Les Quatre Évangiles (Crampon 1864)/Jean/08

Traduction par Augustin Crampon.
Tolra et Haton (p. 449-456).
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saint Jean


CHAPITRE VIII


LA FEMME ADULTÈRE. — JÉSUS LUMIÈRE DU MONDE. — DIVERS DISCOURS DE JÉSUS-CHRIST SUR SON ORIGINE ET SA MORT.


Jésus s’en alla sur la montagne des Oliviers[1], et dès le point du jour il retourna dans le temple, où tout le peuple vint à lui ; et, s’étant assis, il les enseignait.

3 Alors les Scribes et les Pharisiens lui amenèrent une femme surprise en adultère. L’ayant placée au milieu de la foule, ils dirent à Jésus : Maître, cette femme vient d’être surprise en adultère. Or Moïse, dans la Loi, nous a ordonné de lapider les adultères[2]. Vous donc, que dites-vous ? C’était pour le tenter qu’ils l’interrogeaient ainsi, afin de pouvoir l’accuser[3]. Mais Jésus, se baissant, écrivait sur la terre avec le doigt[4]. Comme ils continuaient à l’interroger, il se redressa et leur dit : Que celui de vous qui est sans péché jette le premier la pierre contre elle ; et, se baissant de nouveau, il écrivait sur la terre. Ayant entendu cette parole, ils[5] s’en allèrent l’un après l’autre, les Anciens d’abord ; de sorte qu’il ne resta que Jésus, et la femme qui était au milieu de la foule. Alors Jésus se relevant lui dit[6] : Femme, où sont ceux qui vous accusaient ? Personne ne vous a-t-il condamnée ? Elle répondit : Personne, Seigneur. Jésus lui dit : Ni moi non plus je ne vous condamnerai. Allez, et ne péchez plus.

12 Jésus leur parla de nouveau[7]. disant : Je suis la lumière du monde[8]. Celui qui me suit ne marche point dans les ténèbres ; mais il aura la lumière de la vie[9]. Les Pharisiens donc lui dirent : Vous rendez vous-même témoignage de vous ; votre témoignage n’est pas véritable[10]. Jésus leur répondit : Quoique je rende témoignage moi-même de moi, mon témoignage est véritable, parce que je sais d’où je viens et où je vais[11] ; pour vous, vous ne savez ni d’où je viens ni où je vais. Vous jugez selon la chair ; moi, je ne juge personne[12]. Et si je juge, mon jugement est illégitime, parce que je ne suis pas seul, mais moi, et le Père qui m’a envoyé[13]. Et il est écrit dans votre Loi que le témoignage de deux hommes est véritable[14]. Or, moi-même je rends témoignage de moi, et mon Père qui m’a envoyé en rend aussi témoignage[15]. Ils lui dirent donc : Où est votre Père ? Jésus répondit : Vous ne connaissez ni moi, ni mon Père ; si vous me connaissiez, peut-être connaîtriez-vous aussi mon Père[16]. Jésus parla de la sorte dans le parvis du Trésor[17], lorsqu’il enseignait dans le temple ; et personne ne se saisit de lui, parce que son heure n’était pas encore venue.

21 Jésus leur dit encore[18] : Je m’en vais, et vous me chercherez, et vous mourrez dans votre péché. Où je vais, vous ne pouvez venir[19]. Les Juifs disaient donc : Et-ce qu’il a dessein de se tuer lui-même, qu’il dit : Où je vais, vous ne pouvez venir ? Et il leur dit : Vous, vous êtes d’en bas ; moi, je suis d’en haut ; vous êtes de ce monde, moi je ne suis pas de ce monde[20]. Aussi je vous ai dit que vous mourriez dans votre péché[21] ; car si vous ne croyez pas que c’est moi le Messie, vous mourrez dans votre péché. Qui êtes-vous ? lui dirent-ils. Jésus leur répondit : Le Principe, moi-même qui vous parle[22]. J’ai beaucoup de choses à dire de vous et à condamner en vous, mais[23] celui qui m’a envoyé est véridique, et ce que j’ai entendu de lui, je le dis au monde. Et ils ne comprirent point qu’il disait que Dieu était son Père[24]. Jésus donc leur dit : Lorsque vous aurez élevé le Fils de l’homme, alors vous connaîtrez ce que je suis, et que je ne fais rien de moi-même, mais que je dis ce que mon Père m’a enseigné[25]. Et celui qui m’a envoyé est avec moi, et il ne m’a pas laissé seul, parce que je fais toujours ce qui lui plaît[26]. Comme il disait ces choses, plusieurs crurent en lui.

