Les Quatre Évangiles (Crampon 1864)/Luc/09

Traduction par Augustin Crampon.
Tolra et Haton (p. 298-303).
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saint Luc


CHAPITRE IX


MISSION DES APÔTRES (Matth. x, 1 sv. ; Marc, vi, 7 sv.). — HÉRODE SOUHAITE DE VOIR JÉSUS (Matth. xiv, i ; Marc, vi, 14). — MULTIPLICATION DES CINQ PAINS (ibid.). — CONFESSION DE SAINT PIERRE ; LA CROIX ET LE RENONCEMENT (Matth. xvi, 13 ; Marc, viii, 27). — TRANSFIGURATION (Matth. xvii, 1 ; Marc, ix, 2). — LUNATIQUE GUÉRI (ibid.). — PASSION PRÉDITE (ibid.). — AMBITION ET ZÈLE INTEMPESTIF DES APÔTRES (Matth. xviii, 1 ; Marc, ix, 33). — DISPOSITION POUR SUIVRE JÉSUS-CHRIST (Matth. viii, 18).


Ayant assemblé les douze Apôtres, Jésus leur donna puissance et autorité sur tous les démons, et pour guérir les maladies. Et il les envoya prêcher le royaume de Dieu et rendre la santé aux malades, leur disant : Ne portez rien en route, ni bâton, ni sac, ni pain, ni argent, et n’ayez point deux tuniques. En quelque maison que vous entriez, demeurez-y, et n’en sortez point. Lorsqu’on refusera de vous recevoir, en sortant de cette ville, secouez même la poussière de vos pieds en témoignage contre eux. Étant donc partis, ils allaient de village en village, prêchant l’Évangile et guérissant partout.

7 Cependant Hérode le tétrarque entendit parler de tout ce que faisait Jésus, et il ne savait que penser, parce que quelques-uns disaient : Jean est ressuscité d’entre les morts ; d’autres : Élie a paru ; d’autres : Un des anciens prophètes est ressuscité. Et Hérode dit : J’ai fait couper la tête à Jean. Qui est donc celui-ci, de qui j’entends dire de telles choses ? Et il souhaitait de le voir.

10 Les Apôtres étant de retour, racontèrent à Jésus tout ce qu’ils avaient fait ; et, les prenant avec lui, il se retira à l’écart dans un lieu désert, près de Bethsaïde. Lorsque le peuple l’eut appris, il le suivit, et Jésus les accueillit, et il leur parlait du royaume de Dieu, et rendait la santé à ceux qui en avaient besoin. Or, le jour commençant à baisser, les Douze vinrent lui dire : Renvoyez le peuple, afin que, se répandant dans les villages et les hameaux d’alentour, ils y trouvent un abri et de la nourriture, car ici nous sommes en un lieu désert. Il leur répondit : Donnez-leur vous-mêmes à manger. Ils lui dirent : Nous n’avons que cinq pains et deux poissons ; à moins que peut-être nous n’allions acheter de quoi nourrir tout ce peuple ! Or ils étaient environ cinq mille hommes. Jésus dit à ses disciples : Faites-les asseoir par troupes de cinquante. Ils lui obéirent, et les firent tous asseoir. Alors Jésus, prenant les cinq pains et les deux poissons, et levant les yeux au ciel, les bénit, les rompit, et les donna à ses disciples pour qu’ils les distribuassent au peuple. Tous mangèrent et furent rassasiés, et des morceaux qui restèrent, on emporta douze corbeilles pleines.

18 Un jour qu’il priait dans un lieu solitaire, ayant ses disciples avec lui, il les interrogea, disant : Qui dit-on que je suis ? Ils lui répondirent : Les uns disent Jean-Baptiste, d’autres Élie, d’autres un des anciens prophètes qui est ressuscité. Et vous, leur demanda-t-il, qui dites-vous que je suis ? Simon Pierre répondit : Le Christ de Dieu[1]. Mais, leur parlant avec empire, il leur enjoignit de ne dire cela à personne. Il faut, disait-il, que le Fils de l’homme souffre beaucoup, qu’il soit rejeté par les Anciens, les Princes des prêtres et les Scribes, qu’il soit mis à mort et qu’il ressuscite le troisième jour.

