient de quitter, puis elle descend entre les deux pères.
Sylvette.

Bonjour, mon cher papa. Bonjour, futur beau-père !

Bergamin.

Bonjour, future bru !

Sylvette, l’imitant.

Bonjour, future bru !Bonjour, future bru !
Oh ! comme vous avez ce matin l’air bourru !

Bergamin.

C’est Pasquinot qui me… qui me…

Sylvette, lui agitant sa branche sous le nez.

C’est Pasquinot qui me… qui me…Chut ! chut ! du calme !
Je viens comme la paix, — et j’agite une palme !
Vous vous boudez encore un peu ? C’est bien permis :
Pouvez-vous vous aimer comme deux vieux amis ?

Pasquinot, à part.

Ironie !…

Bergamin, haut, gouailleur.

Ironie !…Oui, c’est vrai ; notre haine fut telle
Qu’on ne peut…

Sylvette.

Qu’on ne peut…Songez donc : une haine mortelle !
Oh ! quand je me souviens de ce que vous disiez
De papa, bien souvent, là, parmi vos rosiers,

Sans vous douter que moi j’entendais tout, assise
Derrière le bon mur…

Bergamin, à part.

Derrière le bon mur…Elle est d’une bêtise !

Sylvette, à Pasquinot.

Car je venais ici chaque jour, vous savez,
Retrouver Percinet ! — Dire que vous n’avez
Jamais eu de soupçons !

Pasquinot, ironique.

Jamais eu de soupçons !Oh ! pour ça, que je meure,
Si…

Sylvette.

Si…Nous venions pourtant toujours à la même heure.

À Bergamin.

Ha ! ha ! J’entends encor Percinet vous crier,
Le jour même du rapt : « Je veux me marier
De la façon la plus romanesquement folle ! »
Eh ! dame, dites donc, il a tenu parole !

Bergamin, vexé.

Vraiment ?… Et vous croyez que si j’avais voulu ?…

Sylvette.

Ta ! la ! ta ! Je le sais, pour l’avoir cent fois lu :
Les rêves des Amants toujours se réalisent,
Et les pères, toujours, tôt ou tard, s’humanisent,
Contraints par quelque étrange et fol événement
Qui force, à point nommé, leur attendrissement.

Pasquinot

Qui force, à point nommé ?… Non, non, laissez-moi rire !

Sylvette.

Mais, nous l’avons prouvé !…

Bergamin.

Mais, nous l’avons prouvé !…Si je voulais vous dire…

Sylvette

Quoi ?

Bergamin.

Quoi ?Rien !

Sylvette, à Bergamin.

Quoi ? Rien !Alors, pourquoi prenez-vous cet air fin ?

Bergamin.

Mais, parce que…

À part.

Mais, parce que…Ho !… c’est agaçant, à la fin !

Pasquinot.

Quand on pourrait d’un mot…

Remontant.

Quand on pourrait d’un mot… Mais gardons le mystère !

Sylvette.

Quand on n’a rien à dire, il le faut bien, se taire !

Pasquinot, éclatant.

Rien à dire ! La folle ! Alors, vous croyez ça,
Que tout se passe ainsi que cela se passa ?
Qu’on envahit les parcs malgré les bonnes grilles ?…

Bergamin.

Vous croyez qu’on enlève encor les jeunes filles ?

Sylvette.

Si je crois ? Que dit-il ?

Bergamin, se montant.

Si je crois ? Que dit-il ?Moi, je dis qu’en voilà
Assez ! Qu’il était temps que tout se dévoilât !…
Oui, depuis que le monde est monde entre les mondes,
Le succès fut toujours pour les perruques blondes ;
Bartholo, dont la haine en secret s’aviva,
Dut toujours s’incliner devant Almaviva ;
Mais l’heure du triomphe et des justes revanches
Vient enfin de sonner pour les perruques blanches !

Sylvette.

Mais…

Pasquinot.

Mais…Jadis, nous étions, nous autres, les papas,
Cassandre, Orgon, Géronte, Argante, n’est-ce pas ?
Vous en êtes restée à ces vieilles badernes ?…
Mais on n’en trouve plus chez les pères modernes !

