Les Quatre Évangiles (Crampon 1864)/Jean/06

Traduction par Augustin Crampon.
Tolra et Haton (p. 432-442).
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saint Jean


CHAPITRE VI


MULTIPLICATION DES CINQ PAINS (Matth. xiv, 13 sv. Marc, vi, 30 sv. Luc, ix, 10 sv.). — JÉSUS MARCHE SUR LA MER (Matth. xiv, 22-23 ; Marc, vi, 43-82). — PAIN DU CIEL, PAIN DE VIE. — LA CHAIR ET LE SANG DE JÉSUS, NOURRITURE ET BREUVAGE. — SCANDALE DE PLUSIEURS, FIDÉLITÉ DES APÔTRES. — TRAHISON DE JUDAS PRÉDITE[1].


Jésus s’en alla ensuite de l’autre côté de la mer de Galilée ou lac de Tibériade. Et une grande multitude de peuple le suivait, parce qu’ils voyaient les miracles qu’il faisait sur ceux qui étaient malades[2]. Jésus monta sur une montagne, et s’y assit avec ses disciples. Or, la Pâque, qui est la grande fête des Juifs, était proche[3]. Jésus donc ayant levé les yeux, et voyant qu’une très-grande multitude était venue à lui, dit à Philippe : Où achèterons-nous du pain pour donner à manger à cette foule ? Il disait cela pour le tenter, car il savait ce qu’il devait faire. Philippe lui répondit : Quand on aurait pour deux cents deniers de pain, cela ne suffirait pas pour en donner à chacun un morceau. Un de ses disciples, André, frère de Simon-Pierre, lui dit : Il y a ici un jeune homme qui a cinq pains d’orge et deux poissons ; mais qu’est-ce que cela pour tant de gens ? Jésus dit : Faites-les asseoir. Il y avait beaucoup d’herbe en ce lieu. Ils s’assirent donc, au nombre d’environ cinq mille. Et Jésus prit les pains, et, ayant rendu grâces, il les distribua[4] à ceux qui étaient assis ; il leur donna de même des deux poissons, autant qu’ils en voulaient. Lorsqu’ils furent rassasiés, il dit à ses disciples : Recueillez les morceaux qui sont restés, afin que rien ne se perde. Ils les recueillirent, et emplirent douze corbeilles des morceaux restés des cinq pains d’orge après qu’ils eurent mangé. Ces hommes, ayant vu le miracle que Jésus avait fait, disaient : Celui-ci est vraiment le Prophète qui doit venir dans le monde[5]. Sachant donc qu’ils devaient venir pour l’enlever et le faire roi, Jésus se retira de nouveau seul sur la montagne.

16 Le soir venu, ses disciples descendirent vers la mer ; et étant montés dans une barque, ils naviguèrent vers l’autre bord, pour arriver à Capharnaüm. Il faisait déjà nuit, et Jésus n’était pas venu à eux. Cependant la mer, soulevée par un grand vent, s’enflait. Lorsqu’ils eurent ramé environ vingt-cinq ou trente stades[6], ils virent Jésus marchant sur la mer et s’approchant de la barque, et ils eurent peur. Mais il leur dit : C’est moi, ne craignez point. Ils voulurent donc le prendre dans la barque, et aussitôt la barque se trouva au lieu où ils allaient[7].

