Les Quatre Évangiles (Crampon 1864)/Marc/10

Traduction par Augustin Crampon.
Tolra et Haton (p. 215-220).
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saint Marc


CHAPITRE X


INDISSOLUBILITÉ DU MARIAGE (Matth., xix, 1 sv.). — PETITS ENFANTS BÉNIS. — LE JEUNE HOMME QUI ASPIRE A LA PERFECTION (Matth., xix, 16 sv. ; Luc, xviii, 30 sv.). — DANGER DES RICHESSES (ibid.). — RÉCOMPENSE DE LA PAUVRETÉ VOLONTAIRE (ibid.). — PASSION PRÉDITE (Matth., xx, 17). — AMBITION DES ENFANTS DE ZÉBÉDÉE (ibid.). — UN AVEUGLE PRÈS DE JÉRICHO.


Étant parti de ce lieu[1], Jésus vint aux confins de la Judée, par le pays situé au delà du Jourdain ; et le peuple s’assembla de nouveau près de lui, et, suivant sa coutume, il recommença à les enseigner. Des Pharisiens s’approchant lui demandèrent pour le tenter : Est-il permis à un homme de renvoyer sa femme ? Et il leur répondit : Que vous a ordonné Moïse ? Ils dirent : Moïse a permis d’écrire un acte de répudiation, et de la renvoyer. Jésus leur répondit : C’est à cause de la dureté de votre cœur qu’il vous a donné cette loi. Mais au commencement de la création « Dieu fit l’homme mâle et femelle. » « A cause de cela, l’homme quittera son père et sa mère, et s’attachera à sa femme ; et ils seront deux en une seule chair[2]. » Ce que Dieu donc a uni, que l’homme ne le sépare point. Ses disciples l’interrogèrent encore dans la maison sur le même sujet, et il leur dit : Quiconque renvoie sa femme et en épouse une autre, commet un adultère à l’égard de la première. Et si une femme quitte son mari et en épouse un autre, elle se rend adultère[3].

13 Et ils lui présentaient des petits enfants pour qu’il les touchât. Mais ses disciples repoussaient avec de rudes paroles ceux qui les présentaient. Jésus les voyant fut indigné, et leur dit : Laissez les petits enfants venir à moi, et ne les empêchez point, car le royaume des cieux appartient à ceux qui leur ressemblent. En vérité, je vous le dis, quiconque ne recevra pas comme un petit enfant le royaume de Dieu, n’y entrera point[4]. Et les embrassant, et imposant ses mains sur eux, il les bénissait.

17 Comme il sortait pour se mettre en chemin, un homme accourut, et se jetant à genoux devant lui, lui dit : Bon Maître, que dois-je faire pour acquérir la vie éternelle ? Jésus lui dit : Pourquoi m’appelez-vous bon ? Nul n’est bon, que Dieu seul[5]. Vous connaissez les commandements : « Ne commets point d’adultère, ne tue point, ne dérobe point, ne porte point de faux témoignage, abstiens-toi de toute fraude, honore ton père et ta mère. » Il lui répondit : Maître, j’ai observé toutes ces choses dès ma jeunesse. Jésus le regardant, l’aima et lui dit : Une seule chose vous manque[6] ; allez, vendez tout ce que vous avez, donnez-le aux pauvres, et vous aurez un trésor dans le ciel[7] ; puis venez, et suivez-moi. Mais, affligé de cette parole, il s’en alla triste, car il avait de grands biens.

23 Et Jésus, jetant ses regards autour de lui, dit à ses disciples : Que difficilement ceux qui ont des richesses entreront dans le royaume des Cieux ! Comme les disciples étaient étonnés de ce discours, Jésus reprit : Mes petits enfants, qu’il est difficile à ceux qui se confient dans les richesses d’entrer dans le royaume de Dieu ! Il est plus facile qu’un chameau passe par le chas d’une aiguille, qu’un riche entre dans le royaume de Dieu. Et ils s’étonnaient encore plus, et se disaient l’un à l’autre : Qui peut donc être sauvé ? Jésus les regardant, dit : Aux hommes cela est impossible, mais non à Dieu ; car tout est possible à Dieu.

28 Alors Pierre, prenant la parole : Voici, dit-il, que nous avons tout quitté pour vous suivre. Jésus répondit : En vérité, je vous le dis, nul n’aura laissé sa maison, ou ses frères, ou ses sœurs, ou son père, sa mère, ou ses enfants, ou ses champs à cause de moi et à cause de l’Évangile, qui ne reçoive maintenant, en ce siècle même, cent fois autant, maison, frères, sœurs, mères, enfants et champs, avec les persécutions, et dans le siècle à venir la vie éternelle[8]. Et plusieurs qui étaient les premiers[9], seront les derniers[10], et plusieurs qui étaient les derniers, seront les premiers.

32 Or, ils étaient en chemin pour monter à Jérusalem[11], et Jésus marchait devant eux, et ils le suivaient pleins d’admiration et de crainte. Jésus, à nouveau, prenant à part les Douze, commença à leur dire ce qui devait lui arriver. Voilà que nous montons à Jérusalem, et le Fils de l’homme sera livré aux Princes des prêtres, aux Scribes et aux Anciens ; ils le condamneront à mort et le livreront aux Gentils ; ils l’insulteront, et cracheront sur lui, et le flagelleront, et le feront mourir : et il ressuscitera le troisième jour.