Les dupés d’autrefois sont dupeurs à leur tour.
L’ordre donné par nous de vous aimer d’amour,
Ni vous ni Percinet n’eussiez voulu l’entendre ?
Ce fut donc bien joué que de vous le défendre !

Sylvette.

Mais alors, vous saviez peut-être…

Pasquinot.

Mais alors, vous saviez peut-être…Sûrement !

Sylvette.

Nos duos ?

Bergamin.

Nos duos ?J’écoutais leur doux susurrement !

Sylvette.

Les bancs où nous grimpions ?…

Pasquinot.

Les bancs où nous grimpions ?…Tout exprès nous les mîmes

Sylvette.

Le duel ?

Bergamin.

Le duel ?Simple jeu !

Sylvette.

Le duel ? Simple jeu !Les spadassins ?

Pasquinot.

Le duel ? Simple jeu ! Les spadassins ?Des mimes !

Sylvette.

Mon rapt ? — Oh ! ça, c’est faux !…

Bergamin, fouillant dans sa poche.

Mon rapt ? — Oh ! ça, c’est faux !…C’est faux ? Quand justement
J’ai la facture, là, de votre enlèvement !

Sylvette, la lui arrachant.

Ah ! donnez !…

Elle lit.

Ah ! donnez !…« Straforel, maison de confiance,
Un faux rapt, mis en scène, afin que l’on fiance !… »

Ah ! — « Huit sombres manteaux à cinq francs le manteau ;
Huit masques… »

Bergamin, à Pasquinot.

Huit masques… »Nous avons, je crois, parlé trop tôt !

Sylvette, lisant.

« Une chaise à porteurs, soignée, à coussins roses,
Création nouvelle… »

Haut, ironiquement.

Création nouvelle… »On a bien fait les choses !

Elle jette la facture en riant sur la table
Pasquinot, surpris.

Elle n’est pas fâchée ?

Sylvette, avec bonne grâce.

Elle n’est pas fâchée ?Ah ! le tour est charmant !
Mais c’est beaucoup d’esprit bien inutilement ;
Cher Monsieur Bergamin, croyez-vous que si j’aime
Mon Percinet, c’est grâce à votre stratagème ?

Pasquinot.

Elle le prend très bien.

Bergamin, à Sylvette.

Elle le prend très bien.Vous le prenez très bien !

Pasquinot.

Mais alors… on peut dire à Percinet ?…

Sylvette, vivement.

Mais alors… on peut dire à Percinet ?…Oh ! rien !
Non, ne lui dites rien !… Les hommes, c’est si bête !

Bergamin.

Quel bon sens ! voyez-vous cette petite tête !…
Et moi qui la croyais…

Tirant sa montre.

Et moi qui la croyais…Mais le contrat, pardon,
Allons nous préparer…

Tendant la main à Sylvette.

Allons nous préparer…Bons amis ?…

Sylvette.

Allons nous préparer… Bons amis ?…Comment donc !

Bergamin, se retournant encore avant de sortir.

Vous ne m’en voulez pas du tout ?

Sylvette, tout miel.

Je vous l’atteste.

Pasquinot et Bergamin sortent. — Avec une rage froide :

Ce Monsieur Bergamin, comme je le déteste !…



Scène V

SYLVETTE, PERCINET.
Percinet, entrant épanoui

Ah ! vous êtes encore ici ?… Je comprends ça.
Vous ne pouvez quitter l’endroit où se passa
Toute cette aventure inouïe !…

Sylvette, assise sur le banc, à gauche.

Toute cette aventure inouïe !… Inouïe,
En effet !

Percinet

Inouïe, En effet !C’est de là que, presque évanouie,
Vous me vîtes combattre, ainsi qu’un Amadis,
Ces trente spadassins…

Sylvette.

Ces trente spadassins…Mais non, ils étaient dix.

Percinet, se rapprochant.

Chère, mais qu’avez-vous ? Mais quoi donc vous attriste ?
Ces yeux, où du saphir fond dans de l’améthyste,
Ils semblent obscurcis par quelque ennui, ces yeux ?

