Traduction par P.-J. Stahl.
Bibliothèque d’éducation et de récréation J. Hetzel et Cie (p. 234-247).


CHAPITRE XVI

UN PAQUET DE LETTRES


Les sœurs allumèrent leurs lampes le lendemain matin, au point du jour, pendant que tout, au dehors, était froid et sombre, et elles adressèrent au ciel leurs prières avec une ardeur qu’elles n’avaient jamais sentie si grande auparavant, car maintenant l’ombre d’une douleur réelle était venue leur montrer combien leur vie avait été riche en bonheur jusque-là. Elles convinrent, en s’habillant, de se montrer pleines d’espoir et de confiance en Dieu en embrassant leur mère, au moment du départ, afin de ne pas ajouter le poids de leur douleur à la sienne. Tout leur paraissait tout autre qu’à l’ordinaire, lorsqu’elles descendirent. Le calme du dehors faisait un triste contraste avec la sombre agitation de leur petit intérieur. Le déjeuner, préparé déjà, avait, lui aussi, un air étrange ; la figure de Hannah ne semblait pas la même non plus, pendant qu’elle allait et venait dans la chambre, avec son bonnet de nuit sur la tête. La grande malle était toute prête dans le vestibule, le châle et le chapeau de Mme Marsch l’attendaient sur le canapé. La bonne mère essaya de manger avec ses filles ; mais elle était si pâle, et paraissait si fatiguée par une nuit d’insomnie, que toutes trouvèrent leur résolution bien difficile à tenir. Les yeux de Meg se remplissaient de larmes malgré elle. Jo fut plus d’une fois obligée de cacher sa figure dans sa serviette, et le visage des deux plus jeunes avait une expression grave et troublée, comme si la douleur était pour elles une nouvelle expérience.

Personne ne parlait, mais, comme le moment de la séparation approchait et que déjà elles entendaient la voiture, Mme Marsch dit à ses enfants, qui étaient toutes occupées autour d’elle, l’une pliant son châle, l’autre arrangeant les brides de son chapeau, la troisième lui mettant des caoutchoucs, et la quatrième fermant son sac de voyage :

« Mes enfants, je vous laisse aux soins de Hannah et sous la protection de M. Laurentz. Hannah est la fidélité même, et votre bon voisin vous gardera comme si vous étiez ses propres enfants. Je n’ai pas de craintes pour vous, et, cependant, j’ai peur que vous ne preniez pas avec courage votre affliction. Lorsque je serai partie, ne vous désolez pas et ne vous désespérez pas ; ne pensez pas non plus que vous vous consolerez en restant inoccupées et en essayant d’oublier. Continuez à faire votre travail quotidien, sous l’œil de Dieu, comme d’habitude, car le travail est un soulagement béni. Rappelez-vous que nous avons toujours un père au ciel.

— Oui, mère.

— Soyez prudente, chère Meg, veillez sur vos sœurs, consultez Hannah et allez vers M. Laurentz, lorsque vous aurez quelque difficulté. Vous, Jo, soyez patiente, ne vous découragez pas, et ne faites pas d’actions irréfléchies ; écrivez-moi souvent, et restez ma brave fille, prête à nous aider et à nous consoler tous. Beth, demandez du courage à votre musique et soyez fidèle à vos petits devoirs : et vous, Amy, aidez vos sœurs autant que vous le pourrez ; soyez docile ; je veux vous retrouver toutes meilleures encore que vous n’êtes.

— Oui, mère, nous vous le promettons. »

La voiture s’arrêta à la porte ; c’était l’instant difficile, mais les jeunes filles surent se contenir ; pas une ne pleura, pas une ne courut après sa mère, ni ne se lamenta, quoiqu’elles eussent le cœur bien gros, en envoyant à leur père des messages d’amour, qui arriveraient peut-être trop tard pour qu’il les reçût. Elles embrassèrent leur mère avec une sorte de calme, l’entourèrent tendrement jusqu’au dernier moment, et essayèrent d’agiter leurs mouchoirs lorsque la voiture se mit en route. Laurie et son grand-père étaient venus dire adieu à Mme Marsch. D’autre part, M. Brooke paraissait si fort et si bon que les jeunes filles sentirent qu’elles pouvaient se reposer sur lui des soins dont pourrait avoir besoin leur mère.

« Adieu, mes chéries, Dieu vous bénisse et vous garde toutes, » dit Mme Marsch en embrassant l’un après l’autre, une dernière fois, les chers visages de ses enfants. Puis elle se jeta dans la voiture.

