Les Quatre Saisons (Merrill)/Conseil d’amour

Les Quatre SaisonsSociété du Mercure de France (p. 11-13).
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CONSEIL D’AMOUR

Reviens, ô toi, des cavalcades et des batailles,
Et laisse choir tes étendards en loques dans le crépuscule :
Tu es las, ce soir, de la guerre et de ses représailles
Et de la hache du bourreau que le sang des pauvres macule.

Reviens à la petite maison blanche au fond de la vallée
Dont la cheminée fume vers le ciel plein de cloches.
Écoute : l’amante est là qui chante dans la vêprée
En puisant l’eau lustrale à la fontaine proche.


Bois-la, la coupe qu’elle te tendra sur le seuil,
De ses mains un peu pâles d’avoir tissé des voiles,
Dans la chambre du secret, pour en vêtir son deuil
Qui te pleura sous tant de soleils et d’étoiles.

Tu es blessé : il faut que tu sois sage comme la nature
Et que tu écoutes à la fenêtre la chanson des oiseaux
Et le travail des abeilles autour des fleurs mûres
Dans le petit enclos où l’on entend rire un ruisseau.

Puis laisse-toi dormir sur le sein de la seule
Qui sache les paroles pour enchanter ta peur ;
Ta sœur sera miséricordieuse comme une aïeule
À ta douleur d’enfant prodigue qui prie et pleure.

Ose espérer que demain sera jour de repos
Où des fermes, des bergeries et des labours
Les travailleurs viendront, des bluets aux chapeaux,
Chanter en chœur autour du Christ du carrefour.


Quelque matin, quand tu te sentiras l’âme plus forte,
Tu baiseras sur ses yeux clos ton Amante qui dort,
Et refermant sur elle et sur ton bonheur la porte,
Tu reprendras le chemin où te guetta la mort.

Et cette fois, sans épée ni cuirasse, tu iras vers les villes,
Ouvrant large les bras comme celui qui sème,
Bénir les hommes mauvais et les femmes viles
Que tu appris à aimer par pitié pour toi-même.

Tes étendards ne se dresseront plus aux poings des hommes de deuil,
Et le bourreau voudra te tuer quand dormira l’armée :
Mais l’Amante, aux nuits de péril, priera pour toi sur le seuil
De la petite maison blanche au fond de la vallée.