Les Rois/Chapitre XXVIII

Calmann Lévy, éditeur (p. 296-298).

XXVIII

Le surlendemain, on lisait dans les journaux de Marbourg :

« Un deuil épouvantable, un double deuil vient de frapper la maison royale et tout le royaume d’Alfanie.

« Hier samedi, vers six heures du matin, un maraîcher de Steinbach trouva dans un fossé, sur le chemin qui longe extérieurement le parc d’Orsova, le cadavre d’un homme encore jeune et de haute taille et vêtu d’un costume de chasse. Il alla aussitôt prévenir le maire de Steinbach, qui télégraphia à Loewenbrunn. Le commissaire de police, s’étant transporté sur les lieux, accompagné de la gendarmerie, reconnut que la victime n’était autre que Son Altesse Royale le prince Otto. Le prince avait été frappé d’une balle, qui avait pénétré sous l’aisselle gauche. La mort avait dû être instantanée.

« Des traces de pas et d’herbe foulée menaient à la poterne du parc. D’autres traces conduisaient, à travers le jardin, jusqu’auprès des écuries. C’était évidemment là que le meurtre avait été commis.

« On interrogea d’abord le garde-chasse Günther et sa petite-fille Kate. Ils déclarèrent n’avoir rien vu ni rien entendu.

« On pénétra ensuite dans la villa pour interroger la châtelaine, une certaine comtesse Leïlof, qui habitait Orsova depuis quelques mois seulement et y vivait fort retirée. La maison était déserte. Mais, dans un angle du grand salon, au pied d’un canapé, gisait le cadavre de Son Altesse Royale le prince Hermann, frappé d’une balle au cœur.

« La comtesse Leïlof avait disparu.

« Interrogés de nouveau, le garde et sa petite-fille répétèrent qu’ils ne savaient rien, que, rentrés la veille au soir dans le pavillon où ils couchaient et qui est à cent mètres environ du château et à cinquante mètres des écuries, ils n’avaient point quitté leur lit et qu’aucun bruit ne les avait avertis de ce qui s’était passé. Néanmoins, tous deux ont été mis en état d’arrestation.

« Le chef de la police royale vient de se transporter à Orsova pour y procéder à une enquête minutieuse.

« Le plus profond mystère enveloppe cet effroyable événement. Certains indices permettent cependant de croire que le ou les coupables ne se déroberont pas longtemps aux investigations commencées. Mais on comprendra que nous soyons tenus à la plus grande discrétion.

« On n’a pas oser annoncer encore l’affreuse nouvelle à Sa Majesté le roi, qu’une cruelle maladie, jointe à l’extrême vieillesse, retient, comme on sait, dans son palais de Loewenbrunn, où ses infortunés fils l’avaient dernièrement rejoint. »