Les Quatre Saisons (Merrill)/À un ami

Les Quatre SaisonsSociété du Mercure de France (p. 88-91).
chanson  ►

À UN AMI

Ami,
Ta maison rose en cette saison,
À l’heure calme du crépuscule
Qui par delà la plaine recule
Les limites d’or de l’horizon,
Ta maison dont toutes les fenêtres
Se sont ouvertes à tous les vents
Qui soupirent des secrets champêtres
Dans les volubilis des auvents,
Ta maison dont la timide porte

Ne répond qu’à celle qui t’apporte,
Comme un trésor du cœur, une fleur,
N’est-elle la maison du bonheur,
Ami ?

Ami,
Ta femme aux yeux souriant d’amour,
Aux mains, le matin, pleines de roses
Qu’elle cueille, en chantant mille choses,
Aux espaliers que dore le jour,
Ta femme dont la robe, en l’allée,
A frôlé le printemps reverdi
Et traîne, dans la chambre dallée,
Comme un parfum tiède de midi,
Ta femme dont le corps s’abandonne
À tes vœux, et dont l’âme se donne
À ton bon désir qui n’a plus peur,
N’est-elle la femme du bonheur,
Ami ?

Ami,
Ton enfant qui vous ouvre ses bras

Du petit lit blanc où, rose, il joue,
Une fossette dans chaque joue,
Avec le soleil qui tremble aux draps,
Ton enfant qui sait calmer vos fièvres
En attirant vers lui, las du jeu,
En un long baiser triple vos lèvres
Qui peut-être alors ont baisé Dieu,
Ton enfant, chair où tous les ancêtres
Vont rire ou pleurer, mystiques maîtres
D’un destin de joie ou de douleur,
Ne sera-t-il l’enfant du bonheur,
Ami ?

Ami,
Après avoir traîné tes pas las
Par tant de pays et tant de villes
Où tu connus les amours serviles
De celles qui ne consolent pas,
Après avoir épuisé les coupes
Où dort le mensonge de l’oubli
Et bercé ta nostalgie aux poupes
Des vaisseaux où l’exil t’a pâli,

Après avoir cherché tant de femmes
Et brûlé ton âme à tant de flammes
Avant que ne s’apaisât ton cœur,
N’as-tu pas mérité ton bonheur,
Ami ?