Ch. Delagrave (p. 197-200).

XXXVI

LES PIÉRIDES

On sortit dans le jardin. L’oncle Paul chercha longtemps dans le carré de choux, enfin il trouva ce qu’il voulait.

Paul. — Voici la chenille en question. Elle est d’un vert tendre avec trois lignes longitudinales jaunes. Il faudrait maintenant connaître le papillon. Jules, allez me chercher le filet.

L’oncle avait une grande poche en gaze dont l’ouverture était cousue sur un cercle de gros fil de fer, terminé par un manche qui se fixait au bout d’une longue canne. C’était le filet à papillons. À ses moments perdus, Paul s’en servait pour faire la chasse aux papillons et les détruire avant qu’ils n’eussent pondu leurs œufs sur les plantes du jardin. Autant de papillons détruits, autant de centaines de chenilles de moins. Jules revint avec le filet. La chasse n’amena pas le résultat désiré, mais un autre papillon fut pris, très ressemblant à celui que l’on cherchait.

Paul. — Contentons-nous de celui-ci ; mes chasses précédentes ont, paraît-il, tout détruit, et nous attendrions vainement.

Le papillon que je viens de prendre s’appelle la piéride du chou. Les ailes sont blanches, les supérieures ont l’extrémité noire et deux ou trois taches de la même couleur sur leur milieu.

Émile. — Ce papillon, je le vois voler partout.

Paul. — C’est, en effet, un des plus répandus. Sa chenille est verdâtre. Elle est ornée de petits points noirs et de trois lignes longitudinales jaunes. Elle ne file pas de cocon pour se métamorphoser. La chrysalide est tachetée de jaune et de noir. On la trouve au voisinage des lieux où la chenille a vécu, suspendue aux murailles, aux arbres, d’une façon très ingénieuse. Avant de se dépouiller de sa peau, la chenille bave le peu de liquide à soie dont elle dispose et se colle le bout de la queue contre l’emplacement choisi ; puis elle file une fine ceinture qu’elle se passe en travers du corps et dont elle fixe les extrémités à droite et à gauche sur la pierre du mur ou l’écorce du rameau. Ces préparatifs faits, la chrysalide apparaît, maintenue solidement en place : sa pointe inférieure est collée contre le rameau, sa moitié supérieure repose sur le lien de soie.

Émile. — Sans aucun cocon pour la protéger ?

Paul. — Sans aucune espèce de cocon ; aussi dit-on de cette chrysalide qu’elle est nue.

Beaucoup d’autres chenilles sont dans le même cas : n’ayant à leur usage qu’une pauvre gouttelette de liquide à soie, quantité bien insuffisante pour se faire un cocon, elles se contentent, au moment de la métamorphose, de se coller par la queue et de s’entourer d’une ceinture. Il est à remarquer que les papillons dont les chenilles ne se filent pas de cocon ont tous les antennes très fines et terminées par un renflement subit ou bouton, et qu’ils volent de jour, aux plus vives clartés du soleil. Pour ce dernier motif, on les nomme papillons diurnes. Ceux, au contraire, dont la chrysalide est enfermée dans un cocon, ont les antennes tantôt en forme de panache plumeux, tantôt en forme de fuseau, de massue allongée, tantôt en forme de filament qui s’amincit peu à peu de la base au sommet. En outre, ils volent de préférence au crépuscule du soir et même la nuit. Pour cette raison, on les appelle papillons crépusculaires et papillons nocturnes. Comparez les antennes de la piéride du chou avec celles du bombyx disparate, de la zeuzère, du bombyx livrée, et vous verrez le trait le plus facile à saisir pour distinguer un papillon dont la chrysalide est enfermée dans un cocon.

Jules. — Il n’y a qu’à regarder si les antennes se terminent ou non par un bouton ou renflement subit.

Émile. — Avec le bouton aux antennes, pas de cocon ; sans bouton, un cocon. Ce n’est pas plus difficile.

Paul. — Puisque le plus jeune des trois et le plus étourdi a si bien compris mon explication, je passe outre. Revenons donc au papillon dont la chenille intéresse tant Jules parce qu’elle mange indifféremment choux, navets, raves, capucines et résédas. Ce papillon ressemble à la piéride du chou. Il est pareillement blanc avec des taches noires sur les ailes supérieures, mais un peu moins foncées. Sa taille est d’environ un tiers plus petite. On le nomme piéride de la rave. Pour distinguer ces deux espèces, si voisines par la coloration et vivant toutes les deux aux dépens de la même plante, les jardiniers appellent la première le grand papillon du chou, et la seconde le petit papillon du chou.

Jules. — Mais je le connais, ce papillon ; très souvent j’ai vu les deux espèces ensemble sur les fleurs du jardin. Je les confondais, parce qu’elles diffèrent à peine de couleur. Maintenant je saurai très bien les distinguer. Le plus grand papillon blanc est la piéride du chou ; le plus petit est la piéride de la rave.

Paul. — Il est bien entendu que les mots de rave et de chou employés pour désigner les deux papillons ne veulent pas dire que la chenille de l’un mange exclusivement la rave, et celle de l’autre le chou. C’est tellement vrai qu’on aurait pu sans inconvénient renverser les dénominations, car les chenilles des deux espèces, suivant l’occasion, se tiennent sur le chou, la rave, le navet et d’autres crucifères. Mais enfin fallait-il s’entendre, et l’on a choisi ces deux mots vrais au fond, mais qui pourraient nous tromper si nous les prenions dans un but trop exclusif.

La même observation s’applique à une troisième espèce, la piéride du navet, dont la chenille broute non seulement le feuillage du navet, mais encore de la capucine, du réséda, de la rave, du chou et d’une foule d’autres crucifères. Il est de la grandeur de la piéride de la rave. Ses ailes sont blanches avec des veines verdâtres en dessous. Les supérieures ont en outre des taches noires en dessus. La chenille est un peu veloutée, toute verte, sans lignes longitudinales jaunes.