Sylvette, à part.

Son langage est parfois un peu prétentieux.

Percinet

Ah ! tenez, je comprends tout ce qu’en vous suscite
De regrets attendris, cet adorable site !…
Vous pleurez le vieux mur aux feuillages grimpeurs,
Témoin de nos espoirs, jadis, et de nos peurs ;
Mais il n’est pas détruit, la gloire le couronne…
Est-ce qu’il est détruit, le balcon de Vérone ?…

Sylvette, impatientée.

Ah !

Percinet

Ah !Ne laisse-t-il pas, dans un vent toujours frais,
Ce balcon toujours blanc, trembler sans fin, auprès
D’un grenadier jamais défleuri, son échelle
Inusable, que dore une aurore immortelle ?

Sylvette.

Oh !

Percinet, de plus en plus lyrique.

Oh !L’éternel duo fait l’éternel décor !
C’est pourquoi, démoli, le mur se dresse encor,
Sur lequel a poussé, folle pariétaire,
Notre amour merveilleuse…

Sylvette, à part.

Notre amour merveilleuse…Il ne va pas se taire !

Percinet, avec un sourire plein de promesses.

Mais le vœu fut par vous tout à l’heure exprimé
De voir sur notre histoire un poème rimé…
Donc, ce poème…

Sylvette, inquiète.

Donc, ce poème…Eh bien ?

Percinet

Donc, ce poème… Eh bien ?Moi-même je le rime.

Sylvette.

Tu sais faire des vers ?

Percinet

Tu sais faire des vers ?Pouh !… Savais-je l’escrime ?
Écoute mon début, que j’ai fait en marchant.
« Les Pères Ennemis. » Poème.

Sylvette.

« Les Pères Ennemis. » Poème.Oh !…

Percinet, se campant pour déclamer.

« Les Pères Ennemis. » Poème. Oh !…Premier chant !

Sylvette.

Oh !…

Percinet

Oh !…Qu’as-tu ?

Sylvette.

Oh !… Qu’as-tu ?Le bonheur… les nerfs… une faiblesse.

Fondant en pleurs.

Laissez-moi me remettre, un instant.

Elle lui tourne le dos, assise sur le banc, et se cache le visage dans son mouchoir.
Percinet, un moment stupéfait.

Laissez-moi me remettre, un instant.Je vous laisse.

Puis, à part, avec un sourire avantageux :

Un jour comme aujourd’hui, ce trouble est naturel !

Il passe à droite, aperçoit sur la table le papier de la facture, et tirant vivement un crayon de sa poche, s’assied en disant :

Notons toujours mes vers.

Il prend le papier, s’apprête à écrire — mais s’arrête, le crayon levé, et lit :

Notons toujours mes vers.« Avoir, moi, Straforel,
Feint de choir, transpercé d’une lame ignorante, —
Habit froissé : dix francs ; amour-propre : quarante. »

Souriant.

Qu’est cela ?

Il continue tout bas. Le sourire s’efface. L’œil s’exorbite.
Sylvette, toujours sur le banc, s’essuyant les yeux.

Qu’est cela ?S’il savait, qu’il tomberait de haut !
J’ai failli me trahir. Prenons garde !

Percinet, se levant.

J’ai failli me trahir. Prenons garde !Ho ! — ho ! — ho !

Sylvette, se retournant vers lui.

Que dites-vous ?

Percinet, escamotant la facture.

Que dites-vous ?Moi ? rien, rien !

Sylvette, à part.

Que dites-vous ? Moi ? rien, rien !Son erreur me navre

Percinet, à part.

C’est pour ça qu’on n’a pas retrouvé le cadavre !

Sylvette, à part, se levant.

Il a l’air de bouder. Rapprochons-nous de lui.

Elle tourne un moment, puis voyant qu’il ne bouge pas, — coquettement :

Vous ne m’avez rien dit de ma robe aujourd’hui ?

Percinet, négligemment.

Le bleu ne vous va pas. Je vous préfère en rose.

Sylvette, à part, saisie.

Le bleu ne me va pas… Saurait-il quelque chose ?

Regardant la table.

