Les Quatre Saisons (Merrill)/Enterrement

Les Quatre SaisonsSociété du Mercure de France (p. 33-35).
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ENTERREMENT

Venez avec des couronnes de primevères dans vos mains,
Ô fillettes qui pleurez la sœur morte à l’aurore.
Les cloches de la vallée sonnent la fin d’un sort,
Et l’on voit luire des bêches au soleil du matin.

Venez avec des corbeilles de violettes, ô fillettes
Qui hésitez un peu dans le chemin des hêtres
Par crainte des paroles solennelles du prêtre ;
Venez le ciel est tout sonore d’invisibles alouettes.


Laissez vos brebis paître seules, là-bas, au pré,
Où le chien noir hérisse son poil sous le collier ;
Personne aujourd’hui ne viendra du hallier
Ravir l’agneau qui bêle au bord fleuri du gué.

C’est la fête de la mort, et l’on dirait dimanche,
Tant les cloches sonnent douces au fond de la vallée.
Les garçons se sont cachés dans les petites allées
Vous seules devez prier au pied de la tombe blanche.

N’ayez pas peur du silence soudain du cimetière.
Les morts sont bien morts ; seules l’herbe et les fleurs
Perpétuent le secret renaissant des cœurs
Qui ont cessé de battre aux baisers de la chair.

Dites-vous qu’elle est bien morte, vos petites mains jointes,
Quand vous aurez vidé vos corbeilles sur sa tombe
Vos yeux sont du printemps sous vos cheveux qui tombent,
Vos voix sont des oiseaux dans vos gorges contraintes.


Puis retournez garder les brebis près du gué
Où l’eau fuit, toujours la même et sans cesse écoulée.
N’écoutez plus le glas des cloches dans la vallée,
Car vous êtes la vie que la jeunesse égaie.

Quelque année, les garçons qui se cachent aujourd’hui
Viendront vous dire à toutes la douce douleur d’aimer,
Et l’on vous entendra, autour du mât de mai,
Chanter des rondes d’enfance pour saluer la nuit.