Comme elle s’éloignait, le soleil se leva, et, en se retournant pour regarder encore ses enfants, elle le vit briller sur le groupe assemblé à la porte, comme un meilleur présage. Ses filles lui adressèrent encore un sourire en agitant leurs mouchoirs. La dernière chose qu’aperçut Mme Marsch fut leurs quatre gracieuses figures, et derrière elles, comme un corps de réserve, le vieux M. Laurentz, la fidèle Hannah et le dévoué Laurie.

« Comme tout le monde est bon pour nous ! dit-elle en se retournant et voyant une nouvelle preuve de ce qu’elle disait dans la figure sympathique de son jeune compagnon.

— Je ne vois pas comment il pourrait en être autrement, répondit M. Brooke. Est-il une meilleure et plus aimable famille que la vôtre ? »

Mme Marsch, pensant à ses filles, ne put s’empêcher de lui répondre avec un sourire d’adhésion.

Ainsi son long et triste voyage commença par de bons présages, du soleil, des sourires, de bonnes et affectueuses paroles.

« Je suis dans le même état que s’il y avait eu un tremblement de terre, dit Jo lorsque leurs voisins les eurent quittées.

— On dirait que la moitié de la maison est partie, répondit Meg. Quelle place elle tient dans notre vie, notre mère ! »

Beth ouvrit les lèvres pour dire quelque chose, mais put seulement montrer à ses sœurs une pile de linge bien raccommodé par Mme Marsch, prouvant ainsi que, même dans les derniers moments, elle avait pensé à elles et travaillé pour elles. C’était une petite chose, mais elle alla droit à leur cœur, et, malgré leur résolution héroïque, elles pleurèrent toutes amèrement.

Hannah leur permit sagement de se soulager par des larmes et, lorsque l’orage sembla s’apaiser, elle arriva armée d’une cafetière.

« Maintenant, mes chères demoiselles, rappelez-vous ce que votre maman a dit, et ne vous désolez pas trop. Venez prendre une tasse de café, et puis vous vous mettrez à travailler, de manière à faire honneur à la famille. »

Le café était leur déjeuner favori du matin. Elles n’en avaient pas tous les jours, et Hannah montra un grand tact en leur en donnant ce matin-là. Aucune des jeunes filles ne put résister à la bonne odeur qui s’échappait du bec de la cafetière. Elles se mirent à table, échangèrent leurs mouchoirs contre des serviettes, et, dix minutes après, tout semblait à sa place.

« Espérons et occupons-nous, voilà notre devise ; ainsi, voyons laquelle de nous y sera le plus fidèle, dit Jo, en avalant son café. Je vais aller chez tante Marsch comme d’habitude. Oh ! comme elle va gronder ! Dieu fasse qu’elle ne me parle pas de cet argent qu’il a fallu lui emprunter !

— Je vais aller chez mes Kings, et, cependant, peut-être ferais-je mieux de rester ici à travailler, dit Meg en regrettant au fond du cœur que ses yeux fussent si rouges.

— Au contraire, Meg, prenez cette distraction. Beth et moi nous garderons parfaitement bien la maison, interrompit Amy d’un air important.

— Hannah nous dira ce qu’il faudra que nous fassions, et tout sera rangé quand vous reviendrez, dit Beth en prenant résolument son eau chaude pour faire leur toilette aux tasses du déjeuner.

— Je trouve que l’anxiété, à force d’être grande, finit par être douce, » dit Amy en mangeant du sucre d’un air pensif.

Ses sœurs ne purent s’empêcher de rire et se trouvèrent mieux à leur aise après avoir un peu ri, quoique Meg secouât la tête à la vue d’une jeune fille qui pouvait trouver de grandes consolations dans un sucrier.

La vue des petits pâtés habituels rendit Jo grave, et, lorsqu’elle partit avec Meg pour remplir leurs devoirs quotidiens, elles retournèrent toutes deux avec douleur vers la fenêtre où elles étaient habituées à voir la figure de leur mère. Elle n’y était plus ; mais Beth avait pensé à la petite cérémonie habituelle et était là, à leur faire des signes de tête, comme une autre petite maman à figure rose.

« On reconnaît bien là ma Beth, dit Jo en agitant la main d’un air reconnaissant. Adieu, Meggy ; j’espère que vos élèves ne seront pas désagréables aujourd’hui. Ne perdons pas courage ; papa va peut-être déjà mieux, ajouta-t-elle quand elles se séparèrent.