Mais la facture, au fait, j’ai dû la mettre là !

Percinet, la voyant qui cherche.

Qu’avez-vous à tourner, voyons, comme cela ?

Sylvette.

Rien…

À part.

Rien…Un papier, le vent quelquefois le dérobe.

Haut, faisant bouffer sa jupe.

Rien… je tournais pour voir comment me va ma robe !…

À part.

Je saurai bien s’il l’a trouvée.

Haut.

Je saurai bien s’il l’a trouvée.Hum !… Tu voulais
Dire tantôt des vers sur nos amours ?

Mouvement de Percinet. Elle lui prend le bras, et, bien gentiment :

Dire tantôt des vers sur nos amours ?Dis-les.

Percinet

Ah ! non !

Sylvette.

Ah ! non !Dis-les, ces vers…

Percinet

Ah ! non ! Dis-les, ces vers…Non !

Sylvette, ironique.

Ah ! non ! Dis-les, ces vers… Non !Sur notre aventure !

Percinet

Ils sont mauvais, tu sais… Je n’ai pas…

Sylvette.

Ils sont mauvais, tu sais… Je n’ai pas…La facture ?

Percinet

Non, je n’ai pas la fact…

Sursautant et la regardant.

Non, je n’ai pas la fact…Pardon, mais…

Sylvette.

Non, je n’ai pas la fact… Pardon, mais…Mais, pardon..

Percinet

Ah ! mais elle sait donc ?…

Sylvette, de même.

Ah ! mais elle sait donc ?…Il sait donc ?

Tous les deux, ensemble.

Ah ! mais elle sait donc ?… Il sait donc ?Tu sais donc ?

Un temps, puis ils éclatent de rire.

Ha ! ha ! ha !…

Percinet

Ha ! ha ! ha !…N’est-ce pas que c’est drôle ?

Sylvette.

Ha ! ha ! ha !… N’est-ce pas que c’est drôle ?Très drôle !

Percinet

Non, vraiment, on nous fit jouer un rôle…

Sylvette.

Non, vraiment, on nous fit jouer un rôle.Un rôle !

Percinet

Nos pères étaient donc bons amis ?

Sylvette.

Nos pères étaient donc bons amis ?Bons voisins.

Percinet

Ma parole, ils devraient être même cousins.

Sylvette, faisant la révérence.

J’épouse mon cousin !

Percinet

J’épouse mon cousin !J’épouse ma cousine !

Sylvette.

C’est gentil !…

Percinet

C’est gentil !…C’est classique !

Sylvette.

C’est gentil !… C’est classique !Ah ! certe, on imagine
Des mariages plus… Mais c’est si bon de voir
Que l’on conciliait l’amour — et le devoir !

Percinet.

Et l’intérêt ! Car ces deux parcs, leurs dépendances…

Sylvette.

Excellent mariage, enfin, de convenances.
Elle est loin, notre pauvre idylle sur le mur !

Percinet

Il ne faut plus parler d’idylle, c’est bien sûr !

Sylvette.

Je rentre dans le rang banal des jeunes filles.

Percinet

Je suis le bon petit fiancé des familles…
Et c’est en Roméo, Sylvette, que je plus !

Sylvette.

Ah ! Roméo, c’est clair que vous ne l’êtes plus !

Percinet

Est-ce que vous croyez être encor Juliette ?

Sylvette.

Vous devenez amer.

Percinet

Vous devenez amer.Dame ! et vous… aigrelette.

Sylvette.

Si vous avez été ridicule, eh ! mon Dieu !
Est-ce ma faute à moi ?

Percinet

Est-ce ma faute à moi ?Si je le fus un peu,
Je ne le fus pas seul !…

Sylvette.

Je ne le fus pas seul !…Eh bien, soit ! nous le fûmes !
Ah ! mon pauvre Oiseau Bleu, bien déteintes, vos plumes !

Percinet, ricanant.

Ha !… un simili-rapt !

Sylvette.

He !… un simili-rapt !De pseudo-coups d’estoc !…

Percinet

Fi ! la fausse enlevée !

Sylvette.