23 Puis, s’adressant à la foule, il disait : Si quelqu’un veut venir après moi, qu’il se renonce lui-même, qu’il porte sa croix, chaque jour[2], et me suive. Car[3] celui qui voudra sauver sa vie la perdra, et celui qui perdra sa vie à cause de moi la sauvera. Que servira à un homme de gagner le monde entier, s’il se perd lui-même, ou que la vie lui soit ôtée ? Car si quelqu’un rougit de moi et de mes paroles, le Fils de l’homme rougira de lui, lorsqu’il viendra dans sa majesté et dans celle du Père et des saints Anges. Et je vous le dis en vérité, quelques-uns de ceux qui sont ici présents, ne goûteront point la mort, qu’ils n’aient vu le royaume de Dieu.

28 Environ huit jours après qu’il eut dit ces paroles, Jésus prit avec lui Pierre, Jacques et Jean, et monta sur une montagne pour prier. Et pendant qu’il priait, l’aspect de son visage changea, et son vêtement devint éclatant de blancheur. Et voilà que deux hommes conversaient avec lui : c’étaient Moïse et Élie, environnés de gloire ; ils s’entretenaient de sa mort, qui devait s’accomplir à Jérusalem. Cependant Pierre et ses deux compagnons étaient appesantis par le sommeil, et, se réveillant[4], ils le virent dans sa gloire, et les deux hommes qui étaient avec lui. Et comme ceux-ci se retiraient, Pierre dit à Jésus : Maître, il nous est bon d’être ici ; faisons trois tentes, une pour vous, une pour Moïse et une pour Élie : ne sachant ce qu’il disait. Il parlait encore, lorsqu’une nuée se forma et les[5] enveloppa de son ombre, et ils furent saisis de frayeur en les voyant entrer dans la nuée. Et de la nuée sortit une voix qui disait : Celui-ci est mon Fils bien-aimé, écoutez-le. Pendant que la voix parlait, Jésus se trouva seul ; et ils se turent, et en ces jours-là ils ne dirent rien à personne de ce qu’ils avaient vu.

37 Le jour suivant, comme ils descendaient de la montagne, une foule nombreuse vint au-devant d’eux. Et voici que parmi la foule un homme s’écria : Maître, je vous en supplie, jetez un regard sur mon fils, car c’est mon seul enfant. Un esprit se saisit de lui, et aussitôt il pousse des cris, il est renversé par terre, il s’agite convulsivement, il écume, et à peine l’esprit le quitte-t-il après l’avoir tout déchiré. J’ai prié vos disciples de le chasser, et ils ne l’ont pu. Jésus prenant la parole : O race incrédule et perverse, dit-il, jusques à quand serai-je avec vous et vous supporterai-je ? Amenez ici votre fils. Et comme l’enfant s’approchait, le démon le jeta contre terre et l’agita violemment. Mais Jésus commanda à l’esprit impur, guérit l’enfant, et le rendit à son père. Tous étaient stupéfaits de la puissance de Dieu.

44 Comme chacun admirait toutes les œuvres de Jésus, il dit à ses disciples : Pour vous, mettez ceci dans votre cœur. Le Fils de l’homme doit être livré entre les mains des hommes. Mais il n’entendaient pas cette parole ; elle était voilée pour eux, de sorte qu’ils n’en avaient pas l’intelligence, et ils craignaient même de l’interroger sur ce sujet.

46 Or une pensée entra en eux, lequel d’entre eux était le plus grand. Jésus, voyant les pensées de leur cœur, prit un enfant, le mit près de lui, et leur dit : Quiconque reçoit cet enfant[6] en mon nom, me reçoit ; et quiconque me reçoit, reçoit celui qui m’a envoyé. Car celui qui est le plus petit parmi vous tous, est le plus grand.

