Les Quatre Saisons (Merrill)/Au crépuscule

Les Quatre SaisonsSociété du Mercure de France (p. 85-87).

AU CRÉPUSCULE

Allons, ô ma sœur, vers les calmes bergeries
Où les brebis grises bêlent leur appel aux agneaux
Sous ce crépuscule d’orage qui soudain s’irradie
De la forêt couveuse de ruisseaux et d’oiseaux.

Le sentier nous mène parmi les pâquerettes
Au bord de la rivière dont le fuyant silence
N’est troublé que du saut subit des ablettes
Et du rythme des rames qu’on balance en cadence.


Dans la pluie sanglotante de toute cette journée
Nous nous sommes consolés par l’espoir du soleil.
Victoire ! Le soir venu et les cloches sonnées,
Le vent secoue les gouttes qui tremblent encore aux treilles.

Notre maison est lointaine où tu pleurais d’ennui
Et je lisais les livres qu’ont laissés tant de morts ;
Morts nous-mêmes, semblait-il, nous ne sûmes aujourd’hui
Nous dire que des mots d’oubli et de remords.

Mais puisque ce crépuscule est propice à l’amour
Qui pleure l’heure ravie aux baisers et au rêve,
Donne-moi tes clairs yeux où meurt déjà le jour
Comme dans un double miroir s’éteint l’éclair d’un glaive.

Sois douce comme une qui se souvient du bonheur,
Je serai lent comme un qui s’attarde à l’église,
Et nous sentirons des astres éclore dans nos cœurs
Aux tintements de l’Angélus qui agonise.


La rivière fait plus vite sous de légères brumes,
L’on n’entend plus l’eau battue qui dégoutte des rames,
Et déjà le rossignol s’égosille sous la lune
À chanter le règne du mystère et des âmes.

Les brebis grises, là-bas, ont cessé de bêler
À cette heure équivoque de la mort et de la vie.
Et si nous sommes si tristes, c’est d’avoir peur d’aimer,
En allant, ô ma sœur, vers les calmes bergeries.