31 Jésus dit donc aux Juifs qui croyaient en lui : Si vous demeurez fermes dans ma parole, vous serez mes véritables disciples, et vous connaîtrez la vérité, et la vérité vous rendra libres[27]. Ils lui répondirent : Nous sommes de la race d’Abraham, et ne fûmes jamais esclaves de personne[28] ; comment dites-vous : Vous serez libres ? Jésus leur répondit : En vérité, en vérité, je vous le dis, quiconque pèche est esclave du péché[29]. L’esclave ne demeure pas toujours dans la maison ; mais le fils y demeure toujours[30]. Si donc le Fils vous rend libres, vous serez vraiment libres[31]. Je sais que vous êtes enfants d’Abraham ; mais vous cherchez à me faire mourir, parce que ma parole n’entre point en vous. Moi, ce que j’ai vu dans mon Père, je le dis ; et vous, ce que vous avez vu dans votre père[32], vous le faites. Ils lui répondirent : Notre père, c’est Abraham. Jésus leur dit : Si vous êtes fils d’Abraham, faites les œuvres d’Abraham. Mais maintenant vous cherchez à me faire mourir, moi qui vous ai dit la vérité que j’ai entendue de Dieu : ce n’est point ce qu’a fait Abraham. Vous faites les œuvres de votre père. Ils lui dirent : Nous ne sommes pas des enfants de fornication[33] ; nous avons un seul Père, qui est Dieu. Jésus leur dit : Si Dieu était votre Père, vous m’aimeriez, parce que je suis sorti de Dieu et que je viens de sa part ; car je ne suis pas venu de moi-même, mais c’est lui qui m’a envoyé. Pourquoi ne reconnaissez-vous pas mon langage[34] ? Parce que vous ne pouvez entendre ma parole. Vous êtes les enfants du démon, et vous voulez accomplir les désirs de votre père. Il était homicide dès le commencement, et n’est point demeuré dans la vérité, parce que la vérité n’est point en lui. Lorsqu’il dit le mensonge, il dit ce qu’il trouve en lui-même ; car il est menteur, et le père du mensonge[35]. Et moi, si je vous dis la vérité, vous ne me croyez point. Qui de vous me convaincra de péché ? Si je vous dis la vérité, pourquoi ne me croyez-vous pas ? Celui qui est de Dieu écoute la parole de Dieu ; c’est parce que vous n’êtes pas de Dieu que vous ne l’écoutez pas.

48 Les Juifs lui répondirent : N’avons-nous pas raison de dire que vous êtes un Samaritain et possédé d’un démon ? Jésus répondit : Il n’y a point en moi de démon ; mais j’honore mon Père, et vous, vous m’outragez. Mais je n’ai pas de souci de ma gloire : il est quelqu’un qui en prendra soin et qui fera justice. En vérité, en vérité, je vous le dis, si quelqu’un garde ma parole, il ne verra jamais la mort[36]. Les Juifs lui dirent : Nous voyons maintenant qu’un démon est en vous. Abraham est mort, et les Prophètes aussi, et vous dites : Si quelqu’un garde ma parole, il ne goûtera jamais la mort. Êtes-vous plus grand que notre père Abraham, qui est mort ? Les Prophètes aussi sont morts ; qui prétendez-vous être ? Jésus répondit : Si je me glorifie moi-même, ma gloire n’est rien ; c’est mon Père qui me glorifie, lui que vous dites être votre Dieu[37]. Cependant vous ne le connaissez point ; mais moi je le connais ; et si je disais que je ne le connais point[38], je serais menteur comme vous. Mais je le connais, et je garde sa parole. Abraham, votre père, a tressailli du désir de voir mon jour ; il l’a vu, et a été rempli de joie[39]. Les Juifs lui dirent : Vous n’avez pas encore cinquante ans, et vous avez vu Abraham[40] ? Jésus leur répondit : En vérité, en vérité, je vous le dis, avant qu’Abraham fût fait, je suis[41]. Alors ils prirent des pierres pour les lui jeter[42] ; mais Jésus se cacha et sortit du temple.

