VI

LA NOURRITURE DE LA VIE.
CE N’EST PAS DE PAIN QUE L’HOMME SERA RASSASIÉ.


De la parenté corporelle et spirituelle.

Ἐπὶ δέ λαλοῦντος τοῖς ὄχλοις, ἰδού, ἡ μήτηρ ϰαὶ οἱ ἀδελφοὶ αὐτοῦ εἰστήϰεισαν ἔξω, ζητοῦντές αὐτῷ λαλῆσαι.

Εἶπε δὲ τις αὐτῷ, Ἰδοὺ, ἡ μήτηρ σου ϰαὶ οἱ ἀδελφοί σου ἔξω ἐστήϰασι, ζητοῦντές σοι λαλῆσαι.

Ὁ δὲ ἀποϰριθείς εἶπε τῷ εἰπόντι αὐτῷ. Τίς ἐστιν ἡ μήτερ μου, ϰαὶ τὶνες εἰσίν οἱ ἀδελφοί μου.

Καὶ ἐϰτείνας τὴν χεῖρα αὐτοῦ ἐπὶ τοὺς μαθητάς αὐτοῦ, εἶπεν, Ἰδού, ἡ μήτηρ μου ϰαὶ οἱ ἀδελφοί μου.

Ὃστις γὰρ ἄν ποιήση τὸ θὲλημα τοῦ πατρός μου τοῦ ἐν οὐρανοῖς, αὐτός μου ἀδελφός, ϰαὶ ἀδελφὴ, ϰαὶ μήτηρ ἐστίν.


Matthieu, xii, 46. Et comme Jésus parlait encore au peuple, sa mère et ses frères, qui étaient dehors, demandèrent à lui parler. Comme il parlait, sa mère et ses frères, qui se tenaient au loin, voulurent lui parler.
47. Et quelqu’un lui dit : Voilà, ta mère et tes frères sont là dehors, qui demandent à te parler. Quelqu’un voyant cela lui dit : Voilà ta mère et tes frères, ils sont à l’écart et voudraient le parler.

48. Mais il répondit à celui qui lui avait dit cela : Qui est ma mère et qui sont mes frères ? Et Jésus lui dit : Qui est ma mère et qui sont mes frères ?
49. Et, étendant sa main sur ses disciples, il dit : Voici ma mère et mes frères. Et, montrant de la main ses disciples, il dit : Voici ma mère et mes frères.
50. Car quiconque fera la volonté de mon Père, qui est aux cieux, c’est celui-là qui est mon frère et ma sœur et ma mère. Car celui qui accomplit la volonté de mon Père Dieu, celui-là est pour moi le frère, la sœur et la mère 1).

Remarques.

1) Il est dit auparavant que pour la vraie vie, il n’existe aucun souci, aucune considération ni du passé ni du temporaire ; il ne peut exister d’autre préoccupation que celle de la vie. On dit maintenant qu’entre les hommes il n’y a pas d’autre parenté que l’union de tous dans la volonté du Père.

Les hommes sont proches du royaume de Dieu selon leur union dans la volonté de Dieu.


Ἐγένετο δὲ ἐν τῷ λέγειν αὐτὸν ταῦτα, ἐπάρασα τις γυνή φωνήν ἐϰ τοῦ ὄχλου εἶπεν αὐτῷ, Μαϰαρία ϰοιλία ἡ βαστάσασα σε, ϰαὶ μαστοί οὔς ἐθήλασας.

Αὐτός δὲ εἶπε. Μενοῦνγε μαϰάριοι οἱ ἀϰούοντες τὸν λόγον τοῦ Θεοῦ ϰαὶ φυλάσσοντες αὐτόν.


Luc, xi, 27. Comme Jésus disait ces choses, une femme de la foule éleva la voix et lui dit : Heureux les flancs qui t’ont porté et les mamelles qui t’ont allaité ! Comme il disait cela, une femme du peuple éleva la voix et lui dit : Heureux le ventre qui t’a porté ; heureuses les mamelles qui t’ont allaité !

28. Mais plutôt, reprit Jésus, heureux ceux qui écoutent la parole de Dieu, et qui la mettent en pratique. Jésus lui dit ; Heureux celui qui comprend l’entendement de Dieu, et l’observe 1).

