Les Questions politiques et sociales
Revue des Deux Mondes, Nouvelle périodetome 6 (p. 1033-1054).
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LES QUESTIONS


POLITIQUES ET SOCIALES.




III.

D'UN SOCIALISME OFFICIEL AU CONSEIL DE L'AGRICULTURE, DU COMMERCE ET DES MANUFACTURES.


CE QU'AURAIT PU ÊTRE LE CONSEIL.




Voici pourquoi je fais entrer à cette place le conseil général de l’agriculture, des manufactures et du commerce dans le cercle de ces études. Parmi les manifestations que le gouvernement a faites de ses idées et de ses plans, j’en ai cherché quelqu’une qui, par sa nature, dût offrir de l’ampleur et de la diversité, et sur laquelle les passions politiques, qui empoisonnent tout ce qu’elles touchent, n’eussent eu aucune= prise. La session à peine close du conseil général de l’agriculture et du commerce satisfait à ces conditions : ce n’était rien moins que l’assemblée des états-généraux de l’industrie française, et il est notoire que l’administration a eu la bonne fortune de n’y être aucunement gênée par l’esprit de parti ; il ne tenait qu’à elle d’y développer à l’aise ses tendances et le sentiment qu’elle a de la situation. C’est donc une excellente occasion pour constater si ceux qui nous conduisent ont dans la main le fil qui mène hors du labyrinthe dans les détours duquel nous sommes égarés.

Au sujet de la session du conseil général, on a remarqué déjà la parfaite indifférence avec laquelle cette solennité a été accueillie. Le conseil général a délibéré sur un grand nombre de sujets sans que le public y prît garde. On a prolongé d’une semaine la session qui primitivement avait été fixée à un mois, le public a prolongé, son inattention, et, quand on s’est séparé comblé des bénédictions ministérielles, il ne s’en est pas inquiété davantage. Et pourtant, parmi les personnes qui siégeaient dans le conseil général, on comptait beaucoup de notabilités : les deux cent quarante membres qui le composaient sont des personnes toutes plus ou moins considérables, et l’importance des intérêts qu’ils avaient derrière eux est au-dessus de toute contestation. D’où a pu venir tant de froideur ?

Pour que des discussions offrent de l’attrait en ce moment, il faut qu’elles aient une relation directe et intime avec la question politique et sociale qui agite le pays, à laquelle tout se subordonne, de même qu’en pleine mer, sur un navire où une voie d’eau s’est déclarée, on n’a de sollicitude que pour le jeu des pompes, ou pour la manœuvre des charpentiers qui s’évertuent à découvrir et à boucher la fatale ouverture. Cet intérêt a manqué aux délibérations du conseil général. Est-ce la faute de l’institution même ? Non. L’industrie, — et par là j’entends l’ensemble des arts représentés dans le conseil général, l’agriculture, les manufactures, le commerce, — est appelée à coopérer puissamment à l’œuvre de la pacification sociale. C’est de ses mains que la société reçoit à chaque instant le fonds de richesses sur lequel elle subsiste : donc il lui appartient de concourir à guérir graduellement, autant qu’il est possible, la lèpre de la misère. C’est à titre de soldats dans l’armée industrielle que les ouvriers, tant des campagnes que des villes, sont en rapport quotidien avec les classes de la société qui dirigent les ateliers ou qui possèdent la terre : donc, pour rapprocher et pour confondre en un seul les deux camps entre lesquels la société française est divisée, il y a beaucoup à attendre de l’action des lois et des mœurs dans leurs rapports avec l’industrie.

Si ce n’est pas à l’institution même qu’il faut s’en prendre de l’insignifiance de cette session, est-ce aux membres dont le conseil général était composé ? Il serait injuste de le leur imputer. Ils n’avaient pas préparé eux-mêmes le programme de leurs délibérations ; ils l’ont reçu et s’y sont conformés. Dans ces temps où il est de mode de contester amèrement à l’autorité ses attributions les plus naturelles, les membres du conseil général ont eu à cœur de suivre fidèlement la ligne qui leur avait été tracée d’en haut. Cette discipline est de bon goût et de bon exemple.

Je le dis donc à regret : c’est l’administration qui s’est trompée en livrant au conseil général toute autre chose que des questions sur lesquelles ses débats pussent apprendre quelque chose de neuf aux pouvoirs de l’état et au public, et qui se rapportassent franchement aux embarras de la situation.

À quels signes reconnaît-on les sujets sur lesquels il y a lieu de consulter une assemblée de ce genre ? Le conseil général ne fait pas de loi : il fournit des renseignemens à ceux qui ont charge d’en faire. Donc, pour qu’un sujet lui soit déféré, il faut que ce soit une question, c’est-à-dire une matière peu explorée encore. Du choc des opinions qui alors se produisent et se heurtent dans le sein du conseil général jaillissent pour l’administration les élémens de la solution, je veux dire d’un projet de loi. Nos voisins les Anglais, pour débrouiller les questions et fournir au débat public une base certaine, ont un mécanisme qui fonctionne fort bien, celui des enquêtes parlementaires. Investies d’une haute prérogative par le fait de la délégation émanée de l’une ou de l’autre chambre, les commissions d’enquête font venir qui leur plaît[1], l’interrogent comme elles le veulent, l’obligent à répondre catégoriquement, et celui qui leur aurait menti encourrait la rigueur des lois. Quand elles se jugent suffisamment éclairées, elles font un rapport, et la question passe ainsi à l’état de projet de loi. Chez nous, après avoir essayé des enquêtes qu’on entendait tout autrement que les Anglais[2], on a cru devoir y renoncer, et alors les conseils généraux de l’industrie, qui dataient d’un certain nombre d’années déjà, mais dont l’existence restait obscure, furent mis en œuvre avec un certain éclat. Ils n’ont de sens que si l’on veut qu’ils tiennent lieu des enquêtes à l’anglaise pour toutes les questions qui ont trait à l’activité industrielle du pays. Il ne peut rien en sortir d’utile que si on leur donne cette destination ; mais, conçus et maniés dans ce but, ils peuvent rendre de grands services[3].

Il ressort de là qu’il n’y a lieu de consulter le conseil général qu’autant qu’il s’agirait de sujets qui seraient à l’étude, bien entendu qu’ils devraient avoir une certaine gravité : on n’a pas le droit de déplacer pour des minuties deux cent quarante personnes dont le temps est précieux et qu’on ne peut enlever à leurs travaux accoutumés sans préjudice pour la chose publique. Quand au contraire le sujet a été lentement élaboré par la machine administrative et par de longues discussions publiques, non-seulement dans la presse, qui n’accorde pas aux affaires proprement dites la sollicitude qu’elles méritent, mais dans les conseils généraux des départemens, dans les chambres de commerce, dans les conseils spéciaux du gouvernement, à la tribune des assemblées politiques ; quand par cette filière il est passé déjà à l’état de projet de loi, il ne convient pas d’en saisir le conseil général, à moins qu’il ne se soit produit quelque fait nouveau considérable, de force à modifier.tes idées précédemment acquises. Hormis ce cas, en effet, l’enquête est close dans la pensée de l’administration elle-même ; si elle ne l’était pas, l’administration n’aurait pas fait de projet de loi.

