Ch. Delagrave (p. 5-7).
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II

LA CHENILLE

Le dégât fut raconté à l’oncle, qui, pour les consoler, leur promit un autre lilas tout aussi beau que le premier. Puis, réfléchissant un instant :

Ce n’est pas possible, fit-il, le vent n’a pas été assez fort pour casser un arbuste de cette grosseur ; quelque ravageur a commencé le mal, que le vent de cette nuit a achevé.

Jules. — Un ravageur, un ravageur ?… Mais il n’y a pas dans le village de méchant qui prenne plaisir à faire de la peine aux autres en venant de nuit saccager leur jardin.

Paul. — Je le sais, mon enfant ; aucun ici ne se permettrait une aussi laide action. Le ravageur dont je parle doit être un ver, une chenille. Allons voir le lilas.

L’oncle avait rencontré juste. La tige de l’arbrisseau était percée d’un trou rempli de bois mâché ; et de ce trou partait un conduit tortueux qui paraissait remonter bien haut, presque jusqu’aux branches. Sur tout le trajet de ce long canal, allant tantôt un peu d’ici, tantôt un peu de là, le bois était réduit en une sorte de sciure brune, de sorte que la tige ne tenait guère que par l’écorce.

Jules. — Cela ne m’étonne plus si le vent a cassé mon beau lilas ; voyez, la tige est toute creuse.

Paul. — Aussi l’arbuste n’aurait pas tardé à périr, même sans l’accident de cette nuit. À peine aurait-il eu le temps d’épanouir ses fleurs. Le coup de vent n’a fait qu’accélérer sa perte.

Émile. — Je vois bien le ravage, mais où est le ravageur ?

Paul. — Il est dans sa cachette, tout au fond du conduit.

Et, prenant sa grosse serpette, l’oncle Paul fendit la tige en deux. Un gros ver apparut à l’extrémité du canal bourré de grossiers tampons de sciure. Voilà le coupable, fit l’oncle, et il secoua la tige. Le ver tomba à terre.

Émile. — Fi ! l’affreuse bête, qui tue les lilas !

Émile levait déjà le pied pour écraser la chenille, quand l’oncle l’arrêta.

Paul. — Attendez, mon petit ami. Je vous ai promis un autre lilas. Si vous désirez le conserver longtemps, ne convient-il pas de connaître la chenille qui pourrait un jour ou l’autre le faire périr comme le premier ? ne convient-il pas de savoir l’histoire du détestable ver pour lui faire avantageusement la guerre et débarrasser le jardin de cette engeance ?

Chacun fut de l’avis judicieux de l’oncle. Au lieu d’écraser niaisement la bête, il valait bien mieux l’examiner d’abord pour savoir comment elle est faite, comment elle vit, et comment elle s’introduit dans le bois. On pourrait ainsi plus tard prévenir ou arrêter ses dégâts. Un ennemi dont on connaît les moyens d’action est à demi vaincu. Paul prit donc la chenille et la mit dans le creux de sa main. Les enfants paraissaient étonnés du sans-façon avec lequel l’oncle maniait l’affreuse chenille.



Le Lilas cassé.
Zeuzère du marronnier : Chenille et Papillon.

Jules. — Elle vous mordra, mon oncle.

Émile. — Sans compter qu’elle vous jettera du venin.

Paul. — Vous venez l’un et l’autre de dire une sottise. Mettez-vous bien dans l’esprit qu’aucune chenille, ce qui s’appelle aucune, n’a du venin. On peut les manier toutes sans le moindre inconvénient. J’en excepte quelques-unes hérissées de poils piquants, et encore tout ce qui peut arriver de pire c’est une démangeaison produite par les poils aigus. Quant à me mordre, la pauvre bête est bien loin d’y songer. D’ailleurs que pourrait-elle me faire ? Me pincer un peu la peau, comme le feraient, du bout des ongles, les petits doigts d’Émile. La belle affaire.

Jules. — Cependant on dit que les chenilles font venir du mal quand on les touche.

Paul. — On le dit, il est vrai, mais sans raison aucune. Les neveux de l’oncle Paul ne doivent pas avoir de ces ridicules appréhensions et redouter une chenille inoffensive.

Rassurés par les paroles de l’oncle, Émile et Jules passèrent et repassèrent le doigt sur le dos de la bête. En outre, l’histoire affirme en toute sincérité qu’ils ont depuis manié bien des chenilles pour les examiner de près, et qu’au grand jamais le moindre désagrément n’est résulté de ce contact.

Paul. — Maintenant que vous voilà rassurés, prenons le signalement de la bête. La chenille est de la grosseur d’une forte plume. Sa couleur est d’un jaune pâle, excepté sur la tête et les pattes, qui sont d’un noir luisant. Au premier coup d’œil, on la reconnaît aux petites verrues noires hérissées chacune d’un poil et régulièrement disposées sur toute la surface du dos.

Jules. — Ce signalement n’est pas difficile, je le retiendrai ; et si jamais je rencontre la maudite bête courant à terre, je vous réponds qu’elle n’aura plus envie de ronger les lilas.

Paul. — Vous oubliez, mon petit ami, que ces chenilles ne courent point à terre, qu’elles se tiennent dans l’intérieur du bois, à l’abri de nos regards.

Jules. — C’est juste. Et alors ?

Paul. — Alors, il faut connaître toute leur histoire pour savoir l’époque propice de leur faire la chasse. Je vous apprendrai d’abord que toute chenille devient papillon. Celle que j’ai là, dans la main, serait devenue un magnifique papillon blanc, tigré de taches bleues, si elle était restée quelques mois encore dans la tige du lilas.

Émile. — Oncle Paul, je vous en prie, remettez la bête dans le bois sans lui faire du mal ; comme cela nous verrons tous le beau papillon.

Paul. — Ce serait imprudence, nos arbres pourraient en souffrir. Nous la déposerons provisoirement dans un verre, car je veux vous montrer sa structure avec plus de détail. Quant au papillon, je l’ai dans ma boîte à insectes ; vous le verrez demain.