22 Le jour suivant, le peuple qui était resté de l’autre côté de la mer, remarqua qu’il n’y avait eu là qu’une barque, et que Jésus n’y était point entré avec ses disciples, mais que les disciples étaient partis seuls. D’autres barques cependant vinrent de Tibériade près du lieu où le Seigneur, après avoir rendu grâces, leur avait donné à manger. Le peuple donc, ayant vu que Jésus n’était point là, ni ses disciples non plus, entra dans ces barques, et vint à Capharnaüm, cherchant Jésus[8]. Et l’ayant trouvé de l’autre côté de la mer, ils lui dirent : Maître, quand êtes-vous venu ici ? Jésus leur répondit[9] :

26 En vérité, en vérité, je vous le dis, vous me cherchez, non parce que vous avez vu des miracles, mais parce que vous avez mangé des pains, et avez été rassasiés. Travaillez[10], non pour la nourriture qui périt, mais pour celle qui demeure pour la vie éternelle[11], et que le Fils de l’homme vous donnera. Car Dieu le Père l’a marqué d’un sceau[12]. Ils lui dirent : Que ferons-nous, pour opérer les œuvres de Dieu[13] ? Jésus leur répondit : L’œuvre de Dieu est que vous croyiez en celui qu’il a envoyé. Ils lui dirent : Quel miracle faites-vous donc pour que, le voyant, nous croyions en vous ? Quelles sont vos œuvres ? Nos pères ont mangé la manne dans le désert, ainsi qu’il est écrit : « Il leur a donné à manger le pain du ciel[14]. » Jésus leur répondit : En vérité, en vérité, je vous le dis, ce n’est pas Moïse qui vous a donné un pain céleste, mais mon Père vous donne le vrai pain du ciel[15]. Car le pain de Dieu est celui qui descend du ciel et qui donne la vie au monde[16].

34 Ils lui dirent donc : Seigneur, donnez-nous de ce pain. Jésus leur répondit : Je suis le pain de vie[17] : celui qui vient à moi n’aura pas faim, et celui qui croit en moi n’aura jamais soif. Mais, je vous l’ai dit, vous m’avez vu[18], et vous ne croyez point. Tout ce que me donne mon Père, viendra à moi, et celui qui vient à moi, je ne le jetterai point dehors[19] ; car je suis descendu du ciel, non pour faire ma volonté, mais pour faire la volonté de celui qui m’a envoyé. Or, la volonté de mon Père, qui m’a envoyé, est que je ne perde aucun de ceux qu’il m’a donnés, mais que je les ressuscite au dernier jour[20]. Oui, telle est la volonté de mon Père qui m’a envoyé, que quiconque voit le Fils[21] et croit en lui, ait la vie éternelle ; et je le ressusciterai au dernier jour. Cependant les Juifs murmuraient contre lui, parce qu’il avait dit : Je suis le pain vivant, qui suis descendu du ciel. Et ils disaient : N’est-ce pas là Jésus, le fils de Joseph, dont nous connaissons le père et la mère ? Comment donc dit-il : Je suis descendu du ciel ? Jésus leur répondit : Ne murmurez point entre vous. Nul ne peut venir à moi, si mon Père, qui m’a envoyé, ne l’attire ; et moi je le ressusciterai au dernier jour. Il est écrit dans les Prophètes : « Ils seront tous enseignés de Dieu. » Quiconque a entendu le Père et appris de lui, vient à moi[22] : non que personne ait vu le Père, si ce n’est celui qui est de Dieu[23] ; lui seul a vu le Père. En vérité, en vérité, je Vous le dis[24], celui qui croit en moi a la vie éternelle. Je suis le pain de vie. Vos pères ont mangé la manne dans le désert, et ils sont morts. Voici le pain descendu du ciel, pour que celui qui en mange ne meure point[25]. Je suis le pain vivant[26] qui suis descendu du ciel. Si quelqu’un mange de ce pain, il vivra éternellement ; et le pain que je donnerai est ma chair, livrée pour le salut du monde[27]. Les Juifs donc disputaient entre eux, disant : Comment celui-ci peut-il nous donner sa chair à manger ? Et Jésus leur dit : En vérité, en vérité, je vous le dis, si vous ne mangez la chair du Fils de l’homme, et ne buvez son sang, vous n’aurez point la vie en vous[28]. Celui qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle, et je le ressusciterai au dernier jour[29]. Car ma chair est vraiment une nourriture, et mon sang est vraiment un breuvage[30]. Celui qui mange ma chair et boit mon sang, demeure en moi, et moi en lui[31]. Comme mon Père qui est vivant[32] m’a envoyé, et que je vis par mon Père[33] : de même celui qui me mange vivra aussi par moi. Voici le pain qui est descendu du ciel, bien différent de la manne qu’ont mangée vos pères, et ils sont morts ; celui qui mange ce pain vivra éternellement[34]. Jésus dit ces choses dans la synagogue, lorsqu’il enseignait à Capharnaüm.