Fi ! la fausse enlevée !Hou ! le sauveur en toc !
Ah ! notre poésie était une risée !
C’est ainsi qu’en crevant, belle bulle irisée,
Tu n’es plus, disparue à nos yeux étonnés,
Qu’un peu d’eau de savon qui nous pleut sur le nez !

Percinet

Donc, Amant dont je fus le plus vil des émules,
Amante dont, indigne, elle chaussa les mules,

Ô pâle et noble couple, ô couple shakspearien,
Nous n’avions avec vous de commun rien, rien…

Sylvette.

Nous n’avions avec vous de commun rien, rien…Rien !

Percinet

Donc, au lieu de jouer le cher et divin drame,
Nous en avons joué la parodie infâme !

Sylvette.

Donc, c’était un serin que notre rossignol !

Percinet

Donc, il était, le mur immortel, un Guignol !
Et quand nous y venions, chaque jour, apparaître,
Chaque jour, à mi-corps, nous étions, au lieu d’être
Deux parangons d’amour aux types éternels,
Deux pantins qu’animaient les gros doigts paternels !

Sylvette.

C’est vrai ! Mais nous serions grotesques davantage
Si nous nous aimions moins !

Percinet

Si nous nous aimions moins !Aimons-nous avec rage !
Nous sommes obligés de nous aimer, d’abord !

Sylvette.

Mais, nous nous adorons !…

Percinet

Mais, nous nous adorons !…Le mot n’est pas trop fort !

Sylvette.

L’amour peut consoler très bien d’un tel désastre !…
N’est-ce pas, mon trésor ?

Percinet

N’est-ce pas, mon trésor ?Certainement, mon astre !

Sylvette.

Bonjour donc, ma chère âme !

Percinet

Bonjour donc, ma chère âme !Et bonsoir, ma beauté !

Sylvette.

Je vais rêver à vous, mon cœur, — de mon côté !

Percinet

Et moi du mien. Bonjour !

Sylvette.

Et moi du mien. Bonjour !Bonsoir !

Elle sort.
Percinet

Et moi du mien. Bonjour ! Bonsoir !Ah ! par exemple !…
Ah ! l’on me traite ainsi !… Mais quel est, dans cet ample
Manteau, qui laisse voir cet étrange pourpoint,
Ce Monsieur moustachu que je ne connais point ?…

Straforel, qui est entré sur ces vers, descend majestueusement en scène.



Scène VI

PERCINET, STRAFOREL.
Percinet

Qu’est-ce ?

Straforel, souriant.

Qu’est-ce ?C’est pour toucher une petite somme.

Percinet

Un fournisseur ?

Straforel

Un fournisseur ?Tout juste ! Allez donc, bon jeune homme,
Dire à votre papa que j’attends.

Percinet

Dire à votre papa que j’attends.Votre nom ?

Straforel

Mon nom est Straforel.

Percinet, bondissant.

Mon nom est Straforel.Lui, maintenant ? Ah ! non !
Ah ! non ! ceci devient par trop intolérable !

Straforel, souriant.

Tiens, tiens ! vous savez donc, jeune homme ?

Percinet, lui jetant la facture qu’il tire chiffonnée de sa poche.

Tiens, tiens ! vous savez donc, jeune homme ?Misérable !
C’était toi !

Straforel

C’était toi !Mon Dieu ! oui, c’était moi : per Baccho !

Percinet

Oh ! rencontrer cet homme ! Oh ! je fuirais jusqu’au
Bout du monde…

Straforel, satisfait.

Bout du monde…Et je suis tellement gras et rose
Que la citation, il me semble, s’impose :
Les gens que vous tuez se portent…

Percinet, se ruant sur lui l’épée à la main.

Les gens que vous tuez se portent…Tu vas voir !

Straforel, parant avec son bras, tranquille comme un maître d’armes qui donne la leçon.

La main haute !… le pied en dehors ! n’en savoir

Pas plus long à votre âge, eh ! Monsieur, c’est un crime !

D’un tour de main il lui enlève son épée, — et la lui rendant, dans un salut :

Quoi ! vous cessez déjà votre leçon d’escrime ?