  1. Le soir du dernier jour de la fête des Tabernacles. — Sur l’authenticité de ce récit (vers, 1-11), voy la Préface de cet Évangile, p. 382.
  2. Lév. xx, 10 ; Deut. xxii, 24.
  3. On sait qu’à cette époque les Juifs avaient perdu le droit de faire exécuter une sentence capitale sans la permission du gouverneur romain (xviii, 31). Là était le piège : si Jésus se prononçait pour la lapidation, comme les lois romaines ne punissaient pas de mort l’adultère, on l’accuserait de trouble et de rébellion ; s’il se prononçait contre, on le ferait passer pour un impie, pour un contempteur de la loi de Moïse.
  4. En signe d’indifférence et d’inattention.
  5. C’est-à-dire ici les membres du Sanhédrin. En grec, selon plusieurs manuscrits : L’ayant entendu, convaincus par leur conscience, ils s’en allèrent un à un, depuis les Anciens jusqu’aux derniers, les hommes de condition privée ou inférieure.
  6. En grec, alors Jésus se levant, et n’apercevant personne, excepté la femme, lui dit.
  7. Probablement le lendemain.
  8. Notre-Seigneur semble avoir emprunté cette image, soit, comme le veut Patrizzi, aux flambeaux nombreux qui illuminaient toute la ville pendant la fête des Tabernacles ; soit, d’après Klofutar, aux deux grands candélabres d’or qui étaient placés dans le parvis des femmes, et qu’un prêtre allumait chaque soir, pendant cette même fête, en signe de l’illumination du monde prédite par Isaïe : « Lève-toi, Jérusalem, car ta lumière est venue, et la gloire du Seigneur a paru sur toi. Les ténèbres couvriront la terre, et la nuit les peuples ; mais sur toi se lèvera le Seigneur, et sa gloire apparaîtra dans ton enceinte (lx, 1-3). »
  9. La lumière qui donne la vie de la grâce ici-bas, et dans le ciel la vie de la gloire.
  10. C’est-à-dire légitime, valable. Comp. v, 31.
  11. Parce que je sais que je suis le Fils de Dieu, envoyé sur la terre pour sauver les hommes, et, la rédemption accomplie, retourner vers mon Père. Ce que je dis est donc l’irréfragable vérité. Saint Augustin.
  12. Vous me jugez selon les apparences extérieures, et vous me condamnez comme un imposteur. — Je ne juge, je ne condamne : comp. iii, 17. Le P. Patrizzi, après juge, sous-entend : selon la chair.
  13. Notre-Seigneur passe de l’idée de jugement à celle de témoignage (vers. 13) ; selon d’autres (Allioli, etc.), juger est mis dans ce vers, pour rendre témoignage.
  14. Deuter. xix, 13.
  15. Ce témoignage du Fils et du Père consistait dans les œuvres de Jésus, que tout esprit sans préjugé devait reconnaître comme des œuvres divines.
  16. La réponse directe serait : Mon Père est au ciel. Jésus répond indirectement : Votre question prouve que vous ne connaissez ni, etc. — Le grec serait mieux traduit sans ajouter peut-être, comme la Vulg. elle-même le fait xiv, 7.
  17. D’après Marc, xii, 41, et Josèphe (Bell. v, 5, 3), le Trésor, ou Gazophylacium, se trouvait dans le parvis des femmes. Les Rabbins disent qu’il consistait en 13 troncs, où l’on déposait les offrandes des Juifs, soit volontaires, soit imposées par la loi, pour l’usage du temple et la subsistance des pauvres.
  18. Peu de temps après, probablement le même jour.
  19. A cause de vos péchés et de votre impénitence.
  20. Vous avez des sentiments et des affections terrestres : voilà pourquoi où je vais, vous ne pouvez venir.
  21. Comp. iv, 26.
  22. Je suis le Verbe éternel, qui se manifeste à vous. En grec, je suis tout à fait ce que je vous dis, je suis tel que mes discours le proclament, le Messie, Fils de Dieu.
  23. Mais, afin que vous le sachiez de suite et que vous croyiez, celui qui, etc.
  24. En grec, qu’il leur parlait de son Père.
  25. Élevé en croix. — Vous connaîtrez : tout vous le montrera, et les prodiges qui suivront ma mort, et ma résurrection, et mon ascension, et les dons de l’Esprit-Saint répandus dans les âmes, etc. — Je ne fais : faire, dans le sens large, comprend aussi enseigner.