61 Plusieurs de ses disciples l’entendant, dirent : Cette parole est dure, et qui peut l’écouter[35] ? Jésus, connaissant en lui-même que ses disciples murmuraient à ce sujet, leur dit : Cela vous scandalise ? Mais quand vous verrez le Fils de l’homme monter où il était auparavant[36] ? C’est l’esprit qui vivifie ; la chair ne sert de rien. Les paroles que je vous ai dites sont esprit et vie[37]. Mais il y en a parmi vous quelques-uns qui ne croient point[38]. Car, dès le commencement, Jésus savait qui étaient ceux qui ne croyaient point, et qui était celui qui le trahirait. Et il disait : C’est pourquoi je vous ai dit que nul ne peut venir à moi, s’il ne lui est donné par mon Père[39]. De ce moment, plusieurs de ses disciples se retirèrent, et ils ne l’accompagnaient plus[40]. Jésus donc dit aux Douze : Et vous, voulez-vous aussi vous en aller ? Simon-Pierre lui répondit : Seigneur, à qui irions-nous ? Vous avez les paroles de la vie éternelle[41]. Nous, nous croyons et nous savons que vous êtes le Christ, le Fils de Dieu. Jésus leur répondit : Ne vous ai-je pas choisis tous les douze ? Et cependant parmi vous il y a un démon[42]. Il parlait de Judas Iscariote, fils de Simon ; car c’était lui qui devait le trahir, quoiqu’il fût l’un des Douze.

  1. Dans ce chap., Notre-Seigneur nourrissant miraculeusement cinq mille hommes, et se présentant lui-même comme un pain céleste, apparaît encore comme l’auteur et le principe de la vie.
  2. Voy. Matth. xiv, 13.
  3. L’an 28 de l’ère vulgaire.
  4. Par le ministère de ses disciples, comme le grec le porte expressément.
  5. Le Messie.
  6. De cinq à six kilomètres.
  7. Ils voulurent, ils s’empressèrent de le prendre ; car la peur les avait d’abord portés à s’éloigner. — Se trouva, par un miracle.
  8. La foule nourrie par le Sauveur passa la nuit dans le désert. Le lendemain matin, sachant qu’il n’y avait la veille sur le rivage qu’une seule barque où les Apôtres seuls étaient montés, elle en conclut que Jésus était resté près de là ; mais ne le voyant pas reparaître, elle s’imagina qu’il était retourné à Capharnaüm. C’est pourquoi un grand nombre, profitant des barques qui étaient sans doute venues pour le prendre, retournèrent à Capharnaüm, cherchant Jésus.
  9. Ce discours (26-60), où Notre-Seigneur enseigne qu’il donnera au monde un pain descendu du ciel, un pain de vie, renferme la promesse de l’Eucharistie, dont l’institution est racontée par les synoptiques, et dont l’usage parmi les premiers fidèles est décrit par saint Paul. Scion quelques-uns, ce n’est qu’à partir du vers 48 ou 49 qu’il serait question de l’Eucharistie ; tout ce qui précède devrait s’entendre uniquement dans un sens spirituel et figuré, savoir, d’une manducation de Jésus-Christ parla foi en lui. Nous pensons, avec Corn. Lapierre et Bossuet, que la différence est moins tranchée entre les diverses parties de ce discours, ou plutôt qu’il ne renferme pas, à proprement parler, plusieurs parties, mais une seule, et que depuis le commencement jusqu’à la fin Notre-Seigneur a en vue l’Eucharistie, annoncée d’abord en termes généraux, et ensuite sans aucun voile, dans un langage aussi clair, aussi simple, aussi précis que celui dont pourrait se servir un catéchiste du xixe siècle expliquant à des enfants la doctrine de l’Église sur le sacrement de nos autels. Si, dans plusieurs versets, il est question de la foi, c’est qu’elle est requise aussi bien pour l’Eucharistie que pour l’incarnation, et qu’il faut croire en Jésus-Christ qui donne sa chair à manger, comme il faut croire en Jésus-Christ descendu du ciel et revêtu de cette chair. Voici comment Kiofutar, qui résume dans son Commentaire sur saint Jean les travaux de l’Allemagne catholique, marque la gradation des pensées : 1° Promesse d’un pain céleste faite en général (vers. 26-34 ; 2° Jésus-Christ est un pain de vie (vers. 35-52) ; 3° sa chair est une nourriture, et son sang un breuvage.