Remarques.

1) Le bien de la vie ne peut dépendre de personne. Personne ne peut transmettre son bonheur à un autre. Le bonheur n’est que la vie de l’entendement.


Ἐγένετο δὲ πορευομένων αὐῶν ἐν τῆ ὁδῷ, εἰπὲ τις πρὸς αὐτόν,

Ἀϰολουθησω σοι ὅπου ἄν ἀπέρχη, ϰύριε.

Καὶ εἶπεν αὐτῷ ὁ Ἰησοῦς, Αἱ ἀλώπεϰες φωλεούς ἔχουσι, ϰαὶ τὰ πετεινά τοῦ οὐρανοῦ ϰατασϰηνώνεις· ὁ δὲ υἱός τοῦ ἀνθρώπου οὐκ ἔχει ποῦ τὴν ϰεφαλήν ϰλίνῃ.


Luc, ix, 57. Et comme ils étaient en chemin, un homme lui dit : Je te suivrai, Seigneur ! partout où tu iras. En chemin un homme dit à Jésus : Je te suivrai partout, mon Seigneur.
58. Mais Jésus lui répondit : Les renards ont des tanières, et les oiseaux du ciel des nids ; mais le Fils de l’homme n’a pas où reposer sa tête. Et Jésus lui dit : Les renards ont des tanières, et les oiseaux des nids ; mais le Fils de l’homme n’a pas d’asile 1).

Remarques.

1) Ce verset a une double signification. Il signifie d’abord que le fils de l’homme, dans le sens d’homme, ne doit pas se soucier de la place où il se trouve. Où qu’il soit, peu importe, pourvu qu’il ne considère pas une place quelconque comme lui étant propre. Il doit être errant. La seconde signification, c’est que le Fils de l’homme — l’esprit de Dieu en l’homme — est en dehors de l’espace, et l’on ne peut être où il se trouve puisqu’il est partout et nulle part.


LA TEMPÊTE SUR LE LAC

Καὶ ἐγένετο ἐν μιᾷ τῶν ἡμερῶν, ϰαὶ αὐτὸς ἐνέβη εἰς πλοῖον ϰαὶ οἱ μαθηταὶ αὐτοῦ· ϰαὶ εἶπε πρὸς αὐτούς. Διέλθωμεν εἰς τὸ πέραν τῆς λίμνης· ϰαὶ ἀνήχθησαν.

Πλέοντων δὲ αὐτῶν ἀφύπνωσε· ϰαὶ ϰατέβη λαίλαψ ἀνέμου εἰς τήν λίμνην, ϰαὶ συνεπληροῦντο, ϰαὶ ἐϰινδύνευον.

Προσελθόντες δὲ διήγειραν αὐτόν, λέγοντες, Ἐπιστάτα, ἐπιστάτα, ἀπολλύμεθα. Ὁ δὲ λέγει αὐτοῖς, Τί δειλοί ἐστι, ὁλογόπιστοι ; τότε, ἐγερθείς ἐπετίμησε τοῖς ἀνέμοις ϰαὶ τῇ θαλάσσῃ, ϰαὶ ἐγένετο γαλήνη μεγάλη.

Εἶπε δὲ αὐτοῖς, Ποῦ ἐστιν ἡ πίστις ὑμῖν.


Luc, viii, 22. Il arriva un jour qu’il entra dans une barque avec ses disciples, et il leur dit : Passons de l’autre côté du lac, et ils partirent. Il arriva un jour qu’il entra dans une barque avec ses disciples et il leur dit : Passons sur l’autre rive du lac ; et ils voguèrent.
23. Et comme ils voguaient il s’endormit, et un vent impétueux s’éleva sur le lac ; la barque s’emplissait d’eau, et ils étaient en danger. Et, comme ils voguaient une grande tempête s’éleva, ils étaient inondés et le danger les menaçait ; et il dormait à l’arrière.
24. Alors ils vinrent vers lui, et ils le réveillèrent en lui disant : Maître ! Maître ! nous périssons. Mais lui, étant réveillé, parla avec autorité au vent et à la tempête, qui s’apaisèrent ; et il se fit un grand calme. Ses disciples s’approchant de lui l’éveillèrent et lui dirent : Maître ! Maître ! nous périssons !
Et lui, s’étant réveillé, leur dit : pourquoi avezvous peur et avez-vous si peu de foi ; puis il parla avec autorité, au vent et aux ondes, et la tempête s’apaisa.