Si, partant de là, on passe en revue les propositions qui ont comparu au conseil général, on aura de la peine à en trouver quelques-unes qui y fussent à leur place. Toutes celles qui méritent qu’on les nomme étaient déjà à l’état de projet de loi. La question des sucres, au sujet de laquelle on proposait avec raison au conseil de diminuer le droit en général et de réduire la surtaxe sur le sucre étranger, avait été étudiée et élucidée de vingt façons ; elle est résolue par l’expérience anglaise. Nos commissions parlementaires et administratives avaient déclaré qu’il fallait procéder de cette manière ; la commission des douanes de la chambre des députés l’avait dit en 1847. Dans l’assemblée nationale actuelle, la commission chargée d’examiner la proposition émanée de l’initiative individuelle de MM. Levavasseur et Desjobert avait, dans un bon rapport (par M. Chegaray), antérieurement à la réunion du conseil général, formellement signalé, comme la seule voie qu’on pût suivre, le dégrèvement et la réduction de la surtaxe. L’administration elle-même, avant ce rapport, avait livré au conseil d’état son projet de loi. La question des caisses de secours et des caisses de retraite avait été portée plus avant : le gouvernement en avait saisi l’assemblée par un projet de loi ; l’assemblée elle-même s’en était saisie directement ; un rapport, deux rapports avaient été présentés par une commission ad hoc ; l’assemblée enfin en avait délibéré régulièrement. Au point d’avancement où étaient ces questions, demander que le conseil général s’en expliquât, c’était ou l’inciter à une manifestation pour le moins superflue contre l’assemblée et le conseil d’état, ou quêter une approbation tardive et sans but.

Il était de même bien tard pour le crédit foncier. Le conseil général, pendant ses sessions précédentes, en avait disserté à satiété. Les deux chambres sous la monarchie, la presse, les conseils généraux des départemens, les cours de justice extraordinairement interrogées à cet effet, les congrès agricoles et je ne sais combien d’autres réunions encore en ont fait retentir les airs. Tout a été dit là-dessus. La question du crédit foncier se subdivise en deux, celle de la réforme hypothécaire et celle de la constitution de sociétés spéciales de crédit. Sur le premier point, après vingt années de discussions, tout le monde à peu près est d’accord. Une loi a été préparée en dernier lieu par une commission, le conseil d’état en a délibéré, une commission de l’assemblée nationale s’y est appliquée aussi. C’était donc sorti du domaine du conseil général. Reste la seconde affaire, celle d’associations spéciales de crédit, dont la principale utilité serait d’échelonner sur une longue série d’années le remboursement des sommes avancées aux propriétaires, par le moyen d’annuités dans lesquelles serait compris un amortissement. Ces sociétés seraient formées, soit de propriétaires se présentant en bloc au public prêteur pour lui inspirer plus de sécurité par leur masse, soit de capitalistes allant, réunis, chercher au contraire les propriétaires individuellement. L’une et l’autre de ces combinaisons a été recommandée, l’une et l’autre peut s’employer. L’Allemagne et la Pologne offrent des modèles de la première : la caisse hypothécaire est un exemple de la seconde[4]. À l’égard de ces sociétés, les discussions et les dissertations ne s’étaient pas moins éternisées que sur les hypothèques. Le débat à la fin s’est resserré, parce que, les nuages s’étant éclaircis, on a vu le point de la difficulté. De deux choses l’une : ou l’on veut que ces sociétés soient conformes au droit commun, et alors il n’y avait pas lieu à en occuper le conseil général ; une fois le régime hypothécaire corrigé, il n’y aura plus qu’à laisser faire les propriétaires qui seraient portés à s’associer, et les capitalistes, qui considèrent justement la terre comme le meilleur gage que puisse avoir une créance ; ou au contraire l’on entend que, par une dérogation expresse au droit commun, elles soient investies de pouvoirs exceptionnels et sommaires envers les propriétaires débiteurs qui ne serviraient pas les intérêts échus, et alors la question est de l’ordre essentiellement politique : il ne s’agit plus que de savoir s’il peut et s’il doit y avoir deux droits dans l’état. C’est donc aux assemblées politiques, au conseil d’état, et surtout au corps législatif, qu’il appartient de la traiter et de la résoudre. Une réunion de chefs d’industrie convoqués à ce titre n’est pas compétente.

À cette catégorie de questions qu’il n’y avait plus lieu de déférer an conseil général, je pourrais joindre celle du régime douanier de l’Algérie. Le gouvernement en avait déjà[5] saisi le conseil d’état. L’assemblée nationale, de son côté, avait nommé une commission, et celle-ci, six semaines avant la réunion du conseil général[6], avait fait un rapport dont les termes étaient concertés avec le gouvernement. Donc les idées du gouvernement sur ce sujet étaient parfaitement fixées[7]. Consulter le conseil général en pareil cas, c’était manquer d’égards pour la commission parlementaire à laquelle on a fait connaître son opinion et donné sa parole, ou c’était réserver un mauvais procédé au conseil général dans le cas où il ne calquerait pas son avis sur l’opinion du gouvernement.

Dans quelques-uns des cas qui précèdent, il y aurait eu cependant une manière de rajeunir le débat. Au sujet des caisses de secours, le gouvernement s’est trouvé en désaccord avec la commission de l’assemblée sur une disposition intéressante. Il voulait provoquer et organiser la participation des classes aisées à ces caisses. Sans y être opposée, la commission parlementaire, à laquelle, dans une première délibération, l’assemblée a donné raison, veut qu’on passe cette participation sous silence. Les beaux résultats qui ont été obtenus à Grenoble[8] par le concert des gens aisés et des ouvriers, et dans beaucoup de grands établissemens par la coopération des chefs, autorisaient le gouvernement à insister. C’est une affaire où les mœurs peuvent plus que la loi, mais il n’est pas prouvé que la loi et les exhortations de l’autorité n’aient rien à y voir. On eût donc compris que le gouvernement demandât à un corps où les chefs d’industrie, bons juges de la matière, étaient nombreux, de prendre le rôle d’arbitres officieux entre l’assemblée et lui, ou encore qu’il adressât aux membres du conseil général une recommandation pressante, afin que chacun d’eux, dans le cercle de son influence, s’efforçât d’imprimer aux caisses de secours ce caractère mixte, condition de la pleine efficacité de l’institution, garantie de meilleurs rapports entre les patrons et les ouvriers. À l’égard des caisses de retraite, le projet de loi statue sur une caisse générale à organiser par l’état pour la France entière ; c’est répondre à un besoin réel. Il ne faut pourtant pas que la caisse générale exclue la fondation de caisses locales qui s’appliqueraient à un certain nombre de fabriques similaires réunies dans une même ville ou dans un certain rayon, qui même se restreindraient à quelque établissement unique d’une importance exceptionnelle. À l’époque où le conseil général s’est réuni, le Moniteur a publié les statuts que, sur la proposition de l’administration, venait d’approuver le conseil d’état, d’une caisse de retraite spéciale fondée à Lyon pour l’industrie des soieries, sous les auspices de la chambre de commerce, et liée à une société de secours mutuels dont le plan est remarquable. Depuis quelques années, dans quelques-unes de nos grandes fabriques des caisses particulières pour les retraites avaient été créées avec le concours des patrons[9]. Donner aux caisses de retraite le caractère local ou municipal, c’est rendre plus d’un service à la chose publique : d’abord, c’est exciter l’esprit municipal, seul contrepoids possible aux inconvéniens d’une centralisation excessive, contre laquelle l’opinion réagit en ce moment. En second lieu, c’est consolider les caisses de retraite, c’est leur faire jeter dans les mœurs des racines profondes. Enfin c’est leur ménager des ressources plus abondantes. Le conseil municipal et la chambre de commerce de Lyon peuvent accorder un subside à une institution lyonnaise ; un particulier de Lyon peut la doter d’une somme ou lui laisser un legs. La ville, la chambre de commerce et le particulier ne donneront rien à une institution générale étendue sur toute la France ; le bien qu’ils voudraient faire à leurs concitoyens immédiats n’irait pas à son adresse. Dans les caisses de retraite qui seraient affectées à un établissement seul ou à un groupe peu nombreux d’établissemens similaires, la retenue obligatoire, qu’on a écartée avec raison de la loi sur la caisse générale, devient praticable comme conséquence d’une convention librement acceptée par l’ouvrier à son entrée, et cet article du contrat aurait presque toujours pour pendant une subvention du chef d’industrie à la caisse. De cette manière, le nombre des ouvriers affiliés à des caisses de retraite serait plus grand, et les caisses feraient plus de recettes. La seule difficulté que soulèvent les caisses locales, à l’usage d’une seule fabrique ou d’un petit groupe, est relative au bon aménagement des fonds ; mais ce n’est pas insurmontable. Supposons que l’administration eût ouvert au sein du conseil général un débat sur la question de savoir ce que la loi et l’autorité agissant officieusement pourraient faire pour éveiller le zèle, en ce moment fort somnolent, des chefs d’industrie et des classes aisées en général en faveur des caisses de secours, ou qu’il l’eût engagé à délibérer sur le mode de surveillance qui pourrait être appliqué aux caisses de retraite spéciales : une discussion circonscrite dans ce cercle aurait pu fournir les élémens de deux lois complémentaires de celles qui paraissent devoir être prochainement votées par l’assemblée, et qui sont bonnes. On n’a fait rien de pareil.