Percinet, exaspéré, la reprenant.

Ah ! je pars !… On me traite en enfant : bien ! j’aurai
Ma revanche ! J’aurai du roman, et du vrai !
Je vais, par des amours et des duels sans nombre,
Scandaliser, ô Don Juan, jusqu’à ton ombre !
Et je vais enlever des filles d’opéra !

Il sort en courant, l’épée brandie.
Straforel

Très bien !… Mais, maintenant, est-ce qu’on me paiera ?



Scène VII

STRAFOREL, BERGAMIN, PASQUINOT
Straforel, regardant dans la coulisse.

Hé ! là-bas ! arrêtez !… En voici bien d’une autre !

Entrent Bergamin et Pasquinot, décoiffés, déchirés, comme après une lutte.
Pasquinot, se rajustant et rendant à Bergamin sa perruque.

Voici votre perruque !

Bergamin.

Voici votre perruque !Ouf ! Et voici la vôtre !

Pasquinot.

Vous comprenez qu’après de pareils procédés !…
Voici votre jabot…

Bergamin, d’une voix sifflante.

Voici votre jabot…Et vous me concédez
Que revivre avec vous serait un sacrifice
Trop grand pour qu’au bonheur de mon fils je le fisse !

Pasquinot, voyant entrer Sylvette.

Ma fille !… Cachons-lui d’abord ce qu’il en est !…



Scène VIII

Les Mêmes, SYLVETTE, puis BLAISE, LE NOTAIRE, Les Témoins, Violons et Invités.
Sylvette, se jetant au cou de son père.

Papa, je ne veux plus épouser Percinet !…

Entrent le notaire pour le contrat, et des bourgeois endimanchés, témoins.
Bergamin.

Les témoins !… le notaire !… Au diable !

les témoins, ahuris.

Les témoins !… le notaire !… Au diable !Hein ?

le notaire, avec dignité.

Les témoins !… le notaire !… Au diable ! Hein ?Ces paroles !…

Straforel, au milieu du tumulte, ayant ramassé la facture jetée par Percinet.

Ma facture !… payez !… quatre-vingt-dix pistoles !…

Entrent des invités et trois violons jouant un menuet.
Bergamin, hors de lui, les bousculant.

Les violons !… Au diable !

Les violons continuent automatiquement leur menuet.
Straforel, impatienté, à Bergamin.

Les violons !… Au diable !Eh bien !… Je tends la main ?

Bergamin.

Parlez à Pasquinot !

Pasquinot.

Parlez à Pasquinot !Parlez à Bergamin !

Straforel, soulignant les mots de la facture.

« Un faux rapt mis en scène afin que l’on fiance… »

Bergamin.

Ils sont défiancés ! Donc, cela me dispense
De payer.

Straforel, à Pasquinot.

De payer.Mais, Monsieur…

Pasquinot.

De payer. Mais, Monsieur…Que je vous donne un sol
Maintenant que tout est rompu ? — Vous êtes fol !

Bergamin, à qui Blaise est venu parler bas.

Mon fils !… parti !…

Sylvette, saisie.

Mon fils !… parti !…Parti ?…

Straforel, qui remontait, s’arrête et la regarde.

Mon fils !… parti !… Parti ?…Tiens ! tiens !

Bergamin.

Mon fils !… parti !… Parti ?… Tiens ! tiens !Courez ! en chasse !

Il sort en courant, suivi du notaire et des invités.
Sylvette, très émue.

Parti !

Straforel, redescendant en l’observant toujours.

Parti !S’il se pouvait que je rabibochasse
Ensemble ces mignons… eh ! peut-être…

Sylvette, tout d’un coup furieuse.

Ensemble ces mignons… eh ! peut-être…Parti ?
Ah ! ça c’est un peu fort !

Elle sort, suivie de Pasquinot.
Straforel, triomphant.

Ah ! ça c’est un peu fort !Straforel, mon petit,
Pour te faire payer tes nonante pistoles,
Ce mariage, il faut que tu le rafistoles !

Il sort. Les trois violons restés seuls au milieu de la scène jouent toujours leur menuet.


RIDEAU