25. Alors il leur dit : Où est votre foi ? Alors il leur dit : Où est votre foi 1) ?

Remarques.

1) Jésus ne montre aucune peur devant le danger. Il dort tandis que la tempête harcèle la barque et menace de la renverser. Quand ses disciples l’éveillent et lui disent qu’ils vont périr, il s’étonne et leur fait des reproches. Ils prétendent croire à la vraie vie en dehors du temps et de l’espace et, à la première occasion, par leur terreur des malheurs de cette terre, ils montrent qu’ils ne croient pas en cette vie. De même que les soucis concernant les funérailles de nos parents, les ordres de la maison, les relations familiales, les rapports sociaux ne peuvent avoir d’action sur la vie de l’esprit, de même les dangers de la mort terrestre, et la mort terrestre elle-même, ne peuvent empêcher la vie de l’esprit. Et Jésus dort, et, réveillé, il reste aussi calme.


Μὴ οὖν μεριμνήσητε εἰς τὴν αὔριον· ἡ γὰρ αὔριον μεριμνήσει τὰ ἑαυτῆς ἀρϰετόν τὴ ἡμέρα ἡ ϰαϰία αὐτῆς.


Matthieu, vi, 34. Ne soyez donc point en souci pour le lendemain ; car le lendemain aura soin de ce qui le regarde. À chaque jour suffit sa peine. Ne vous souciez donc point de l’avenir 1), pour le présent il y a assez de mal 2).
Remarques.

1) Dans plusieurs copies on a omis : le lendemain aura soin de ce qui le regarde (Grisbach).

2) Ce verset se retrouve dans le chapitre iv (le Sermon sur la montagne).


Εἶπε δὲ πρὸς ἔτερον, Ἀϰολούθει μοι· ὁ δὲ Κύριε ἐπίτρεψόν μοι ἀπελθόντι πρῶτον θάψαι τὸν πατέρα μου.

Εἶπε δὲ αὐτῷ ὁ Ἰησοῦς, Ἄφες τοὺς νεϰρούς θάψαι τοὺς ἑαυτῶν νεϰρούς. σύ δὲ ἀπελθών διάγγελλε τὴν βασιλείαν τοῦ Θεοῦ.


Luc, ix, 59. Il dit à un autre : Suis-moi. Et il lui répondit : Seigneur ! permets que j’aille auparavant ensevelir mon père. Et à un autre, Jésus dit : Suis-moi. Et celui-ci lui répondit : permets-moi auparavant d’ensevelir mon père.
60. Jésus lui dit : Laisse les morts ensevelir leurs morts ; mais toi, va annoncer le règne de Dieu. Jésus lui dit : Laisse les morts ensevelir les morts, mais toi, suis-moi et annonce la bonne nouvelle de Dieu 1).

Remarques.

1) De nouveau deux significations ; l’une : tous les soucis de ce monde, même les plus importants, comme les funérailles, ne sont que des œuvres de mort et de ténèbres. La vie n’a qu’une seule œuvre : la vie, la propagation de la vie. L’autre signification, et la plus importante, est celle-ci : Pour celui qui vit de la vraie vie, il n’y a pas de mort.


Εἶπε δὲ ϰαὶ ἔτερος, Ἀϰολουθήσω σοι, ϰύριε· πρῶτον δὲ ἐπίτρεψόν μοι ἀποτάζασθαι τοῖς εἰς τὸν οιϰόν μου.

Εἶπε δὲ πρὸς αὐτόν ὁ Ἰησοῦς, Οὐδείς ἐπιβαλών τὴν χεῖρα αὑτοῦ ἐπ’ ἄροτρον ϰαὶ βλέπων εἰς τὰ ὀπίσω, εὔθετος ἐστιν εἰς τὴν βασιλείαν τοῦ Θεοῦ.