Poursuivons l’énumération. Était-ce bien la question de l’assiette du droit sur le bétail étranger qu’il y avait à traduire devant le conseil général ? Je croirais que non. L’administration s’est bornée à demander s’il convenait que le droit par tête fût remplacé par un droit au poids. La question est résolue depuis long-temps pour les gens de bon sens. Voilà quinze ans qu’on la discute, et il y a plusieurs années que les villes ont ce nouveau mode de perception. Envers l’étranger, un traité l’a mis en activité depuis quatre ans sur une de nos frontières, celle du piémont. À moins de supposer que le conseil général, dans sa session d’un mois, aurait du temps à perdre, il ne fallait donc pas le provoquer à en délibérer. Il y avait une bien autre question à poser au conseil général à l’occasion de cette rareté de la viande que l’administration signale et déplore sans prendre de parti.

Que dire d’un flot de propositions subalternes qui sont les unes du pur détail administratif, les autres de nature à être tranchées en un clin d’œil par le chef de bureau du tarif, comme celle de savoir si les soies grèges ou moulinées que produit notre sol devront continuer de supporter, par une exception presque unique au milieu de toutes nos productions, la rigueur d’un droit de sortie ? Le droit sur les soies à la sortie est, dans notre législation douanière, une anomalie sans motif, une injustice sans excuse.

Dans la série des questions déférées au conseil général, on en peut remarquer une qui était incontestablement de sa compétence, et qui d’ailleurs, par ses proportions, était digne de l’occuper, celle de la durée de la journée des ouvriers, à laquelle on a rattaché celle du travail des dimanches. Sans contredit, en termes généraux, c’est une affaire d’intérêt populaire. Jusqu’à quel point cependant était-il urgent de la faire discuter ? Ici il faut distinguer. Et d’abord pour les adultes. Les novateurs du gouvernement provisoire d’un trait de plume avaient fixé la journée à dix heures pour Paris et onze pour les départemens, comme si la force musculaire n’était pas la même ici et là. À cette fixation boiteuse le décret du 5 septembre 1848 a substitué la longueur uniforme de douze heures. C’est l’usage à peu près général, et ainsi le règlement actuel n’a rien d’offensif. Les ouvriers non plus que les patrons ne s’en montrent aucunement préoccupés. Ainsi rien ne pressait. Or, quand on réunit une assemblée pour un mois, il ne faut lui apporter que ce qui presse. Si l’on voulait remettre la question sur le tapis, ce n’aurait dû être que pour s’informer si la liberté en pareil cas ne serait pas préférable aux restrictions. Presque partout aujourd’hui les ouvriers travaillent à façon et non à la journée ; c’est donc l’ouvrier qu’on gêne par une fixation absolue de la journée plutôt que le chef d’industrie. On ne devrait pas perdre de vue que, sous le régime du travail à façon et même sous celui du travail à la journée, réduire par la loi la durée du travail équivaut à réduire les salaires. À moins d’une forte compression exercée sur la société, ce qui ne peut avoir qu’un temps, l’un entraîne nécessairement l’autre.

Le travail des enfans appelle une protection plus particulière. L’humanité gémit de voir des êtres trop faibles jetés dans les ateliers ; malheureusement c’est une affaire de nécessité pour les familles pauvres. L’ouvrier fait travailler son fils en bas âge, parce qu’il a besoin que cette petite créature, qui dépense dans la maison, y apporte quelque chose. Entraver les ouvriers en cela, ce n’est pas seulement les mécontenter ; c’est, dans beaucoup de cas, augmenter la détresse des familles nombreuses. Il n’y a pas deux moyens d’empêcher bien effectivement les enfans d’entrer trop tôt dans les ateliers, et les femmes, comme au surplus les adultes eux-mêmes, d’y faire de trop longues journées ; il n’y en a qu’un : c’est d’augmenter l’aisance générale de la société, d’y multiplier le capital, qui est le fonds sur lequel les ouvriers de toute espèce sont rétribués, et ceci ne s’opère pas du jour au lendemain par la vertu d’un peu de grimoire inscrit au Bulletin des Lois ; c’est l’œuvre d’une politique intelligente et sage, soutenue pendant une suite d’années et assistée du concours de toutes les classes du public. Quand le législateur prend des mesures restrictives au sujet du travail des enfans ou des femmes, il doit y procéder avec beaucoup de réserve, de peur qu’en voulant faire du bien, il ne fasse tout le contraire. Présentement, le mieux serait de se borner à rendre plus efficace la surveillance instituée par la loi de 1841, et à tenir la main, conformément à l’esprit de cette loi, à ce que les ateliers soient salubres, à ce que la morale enfin n’ait plus à souffrir de la confusion des deux sexes. C’est demandé depuis long-temps. Les deux chambres, sous la monarchie, avaient retenti de réclamations à ce sujet : il n’était pas besoin de l’approbation du conseil général pour qu’une proposition législative dans ce sens se présentât avec une autorité suffisante.

Au sujet de cette question complexe concernant le travail, l’administration n’a pas eu suffisamment conscience des limites dans lesquelles la puissance de la loi peut s’exercer. La loi est impuissante, et ses efforts échouent quand elle va contre les nécessités sociales et qu’elle tait abstraction des mœurs.

Il appartient cependant à la loi d’agir dans de certains cas où les mœurs sont sans vertu ; elle leur vient en aide alors plus qu’elle ne les contrarie. C’est ainsi qu’il était convenable, comme l’administration l’a proposé, de soumettre à des restrictions le travail des dimanches et des jours fériés : ces jours-là, il ne devrait pas se faire de travaux ostensibles ; les entrepreneurs de travaux publics exécutés pour le compte de l’état ou subventionnés par lui devraient, moins que tous autres, laisser leurs ateliers ouverts, de même les boutiques devraient être fermées, sauf quelques exceptions reconnues indispensables. Les mœurs n’ont pas la force de mettre fin à l’abus qui s’est introduit chez nous, quoique ce soit la violation des règles de l’hygiène, une insulte aux traditions les plus respectables, les plus antiques et les plus universelles du genre humain ; qu’à défaut des mœurs la loi intervienne. Par une bizarrerie qu’on ne s’expliqué pas, l’administration a molli au lieu d’avoir une volonté ferme quant à l’ouverture des boutiques le dimanche, et le conseil général, à son exemple, s’est effacé[10].

