Les Quatre Évangiles (Crampon 1864)/Luc/02

Traduction par Augustin Crampon.
Tolra et Haton (p. 263-268).
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saint Luc


CHAPITRE II


NAISSANCE DE JÉSUS-CHRIST. — LES BERGERS A LA CRÈCHE. — CIRCONCISION. — PURIFICATION. — JÉSUS AU MILIEU DES DOCTEURS.


En ces jours-là fut publié un édit de César Auguste, ordonnant qu’on fit le dénombrement des habitants de toute la terre. Ce premier dénombrement fut fait par Cyrinus, gouverneur de Syrie[1]. Et tous allaient se faire inscrire, chacun dans sa ville[2]. Joseph aussi partit de Nazareth, ville de Galilée, et monta en Judée dans la ville de David, appelée Bethléem, parce qu’il était de la tribu et de la famille de David[3], pour se faire inscrire avec Marie, son épouse[4], qui était enceinte. Or, pendant qu’ils étaient en ce lieu, le temps où elle devait enfanter s’accomplit. Et elle mit au monde son fils premier-né[5], l’enveloppa de langes et le coucha dans une crèche[6], parce qu’il n’y avait pas de place pour eux dans l’hôtellerie.

8 Il y avait aux environs des bergers qui veillaient, gardant leur troupeau durant les veilles de la nuit. Et voici qu’un ange du Seigneur leur apparut, et une clarté céleste les environna, et ils furent remplis d’une grande crainte. Mais l’ange leur dit : Ne craignez point, car je vous apporte une nouvelle qui sera pour tout le peuple le sujet d’une grande joie. Il vous est né aujourd’hui, dans la ville de David, un Sauveur, qui est le Christ, le Seigneur. Voici le signe auquel vous le reconnaîtrez : Vous trouverez un Enfant enveloppé de langes et couché dans une crèche. Au même instant se joignit à l’ange une troupe de la milice céleste, louant Dieu et disant : Gloire à Dieu au plus haut des cieux, et paix sur la terre aux hommes de bonne volonté[7].

15 Lorsque les anges, remontant au ciel, les eurent quittés, les pasteurs se dirent l’un à l’autre : Passons jusqu’à Bethléem, et voyons ce qui est arrivé, et que le Seigneur nous a fait connaître. Étant donc venus en hâte, ils trouvèrent Marie, et Joseph, et l’Enfant couché dans une crèche[8]. Et l’ayant vu, ils reconnurent la vérité de ce qui leur avait été dit de cet Enfant. Et tous ceux qui en entendirent parler, étaient dans l’admiration de ce que les pasteurs leur avaient rapporté. Or, Marie conservait toutes ces choses en elle-même, les repassant dans son cœur. Et les pasteurs s’en retournèrent, glorifiant et louant Dieu de tout ce qu’ils avaient vu et entendu, selon qu’il leur avait été annoncé.

21 Le huitième jour étant arrivé, auquel l’Enfant devait être circoncis, il fut appelé Jésus, nom que l’ange lui avait donné avant qu’il fût conçu dans le sein de sa mère.

22 Après que les jours de la purification de Marie furent accomplis selon la loi de Moïse[9], ils portèrent l’Enfant à Jérusalem pour le présenter au Seigneur, selon qu’il est écrit dans la loi du Seigneur : « Tout mâle premier-né sera consacré au Seigneur ; » et pour offrir en sacrifice, ainsi que le prescrit la loi du Seigneur, deux tourterelles, ou deux petits de colombes. Or, il y avait à Jérusalem un homme nommé Siméon ; c’était un homme juste et craignant Dieu, qui attendait la consolation d’Israël, et l’Esprit-Saint était en lui[10]. L’Esprit-Saint lui avait révélé qu’il ne mourrait point, qu’auparavant il n’eût vu le Christ du Seigneur. Conduit par l’Esprit, il vint dans le temple. Et comme les parents de l’Enfant Jésus l’y apportaient afin d’accomplir pour lui ce qu’ordonnait la loi, il le prit entre ses bras, et bénit Dieu en disant :

29 Maintenant, Seigneur, laissez votre serviteur s’en aller en paix, selon votre parole, puisque mes yeux ont vu le Sauveur donné de vous, que vous avez établi pour être, devant tous les peuples, la lumière qui éclairera les nations et la gloire de votre peuple d’Israël.