Luc, ix, 61. Un autre lui dit aussi : Je te suivrai, Seigneur ! mais permets-moi de prendre auparavant congé de ceux qui sont dans ma maison. Un autre encore lui dit : Je te suivrai, mais laisse-moi auparavant donner des ordres à la maison.
62. Mais Jésus lui répondit : Celui qui met la main à la charrue et regarde derrière lui, n’est point propre pour le royaume de Dieu. Et Jésus lui dit : Celui qui prend la charrue et regarde derrière lui n’est point propre pour le royaume de Dieu 1).

Remarques.

1) Cette dernière expression renferme le sens des deux premières, et contient l’idée principale de tout le passage. Elle signifie que celui qui a compris la vie dans le royaume de Dieu, la vie de l’esprit, et se soucie des choses matérielles, montre, par cela même, qu’il ne vit pas de la vie de l’esprit. Si un homme vivant de la vie de l’esprit se soucie de la vie de la chair, il réussira aussi peu dans la vie de l’esprit que celui qui laboure en regardant non devant mais derrière lui.

Cette comparaison a encore cette signification : l’homme qui s’imagine vivre de la vie de l’esprit, et qui, en même temps, calcule quelles conséquences aura ce qu’il fait dans la vie, est semblable au laboureur qui, pour diriger la charrue, regarde non devant lui ce qu’il doit faire, mais derrière lui ce qu’il a fait.


Πλὴν ζητεῖτε τήν βασιλείαν τοῦ Θεοῦ, ϰαὶ ταῦτα πάντα προστεθήσεται ὑμῖν.


Luc, xii, 31. Mais cherchez plutôt le royaume de Dieu et toutes ces choses vous seront données par-dessus. Ne vous efforcez que d’être dans la volonté de Dieu, et vous aurez 1) tout le reste.

Remarques.

1) Ce verset se trouve aussi dans le chapitre iv.


JÉSUS CHEZ MARTHE ET MARIE

Ἐγένετο δὲ ἐν τῷ πορεύεσθαι αὐτούς, ϰαὶ αὐτός εἰσῆθεν εἰς ϰώμην τινά· γύνη δὲ τίς ὀνόματι Μάρθα ὑπεδέξατο αὐτόν εἰς τόν οἶϰον αὐτῇς.

Καὶ τῇδε ἦν ἀδελφὴ ϰαλουμένη Μαρία, ἤ ϰαὶ παραϰαθίσασα παρὰ τοῦς πόδας τοῦ Ἰησοῦς ἤϰουε τὸν λόγον αὐτοῦ.


Luc, x, 38. Comme ils étaient en chemin, il entra dans un bourg, et une femme nommée Marthe, le reçut dans sa maison. Une fois que Jésus cheminait avec ses disciples, il entra dans un bourg. Une femme, Marthe, l’invita dans sa maison.
39. Elle avait une sœur nommée Marie, qui, se tenant assise aux pieds de Jésus, écoutait sa parole. Elle avait une sœur, Marie. Marie s’assit aux pieds de Jésus, écoutant sa doctrine 1).

Remarques.

1) λόγος, ici, et en général partout chez Luc, signifie la doctrine.


Ἡ δὲ μάρθα περιεσπᾶτο περὶ πολλὴν διαϰονίαν· ἐπιστᾶσα δὲ εἰπε, Κύριε, οὐ μέλει σοι ὅτι ἡ ἀδελφή μου μόνην με ϰατέλιπε διαϰονεῖν ; εἰπὲ οὖν αὐτῆ ἵνα μοι συναντιλάβηται.

Ἀποϰριθείς δὲ εἶπεν αὐτῆ ὁ Ἰησοῦς, Μάρθα. Μάρθα, μεριμνᾶς ϰαὶ τυρβάζη περὶ πολλὰ,

Ἑνός δὲ ἐστι χρεία. Μαρία δὲ τὴν ἀγαθήν μερίδα ἐξελέζατο, ἤτις οὐϰ ἀφαι ρεθήσεται ἀπ’ αὐτῆς.

