Les Quatre Évangiles (Crampon 1864)/Luc/07

Traduction par Augustin Crampon.
Tolra et Haton (p. 287-292).
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saint Luc


CHAPITRE VII


FOI DU CENTURION (Matth. viii, 5). — RÉSURRECTION DU FILS DE LA VEUVE DE NAIM. — SAINT JEAN-BAPTISTE DÉPUTE DEUX DE SES DISCIPLES AUPRÈS DE JÉSUS-CHRIST (Matth. xi, 2 sv.). — ÉLOGE DU PRÉCURSEUR (ibid.). — UNE PÉCHERESSE PARFUME LES PIEDS DE JÉSUS.


Après qu’il eut adressé tous ces discours au peuple, Jésus entra dans Capharnaüm. Or un centurion avait un serviteur malade[1], qui allait mourir, et il l’aimait beaucoup. Ayant entendu parler de Jésus, il lui envoya quelques anciens[2] d’entre les Juifs, pour le prier de venir guérir son serviteur. Ceux-ci étant venus vers Jésus, le prièrent avec grande instance, en disant : Il mérite que vous fassiez cela pour lui ; car il aime notre nation, et il nous a même bâti une synagogue. Jésus s’en alla donc avec eux. Il n’était plus loin de la maison, lorsque le centurion envoya quelques-uns de ses amis lui dire : Seigneur, ne prenez pas tant de peine, car je ne suis pas digne que vous entriez sous mon toit. C’est pourquoi je ne me suis pas jugé digne de venir à vous ; mais dites une parole, et mon serviteur sera guéri. Car moi, qui suis sous la puissance d’un autre, j’ai des soldats sous moi, et je dis à l’un : Va, et il va ; à un autre : Viens, et il vient ; et à mon serviteur : Fais cela, et il le fait. Ce qu’ayant entendu, Jésus fut dans l’admiration, et, se tournant vers la foule qui le suivait, il dit : Je vous le dis en vérité, en Israël même je n’ai pas trouvé une si grande foi. De retour à la maison, ceux que le centurion avait envoyés, trouvèrent le serviteur qui avait été malade, guéri.

11 Il s’en alla ensuite en une ville appelée Naïm[3], suivi de ses disciples et d’une grande foule de peuple. Comme il approchait de la porte de la ville, il se trouva qu’on portait en terre un mort, fils unique de sa mère ; et celle-ci était veuve, et beaucoup de gens de la ville l’accompagnaient. Le Seigneur l’ayant vue, fut touché de compassion pour elle, et lui dit : Ne pleurez point. Et il s’approcha et toucha le cercueil[4] (ceux qui le portaient s’arrêtèrent), et dit : Jeune homme, je te le commande, lève-toi. Aussitôt le mort se leva sur son séant, et commença à parler, et Jésus le rendit à sa mère. Tous furent saisis de crainte, et ils glorifiaient Dieu en disant : Un grand prophète a paru parmi nous, et Dieu a visité son peuple. Et le bruit de ce prodige se répandit dans toute la Judée et dans tout le pays d’alentour.

18 Les disciples de Jean lui ayant annoncé toutes ces choses, il en appela deux, et les envoya vers Jésus pour lui dire : Êtes-vous celui qui doit venir, ou devons-nous en attendre un autre ? Étant donc venus à lui : Jean-Baptiste, lui dirent-ils, nous a envoyés vers vous pour vous demander : Êtes-vous celui qui doit venir, ou devons-nous en attendre un autre ? (À cette heure même, Jésus guérit un grand nombre de personnes affligées de maladies et de plaies, chassa des esprits malins, et rendit la vue à plusieurs aveugles). Alors il répondit aux envoyés : Allez rapporter à Jean ce que vous avez vu et entendu : les aveugles voient, les boiteux marchent, les lépreux sont purifiés, les sourds entendent, les morts ressuscitent, les pauvres sont évangélisés : et bienheureux quiconque ne se scandalisera pas de moi !

24 Lorsque les envoyés de Jean furent partis, il commença à dire au peuple, parlant de Jean : Qu’êtes-vous allés voir dans le désert ? Un roseau agité par le vent ? Qu’êtes-vous donc allés voir ? Un homme vêtu avec mollesse ? Mais ceux qui portent des vêtements précieux et vivent dans les délices, sont dans les maisons des rois. Enfin qu’êtes-vous allés voir ? Un prophète ? Oui, je vous le dis, et plus qu’un prophète. C’est de lui qu’il est écrit : « J’envoie devant vous mon ange, qui vous précédera et vous préparera la voie[5]. » Car, je vous le dis, parmi les enfants des femmes, il n’est point de prophète plus grand que Jean-Baptiste ; mais le plus petit dans le royaume de Dieu est plus grand que lui. Tout le peuple[6] qui l’entendit, et les publicains eux-mêmes, rendirent gloire à Dieu[7], ayant reçu le baptême de Jean. Mais les Pharisiens et les Docteurs de la Loi méprisèrent, pour leur perte, les desseins de Dieu[8], ayant refusé d’être baptisés par lui. A qui donc, continua le Seigneur, comparerai-je les hommes de cette génération ? A qui sont-ils semblables ? Ils sont semblables à des enfants assis dans la place, et qui se disent les uns aux autres : Nous avons joué de la flûte, et vous n’avez pas dansé ; nous avons chanté des chants lugubres, et vous n’avez point pleuré. Car Jean-Baptiste est venu, ne mangeant point de pain, et ne buvant point de vin, et vous dites : Il est possédé du démon. Le Fils de l’homme est venu mangeant et buvant, et vous dites : C’est un homme de bonne chère, qui aime le vin, ami des publicains et des pécheurs. Et la Sagesse a été justifiée des reproches de tous ses enfants.

