Les Quatre Saisons (Merrill)/Avant la tempête

Les Quatre SaisonsSociété du Mercure de France (p. 70-73).
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AVANT LA TEMPÊTE

Ce soir où les nuages dans la forêt
Couvent le vent, la foudre et la pluie,
Seul, malgré que l’heure fuie,
Tu saignes d’incarner ton secret.

Hélas tu n’as pu trouver les mots
Qui font que les hommes t’écoutent,
(Croyant s’entendre sur la route),
Chanter tes joies ou tes maux.


Un oiseau pépie dans une fleur,
Une source murmure sur la mousse,
Mais ton âme que Dieu repousse
N’a que le silence pour ses pleurs.

Attends qu’il ait tonné sur la forêt
Comme il tonna jadis sur ta vie,
Quand tu étais à l’agonie
Dans cette ville où les femmes t’enivraient.

La foudre délie la voix des morts.
Peut-être, à l’heure de la tempête,
L’Esprit Saint qui sacre les poètes
Posera-t-il sur toi sa langue d’or.

Et ce sera de nouveau pour toi
Le miracle de l’Épiphanie,
Grâce auquel la foule bannie
Comprendra les paroles de ta foi.


Ainsi soit-il ! Tu chanteras alors
L’amour qui brûle dans l’orage,
La passion des vents, et la rage
Des arbres que la rafale tord.

Les bras tendus vers l’horizon,
Tu verras, parce qu’elles furent viles,
Brûler comme l’enfer les villes
Pleines de blasphèmes et d’oraisons.

Tu pressentiras la colère du Destin
Qui écrase sous son approche la révolte
Et ravage de son souffle les récoltes
Que ne moudront pas les moulins.

Autour des toits désertés des oiseaux
Qui craignent que la foudre ne fonde,
Tu entendras l’écroulement des mondes
Et le grondement des souterraines eaux.


Mais sachant que l’empyrée est d’azur
Au delà du tumulte des nuages,
Tu chanteras soudain tes présages
De la paix prochaine au ciel pur,

Pour avoir, contre l’orage triomphant
Entendu, du berceau que sa mère
Balançait d’une main légère,
Éclater le rire d’un enfant.