— Et j’espère que tante Marsch sera moins maussade aujourd’hui, car enfin elle n’est pas méchante. Vos cheveux ne vous vont vraiment pas trop mal comme cela. Ils vous donnent tout à fait l’air d’un garçon, répondit Meg en essayant de ne pas sourire à la vue de cette tête frisée qui paraissait comme subitement rapetissée sur les épaules de sa sœur.

— C’est ma seule consolation ! »

Et, touchant son chapeau à la Laurie, Jo s’en alla, en éprouvant le même sentiment que si elle eût été un mouton tondu un jour d’hiver.

Des nouvelles de leur père consolèrent bientôt les jeunes filles. Quoiqu’il eût été dangereusement blessé, la présence de la meilleure et la plus tendre des gardes-malades lui avait déjà fait du bien. La fièvre avait diminué. M. Brooke envoyait tous les jours un bulletin. Meg, comme chef de la famille, insistait, pour lire tout haut les dépêches qui devenaient de jour en jour plus intéressantes. Dans le commencement, chacune d’elles voulut écrire, et de grosses enveloppes étaient jetées dans la boîte aux lettres par l’une ou l’autre des jeunes filles, qui trouvaient que leur correspondance de Washington leur donnait un air assez important. Comme l’un de ces paquets contient des lettres caractéristiques de chacun, nous vous en donnerons connaissance.

« Ma très chère mère,

« Il est impossible de vous dire combien votre dernière lettre nous a rendues heureuses. Les nouvelles étaient si bonnes que nous n’avons pas pu nous empêcher d’en rire et d’en pleurer. Que M. Brooke est donc bon, et qu’il est heureux que les affaires de M. Laurentz le retiennent si longtemps près de vous, puisqu’il vous est si utile ainsi qu’à père. Mes sœurs sont, toutes, aussi bonnes que de l’or. Jo m’aide à coudre et insiste pour faire toutes sortes d’ouvrages difficiles ; je craindrais qu’elle ne se fît du mal si je ne savais pas que son « accès moral » ne durera que ce qu’il pourra durer. Beth est aussi régulière qu’une horloge pour ses devoirs, et n’oublie jamais ce que vous lui avez dit. Elle a beaucoup de chagrin de voir père encore malade, et elle a l’air très grave, excepté quand elle est à son piano. Amy fait très bien tout ce que je lui dis, et je prends grand soin d’elle. Elle se coiffe elle-même et je lui apprends à faire des boutonnières et à raccommoder ses bas ; elle fait tous ses efforts pour réussir, et je suis sûre que vous serez satisfaite de ses progrès quand vous reviendrez.

« M. Laurentz veille sur nous comme une maman poule sur ses poussins, c’est le mot de Jo, et Laurie est très bon et très gentil. Quand il a vu Jo avec sa tête de garçon, qu’il n’avait pas remarquée le jour de votre départ, il a été si saisi que, si Jo ne lui avait pas ri au nez, je crois qu’on n’aurait pas pu le consoler. Quand il a su l’histoire, cela a été pis, mais dans un tout autre sens. Ah ! mère, rien n’a pu le retenir, il a pris la tête de Jo entre ses mains et l’a embrassée si vivement que Jo s’en est montrée furieuse. « Battez-moi, lui répondit-il, mais rien n’aurait pu m’empêcher d’embrasser, dans ce moment-là, la bonne fille que vous avez été. » Le courroux de Jo n’a pas duré, vous le pensez bien. Laurie et Jo nous égayent, car nous sommes quelquefois bien tristes ; vous êtes si loin, mère, que nous nous considérons souvent comme des orphelines. Hannah est une vraie vieille sainte ; elle m’appelle toujours miss Marguerite, ce qui est très convenable, et me traite avec respect. Elle prétend que je suis une grande personne.

« Nous sommes toutes bien portantes et nous travaillons de toutes nos forces, mais nous désirons votre retour nuit et jour. Donnez mes meilleurs baisers à papa, et recevez ceux de

« Votre grande
« Meg. »

Cette lettre, bien écrite sur du joli papier rose, formait un grand contraste avec la suivante, qui était griffonnée sur une grande feuille de papier très mince et était ornée de taches d’encre et de toutes sortes de paraphes et de fioritures.

« Ma précieuse maman,

« Trois hourras pour cher vieux père ! Brooke a été un atout de nous envoyer une dépêche, juste au moment où papa a été sauvé. J’ai couru au grenier lorsque la lettre est arrivée et j’ai essayé de remercier Dieu qui a été si bon pour nous, mais je ne pouvais que pleurer et dire : « Je suis contente ! Je suis contente ! » Est-ce que cela n’a pas été aussi bien qu’une vraie prière ? J’en sentais beaucoup d’autres dans mon cœur, mais elles n’en pouvaient pas sortir.