La nomenclature donnée ici des questions soumises au conseil général serait trop incomplète, si je n’en signalais deux autres qui se recommandent par leur étendue, celle du régime des eaux et celle des voies de communication. Elles sont très complexes, et, pour être traitées comme il le faut, elles auraient absorbé toute la durée de la session. Elles requièrent, en législation et en administration, des connaissances auxquelles beaucoup de membres du conseil général étaient étrangers, quelque distingués qu’ils fussent d’ailleurs. Ce n’est pas précisément de cela qu’on s’entretient quand la maison brûle, et voici qui le montre bien : le conseil général n’a pas mis ces questions en délibération[11].

Il faut aussi nommer une question, celle des marques de fabrique, qui avait déjà traversé le conseil général lors de sa session de 1846 et a été depuis l’objet d’un projet de loi. On en avait fait grand bruit à l’origine ; mais les discussions raisonnées qui s’étaient succédé l’avaient extrêmement amoindrie. Maigre elle était entrée cette fois au conseil général, plus maigre elle en est sortie. C’est ainsi qu’une pièce de fer de qualité équivoque, lorsqu’on la forge à plusieurs reprises, se réduit presque à rien. On en est venu à déclarer qu’il ne fallait que des marques facultatives, sauf un petit nombre d’exceptions, et, quand on a eu à déterminer les cas exceptionnels, on a renvoyé au conseil d’état, ce qui est une façon de renvoyer aux calendes grecques, car le conseil d’état s’excusera avec toute raison en disant que, s’il est une assemblée qui puisse, en connaissance de cause, énumérer les branches de l’industrie auxquelles il convient d’appliquer cette surveillance obligatoire et signaler les moyens matériels de l’exercer, c’est évidemment le conseil, général, qui représente l’industrie française.

En résumé, on avait mal taillé au conseil général sa besogne. On lui avait jeté une avalanche de sujets, mais de cette multitude si l’on retranche : 1o ceux sur lesquels il avait cessé d’être nécessaire que le conseil discutât, parce qu’ils avaient été préalablement portés à un état d’instruction qui était suffisant et jugé tel par l’administration ; 2o les affaires relativement oiseuses ou inopportunes, faute d’avoir un lien assez direct avec les embarras de la situation ; 3o les menus détails que les bureaux pouvaient, sans outrecuidance aucune, se réserver, il ne reste à peu près rien. Voilà pourquoi la session n’a été qu’un avortement.

Il me reste à examiner l’esprit général des documens distribués au conseil par l’administration et des solutions par elle indiquées.

La plupart des intelligences aujourd’hui ont un faible plus ou moins avoué pour de certaines doctrines bien peu dignes d’un pareil succès. Nous sommes enclins à nous exagérer extrêmement les pouvoirs légitimes de l’état, et à vouloir qu’une foule d’actes au sujet desquels l’autorité et la loi devraient s’en remettre à notre libre arbitre ou à notre appréciation mutuelle de la justice soient l’objet de règlemens impératifs qui nous lient les mains. Nous ne croyons plus à la Providence qui veille du haut des cieux ; mais, à sa place, nous avons inauguré une abstraction que chacun arrange un peu à sa guise, comme les Indiens leur Manitou. C’est l’état. Individuellement et en masse, nous attendons de l’état notre prospérité, notre existence. Il faut qu’il procure des commandes à celui-ci qui est manufacturier, qu’il occupe les bras de celui-là qui est un simple ouvrier, qu’il donne une place à ce troisième qui a reçu de l’éducation, mais n’a pas de rentes dont il puisse vivre. Il faut que ce soit l’état qui répare le dommage quand nous en avons éprouvé. Nous déposons à ses pieds toute dignité, toute indépendance. Les intérêts particuliers sollicitent de lui des lois pour changer à leur profit, même au détriment de la société, le cours naturel des choses, pour modifier les relations naturelles des classes et des individus,’, c’est-à-dire qu’on lui demande ouvertement l’injustice, comme si elle était permise au législateur. « Les lois, a dit Montesquieu, sont les rapports nécessaires qui dérivent de la nature des choses. » Nous admirons cette formule, fort belle en effet, qui montre que la législation a un type certain, l’éternelle justice, mais nous n’en tenons compte. Quelle attitude pour une nation qui, pendant un demi-siècle, avait tant exalté la liberté aux yeux des autres, et qui fait profession extérieure d’idolâtrer la justice !

Et, contradiction bizarre, pendant que cette abstraction de l’état reçoit nos hommages les plus serviles, le gouvernement, dès qu’il se personnifie en quelqu’un, roi de quelque branche que ce soit, ou président, est l’objet de notre méfiance, le plastron de nos insultes. Nous ne pouvons rien supporter de lui ; nous ne lui avons aucune reconnaissance pour le bien qu’il fait, et nous lui imputons sans vergogne le mal qu’il ne fait pas.

Ce penchant à s’aplatir devant l’état, cette disposition à lui immoler la liberté et à se faire réglementer à outrance, cette manie de demander à l’autorité de faire les affaires de chacun aux dépens de la société, au mépris de la justice, je prie qu’on dise ce que c’est, sinon le fonds commun des systèmes socialistes. Le socialisme n’est pas, comme le prétendent ses sectateurs, la doctrine de ceux qui ont à cœur les intérêts populaires. Les socialistes réclament en faveur de cette cause sacrée, ils en parlent beaucoup plus que d’autres, et en dehors d’eux on en parle trop peu ; mais il ne suffit pas d’en parler pour la bien servir. Leurs intentions sont excellentes, soit ; mais leurs spécifiques sont des breuvages empoisonnés. Le socialisme n’est pas davantage l’opinion de ceux qui, persuadés que la société n’est pas au terme de ses perfectionnemens, appellent des réformes. Tous ceux qui acceptent le nom de socialistes sont des réformateurs ; mais tout partisan même prononcé de réformes même immédiates n’est pas socialiste. L’essence du socialisme, et c’est en cela que résident son erreur et son tort, est de croire que l’état doit absorber tout, qu’il est responsable de tout, que l’individu en présence de l’état n’a pas plus de responsabilité que l’automate entre les mains de Vaucanson, que l’état ou telle coterie qui le personnifiera (car il faut bien qu’il soit représenté par quelqu’un) peut jeter au travers des divers intérêts privés, pour leur faire à chacun sa part, sa volonté ou son caprice sous le manteau usurpé de la loi, et que cela devient aussitôt la justice. En un mot, ce qu’on nomme le socialisme est l’abdication de la liberté, le renversement de la justice, et le socialiste est l’homme qui ne sait pas, ou qui ne veut pas, ou qui ne peut pas être libre ni être juste. Nos socialistes se croient tout différens de ce portrait, ils en sont l’original même. Qu’ils veuillent bien se palper attentivement, ils finiront par s’y reconnaître. Cependant les socialistes en titre ne sont pas les seuls dont les lignes que je viens de tracer offrent la fidèle image, ni les seuls par conséquent qui méritent de porter ce nom. Tenons-le pour certain, celui-là, au fond, est un socialiste, sous quelque drapeau qu’il affecte de se ranger, qui professe des opinions d’après lesquelles le progrès de la société devrait se chercher systématiquement en dehors des voies de la liberté et de la justice, dans l’accaparement par l’état d’attributions indéfinies et dans l’immixtion arbitraire du législateur parmi les relations des citoyens entre eux. À ce compte, il faut en convenir, le socialisme est une gangrène dont la société française est profondément atteinte. Et puis l’on s’étonne de ce que chaque jour les sectes socialistes gagnent ostensiblement du terrain dans notre malheureuse patrie ! Ces conquêtes ne sont que la constatation d’un mal qui préexistait. Ce sont des gens qui reconnaissent leur drapeau et qui vont s’y ranger.

