Les Rochelais à Terre-Neuve/Conclusions


Chez Georges Musset (p. 58-61).

Conclusions


Dès maintenant, par la seule étude des documents qui ont servi de base à cette première partie du mémoire, on peut tirer des conclusions très précises sur la nature des établissements de pêche et des produits de la mer que les pêcheurs capturaient.

Nous avons dit que la poursuite de tous les poissons qui se faisaient rares sur les côtes de France et notamment des baleines, avait entraîné les pêcheurs dans les régions du nord. En fait, la pêche des baleines est l’un des buts ouvertement proposés dans les armements. Les harpons destinés à capturer les cétacés sont d’ailleurs indiqués sur un grand nombre de navires. Nous les avons déjà mentionnés. Le contrat du Jehan de La Rochelle, armé, en 1556, par honorables hommes Jehan Disnematin et Pierre Jouhanneau, bourgeois de la Rochelle, contient à cet égard des détails caractéristiques ; on y voit l’énumération des divers instruments, qu’avec les « ains », c’est-à-dire les hameçons pour les morues, on emportait pour la pêche des cétacés : « Deux grandes lances à tuher baleines, une douzenne de harpons, une douzenne de petites lances, deux douzennes de basions pour emmanscher les arpons ». Pour les marsouins ou porcilles, le même navire contient deux petits harpons. Dans le Saint-Pol-de-Léon, on trouve, comme nous l’avons signalé, des engins dormants destinés à prendre sur les fonds des poissons et des crustacés.

C’est qu’en effet il n’y avait pas, il ne pouvait y avoir de mesure prohibitive. Il ne serait venu à personne, jusqu’à nos jours, l’idée qu’en dehors des poissons royaux des côtes de France, ce qui pouvait être permis ou possible pour certains produits de la mer, fût impossible ou interdit pour d’autres. Aussi désigne-t-on, dans les contrats, sous le terme général de « poissonneries », tout ce que les vaisseaux doivent apporter et apportent effectivement de Terre-Neuve. On trouve en effet, dans le même chargement, de la baleine ou de la porcille, de la morue verte, de la morue séchée, des graisses, des huiles de toutes sortes, des « poissonneries » en un mot.

Il n’y pas de doute notamment que la pêche de la morue ne fût pratiquée alors, comme dans des temps plus rapprochés de nous. La morue se divisait en morue verte, en morue séchée ou parée. La salaison, on disait alors la « saumaison »[1], de la morue verte se faisait vraisemblablement comme aujourd’hui. On trouve la mention des couteaux à décoller et des couteaux à trancher la morue, ce qui prouve que l’on ouvrait le poisson pour le ranger à plat dans la cale. Quant à la façon dont on préparait à terre la morue fumée ou stockfisch, nous avouons que pour le XVIe et le commencement du XVIIe siècle les renseignements nous manquent totalement. Qu’il y ait eu à terre, avant les campagnes de Mons et de Champlain, c’est-à-dire avant 1604, des établissements au moins provisoires, cela n’est pas douteux, puisque les navires arrivent chargés en tout ou en partie, dans des proportions considérables, de morues séchées. Il est même à remarquer que des sécheries s’élevaient sur la côte sud comme sur la côte nord de Terre-Neuve. Dans le règlement fait le 24 juillet 1596 « pour les chais, calles et guabarres du port de La Rochelle », le dépôt de la morue, « poisson paré, paye, par mois, pour celluy du nort, 4 solz, pour celluy du sux, 5 solz. » Puis dans la déclaration du corps de ville de La Rochelle pour les droits de courtage, balisage, etc., du 13 janvier 1601, les navires qui vont à Terre-Neuve doivent le fret du tonneau, liquidé, par l’échevinage, pour ceux qui vont au banc à 4 écus, et pour ceux qui vont à terre à 6 écus. Les établissements à terre étaient donc alors d’un usage courant.



  1. À rapprocher du mot saumâtre. V. Littré, Dictionnaire, à ce mot.