« Nous avons une très drôle de manière de vivre, et je pourrai en jouir maintenant. Nous sommes toutes si désespérément bonnes, qu’on se croirait chez nous dans un nid d’oiseaux du paradis. Vous ririez de voir Meg à votre place à table et essayant d’être maternelle ; elle devient tous les jours plus jolie, et je suis quelquefois enthousiasmée d’elle. Les enfants sont de vrais archanges, et moi… eh bien ! je suis Jo et je ne serai jamais rien d’autre. Oh ! il faut que je vous dise que j’ai été bien pris de me fâcher avec Laurie ; je m’étais décidée de faire une bête de petite chose, et il en a été offensé ; j’avais raison, mais je n’ai pas parlé comme j’aurais dû, et il est parti en disant qu’il ne reviendrait pas que je ne lui eusse demandé pardon. J’ai déclaré que je ne le ferais pas et je me suis mise en colère. Cela a duré toute la journée. Je me sentais très méchante, et il aurait été bien utile que vous fussiez là pour me remettre à la raison. Laurie et moi nous sommes tous deux aussi orgueilleux l’un que l’autre. Nous n’aimons ni l’un ni l’autre à demander pardon ; cependant, je pensais qu’il s’y déciderait, car c’était lui qui avait tort ; mais il ne reparut pas de la journée. Vers le soir, je me rappelai ce que vous m’aviez dit quand Amy était tombée dans l’eau. J’ai lu mon petit livre, je me suis sentie mieux à l’aise, et, résolue à ne pas laisser le soleil se coucher sur ma colère, j’ai couru dire à Laurie que j’étais fâchée de lui avoir été désagréable. Figurez-vous, mère, que je l’ai rencontré à la porte qui venait pour le même motif. Nous n’avons pas pu nous empêcher de nous rire au nez l’un et l’autre, c’était trop drôle ; rien n’a été plus facile, des lors, que de nous demander mutuellement pardon, et, tout de suite après, nous nous sommes retrouvés les meilleurs amis du monde.

« J’ai fait hier un poème, pendant que j’aidais Hannah à laver le linge, et, comme père aime à lire mes sottes petites choses, je le mets dans ma lettre pour l’amuser. Donnez-lui le meilleur baiser qu’il ait jamais eu, et embrassez-vous une douzaine de fois pour votre

« Jo, sens dessus dessous. »

Voici le poème de Jo :

un jour de lessive

Reine de ma cuve, je chante gaiement, pendant que la mousse blanche s’élève bien haut, et de tout mon cœur je lave, je rince, je tords et j’étends le linge pour le faire sécher, et bientôt il se balancera à l’air sous le ciel plein de soleil.

Je voudrais que nous pussions enlever de nos cœurs et de nos âmes les taches et les souillures de la semaine, et laisser l’eau et l’air nous rendre purs comme ce linge. Mais, il y aurait vraiment sur la terre un glorieux jour de lessive.

Le long du chemin d’une vie utile, les pensées fleurissent toujours ; l’esprit occupé n’a pas le temps de songer aux peines, aux soins ou aux tristesses, et l’anxiété peut être balayée comme avec un balai.

Je suis contente qu’il me soit donné la tâche de travailler tous les jours, car cela m’apporte santé, force, espérance, et j’apprends à dire gaiement : « Tête, vous pouvez penser ; cœur, vous pouvez sentir ; mais vous, mains, il faut travailler. »

Jo.
« Chère mère,

« J’ai seulement la place de vous envoyer mes meilleur baisers et quelques pensées séchées qui viennent d’un pied de pensées que j’ai conservé dans ma chambre afin que papa le voie ; elles ne refleuriront maintenant que pour lui. Je lis tous les matins dans mon petit livre, je tâche d’être sage toute la journée et je m’endors en chantant tout bas l’air favori de papa. Tout le monde est très bon pour nous, et nous sommes aussi heureuses que nous pouvons l’être sans vous. Amy veut le reste de la page, ainsi il faut que je m’arrête. Je n’ai pas oublié vos commissions, et, tous les jours, je remonte l’horloge et range les chambres.

« Embrassez cher père sur celle de ses joues qu’il appelle la mienne. Oh ! revenez bientôt vers

« Votre petite Beth qui vous aime.