  10. Cherchez à vous procurer.
  11. Dans les vers. 48 sv. il parlera plus clairement de cette nourriture.
  12. « C’est celui que le Père céleste a accrédité auprès de vous en imprimant sur lui son sceau et son caractère, en confirmant sa doctrine et sa mission par tant de miracles. » Bossuet.
  13. Et par là mériter cette nourriture.
  14. Ps. lxxvii, 24. Les Rabbins, dit Lighfoot, enseignaient que le Messie ressemblerait à Moïse, et ferait les mêmes choses que lui, mais d’une manière et dans un ordre plus excellent. On sait que la manne est un aliment miraculeux dont Dieu nourrit son peuple dans le désert.
  15. C’est improprement et par figure que la manne était appelée un pain du ciel. — Si donc vous avez cru Moïse parce qu’il vous a donné la manne, vous avez, pour croire en moi, un miracle (vers. 30) semblable, et bien plus merveilleux encore. »
  16. Ce pain est vraiment céleste, il donne au monde la vie éternelle : trois circonstances qui montrent combien il l’emporte sur la manne.
  17. Qui donne la vie, la vie de la grâce ici-bas, et la vie de la gloire dans le ciel.
  18. Faisant des miracles.
  19. Hors du royaume de Dieu. Sens : Votre endurcissement ne rendra pas vains les conseils de mon Père. Tous ceux qu’il m’a donnés, qu’il a disposés par sa grâce à croire en moi (la foi est un don de Dieu), viendront à moi en effet. Que cette prédestination soit, de la part du Père, une simple disposition ou préparation des cœurs, et non une coaction qui ôte la liberté, ou le voit chap. xvii, 12.
  20. Ajoutez : Pour la vie éternelle. « Suis-je des élus, ou n’en suis-je pas Ce n’est point à nous à nous enquérir et à nous troubler du secret de la prédestination, mais à prier et à nous abandonner à la bonté de Dieu. Mon Sauveur, je m’y abandonne ; je vous prie de me regarder de ce regard spécial, et que je ne sois pas du malheureux nombre de ceux que vous haïrez et qui vous haïront. Cela est horrible à prononcer. Mon Dieu, délivrez-moi d’un si grand mal : je vous remets entre les mains ma liberté malade et chancelante, et ne veux mettre ma confiance qu’en vous. » Bossuet.
  21. Le considère et le contemple attentivement, voit les miracles qu’il fait. Comp. vers. 36. Deux conditions sont nécessaires pour arriver à la vie éternelle : il faut que le Père attire ou dispose par sa grâce, il faut que l’homme se rende et croie en Jésus-Christ ; la première est exprimée au vers. 39, la deuxième au vers. 40.
  22. Sens des vers. 44-45. Corn. Lapierre, après S. Chrysostome : Notre-Seigneur aurait pu répondre aux Juifs : Vous ne comprenez pas ce que je vous dis, parce que vous êtes endurcis et remplis de préjugés ; mais il aime mieux les reprendre avec plus de suavité et de douceur : Personne, dit-il, n’a l’intelligence de ces choses et la foi en moi, si Dieu ne l’attire (heureux celui-là ! car, au dernier jour, je le ressusciterai pour la vie éternelle) ; or Dieu attire tous les hommes ; il est venu (vers. 45) le temps annoncé par les Prophètes (Is. liv, 12, 13), où tous seront enseignés de Dieu, éclairés et attirés par lui à la foi au Messie ; mais l’attrait de Dieu, pour être efficace, demande deux choses : qu’on entende le Père, et qu’on apprenne de lui, c’est-à-dire qu’on obéisse, qu’on se rende à ses enseignements. Donc, ô Juifs, qui avez entendu le Père vous parler par les Prophètes, par Jean-Baptiste et par moi, il ne vous manque plus que d’apprendre de Dieu, de vous rendre à son attrait et de venir à moi.