Ἔλεγε δὲ πρὸς πάντας. Εἰ τίς θέλει ὀπίσω μου ἐλθεῖν, ἀπαρνησάσθω αὐτὸν ϰαὶ ἀράτω τὸν σταυρόν αὐτοῦ ϰαθ’ ἡμέραν, ϰαὶ ἀϰολουθείτω μοι.

Ὅς γὰρ ἄν θέλῃ τὴν ψυχής αὐτοῦ σῶσαι, ἀπολέσει αὐτὴν· ὅς δ’ ἄν ἀπολέση τὴν ψυχήν αὐτοῦ ἔνεϰεν ἑμοῦ, οὖτος σώσε

Τί γὰρ ὠφελεῖται ἄνθρωπος ϰερδήσας τὸν ϰόσμον ὄλον, ἑαυτόν δὲ ἀπολέσας ἤ ζημιευθείς.

Ὄς γὰρ ἄν ἐπαισχυνθῇ με ϰαὶ τούς ἑμοῦς λόγου, τοῦτον ὁ υἱός τοῦ ἀνθρώπου ἐπαισχυνθήσεται, ὅταν, ἔλθη ἐν τὴ δόξη αὐτοῦ ϰαὶ τοῦ πατρός ϰαὶ τῶν ἁγίῶν ἀγγέλων.


Luc. x, 40. Mais comme Marthe était distraite par divers soins, elle vint et dit à Jésus : Seigneur ! ne considères-tu point que ma sœur me laisse servir toute seule ? Dis-lui donc qu’elle m’aide aussi. Marthe qui prenait soin d’un grand repas s’approcha de Jésus et lui dit : S’il ne t’est pas indifférent que ma sœur me laisse seule servir, dis-lui de m’aider.
41. Et Jésus lui répondit : Marthe ! Marthe ! tu te mets en peine et tu t’embarrasses de plusieurs choses. Jésus lui répondit : Marthe, Marthe, tu te mets en peine et t’embarrasses de plusieurs choses.
42. Mais une seule chose est nécessaire ; or Marie a choisi la bonne part qui ne lui sera point ôtée. Tandis qu’une seule chose est nécessaire. Et Marie a choisi ce qui est le mieux, et ce que personne maintenant ne lui ôtera.
Luc, ix, 23. Et il disait à tous : Si quelqu’un veut venir après moi qu’il renonce à soi-même, qu’il se charge chaque jour de sa croix, et qu’il me suive. Et il disait à tous : Si quelqu’un veut me suivre qu’il renonce à soi-même ; qu’à chaque heure 1) il soit prêt à tout, et alors me suive.

24. Car quiconque voudra sauver sa vie la perdra ; mais quiconque perdra sa vie pour l’amour de moi, celui-là la sauvera. Celui qui veut sauver sa vie la perd ; mais celui qui perdra sa vie pour moi, celui-là la sauvera.
25. Et que servirait-il à un homme de gagner tout le monde, s’il se détruisait lui-même, et s’il se perdait lui-même ? Quelle utilité peut-il être pour un homme de gagner tout le monde s’il se perd ou nuit à soi-même.
26. Car si quelqu’un a honte de moi et de mes paroles, le Fils de l’homme aura honte de lui, quand il viendra dans sa gloire, et dans celle du Père et des saints anges. Si quelqu’un a honte de mes paroles, le Fils de l’homme aura honte de lui quand il pensera au Père et aux forces divines.

Remarques.

1) Je traduis le mot « croix » par le sens que lui attribuent tous les interprètes ; mais je n’emploie pas le mot croix, parce que, historiquement, il n’a pas de sens dans la bouche de Jésus. Si même il savait qu’il serait crucifié, ses disciples ne pouvaient le savoir ; ce mot, pour eux, n’aurait donc point eu de sens.


LA PARABOLE DU RICHE

Εἶπε δὲ πρὸς αὐτοῦς, Ὁρᾶτε ϰαὶ φυλάσσεσθε ἀπὸ τῆς πλεονεξίας· ὅτι αὐϰ ἐν τῷ περισσεύειν τινὶ ἡ ζωή αὐτοῦ ἐστιν ἐϰ τῶν ὑπαρχόντων αὐτοῦ.