Nous sommes voués au socialisme, parce que nous ne savons pas ou nous ne voulons pas être libres, nous ne savons pas ou nous ne voulons pas être justes. Il est impossible que nous échappions aux périls qui nous étreignent, à moins que nous ne prenions pour guides la justice et la liberté, et j’espère qu’on ne me fera pas de querelle pour penser ainsi, malgré le peu de vogue dont la liberté jouit aujourd’hui, si l’on veut bien remarquer que l’ordre véritable, celui qui dure, est impliqué dans la liberté, car la bonne définition de l’ordre consiste à dire, avec un contemporain illustre, que c’est la liberté collective de la société, comme au surplus on pourrait dire que la justice est la liberté réciproque.

Les sophismes socialistes se sont infiltrés dans les doctrines de l’administration elle-même ; ses communications au conseil général en fournissent la preuve.

Le reproche est grave, dira le lecteur. Sans doute ; mais est-il fondé ? Est-il vrai que dans plusieurs des propositions du gouvernement au conseil général perçaient les idées fausses qui sont au fond du socialisme, qui en forment le vice radical, indélébile, à savoir : l’absorption par l’état d’attributions qui, dans toute société libre, doivent rester livrées aux individus sous leur responsabilité, et la substitution de la volonté arbitraire de l’état à la justice, de sa partialité à des droits égaux pour tous ?

Qu’on prenne par exemple la série des propositions subalternes concernant la culture du lin, l’élève des vers à soie, les concours pour les races de bestiaux. Voici le gouvernement qui se laisse dire et qui se persuade qu’il est la providence de laquelle il dépend d’améliorer ces branches de l’agriculture. Quoi ! vous en êtes à ne pas comprendre que, pour tous ces soins, il faut s’en remettre à l’intelligence des cultivateurs, au désir qu’ils ont d’augmenter leur revenu et leur bien-être en travaillant ! Quelle opinion avez-vous donc de l’intelligence du peuple français, de son activité, de son esprit de conduite, de son aptitude à la plus élémentaire des libertés, celle qui consiste à faire son métier soi-même ? Que le gouvernement, si ses agens extérieurs lui envoient des renseignemens inconnus sur la culture du lin, ou lui signalent une espèce particulière de ver à soie, transmette au public ces informations ; qu’il donne ordre à ses ambassadeurs et à ses consuls de faciliter les citoyens français qui iraient s’enquérir de ces nouveautés à l’étranger, aux commandans de ses stations navales, s’il s’agit de pays lointains, de les assister, rien de mieux ; qu’il contribue des deniers des contribuables à fonder quelques prix, c’est-à-dire des récompenses principalement honorifiques, pour les solennités agricoles, passe encore ; seulement il sera permis de penser qu’il était superflu d’en faire délibérer un nombreux conseil général composé d’hommes sérieux, tous justement impatiens de retourner à leurs affaires. Mais ériger de pareils détails en affaires d’état, mais imposer à l’état, qui a déjà assez de soucis, la responsabilité des méthodes employées par les particuliers pour la culture du lin, ou celle de choisir la graine des vers à soie, c’est se méprendre et c’est égarer l’opinion ; mais concevoir le dessein de provoquer le perfectionnement des races de bétail par le moyen de faveurs pécuniaires distribuées çà et là, et y consacrer l’argent péniblement fourni par les contribuables, c’est abusif. La récompense des efforts intelligens des agriculteurs comme celle des hommes de toute autre profession est dans le prix qu’ils retirent de leurs produits ; si, par-delà cette rémunération naturelle, ils doivent être payés par l’état, je ne vois pas pourquoi des primes tirées du trésor public ne seraient pas décernées de même aux fabricans de toute espèce qui fabriquent bien, aux médecins qui guérissent leurs malades, aux avocats qui gagnent leurs procès, aux peintres qui font de bons tableaux, aux ouvriers qui gagnent les meilleurs salaires en forgeant, en tissant, en filant. Avec ce système, l’état videra sa bourse, c’est-à-dire celle des contribuables, dans la main des hommes qui réussissent. Il la videra aussi dans la main de ceux qui ne réussissent pas, parce qu’ils s’adresseront à lui en lui dépeignant leur détresse, comme à la mère commune, l’alma mater. De proche en proche, on ferait ainsi de nous une société où tout le monde serait pensionnaire de l’état, où personne ne voudrait plus porter le fardeau de ses propres besoins, un peuple de mendians et d’esclaves.

On trouve un indice prononcé de cette même tendance dans le projet concernant le crédit foncier. Un homme fort honorable, agriculteur d’une grande expérience, avait préparé en 1848, pendant qu’il était ministre de l’agriculture, une loi en vertu de laquelle une somme de dix millions eût été puisée dans le trésor pour être répartie en avances à l’agriculture. Imposer le public en masse pour fournir des capitaux à une partie de ce même public, c’était étendre outre mesure les attributions de l’état, et c’était contraire à la justice, car il n’est pas plus juste d’imposer les populations manufacturières pour procurer des capitaux aux agriculteurs qu’il ne le serait d’ajouter aux centimes additionnels dont se plaint l’agriculture pour fournir des capitaux aux manufacturiers. L’honorable auteur du projet ne s’étant pas aperçu qu’il se laissait ainsi aller sur le terrain du socialisme, l’assemblée constituante fut plus avisée, et le projet n’eut pas de suite. La même pensée revient, modifiée, en 1850, par une clause d’un projet de loi recommandé aux conseils. Il y est dit (article 4) : L’état et le département garantissent, chacun jusqu’à concurrence d’un tiers, le paiement des obligations (émises par les banques foncières) en capital et intérêts. Voilà donc l’état (et le département en outre) chargé de cautionner les banques. C’est une réminiscence des séances du Luxembourg en mars et avril 1848.

Signalons encore l’esprit dans lequel l’administration entendait accélérer l’amélioration de la race chevaline. Les étalons officiels ne sont pas sous la main de tous les propriétaires de jumens, ou ne sont pas toujours au goût de ceux-ci, qui ont des raisons d’eux connues pour en préférer d’autres, et qui s’attachent quelquefois à des bêtes sans mérite. Ils y trouvent en somme plus d’avantage, et cela leur suffit. L’administration s’est courroucée contre un certain nombre d’éleveurs qui comprennent leurs intérêts autrement qu’elle ne le voudrait, et elle avait conçu un système d’après lequel le propriétaire d’un étalon, avant de le faire fonctionner, aurait eu à le faire approuver par l’autorité, qui l’aurait marqué de la lettre A au sabot du pied droit. C’eût été ordonné sous peine d’amende, laquelle amende eût été doublée en cas de récidive non-seulement du cheval, mais du propriétaire. C’était déjà peu respectueux pour la propriété : si j’ai un étalon, je ne force personne à s’en servir ; qu’on me laisse libre de l’offrir. De quel droit met-on l’interdit sur cet animal, sous prétexte qu’il n’est pas conforme aux notions de M. le préfet sur l’amélioration de la race chevaline ? Mais on ne s’en tenait pas là. Le paragraphe 2 de l’article let disait : Tout propriétaire de jument qui voudra la faire saillir par un étalon ne pourra la présenter qu’à un étalon autorisé, et l’infraction du propriétaire de jument aurait entraîné contre lui la même amende de 16 à 200 francs, laquelle eût été doublée, de même en cas de récidive. Voilà pourtant les lois qu’on méditait en faveur d’une nation qui aspire à être la plus libre du monde, et qui a inscrit dans sa constitution dernière, par addition à ce qui était dans les autres, les paroles suivantes : La constitution garantit aux citoyens la liberté du travail et de l’industrie (article 13, § 1).