  23. Qui est né de Dieu. Comp. i, 14. Notre-Seigneur ajoute cela pour empêcher qu’on ne comprenne mal les derniers mots du vers, précédent, et en même temps pour montrer que c’est en lui qu’il faut croire, si l’on veut être pleinement enseigné de Dieu.
  24. Après avoir répondu aux murmures des Juifs, il revient à la pensée du vers. 40, qui elle-même se lie à celle du vers. 35.
  25. Ce qui doit s’entendre, non seulement de la mort spirituelle, de la mort de l’âme, mais aussi de la mort du corps ; car le pain eucharistique dépose dans le corps lui-même un germe d’immortalité et de résurrection glorieuse.
  26. Non comme la manne, inanimée et corruptible, mais vivant et donnant la vie ; le contexte semble exiger cette dernière signification.
  27. En grec, ma chair, que je donnerai, livrerai à la mort pour le salut du monde. C’est-à-dire, la même chair qui sera immolée sur la croix pour le salut du monde, je la donnerai, sous les apparences du pain, en nourriture à chaque fidèle dans le sacrement de l’Eucharistie. En grec le vers. 52 est réuni au vers. 51, en sorte que la Vulgate a, dans ce chap., un vers. de plus que le texte grec.
  28. Après avoir rapproché de ce verset les paroles mêmes de l’institution : Prenez et mangez, ceci est mon corps… Buvez-en tous, ceci est mon sang (Matth. xxvi, 26-28 ; Marc, xiv, 22-24 ; Luc, xxii, 19, 20), Bossuet ajoute : « De dire qu’il n’y ait pas un rapport manifeste dans ces paroles, que l’une n’est pas la préparation et la promesse de l’autre, et que la dernière n’est pas l’accomplissement de celle qui a précédé, c’est vouloir dire que Jésus-Christ, qui est la Sagesse éternelle, parle et agit au hasard. » Un autre rapprochement nous paraît démontrer, d’une manière plus péremptoire encore, que l’interprétation catholique de ce passage est la seule admissible, la seule même raisonnable. L’auteur du quatrième Évangile écrivit certainement après la mort de saint Paul : or, saint Paul, dans sa première Épître aux Corinthiens (xi, 23 sv.), parle en détail de l’usage du sacrement de l’Eucharistie parmi les premiers fidèles ; après avoir rapporté l’institution de ce sacrement dans les mêmes termes que saint Luc, il ajoute : « C’est pourquoi quiconque mangera ce pain ou boira le calice du Seigneur indignement, sera coupable du corps et du sang du Seigneur. Que l’homme donc s’éprouve lui-même, et qu’il mange ainsi de ce pain et qu’il boive de ce calice. Car quiconque en mange et en boit indignement, mange et boit sa condamnation, ne discernant point le corps du Seigneur. » Certes, ces faits, cet usage de l’Eucharistie étaient connus de saint Jean ; il savait en outre que tous les fidèles avaient entre les mains les paroles de l’institution telles qu’elles se trouvent dans les synoptiques. Cela posé, le dernier Évangéliste, en rapportant les paroles de Notre-Seigneur qu’on vient de lire dans les vers. 52 et sv., leur suppose nécessairement le sens propre et naturel admis par l’Église. Si, dans sa pensée, elles avaient une signification métaphorique, il aurait averti ses lecteurs et prévenu ainsi une confusion inévitable. Ainsi, quand même il ne serait pas impossible de démontrer que ce passage, seul et isolé, répugne à une interprétation allégorique, nous ne craignons pas d’avancer que, mis en regard des paroles de l’institution, et surtout de l’usage de la sainte Eucharistie répandu parmi les premiers fidèles, il n’admet-pas d’autre sens que celui qu’il a reçu de la tradition unanime de l’Église catholique. La conduite de Notre-Seigneur vis-à-vis des Juifs incrédules nous fournira bientôt un autre argument non moins solide (vers. 67).