33 Le père et la mère de l’Enfant étaient dans l’admiration des choses que l’on disait de lui. Et Siméon les bénit, et dit à Marie, sa mère : Cet enfant est au monde pour le salut et la ruine d’un grand nombre en Israël, et pour être un but à la contradiction ; vous-même, vous sentirez le glaive transpercer votre âme : et ainsi[11] seront révélées les pensées cachées dans le cœur d’un grand nombre[12].

36 Et il y avait une prophétesse, Anne, fille de Phanuel, de la tribu d'Aser; elle était fort avancée en âge, et n’avait vécu, depuis sa virginité, que sept ans avec son mari. Restée veuve, et âgée alors de quatre-vingt-quatre ans, elle ne quittait point le temple, servant Dieu nuit et jour dans le jeûne et dans la prière. Elle aussi, survenant à cette même heure[13], se mit à louer le Seigneur et à parler de l'Enfant à tous ceux qui attendaient la rédemption d'Israël. Et quand ils eurent tout accompli selon la loi du Seigneur, ils retournèrent en Galilée, à Nazareth[14], leur ville. Cependant l'Enfant croissait et se fortifiait plein de sagesse, et la grâce de Dieu était en lui[15].

41 Or ses parents allaient tous les ans à Jérusalem, à la fête de Pâque. Lorsqu'il eut atteint sa douzième année, comme ils s’étaient rendus à Jérusalem, selon la coutume de cette fête, et qu’ils s’en retournaient, les jours de la fête étant passés, l'Enfant Jésus resta dans la ville, et ses parents ne s’en aperçurent point[16]. Mais pensant qu’il était avec ceux de leur troupe, ils marchèrent tout un jour, et alors ils le cherchèrent parmi leurs parents et leurs connaissances. Ne le trouvant point, ils retournèrent à Jérusalem pour le chercher. Après trois jours, ils le trouvèrent dans le temple, assis au milieu des docteurs, les écoutant et les interrogeant. Et tous ceux qui l’entendaient étaient confondus de sa sagesse et de ses réponses. En le voyant, ils furent étonnés ; et sa mère lui dit : Mon fils, pourquoi avez-vous agi ainsi avec nous ? Votre père et moi nous vous cherchions tout affligés. Il leur répondit : Pourquoi me cherchiez-vous ? Ne saviez-vous pas qu’il faut que je sois aux choses qui regardent mon Père ? Mais ils ne comprirent pas ce qu’il leur disait[17]. Alors il s’en alla avec eux, et vint à Nazareth, et il leur était soumis[18]. Et sa mère conservait toutes ces choses en son cœur. Et Jésus croissait en sagesse, et en âge, et en grâce devant Dieu et devant les hommes.