Si l’administration se met à imaginer des règlemens pareils et à les produire officiellement, je ne vois pas comment elle pourra réprimander les communistes, qui retirent au citoyen le droit d’exploiter la chose qui lui appartient et transportent ce droit à l’état, car elle se sera fait leur copiste. C’est pour le bien du public, dira-t-on ; eh ! c’est aussi ce que disent les communistes pour recommander leurs règlemens destructifs de la liberté et de la dignité humaines. Mais est-ce que la liberté du travail et de l’industrie n’est pas aussi réclamée par le bien public ? Est-ce qu’elle ne constitue pas un bien du premier ordre ? Est-ce que l’industrie peut avancer en tournant le dos à cette liberté ? Est-ce que l’expérience n’enseigne pas que, chez les nations modernes, une industrie asservie par les règlemens languit, tandis qu’une industrie libre grandit et prospère ? Sans doute, il est d’intérêt public d’avoir de bons chevaux ; mais prenez garde, si vous entreprenez de satisfaire l’intérêt public sans tenir compte de la liberté, la logique impérieuse vous poussera à d’étranges conclusions, et quelque jour vous seriez induit à faire un singulier usage de la lettre A au sabot du pied droit, car enfin la race chevaline n’est pas la seule qu’il soit d’intérêt public d’avoir belle. On ne contestera pas qu’il serait plus utile encore d’améliorer le type du roi de la création. Tirez la conclusion. — La conclusion est absurde, objectera-t-on, — parfaitement absurde, et c’est à titre d’absurdité palpable que je la fais apparaître. Assurément l’administration ne nourrit pas de pareils desseins. Tant que le portefeuille de l’agriculture et du commerce sera entre les mains du savant illustre auquel le président l’a confié, il n’en sortira aucune proposition de ce genre relativement à la reproduction de l’espèce humaine ; mais, tout absurde et tout impossible que cela soit, ce n’en est pas moins logique quand on a pris pour point de départ l’utile ou ce qui paraît tel, l’utile tout seul sans la liberté. Or toute doctrine qui conduit logiquement à de, monstrueuses conséquences est par cela même convaincue d’être fausse, d’être une doctrine de malheur.

Je crois devoir me justifier de citer, comme une conséquence directe et logique de la doctrine par laquelle l’administration a motivé sa proposition relative à la reproduction de la race chevaline, cette supposition grotesque d’un règlement analogue pour l’espèce humaine. De ma part ce n’est point pure fantaisie : c’est que d’autres ont tiré la conclusion très sérieusement, et quels autres ? des utopistes de la plus haute volée, dont quelques-uns de puissans esprits, qui avaient eu le malheur de recourir à la notion erronée et dangereuse que j’ai reproché à l’administration de s’être appropriée, celle de l’utile séparé de la liberté, ou, en d’autres termes, de l’utile accouplé à l’esprit ultra-réglementaire. Je renvoie à la République de Platon (livre V). Le grand philosophe grec veut que les magistrats s’immiscent dans l’union des sexes, à peu près comme le projet ministériel entendait que l’autorité se mêlât de la multiplication de la race chevaline, et il le motive comme on motivait le règlement sur les étalons présenté au conseil général. Voici en effet le résumé de l’exposé de Platon » : — Est-il utile pour les chiens de chasse et les oiseaux de n’employer que de bons reproducteurs ? — Oui. — En est-il de même pour les chevaux et les autres animaux ? Oui. — En est-il de même pour l’espèce humaine ? — Sans doute. — Puisque c’est avantageux à l’état, les magistrats devront y pourvoir (remarquez en passant que Platon avait inventé l’état et son omnipotence avant nos réformateurs modernes). En conséquence il est décidé que les magistrats devront régler les unions en quantité et en qualité. Les conjoints seront déterminés par le sort, mais des fraudes pieuses aideront le sort, afin qu’il indique, pour donner le jour à la nouvelle couvée, les plus beaux et les plus braves. Les mariages seront saints tant qu’ils dureront ; mais ils seront provisoires : s’ils étaient indissolubles, s’ils ne se renouvelaient fréquemment, un bon reproducteur ne se multiplierait pas assez. L’intérêt public en souffrirait. — Dans la Cité du Soleil, Campanella, se fondant de même sur l’utilité qu’il y aurait à améliorer la race, prépose les magistrats à l’assortiment des couples, et fait là-dessus un règlement qu’on croirait tracé par un directeur de haras. La plupart des inventeurs socialistes ont plus ou moins brutalement appliqué à l’union des sexes le système réglementaire, même quand ils ont entouré le mariage du plus grand respect, toujours en invoquant l’intérêt public. Dans l’île d’Utopie de Morus, les fiancés devront préalablement se montrer l’un à l’autre dans l’état de pure nature, afin qu’il n’y ait pas de mécompte pour eux ni pour la société. M. Cabet, dans l’Icarie, pourvoit au croisement des races. Au Paraguay, les jésuites ne firent pas seulement un programme sur le papier ; ils instituèrent parmi leurs néophytes un ordre social basé sur l’utile sans la liberté ; l’union de l’homme et de la femme y était contrôlée presque comme la multiplication de la race chevaline[12].

Tant il est vrai qu’il n’y a pas de folie à laquelle l’esprit n’arrive, lorsqu’on se lance dans les questions sociales, si l’on oublie d’avoir les yeux fixés sur la liberté, comme le navigateur les a sur l’étoile polaire. Telle conclusion insensée, devant laquelle le premier qui la heurte du pied recule effarouché, trouve le lendemain un sectaire plus téméraire, ou plus passionné, ou plus enivré de ses syllogismes, qui s’en fait l’adepte et l’apôtre. C’est ainsi que s’expliquent tant d’extravagances prêchées de nos jours ou auparavant. Ce n’est pas l’intelligence, ce n’est pas le talent qui ont manqué aux écrivains communistes ; quatre-vingt-dix-neuf fois sur cent, ce n’est pas même la bonne foi. Dans leur pérégrination aventureuse au milieu des problèmes sociaux, les mieux doués d’entre eux sont allés de la bizarrerie à l’extravagance, du sophisme au délire, parce qu’ils se sont mis en route, emportés par une fausse notion du bien public, sans avoir pour s’orienter le sentiment de la liberté, de cette liberté véritable, de cette liberté féconde et pure d’excès qui, je l’ai rappelé déjà, implique l’ordre et embrasse la justice. Analysez toutes les utopies socialistes passées et présentes ; vous verrez que telle est l’origine des aberrations qui les rendent chimériques ou exécrables.

L’administration a professé, dans tous ceux de ses documens où l’occasion s’en est offerte, l’opinion protectioniste. On peut remarquer que, par là encore, elle s’est aventurée jusqu’aux confins du socialisme, si même elle n’a franchi la frontière. Il ne suffit pas de s’écrier qu’on n’est pas socialiste et. qu’on repousse ce nom de toute la puissance de son être ; les exclamations sincères ne prouvent rien, si ce n’est qu’on se trompe de bonne foi. Je ne connais qu’une manière de montrer qu’on n’est point socialiste : c’est de ne pas partir des mêmes principes que les écoles ainsi dénommées. Or le système protectioniste et le socialisme ont la même source. L’un et l’autre procèdent par l’extension despotique de l’autorité de l’état et par la substitution de l’arbitraire à la justice. Lorsque l’état s’interpose pour me forcer d’acheter les articles qu’a manufacturés un Français au lieu d’autres de fabrique étrangère qui me plaisent davantage et que j’aurais à meilleur marché, l’état excède ses attributions légitimes ; il me prive d’une liberté naturelle, et il me taxe au profit d’un concitoyen qui n’est ou qui ne devrait être que mon égal devant la loi, auquel je ne dois aucune redevance par conséquent, pas plus qu’il ne m’en doit lui-même. Le protectionisme se pare de métaphores patriotiques ; mais le socialisme a ses métaphores philanthropiques, qui ne sont pas moins retentissantes. Le socialisme, s’il devenait la loi de l’état, violerait la liberté et la justice dans l’intérêt prétendu du grand nombre ; le système protectioniste contrevient à l’une et à l’autre dans un intérêt qui n’est pas aussi large, quelquefois au profit d’un tout petit nombre de personnes. Que ceux qui ne se paient pas de mots veuillent donc dire pourquoi, si le protectionisme est bien, le socialisme est mal, et comment, si le socialisme est digne des feux de l’enfer et des foudres de la société, le protectionisme a droit aux sympathies des hommes d’ordre et à l’appui cordial des pouvoirs de l’état.