Εἶπε δὲ παραβολήν πρὸς αὐτοὺς, λέγων, Ἀνθρώπου τινός μλουσίου εὐφόρησεν ἡ χώρα.

Καὶ διελογίζετο ἐν ἑαυτῷ, λέγων, Τί ποιήσω, ὅτι οὐϰ ἔχω ποῦ συνάξω τοὺς ϰαρπούς μου.

Καὶ εἶπε, Τοῦτο ϰοιὴσω· ϰαθελῶ μου τᾶς ἀποθήϰας ϰαὶ μείζονας σἰϰοδομήσω, ϰαὶ συνάξω ἐϰεῖ πάντα τὰ γενήματα μου ϰαὶ τὰ ἀγαθά μου.

Καὶ ἐρῶ τῆ ψυχῆ μου, Ψυχή, ἔχεις πολλά ἀγαθά ϰείμενα εἰς ἔτη πολλά· ἀναπαύου, φάγε, πίε, εὐφραίνου.

Εἶπε δὲ αὐτῷ ὁ Θεός, Ἅφρων, ταύτη τῆ νυϰτί τὴν ψυχήν σου ἀπαιτοῦσιν ἀπὸ σοῦ, ἅ δὲ ἡτοίμασας, τίνι ἔσται.

Οὕτως ὁ θησαυρίζων ἑαυτῷ, ϰαὶ μὴ εἰς Θεόν πλουτῶν.

Παρῆσαν δὲ τινες αὐτῷ τῷ ϰαιρῷ ἀπαγγέλλοντες αὐτῷ περὶ τῶν Γαλιλαίων, ὡν τὸ αἶμα Πιλᾶτος ἔμιξε μετὰ τῶν θυσιῶν αὐτων.

Καὶ ἀποϰριθείς ὁ Ἰησοῦς εἶπεν αὐτοῖς, Δοϰεῖτε ὅτι οἱ Γαλιλαῖοι οὖτοι ἁμαρτωλοί παρὰ πάντας τους Γαλιλαίους ἐγένοντο, ὅτι τοιαῦτα πεπόνθασιν.

Οὐχι, λέγω ὑμῖν· ἀλλ’ ἐάν μὴ μετανοῆτε, πάντες ὡσαύτως ἀπολεῖσθε.


Luc, xii, 15. Puis il leur dit : Gardez-vous avec soin de l’avarice ; car quoique les biens abondent à quelqu’un, il n’a pas la vie par ses biens. Puis il leur dit : Faites attention, gardez-vous de tout superflu car il ne peut être de vie dans les biens de celui qui possède.
16. Il leur proposa là-dessus cette parabole : Les terres d’un homme riche avaient rapporté avec abondance. Et il leur dit cette parabole : Il y avait un homme riche dont le blé avait rapporté avec abondance.
17. Et il disait en lui-même, Que ferai-je ? car je n’ai pas assez de place pour serrer toute ma récolte. Et il se disait : Que dois-je faire ? car je n’ai pas où serrer ma récolte.
18. Voici, dit-il, ce que je ferai : J’abattrai mes greniers et j’en bâtirai de plus grands, et j’y amasserai toute ma récolte et tous mes biens. Voici, dit-il ce que je ferai : j’abattrai mes greniers et j’en bâtirai de nouveaux, et j’y amasserai toute ma récolte et tous mes biens.