  1. Voyez Cyrinus (Recensement de) dans le Vocabulaire.
  2. Dans la ville qui avait été le berceau de sa famille.
  3. Dans la Bible on monte en Judée, à Jérusalem, et en général à tout lieu physiquement ou moralement élevé. — David était né à Bethléem. — Le père Patrizzi explique le grec : et de la patrie (ville d’origine) de David.
  4. Les mots avec Marie, etc., se rattachent-ils à il monta en Judée, ou à se faire inscrire ? Voy. Cyrinus dans le Vocabulaire.
  5. Voy. Matth. i, 25, note.
  6. En grec, dans la crèche ou l’étable de l’hôtellerie. Le père Patrizzi pense que des deux sens, crèche et étable, le premier vaut mieux, comme plus en rapport avec la tradition des Pères et les plus anciennes peintures. — Dés la plus haute antiquité, la crèche qui reçut le Sauveur du monde à sa naissance, fut à Bethléem l’objet du culte des chrétiens ; saint Jérôme et sainte Paule la visitèrent avec respect et dévotion, et on la conserve aujourd’hui à Rome dans l’église de Sainte-Marie-Majeure, où on l’apporta au viie siècle.
  7. Par les hommes de bonne volonté, plusieurs Pères entendent, non les hommes disposés à faire le bien, mais les hommes sur qui tombe la bonne volonté, le bon plaisir (Ps. cv, 4), la bienveillance, la miséricorde de Dieu. C’est certainement le sens du grec, que le Père Patrizzi ponctue et explique ainsi : Gloire à Dieu au plus haut des cieux, et paix sur la terre, bienveillance ou faveur de Dieu parmi ou envers les hommes.
  8. La pieuse coutume d’ériger des crèches dans les églises et les maisons particulières au temps de Noël, date de saint François d’Assise. Trois ans avant sa mort, raconte saint Bonaventure, François fit appeler un pieux gentilhomme qui demeurait près de Reate, et lui dit : « Veux-tu que nous célébrions la fête de la Nativité chez toi : va et prépare ce que je vais l’ordonner. » Il lui dit de disposer dans une prairie une crèche et une étable sur le modèle de celle de Bethléem. Puis, quand fut venue la nuit de Noël, François, suivi des frères de son ordre et d’une foule considérable, s’y rendit en procession. L’étable était illuminée de mille cierges ; à minuit, on célébra la première messe, et le saint, au moment de l’Évangile, prononça un discours en l’honneur du divin Enfant. De l’ordre de saint François, cet usage touchant et naïf se répandit partout dans l’Église, et il sera toujours cher aux âmes qui aiment à reconnaître le Sauveur incarné sous les traits de l’Enfant de Bethléem.
  9. La loi de Moïse ordonnait deux choses aux parents des enfants nouvellement nés. La première, si l’enfant était le premier-né de la famille, de le présenter à Dieu, comme lui étant consacré, et de le racheter de lui par l’offrande prescrite : car « tout est à moi, » dit le Seigneur (Exod. xiii, 2) ; en outre, cette loi rappelait que Dieu avait épargné en Égypte les premiers-nés des enfants d’Israël. La deuxième chose regardait la purification des mères, qui étaient impures dès qu’elles avaient mis au monde un enfant, et cela par suite du péché d’Ève ; l’impureté durait quarante jours si c’était un enfant mâle : après quoi la mère se rendait au temple, offrait son sacrifice et était déclarée pure. Le Fils de Dieu et la Vierge mère se soumettent volontairement, pour l’exemple du monde, à une loi qui n’était pas faite pour eux.
  10. Tout l’ensemble du récit indique que Siméon n’était pas un prêtre, bien moins encore le grand-prêtre, comme le disent plusieurs évangiles apocryphes. Le Père Patrizzi incline à voir dans ce vieillard le célèbre rabbin Siméon (appelé Saméas par Joséphe), fils de Hillel et père de Gamaliel, qui fut le maître de saint Paul (Act. v, 34, xxii, 3).
  11. Et ainsi, etc., se rapporte à tout le vers. 34.
  12. Les sentiments des Juifs et des hommes en général à l’égard de Jésus-Christ.
  13. C'est pour cela que les Pères grecs appellent souvent la fête de la Purification, fête de la Rencontre.
  14. Voir Matth. ii, 9, note 3.
  15. « Si Dieu faisait tout par miracle, dit saint Augustin, il effacerait ce qu’il a fait par miséricorde. » Ainsi il fallait que, comme les autres enfants, Jésus sentît le progrès de l’âge. La sagesse même dont il était plein se déclarait par degrés, vers. 52. Et la grâce de Dieu, etc. L’évangéliste veut dire qu’à mesure que l’enfant croissait et commençait à agir par lui-même, il reluisait dans tout son extérieur je ne sais quoi qui faisait rentrer en soi-même et qui attirait les âmes à Dieu, tant tout était simple, mesuré, réglé dans ses actions et dans ses paroles. Bossuet.
  16. « Les charmes du saint Enfant étaient merveilleux; il est à croire que tout le monde le voulait avoir, et ni Marie ni Joseph n’eurent peine à croire qu’il fût dans quelque troupe des voyageurs, car les gens de même contrée allant à Jérusalem dans les jours de fête, formaient des caravanes pour aller de compagnie. » Bossuet.
  17. Ne raffinons point mal à propos, dit Bossuet, sur le texte de l’Évangile. On dit non-seulement de Joseph, mais encore de Marie même, qu’ils ne conçurent pas ce que voulait dire Jésus. Ils savaient bien qu’il était le Fils de Dieu ; mais ils ne connaissaient pas, à cette époque, de quelle manière et par quel moyen il instruirait et sauverait les hommes.
  18. « Je suis saisi d’étonnement à cette parole. Est-ce donc là tout l’emploi d’un Jésus-Christ, du Fils de Dieu ? Tout son emploi, tout son exercice est d’obéir à deux de ses créatures, et en quoi leur obéir ? Dans les plus bas exercices, dans la pratique d’un art mécanique ! Où sont ceux qui se plaignent, qui murmurent lorsque leurs emplois ne répondent pas à leur capacité, disons mieux, à leur orgueil ? Qu’ils viennent dans la maison de Joseph et de Marie, et qu’ils y voient travailler Jésus-Christ. » Bossuet.