L’administration, en présence du conseil général, a donc commis une double faute ; elle lui a assigné une tâche qui n’était pas ce qu’il fallait ; elle a assumé la responsabilité de doctrines fausses, à tendances pernicieuses ; c’est sans le savoir et sans le vouloir qu’elle a trempé dans le socialisme, mais elle n’y a pas moins trempé.

La majorité du conseil général n’a pas rectifié les erreurs de l’administration, elle les a aggravées même dans quelques cas. C’est ainsi qu’à propos des engrais industriels, elle a, par voie d’amendement, voté un système d’inspection, de vérification et de contrôle sur toute espèce de denrées, qui rappelle les charges de conseillers du roi contrôleurs aux empilemens de bois et de contrôleurs langueyeurs de porc qu’institua le gouvernement de Louis XIV, lorsqu’il fut aux abois, pour faire de l’argent. Elle a adopté toute une série de vœux restrictifs et réglementaires à l’extrême. Il y avait dans le conseil général un grand nombre de membres qui croient au système protectioniste autant qu’à l’Évangile. Il en est quelques-uns qui verraient avec joie brûler toutes les bibliothèques nationales, s’ils pensaient que, dans la catastrophe, les traités d’économie politique doivent être détruits à jamais, parce que l’économie politique, au lieu de s’agenouiller devant la protection, la dénonce hautement comme un faux dieu. Cependant, en masse, le conseil général était arrivé avec un profond sentiment de déférence pour le gouvernement. Si celui-ci avait fait un bon usage de son initiative, il aurait entraîné les votes. La grande majorité ne demandait qu’à être éclairée. On eût suivi le gouvernement sur le seul terrain qui soit ferme, celui de la justice et de la liberté, s’il y eût planté son drapeau. Il est bon de noter ici que le conseil général a beaucoup modifié le bizarre projet de règlement sur les étalons dont nous avons fait mention. Il a amélioré le projet sur les sucres, qui était déjà fort recommandable. Les protectionistes ardens étaient parvenus à faire nommer des commissions contraires à la sortie en franchise des soies grèges et moulinées et à la substitution du droit au poids au droit par tête sur le bétail ; le conseil général, mieux inspiré, a écarté les conclusions des commissions et rétabli les projets de l’administration.

Si l’on me demandait de m’expliquer sur l’emploi positif que le gouvernement aurait dû faire de son influence sur le conseil général, afin de faire comprendre ma pensée mieux que ce n’est possible par des critiques, je hasarderais ici quelques développemens à titre d’hypothèses.

Supposons que le gouvernement eût tenu au conseil général un langage tel que celui-ci : « Des idées nouvelles se sont récemment introduites dans la politique commerciale de plusieurs états. Depuis deux siècles, tous les gouvernemens de l’Europe avaient admis le système de la protection, en vertu duquel on écarte systématiquement les produits de l’étranger ; mais une puissante nation, renommée par la haute et persévérante intelligence qu’elle a de ses intérêts, l’Angleterre, vient d’abjurer avec éclat la foi qu’elle avait eue jusqu’ici en la protection et s’est prononcée pour la liberté du commerce. La réflexion et l’observation ont convaincu ses hommes d’état les plus éminens, ils l’ont déclaré eux-mêmes, que le régime protecteur ne possédait pas les vertus qu’on lui avait attribuées, qu’au contraire il reposait sur des erreurs, et que la liberté commerciale était la seule doctrine vraie, la seule équitable, la seule conforme à l’esprit du siècle, la seule favorable à l’intérêt public, la seule avec laquelle on pût espérer de résoudre le difficile problème de la vie à bon marché. De formidables intérêts ont entrepris de s’opposer à cette innovation profonde. C’était la propriété territoriale, avec qui l’aristocratie britannique se confond ; c’étaient les propriétaires coloniaux, c’étaient les armateurs invoquant le préjugé, qui était resté général chez les Anglais, en faveur de l’acte de navigation de Cromwell. Malgré tous ces obstacles, le gouvernement anglais, secondé par l’opinion, est parvenu à faire triompher le principe de la liberté commerciale, et il l’a appliqué avec une résolution sans exemple. C’est une croyance universellement accréditée, en ce moment, parmi les bons esprits en Angleterre, que les sages mesures prises dans ce sens chez eux depuis 1842, et surtout depuis 1846, ont contribué, plus que toute autre cause, à empêcher les ébranlemens du continent, en 1848, de traverser le détroit. À la suite de l’Angleterre, plusieurs autres nations se sont prononcées de même. Nous vous invitons donc à délibérer, dans le plus grand détail, sur les effets du système protecteur, comparés à ceux que pourrait avoir la liberté du commerce, et à en faire connaître votre opinion motivée. »

Cette question aurait suffi à remplir la session du conseil général tout entière, car combien d’aspects divers n’a-t-elle pas et que de faits elle embrasse ! C’eût été une vaste enquête que de rechercher ce que chaque profession, chaque classe de la société retire du système protecteur et le prix qu’elle paie la protection ! Les membres du conseil général avaient qualité pour donner sur ce point les renseignemens les plus précis. Ainsi l’enquête, contradictoire comme elle eût été par la force des choses, eût offert un rare intérêt et eût été concluante ; c’est alors que les délibérations du conseil général auraient eu un rapport direct avec les embarras de la situation, car y a-t-il rien qui soit à l’ordre du jour plus que la nécessité de nous rapprocher de la vie à bon marché[13] ?

L’administration, intelligente comme elle est, n’eût pas eu de peine à trouver d’autres questions qui auraient réuni les conditions requises pour servir de texte aux délibérations du conseil général, à savoir une grande importance, une opportunité manifeste, la nécessité d’une enquête approfondie faute d’explorations antérieures qui fussent suffisantes, et enfin la parfaite compétence du conseil général. En voici une, par exemple : — Quels sont les moyens les plus propres à rendre l’ouvrier moins nomade, à l’attacher à son atelier, à lui faire aimer son village ou sa ville, à mettre ainsi de la fixité et par conséquent de l’ordre et de la règle dans son existence, sans porter atteinte à sa liberté ? — De cette façon, on eût été amené à examiner le principe d’association dans les applications qu’il est possible d’en faire aux relations des ouvriers entre eux et avec leurs patrons, sujet fort divers et fort vaste, digne des méditations de tout le monde, et sur lequel les chefs d’industrie qui siégeaient au conseil général ont dû recueillir des données qui échappent aux autres hommes.

