Les Quatre Saisons (Merrill)/L’Appel dans le jardin

Les Quatre SaisonsSociété du Mercure de France (p. 102-106).

L’APPEL DANS LE JARDIN

Le jardin est petit, mais parfumé de fleurs,
Et sa porte est bien close aux Passantes en pleurs
Qui vont criant malheur tout au long de la route
Pour leur pied qui trébuche et leur âme qui doute.

Ô Paradis d’avril, nous t’avons bien fermé,
Pour que ton seuil fût vierge au passage de mai !
Ainsi que des baisers de nos lèvres pareilles,
Tes fleurs n’ont frissonné que du vol des abeilles.


Nulle main n’a cueilli jusqu’au soir de ce jour
Tes lilas un peu lourds de leur parfum d’amour
Et ta glycine qui, lente, à peine se penche
Sous le faix d’un oiseau sautant de branche en branche.

Nous voudrions rester les heureux prisonniers
Des arbres qui demain empliront tes paniers,
Sœur, et des fleurs qui ont lié de leur guirlande
Les heures du désir aux heures de l’offrande.

Mais la Nuit, dont je sens derrière notre mur
La présence, m’appelle à quelque rêve obscur,
Et dans les chemins creux les Passantes de l’ombre
Se pressent, et le bruit de leurs pas dit leur nombre.

Faudra-t-il te quitter à l’angelus du soir,
Jardin de belle vie et de si bon espoir,
Où, écoutant danser par tant d’enfants la ronde,
Nous avons oublié la souffrance du monde ?


Vois ! la Nuit s’accroupit au loin sur les hameaux
Où les vieillards assis se chuchotent des mots
Dont eux seuls, héritiers des secrets de naguères,
Pourraient dire le sens qui présage des guerres !

Les femmes, tricotant à la chandelle, ont peur,
Car leurs hommes n’ont pu parler que de malheur,
Et tout le monde sait que notre pauvre terre
Doit, pour les jours futurs, souffrir ce qu’il faut taire.

Peut-être, ô sœur, quand l’ombre aura passé le seuil,
Nous faudra-t-il porter parmi la foule en deuil
Notre trésor d’amour à la mauvaise Ville,
Qui hait Dieu, malgré Christ et son doux évangile.

Et ce sera fini de la paix au soleil,
Et du sommeil au pied du cerisier vermeil,
Et de la volupté de sentir l’herbe chaude
Sous nos corps enlacés et nos mains en maraude.


L’angelus va sonner sur les chaumes blottis
Du village où l’on met au lit tous les petits ;
Sœur, il est temps enfin d’ouvrir large la porte
Aux passantes de l’ombre : un ange les escorte.

Une main sur la bouche et l’autre sur les yeux,
Sibylles de la route, elles liront aux cieux ;
Puis elles nous prendront les clefs de la demeure
Où ne tintera plus pour nous l’appel de l’heure.

Nous ne connaîtrons plus que les tristes maisons
Dont, le soir, les miroirs sont pleins de trahisons,
Et les carreaux ternis tels les yeux d’un malade
Qui se laisse mourir au son d’une ballade.

Et tandis qu’étranglée aux mille poings du Sort
La Ville hurlera, louve ou chienne, à la mort,
Nous rêverons tout bas, saisis d’un peu de crainte
Et n’osant, pour agir, délacer notre étreinte,


À ce petit jardin tout parfumé de fleurs
Dont la porte était close aux Passantes en pleurs,
Jusqu’au soir saint où nous sûmes, sans plus de doute,
Que l’Esprit du Seigneur s’avançait sur la route !