  29. « Celui, dit saint Basile, qui est régénéré, qui a la vie par le baptême, doit l’entretenir en lui par la participation aux mystères sacrés. » C’est pour cela que l’Église fait un devoir rigoureux aux fidèles de s’approcher, au moins une fois chaque année, de la table du Seigneur. Il ne suit pas d’ailleurs de ces paroles que tous doivent nécessairement recevoir le Seigneur sous les deux espèces du pain et du vin ; car, comme il arrive souvent dans le style biblique, la conjonction et est mise ici pour ou ; en outre, on sait que Jésus-Christ est présent tout entier sous chaque espèce. La communion sous les deux espèces n’est de rigueur que pour les prêtres qui offrent le sacrifice de la messe, où l’immolation du Sauveur et l’effusion de son sang sont figurées et représentées par la distinction des espèces sacramentelles. Allioli.
  30. Vraiment, non en figure. Notre-Seigneur n’indique pas ici la manière dont il donnera sa chair à manger ; il l’expliquera en instituant l’Eucharistie.
  31. Saint Chrysostome appelle cette union le mélange de Jésus-Christ avec l’homme. Saint Cyrille : Non seulement Jésus-Christ nous rend participants de son amour, mais encore de sa nature ; car comme deux morceaux de cire fondus par les ardeurs du feu s’unissent entre eux, ainsi Jésus-Christ s’unit avec nous ; il est en nous, et nous en lui. Ce vers. et le suiv. expliquent pourquoi Jésus-Christ a dit que celui qui reçoit dignement son corps et son sang aura la vie éternelle.
  32. Vivant par lui-même, et source de vie pour les autres.
  33. Par mon Père : le Père, en m’engendrant, me communique sa divinité, qui est essentiellement vie.
  34. Ce vers, est un résumé de tout le discours. Concluons avec le P. Lacordaire : « Oui, comme il y a un pain de la nature, il y a un pain de la grâce ; comme il y a un pain de la vie mortelle, il y un pain de la vie éternelle. Je crois à Jésus-Christ quand il me dit : Je suis venu pour leur donner la vie (Jean, x, 10) ; et j’y crois encore quand il me dit : Je suis le pain vivant descendu du ciel, J’ouvrirai ma bouche et j’y recevrai ce pain céleste sans m’étonner : car de quoi m’étonnerais-je ? Est-ce que ma bouche n’est pas un organe spirituel, préparé d’avance pour de sublimes opérations ? Est-ce que mon âme ne l’habite point ? Est-ce que la vérité ne sort pas de ses lèvres entr’ouvertes avec le flot sacré de la parole ? Pourquoi la chair transfigurée de l’Homme-Dieu ne passerait-elle point par les portes où passe la vérité qui vient de lui ? O bouche de l’homme, vase mystérieux, ouvre-toi pour recevoir le Dieu qui t’a fait, le Dieu dont tu parles, le Dieu qui connaît les sentiers pour aller à ton âme et y commencer l’embrassement substantiel qui se consommera dans l’éternité I Ouvre-toi sans crainte et sans orgueil : sans crainte, parce que le Dieu qui vient à toi est doux et humble ; sans orgueil, parce que tu n’as pas mérité de le toucher d’aussi près. Ouvre-toi pour manger la chair du Fils de l’homme et pour boire son à sang : ce sont les termes exprès dont il s’est servi pour te convier à ce festin. Il nous a dit : Mangez et buvez ; mangez ma chair, buvez mon sang. Et s’il est des disciples qui se sont épouvantés de son discours et qui lui ont répondu : Cette parole est dure, et qui pourra l’entendre (vers. 61) ? s’il en est d’autres qui l’ont quitté pour ne plus le revoir, l’humanité n’a point obéi à leur faiblesse, ni à leur trahison ; elle est venue au banquet de la grâce, elle a dressé des tables, elle a bâti des monuments magnifiques pour couvrir d’ombre et de gloire le pain dont le Fils de Dieu avait dit : Ceci est mon corps. Elle a cru que puisqu’une mère peut porter son fils dans ses entrailles et le nourrir encore de sa substance après l’avoir mis au monde, il n’était pas impossible à Dieu d’avoir la même puissance dans la même tendresse, et de renouveler en nous et lui les miracles de la maternité. »
