Les Quatre Saisons (Merrill)/Le Refrain

Les Quatre SaisonsSociété du Mercure de France (p. 74-77).

LE REFRAIN

Oh ! la paix du matin sur ma petite maison !
On entend les faucheurs passer près du vieux mur
En silence, du pas lourd dont on marche en cette saison ;
Dans le jardin, celle qui cueille les cerises mûres
Chasse de son rire d’enfant un vol de sansonnets ;
C’est l’heure où, ayant bu à deux mains leur bol de lait,
Les petits s’en vont à l’école danser, chanter des rondes ;
Le soleil dore à peine les verdoyants sommets ;
Il fait bon rêver, et les cloches remercient Dieu
D’ouvrir à leur prière tout l’azur de ses cieux.



On se bat au bout du monde !


Ô toi la cueilleuse qui fais la maison gaie,
Pose sur le seuil de pierre ton panier de cerises,
Et dis-moi si l’histoire qu’on raconte est vraie
Qu’en ce moment de soleil, de chansons et de brises,
Des hommes, sous des bannières, se battent pour des rêves.
Il fait si bon vivre, et la vie est si brève !
Et malgré qu’on me parle d’empires lointains qu’on fonde,
Mon seul domaine est dans tes yeux où le soleil s’achève,
Et dans ton cœur, fleur où bourdonnent les abeilles de l’amour,
Et dans tes mains légères qui sont des ailes à mon front lourd !


On se bat au bout du monde !


Ici c’est la paix. Les chats furtifs ronronnent
Au bord des fenêtres qu’enguirlande la vigne ;
De temps en temps le coq, dressant sa crête, claironne ;
Les poules, gloussant doucement, égratignent

Le fumier d’où jaillira un jour la joie des fleurs ;
L’eau, dans la vasque pleine de la fontaine, pleure.
C’est la paix et sa bénédiction féconde
Sur les roses de l’enclos et sur nos pauvres cœurs.
Écoutons dans le vent voler les brins de paille
Et oublions la haine lointaine, ses cris et la bataille !


On se bat au bout du monde !


On se bat ! — Ô refrain de mort dans ce chant de la vie
Que je voudrais crier, de tout mon cœur, à tous les hommes !
N’est-il de paix possible entre le bonheur et l’envie ?
Te faudra-t-il aussi, parmi les pauvres que nous sommes,
Prendre part malgré toi à l’œuvre rouge du Mal ?
Mais sais-tu si ce sang qui coule n’est pas lustral ?
De même que ces lys s’élancent de la boue immonde,
L’Amour naît de la Haine, le final du fatal.
Donc si tu veux mieux vivre, consens à mourir
Pour renaître dans la joie universelle de l’avenir !


On se bat au bout du monde !



Toi qui croyais avoir créé ton paradis,
Il te faudra de tes mains en détruire les murs.
Tu n’as pas le droit, seul parmi les maudits,
De dire que ce temps est beau et que la vie est sûre.
Quand tes dernières fleurs, pétale par pétale,
Auront versé leur vie au frisson automnal,
Il te faudra peut-être, dans la mêlée qui gronde
Sacrifier, aveugle guerrier d’un divin idéal,
Loin du jardin béni où je t’aimais, ma sœur,
Ta vie pour que des enfants connaissent le bonheur !


On se bat au bout du monde !