36 Or, un Pharisien ayant prié Jésus de manger avec lui, il entra dans sa maison et se mit à table. Et voilà qu’une femme de la ville[9], qui vivait dans le péché, ayant su qu’il était à table dans la maison du Pharisien, apporta un vase d’albâtre plein de parfum. Et se tenant derrière lui à ses pieds[10], elle commença à les arroser de ses larmes, et elle les essuyait avec ses cheveux, et elle les baisait et les oignait de parfum. Ce que voyant le Pharisien qui l’avait invité, il dit en lui-même : Si cet homme était prophète, il saurait qui est celle qui le touche, et que c’est une pécheresse. Alors Jésus lui dit : Simon, j’ai quelque chose à vous dire. Il répondit : Maître, dites. Un créancier avait M. deux débiteurs ; l’un lui devait cinq cents deniers, et l’autre cinquante. Comme ils n’avaient pas de quoi payer leur dette, il la leur remit à tous deux. Lequel l’aimera davantage ? Simon répondit : Celui, je pense, auquel il a le plus remis. Jésus lui dit : Vous avez bien jugé. Et se tournant vers la femme, il dit à Simon : Voyez-vous cette femme ? Je suis entré dans votre maison, et vous ne m’avez pas donné d’eau pour laver mes pieds ; elle, au contraire, a arrosé mes pieds de ses larmes, et les a essuyés avec ses cheveux. Vous ne m’avez point donné de baiser ; mais elle, depuis qu’elle est entrée, n’a point cessé de me baiser les pieds. Vous n’avez point versé de parfum sur ma tête, et elle a répandu ses parfums sur mes pieds. C’est pourquoi je vous dis : Beaucoup de péchés lui sont remis, parce qu’elle a beaucoup aimé ; mais celui à qui on remet moins, aime moins[11]. Puis il dit à cette femme : Vos péchés vous sont remis. Et ceux qui étaient à table avec lui dirent en eux-mêmes : Qui est celui-ci qui même remet les péchés ? Mais Jésus dit encore à cette femme : Votre foi vous a sauvée, allez en paix.

  1. En comparant ce récit avec l’endroit parallèle de S. Matthieu (viii, 5 sv.), on trouvera occasion d’appliquer la remarque de S. Jérôme, que, dans les Saintes Écritures, les Apôtres et les hommes apostoliques considèrent, non les mots, mais le sens, et ne cherchent pas à suivre servilement la lettre, pourvu qu’ils respectent la pensée.
  2. Quelques-uns des plus distingués parmi les habitants de Capharnaüm.
  3. Ville de Galilée, sur le torrent de Cisson, près du mont Thabor. Ce n’est plus aujourd’hui qu’un misérable village, non loin de Naplouse, mais qui a conservé son nom primitif.
  4. Les cercueils, chez les Juifs, n’étaient point fermés.
  5. Malach. iii, 1.
  6. Les vers. 29-30 sont probablement une réflexion de l’Évangéliste.
  7. Et se réjouirent en entendant l’éloge de leur prophète.
  8. Qui leur avait successivement envoyé et Jean et Jésus, l’un plus austère, l’autre plus conciliant. Ainsi ils donnent lieu au Sauveur d’ajouter ce qui suit.
  9. Voy. Marie Madeleine dans le Vocabulaire. On croit que cette ville était Naïm (vers. 11).
  10. >Jésus se tenait à table à la manière des Orientaux, étendu sur un lit ou divan, et appuyé sur le bras gauche, de sorte qu’il avait le visage tourné vers la table, et les pieds non pas sous la table même, mais dans une direction opposée, du côté du mur. Ses pieds étaient nus, suivant la coutume des gens de l’Orient, qui déposent leurs sandales avant d’entrer dans la salle à manger. Marie Madeleine se plaça derrière Jésus, parmi les serviteurs.
  11. L’intention du Sauveur est d’apprendre à Simon qu’il vaut moins que la pécheresse repentante, le mérite se mesurant sur l’amour, et l’amour assez ordinairement sur la grandeur des bienfaits reçus. Si N.-S. tourne la phrase ainsi, c’est pour relever davantage l’amour de cette femme, qui non-seulement l’aime après son pardon, mais qui l’a aimé avant même de l’avoir obtenu, et par la simple espérance de l’obtenir.