35 Alors Jacques et Jean, fils de Zébédée, s’approchèrent de lui, disant : Maître, nous désirons bien que vous fassiez pour nous ce que nous vous demanderons[12]. Que voulez-vous, leur dit-il, que je fasse pour vous ? Ils dirent : Accordez-nous que nous soyons assis dans votre gloire[13], l’un à votre droite, et l’autre à votre gauche. Jésus leur dit : Vous ne savez ce que vous demandez. Pouvez-vous boire le calice que je dois boire, ou être baptisés du baptême dont je dois être baptisé[14] ? Ils lui répondirent : Nous le pouvons. Mais Jésus leur dit : Le calice qu-e je dois boire, vous le boirez en effet, et vous serez baptisés du baptême dont je dois être baptisé ; mais d’être assis à ma droite ou à ma gauche, ce n’est point à moi de vous l’accorder ; ce sera le partage de ceux à qui mon Père l’a préparé[15].

41Entendant cela, les dix autres s’indignèrent contre Jacques et Jean. Mais Jésus, les ayant fait venir, leur dit : Vous savez que ceux qui paraissent les chefs des nations leur commandent en maîtres, et que les grands exercent sur elles l’empire. Il n’en sera pas ainsi parmi vous ; mais quiconque voudra devenir le plus grand se fera votre serviteur ; et quiconque, parmi vous, voudra être le premier, se fera l’esclave de tous. Car le Fils de l’homme même n’est pas venu pour être servi, mais pour servir et donner sa vie pour la rédemption d’un grand nombre[16].

46 Ils vinrent ensuite[17] à Jéricho ; et comme il partait de Jéricho avec ses disciples et une grande multitude, le fils de Timée, Bartimée l’aveugle, était assis sur le bord du chemin, mendiant. Ayant entendu dire que c’était Jésus de Nazareth, il s’écria : Jésus, fils de David, ayez pitié de moi. Et plusieurs le gourmandaient pour le faire taire ; mais lui criait encore plus haut : Fils de David, ayez pitié de moi. Alors Jésus, s’arrêtant, ordonna qu’on le fît venir. Et ils l’appelèrent en lui disant : Aie confiance, lève-toi, il t’appelle. Celui-ci, rejetant son manteau, s’élance et vient à Jésus. Et Jésus lui dit : Que voulez-vous que je vous fasse ? L’aveugle lui dit : Maître, que je voie. Jésus lui dit : Allez, votre foi vous a guéri. Et aussitôt il vit et il le suivait dans le chemin.

  1. De Capharnaüm.
  2. Gen., i, 27. — Ibid., ii, 24. Le raisonnement est clair Notre-Seigneur fait une citation de la Genèse, qui prouve que la femme tirée de l’homme lui doit être unie en une même chair, que tel est le dessein du Créateur, comme l’attestent les paroles d’Adam, inspirées de Dieu.
  3. Entre le vers. 12 et le vers. 13 se placent les faits racontés au chap. m, 22, 35. Ce qui suit (vers. 13-31) arriva au commencement de l’an 29 de l’ère vulgaire. Patrizzi.
  4. Les mots royaume de Dieu ont ici deux sens ; ils désignent : 1° la doctrine et la morale de Jésus-Christ ; 2° le ciel.
  5. Le but de cette réponse est d’élever plus haut les pensées du jeune homme, et de l’amener à se demander si Jésus ne serait pas le Fils de Dieu.
  6. Pour être parfait (Matth., xix, 21).
  7. A cet homme ami des richesses, Jésus présente le ciel comme un trésor.
  8. Telle est la récompense des i religieux et des religieuses qui trouvent dans la maison de leur ordre des pères et des frères, des mères et des sœurs, etc. Cassien.
  9. En richesses et en honneurs.
  10. Dans le siècle à venir.
  11. Au commencement de mars de l’an 29 de l’ère vulgaire, c'est-à-dire dans le dernier mois de la vie de Jésus.
  12. Ce fut leur mère Salomé qui fit cette demande à Jésus (Matth. xx, 20) ; mais ses enfants l’accompagnaient, et elle ne faisait qu’exprimer leurs désirs.
  13. Quand vous régnerez comme Messie.
  14. Calice et baptême sont des expressions métaphoriques qui désignent les souffrances et la mort de Jésus.
  15. Patrizzi : Il m’appartient de le donner, il convient que je le donne, non à vous, mais à ceux à qui mon Père l’a préparé.
  16. (4)
  17. Le jeudi 10 mars de l’an 29 de l’ère vulgaire. En entrant dans la ville, Jésus guérit un aveugle (Luc, xviii, 36 sv.) : il loge chez Zachée, et le lendemain, 11 mars, au moment où il sort de Jéricho, il guérit un autre aveugle. Voy. Matth. xx, 34, note. — Bartimée, c’est-à-dire fils de Timée. Ces sortes de mots composés n’étaient pas des noms, mais des surnoms tirés du nom du père, plus usités cependant et plus connus que les noms eux-mêmes. C’est ainsi que Jean et Nathanaël sont souvent désignés sous les surnoms de B[...] et de Barthélemy.