49 Jean, prenant la parole, lui dit : Maître, nous avons vu un homme qui chasse les démons en votre nom, et nous l’en avons empêché, parce qu’il ne vous suit pas avec nous. Jésus lui dit : Ne l’en empêchez point, car celui qui n’est point contre vous, est pour vous.

51 Les jours où il devait être enlevé de ce monde étant près de s’accomplir, il se résolut à aller à Jérusalem, et envoya en avant quelques-uns de ses disciples. Ils partirent, et entrèrent dans une ville des Samaritains pour lui préparer un logement ; mais les habitants refusèrent de le recevoir, parce qu’il se dirigeait vers Jérusalem[7]. Ce que voyant ses disciples Jacques et Jean, ils dirent : Seigneur, voulez-vous que nous commandions que le feu descende du ciel et les consume[8] ? Jésus se tournant vers eux les reprit, en disant : Vous ne savez pas de quel esprit vous êtes[9]. Le Fils de l’homme n’est pas venu pour perdre les âmes, mais pour les sauver. Et ils s’en allèrent dans une autre bourgade.

57 Pendant qu’ils étaient en chemin[10], un homme lui dit : Je vous suivrai partout où vous irez. Jésus lui répondit : Les renards ont leurs tanières, et les oiseaux du ciel leurs nids ; mais le Fils de l’homme n’a pas où reposer sa tête. Il dit à un autre : Suivez-moi. Celui-ci répondit : Maître, permettez-moi d’aller auparavant ensevelir mon père. Et Jésus lui dit : Laissez les morts ensevelir les morts ; vous, allez et annoncez le royaume de Dieu. Un autre lui dit : Je vous suivrai, Seigneur, mais permettez-moi de disposer auparavant de ce que j’ai dans ma maison. Jésus lui répondit : Quiconque met la main à la charrue et regarde en arrière, n’est pas propre au royaume de Dieu.

  1. C’est-à-dire le Messie envoyé de Dieu.
  2. A quoi est empruntée cette expression métaphorique nouvelle dans le langage des hommes ? Évidemment à la croix de Jésus-Christ. C’est comme s’il disait : De même que je porterai courageusement ma croix, ainsi il vous faut porter la vôtre, c’est-à-dire souffrir avec courage toutes les peines, toutes les difficultés, tous les sacrifices nécessaires à qui veut être mon disciple.
  3. Trois obstacles devaient empêcher les disciples de Jésus-Christ de suivre leur Maître : l’attachement à la vie et à ses jouissances, la passion des richesses, l’amour de la gloire et des hommes ; c’est la triple concupiscence dont parle S. Jean (I, ii, 16) : celle de la chair, celle des yeux, et l’orgueil de la vie. N.-S. détruit tour à tour ces trois obstacles par un raisonnement péremptoire qu’il oppose à chacun : l’amour de la vie et de ses jouissances, vers. 24 ; la passion des richesses, vers. 28 ; l’orgueil, vers. 26.
  4. Les Apôtres dormaient de fatigue ; l’éclat de la lumière céleste les réveilla.
  5. Savoir : Jésus, Moïse et Élie.
  6. Un de mes disciples, simple et humble comme cet enfant.
  7. Les Samaritains n’allaient point sacrifier à Jérusalem. Voy. Samaritains dans le Vocabulaire.
  8. Le grec ajoute : Comme fit Elie. (IV Rois, i, 10-12.)
  9. Vous croyez être animés de l’esprit de Dieu, et vous êtes poussés par l’esprit d’impatience et de vengeance. Ou bien : Ignorez-vous que vous devez être doux et humbles comme votre Maître, et ne pas imiter le zèle enflammé d’Élie ?
  10. L’Évangéliste rapporte ici de suite trois réponses de Jésus relatives aux dispositions nécessaires pour le suivre ; peut-être ont-elles été données en des temps différents.