  35. Sans être révolté.
  36. Monter : avec son corps glorieux (Luc, xxiv, 51 ; Marc, xvi, 19). Ajoutez : Douterez-vous encore de ma parole ?
  37. Saint Cyrille : Ne croyez pas que c’est mon corps, en tant que mon corps, qui vous donnera la vie éternelle, mais l’esprit divin, la divinité qui habite en lui pour jamais. Mes paroles ne doivent donc pas être entendues de la chair seule, mais de l’esprit qui vivifie. Saint Chrysostome : Ce n’est pas une interprétation charnelle et grossière de mes paroles (comme si, par exemple, vous deviez manger ma chair coupée par morceaux), mais une interprétation spirituelle (savoir, que ma chair unie à la divinité doit être mangée comme une nourriture, mais d’une manière mystique et sacramentelle, sous les espèces du pain et du vin), qui vous donnera la vie ; mes paroles sur ce sujet doivent être entendues d’une manière spirituelle et élevée, et ainsi elles procurent la vie à qui croit et pratique. Plus simplement : Le Saint-Esprit seul peut vous donner l’intelligence et la foi de mes paroles, qui viennent de lui ; le sens humain, ou les forces naturelles de l’homme, ne sauraient vous y conduire. De ces trois interprétations, la troisième nous paraît préférable à la deuxième, et la deuxième à la première.
  38. Qui sont incrédules, non seulement sur ce point, mais sur tous mes enseignements en général. Saint Jean insinue que Judas était au nombre de ces incrédules.
  39. Voy. la note du vers. 45.
  40. Bossuet : « Tout ceci, dites-vous, n’est que mystère et allégorie ; manger et boire, c’est croire ; manger la chair et boire le sang, c’est les regarder comme séparés à la croix, et chercher la vie dans les blessures de notre Sauveur. Si cela est, mon Sauveur, pourquoi ne parlez-vous pas simplement, et pourquoi laisser murmurer vos auditeurs jusqu’au scandale et jusqu’à vous abandonner, plutôt que de leur dire nettement votre pensée ? Quand Jésus-Christ a proféré des paraboles, quoique beaucoup moins embrouillées que cette longue allégorie qu’on lui attribue, il en a si clairement expliqué le sens qu’il n’y a plus eu à raisonner ni à questionner après cela ; et si quelquefois il n’apas voulu s’expliquer aux Juifs, qui méritaient par leur orgueil qu’il leur parlât en énigme, il n’a jamais refusé à ses Apôtres une explication simple et naturelle de ses paroles, après laquelle personne ne s’y est jamais trompé. Ici, plus on murmure contre lui, plus on se scandalise de si étranges paroles, plus il appuie, plus il répète, plus il s’enfonce, pour ainsi parler, dans l’embarras et dans l’énigme. Il n’y avait qu’un mot à leur dire : Qu’est-ce qui vous trouble ? Manger ma chair, c’est y croire ; boire mon sang, c’est y penser, et tout cela n’est autre chose que méditer ma mort. C’était fait, il ne restait plus de difficulté, pas une ombre. Il ne le fait pas néanmoins ; il laisse succomber ses propres disciples à la tentation et au scandale, faute de leur dire un mot. Cela n’est pas de vous, mon Sauveur ; non, cela assurément n’est pas de vous ; vous ne venez pas troubler les hommes par de grands mots qui n’aboutissent à rien ; ce serait prendre plaisir à leur débiter des paradoxes, seulement pour les étourdir. »
  41. Vos paroles, votre doctrine procure la vie éternelle.
  42. Sens : Pierre, tu crois répondre au nom de tous les Apôtres ; mais sache qu’il en est un qui est semblable au démon, c’est-à-dire très-méchant.