« Dites à M. Brooke que je le trouve très bon, et que quelquefois j’ose parler de lui avec M. Laurentz, qui a comme moi du plaisir à causer de lui. »

« Ma chère maman,

« Nous sommes toutes en bonne santé, je travaille tous les jours et je ne compromets jamais les autres. Meg prétend qu’il faut dire que je ne les contredis jamais ; je mets les deux mots et vous pourrez choisir le meilleur. Meg m’est d’une grande consolation et elle me laisse avoir de la gelée, tous les jours, au thé ; je trouve cela si bon ! Jo dit que c’est parce que cela me rend plus douce. Laurie n’est pas aussi respektueux qu’il devrait l’être, maintenant que j’ai douze ans ; il m’appelle petit poulet et blesse mes sentiments en me parlant très vite en français, quand je dis merci ou bonjour, comme dit Hattie Kings. Les manches de ma robe bleue étaient tout usées, et Meg en a remis de neuves ; mais elles sont plus foncées que la robe. J’étais très fâchée, mais je n’ai rien dit ; je supporte bien tous mes ennuis, mais je voudrais que Hannah veuille bien empeser davantage mes tabliers et nous faire tous les jours des gâteaux. Pourrait-elle ? Meg dit que ma ponctuacion et mon orthographe sont vraiment honteuses, et je suis très mortyfiée, mais j’ai tant de choses à faire que je ne peux être parfaite en rien. Adieu, j’envoie toutes mes tendresses à papa.

« Votre fille qui vous aime,
« Amy Curtis Marsch. »

La vieille Hannah, qui avait juré à sa maîtresse de la tenir au courant, lui avait écrit aussi. Nous ne rectifions que l’orthographe.

« À chère madame Marsch,
« sa vieille Hannah.

« Je vous écris pour vous dire que nous nous tirons très bien d’affaire. Ces demoiselles sont toutes parfaitement bien. Meg va devenir une bonne maîtresse de maison ; elle aime beaucoup à s’occuper du ménage et apprend très vite. Jo les dépasse toutes en bonne volonté ; on ne sait jamais ce qu’elle va faire. Lundi, elle a lavé toute une lessive, mais elle a amidonné le linge avant de le tordre, et passé au bleu une camisole d’indienne rose. J’ai cru que je mourrais de rire. Beth est la meilleure des petites créatures, et elle m’aide réellement beaucoup, et l’on peut se fier à elle. Elle fait les comptes d’une manière étonnante. Nous sommes devenues très économes ; je leur sers du café une fois par semaine, selon ce que vous m’avez dit, et je leur donne une nourriture très bonne, mais très simple. Amy est bien, mais elle met ses plus belles robes « à tous les jours » et mange des sucreries tant qu’elle peut. M. Laurie fait autant de bêtises que d’habitude, mais c’est un bon garçon, il les égaye. M. Laurentz envoie des masses de choses et est même assez fatigant, mais il a l’intention de bien faire, et ce n’est pas à moi à dire quelque chose. J’envoie mes respects à M. Marsch et j’espère qu’il reviendra bientôt.

« Votre servante respectueuse,
« Hannah Muller. »
« Madame et maman,

« Tout est bien à la maison ; les troupes sont en bon état. Vos filles sont des anges quelquefois. Je me permets, quand je les vois s’attrister de votre absence, d’essayer de les faire rire ; j’y réussis souvent, mais pas toujours. Jo, seule, pourrait se passer de moi dans cet emploi quand il s’agit des autres ; mais, au fond, elle a un effort à faire pour retrouver sa gaieté naturelle. Il me semble que ses cheveux repoussent, et grand-père, le commandant en chef, général Laurentz, passe tous les jours votre armée en revue. Hannah me gronde quelquefois. En somme, j’ose dire que, si vous étiez là, vous ne seriez pas trop mécontente de l’ensemble des choses. Rappelez-moi à M. Brooke.

« Votre fidèle jeune ami,
« Laurie. »
« Chère madame,

« Les petites filles sont toutes bien. Hannah est une servante modèle, et veille comme un dragon sur son joli troupeau. Je suis content que le beau temps ait continué. Utilisez Brooke, je vous prie, et si vos dépenses dépassent vos prévisions, adressez-vous à mon banquier. Nous ferons nos comptes dans des temps meilleurs. Ils viendront. Ne laissez votre mari manquer de rien. Je remercie le ciel de ce qu’il est mieux portant.

« Votre sincère ami et serviteur,
« James Laurentz. »