Il est vrai qu’une discussion approfondie et prolongée sur le régime protecteur en parallèle avec la liberté du commerce, ou la mise en scène du principe d’association dans les rapports des ouvriers avec les patrons et entre eux, aurait eu un défaut d’une espèce particulière. Le conseil général comptait un certain nombre de membres, et des plus agissans, qui eussent été aussi mécontens de voir le gouvernement révoquer en doute l’excellence du système protectioniste que s’il eût mis en question l’existence de Dieu. Il ne manque pas de personnes en France, et il y en avait vraisemblablement dans le conseil général, devant lesquelles on ne peut parler du principe d’association sans qu’elles supposent qu’il s’agit du système de spoliation générale et de dilapidation qu’en 1848, le lendemain de la révolution, quelques énergumènes recommandaient en le qualifiant fort improprement d’association fraternelle. La discussion sur l’un ou l’autre des sujets que je viens de signaler n’eût donc pas été parfaitement placide ; il s’y fût mêlé de la passion et de l’irritation : c’est ce qui advient toutes les fois que l’on contrarie des erreurs enracinées, des illusions chéries, des prétentions exclusives, des intérêts absolus et aveugles. Tel coryphée qui pendant toute la session n’a parlé du gouvernement qu’avec onction l’eût, en pareil cas, accusé avec aigreur et emportement. Lorsque l’autorité est amoureuse de sa propre quiétude, elle évite d’ouvrir la porte à toute discussion qui pourrait devenir orageuse et lui susciter à elle-même des attaques, peut-être des rancunes pour l’avenir. C’est même une tactique qui peut convenir à des époques profondément calmes, où personne ne songe à innover en quoi que ce soit. En pareil cas, si l’on convoque les états généraux de l’industrie française, on peut, à la rigueur, leur assigner un programme sur lequel on parle à peu près pour parler. La fin de la session arrive sans émotion ni contrariété pour personne. On se donne alors, sous un ciel sans nuages, une accolade convenue d’avance, et la toile s’abaisse mollement sur cette froide mimique.

Je laisse au lecteur à décider si nous sommes dans une situation à jouer à ces jeux innocens. Les plus laborieuses, les plus formidables questions sont posées aujourd’hui et ont besoin d’être résolues. Il n’est donné à personne de les ajourner. Qu’au lieu de les écarter on les mette donc à l’étude, sinon l’on s’expose à ce qu’au milieu du désordre public, de mauvais sentimens réussissent quelque matin à faire prévaloir des solutions funestes improvisées, on ne sait où, par on ne sait qui.

Il y a une justice à rendre au premier magistrat de la république. Les recommandations qu’il avait adressées au conseil général, quand il est venu l’ouvrir, étaient dans un autre esprit. Il provoquait le conseil à aborder franchement le terrain des innovations. « Le meilleur moyen, avait-il dit, de réduire à l’impuissance ce qui est dangereux et faux, c’est d’accepter ce qui est vraiment bon et utile. » Le président de la république avait mille fois raison. Si le programme tracé au conseil général eût été conforme à la pensée qu’il a exprimée, le gouvernement en eût retiré de grands avantages. Dans le moment où nous sommes, le véritable intérêt public, s’il est fermement appuyé par le gouvernement, a la plus grande chance de triompher de tous les obstacles qu’y peuvent susciter l’erreur, les préjugés, les passions égoïstes. On ne vaincrait pas sans combat ; mais qu’importe ? et à quoi servent les succès faciles ? Je demande si la session du conseil général, terminée sans l’ombre d’une opposition au gouvernement, lui a procuré la moindre force.

Voilà je ne sais combien de fois que nous assistons à une même déconvenue. Le président de la république, n’écoutant que son inspiration, fait un avant-propos qui promet et qui excite l’attente du public, et puis, quand on veut lire le livre que les ministres ont dû placer à la suite, on ne trouve plus qu’un gros cahier de papier blanc. Espérons que cette fois aura été la dernière. Ce n’est pas ainsi que les gouvernemens gagnent ou conservent la confiance des bons citoyens ; ce n’est pas ainsi que les révolutions finissent.


MICHEL CHEVALIER.

  1. Une personne qui serait au bout de l’empire britannique, en Chine, est astreinte à se rendre à l’appel d’une commission parlementaire d’enquête.
  2. Les commissions d’enquête, quand on en a eu en France, ont presque toujours tenu leurs pouvoirs de l’autorité. Elles n’avaient que des témoins bénévoles qui disaient ce qu’ils voulaient. C’est à l’instar des commissions royales de l’Angleterre ; mais dans ce dernier pays les enquêtes parlementaires donnent le ton, et les commissions royales ont d’excellens résultats aussi.
  3. Dès 1819, M. Decazes avait institué auprès du ministère de l’intérieur des conseils généraux distincts pour l’agriculture et pour les manufactures. Ces conseils étaient même permanens et devaient avoir des réunions hebdomadaires ; mais ils cessèrent bientôt de fonctionner et tombèrent en désuétude. On les a relevés en 1831, époque à laquelle ils reçurent une organisation plus complète. Il dut y avoir alors trois conseils généraux, qui devaient être convoqués en même temps et travailler ensemble. À partir de 1836, les sessions prirent plus de solennité. En 1850, on a aboli la distinction des trois conseils généraux delibérant et votant séparémentl Il n’y a plus eu qu’un conseil général qui, pour la nomination des commissaires seulement, s’est fractionné en trois comités : celui de l’agriculture, celui des manufactures et celui du commerce ; c’est déjà une modification utile. Elle l’eût été davantage vraisemblablement, si le conseil se fût partagé en bureaux tirés au sort : c’eût été le moyen de rompre les coteries.
  4. La caisse hypothécaire a mal réussi, mais ce n’est pas la preuve qu’une institution prêtant des capitaux aux propriétaires fonciers ne saurait réussir ; beaucoup de causes peuvent la faire échouer : ici il y avait d’abord l’ensemble des vices de notre législation sur les hypothèques, vices qui vont être enfin corrigés, on doit l’espérer.
  5. Le 11 mars.
  6. Le rapport est du 18 février.
  7. Je ne voudrais pas que le lecteur inférât de ces expressions que je regarde le projet de loi comme irréprochable. Malgré l’opinion du gouvernement, malgré toutes les raisons qu’a fait valoir le savant rapporteur de la commission de l’assemblée (M. Charles Dupin), je pense le contraire. Le projet de loi, tout en paraissant libéral pour l’Algérie, place entre elle et le marché général des obstacles que je considère comme funestes, en ce qu’ils sont de nature à retarder le moment où cette colonie pourra se suffire à elle-même, et où elle cessera d’imposer à la métropole des sacrifices énormes.
  8. M. Rivier, juge au tribunal civil de Grenoble, a fait connaître ces résultats au public dans un écrit plein de faits curieux et d’observations judicieuses.
  9. L’industrie du Haut-Rhin, qu’on trouve à la tête des innovations fécondes, en offrait divers exemples. La dernière fondation de ce genre avait eu lieu près de Mulhouse, à Rixheim, chez MM. Zuber. En ce moment, on achève d’organiser à Mulhouse même une grande caisse de retraite qui a quelque analogie avec celle de Lyon.
  10. Ce n’est pas que je regrette la loi du 18 novembre 1814, qui contenait une série de prescriptions sévères pour la célébration du dimanche. Je la tiens pour impossible : elle rencontrerait dans les mœurs, telles qu’elles sont, une résistance invincible ; mais, sans aller jusque-là, à beaucoup près, on peut faire plus que n’a proposé le gouvernement au conseil général. Il faut aviser à rendre aux marchands en boutique et à leurs employés une liberté dont ils se privent les uns les autres le septième jour, et dont leur santé se trouverait fort bien, et leur moral pareillement. On ne voit pas en quoi la proposition du gouvernement y pourvoit.
  11. Je ne puis appeler délibération l’intervalle de cinq minutes qui a été consacré à la question du régime des eaux dans la dernière séance du conseil général.
  12. On peut excuser les jésuites en disant qu’ils avaient affaire à des populations novices qui étaient étrangères au sentiment de liberté. Admettons l’excuse : on n’en voit pas moins où mène la doctrine de l’intérêt public, quand on a séparé celui-ci de la liberté.
  13. On avait d’abord inscrit sur le programme du conseil général un sujet qui n’est qu’un fragment de cette question de la liberté commerciale comparée à la protection, mais qui, pris convenablement, aurait pu conduire à la discuter tout entière, celui de la réforme des lois sur la navigation. On le retira après quelques jours.