  26. Le P. Patrizzi pense que les mots : Et celui — laissé seul, forment une espèce de parenthèse. Ad. Maier : La preuve et la marque que mon Père est avec moi, c’est que je fais toujours ce qui lui plaît.
  27. La vérité, toute ma doctrine. — Libres de la tyrannie du péché et des passions mauvaises.
  28. S’ils l’entendent de la liberté politique, l’orgueil national les aveugle étrangement, dit saint Chrysostome, car ils ont eu pour maîtres les Égyptiens, les Chaldéens, les Perses, les Grecs et les Romains. D’autres pensent qu’ils parlent de la liberté spirituelle, en ce sens qu’ils auraient toujours adoré le seul Dieu véritable.
  29. Et des passions.
  30. Notre-Seigneur sous-entend la seconde partie de la comparaison : Ainsi celui qui est esclave du péché n’a pas le droit de demeurer toujours dans la maison de Dieu ; il doit en être chassé. Application aux Juifs : Les Juifs ne feront plus partie du royaume de Dieu. — Le fils : sous ces expressions générales, c’est le Fils de Dieu qu’il faut voir.
  31. « Et quelle liberté vous donnera-t-il, sinon celle qu’il a voulue pour lui-même ? C’est-à-dire d’être dépendant de Dieu seul, dont il est si doux de dépendre, et le service duquel vaut mieux qu’un royaume, parce que cette même soumission qui nous met au-dessous de Dieu nous met en même temps au-dessus de tout. » Bossuet.
  32. Le démon.
  33. C’est-à-dire des idolâtres. On sait que dans la Bible l’union de Jéhovah avec son peuple est souvent représentée sous l’image d’un mariage ; le culte des idoles était donc pour la nation un adultère, une fornication spirituelle.
  34. Pourquoi ne reconnaissez-vous pas dans mon langage l’accent, le ton, le dialecte d’un envoyé de Dieu ? Pourquoi ne reconnaissez vous pas à mon langage que le ciel est ma patrie, comme vous reconnaissez un Galiléen à son accent (Matth. xxvi, 73)
  35. Enfants du démon, par l’imitation de ses sentiments et de ses œuvres. — Vous voulez, c’est-à-dire, vous êtes ardents à suivre ses inspirations. — Homicide… Il ne s’agit point du meurtre d’Abel, mais de la perte de nos premiers parents qui, séduits par le démon, furent condamnés à la mort (Sag. ii, 24). — Dans la vérité, dans son intégrité première, et s’est fait parmi les anges et les hommes le propagateur de l’erreur et du mensonge.
  36. La mort spirituelle.
  37. N’est rien : comp. v, 31. — Me glorifie, par les oracles des Prophètes qui m’ont annoncé, par le témoignage de Jean-Baptiste, par les miracles qu’il m’a donné de faire. — Lui que… Et si vous voulez savoir quel est mon Père, c’est celui dont vous dites avec orgueil qu’il est votre Dieu.
  38. Comp. vii, 28.
  39. Mon jour, le jour de ma venue sur la terre. — Il l’a vu, non-seulement par la foi, ou en figure (sacrifice d’Isaac), ou par une révélation prophétique ; mais dans le séjour des âmes, où, avec tous les pieux personnages qui ont quitté la vie, il attendait mon avènement, il a vu (appris) le jour de mon incarnation et de ma naissance, et a été rempli de joie.
  40. Notre-Seigneur était beaucoup plus jeune ; mais, dit Lightfoot, la cinquantième année était chez les Juifs le terme fixé pour l’âge viril, l’âge parfait. C’est comme s’ils avaient dit : Vous n’avez pas encore atteint l’âge parfait, et vous, etc.
  41. Saint Augustin : L’Évangéliste ne dit pas : Avant qu’Abraham fût, je suis ; mais : Avant qu’Abraham fût fait ; car Abraham fut fait, et Jésus est. Il ne dit pas non plus : Avant qu’Abraham fût fait, j’ai été fait moi-même ; car il n’a pas été fait, mais il est. Reconnaissez le Créateur, et distinguez la créature. Celui qui parle ici a bien été le rejeton d’Abraham ; mais avant qu’Abraham fût fait, il était lui-même avant Abraham. Comp. i, 6.
  42. Le temple, à cette époque, n’était pas encore achevé, et il y avait des pierres entassées dans les cours.