19. Puis je dirai à mon âme : Mon âme tu as beaucoup de biens en réserve pour plusieurs années ; repose-toi, mange, bois et te réjouis. Puis je dirai à mon âme : Eh bien, mon âme ! tu as beaucoup de biens et pour plusieurs années, dors, mange, bois, réjouis-toi.
20. Mais Dieu lui dit : Insensé ! cette même nuit ton âme te sera redemandée et ce que tu as amassé, pour qui sera-t-il ? Mais Dieu lui dit : Insensé ! cette nuit ton âme te sera reprise, alors que feras-tu de tes biens ?
21. Il en est ainsi de celui qui amasse des biens pour soi-même, et qui n’est point riche en Dieu. Il en est ainsi de celui qui amasse en lui-même mais ne s’enrichit point en Dieu.
Luc, xiii, 1. En ce même temps quelques personnes qui se trouvaient là racontèrent à Jésus ce qui était arrivé à des Galiléens, dont Pilate avait mêlé le sang avec celui de leurs sacrifices. Il advint qu’il se trouvait ici des gens qui lui parlèrent de Galiléens que Pilate avait tués.
2. Et Jésus, cependant, leur dit : Pensez-vous que ces Galiléens fussent plus grands pécheurs que tous les autres Galiléens parce qu’ils ont souffert ces choses ? En réponse, Jésus leur dit : Pensez-vous que ces Galiléens fussent de plus grands pécheurs, et que c’est pourquoi cela leur est arrivé ?
3. Non, vous dis-je ; mais si vous ne vous amendez, vous périrez tous aussi bien qu’eux. Nullement, et si vous ne réfléchissez 1) pas vous tous périrez de la même façon.

Remarques.

1) Ἐάν μὴ μετανοῆτε, ne pas modifier ses pensées sur ce qu’est la vie.


LA PARABOLE DU FIGUIER

Ἤ ἐϰεῖνοι οἱ δέϰα ϰαὶ ὀϰτώ, ἐφ' οὔς ἔπεσεν ὁ πύργος ἐν τῷ Σιλωάμ ϰαὶ ἀ ἐϰτείνεν αὐτούς, δοϰεῖτε ὅτι οὖτοι ὀφειλέται ἐγένοντο παρὰ μάντας ἀνθρώπους τοὺς ϰατοιϰοῦντας ἐν Ἱερουσαλήμ.

Οὐχί, λέγω ὑμῖν· ἀλλ’ ἐάν μὴ μετανοῆτε, πάντες ὁμοίως ἀπολεῖσθε.

Ἔλεγε δὲ ταύτην τὴν παρβολήν. Συϰῆν εἶχέ τις ἐν τῷ ἀμπελῶνι αὐτοῦ πεφυτευμένην· ϰαὶ ἦλθε ϰαρπόν ζητῶν ἐν αὐτῆ, ϰαὶ οὐχ εὖρεν.

Εἶπε δὲ πρὸς τὸν ἀμπελουργόν, Ἰδού, τρία ἐτη ἔρχομαι ζητῶν ϰαρπόν ἐν τῆ συϰῆ ταύτη, ϰαὶ οὐχ εὑρίσϰω· ἔϰϰοψον αὐτήν· ἵνα τὶ ϰαὶ τὴν γῆν ϰαταργεῖ.

Ὁ δὲ ἀποϰριθείς λέγει αὐτῷ, Κύριε, ἄφες αὐτὴν ϰαὶ τοῦτο τὸ ἔτος, ἔως ὅτου σϰάψω περὶ αὐτὴν, ϰαὶ βάλω ϰορίαν.

Κἄν μὲν ποιήση ϰαρπόν· εἰ δὲ μήγε, εἰς τὸ μέλλον ἐϰϰοψεις αὐτὴν.


Luc, xiii, 4. Ou pensez-vous que ces dix-huit personnes sur qui la tour de Silvé est tombée et qu’elle a tuées, fussent plus coupables que tous les habitants de Jérusalem ? Supposez-vous que ces dix-huit personnes qui ont été écrasées par la tour, quand elle est tombée, le méritaient plus que tous les autres habitants de Jérusalem ?
5. Non, vous dis-je, mais si vous ne vous amendez pas vous périrez tous aussi bien qu’eux. Nullement. Mais si vous ne réfléchissez pas, vous périrez tous de la même façon.
6. Il leur dit aussi cette similitude : Un homme avait un figuier planté dans sa vigne et il y vint chercher du fruit et n’y en trouva point. Puis il leur dit la parabole suivante : Un homme avait dans son jardin un pommier. Il vint voir s’il n’avait point de fruits et n’y trouva rien.
7. Et il dit au vigneron : Voici, il y a déjà trois ans que je viens chercher du fruit à ce figuier et je n’y en trouve point ; coupe-le, pourquoi occupe-t-il la terre inutilement ? Alors il dit au jardinier : Voici, il y a trois ans que je viens chercher du fruit à ce pommier et je n’en trouve jamais. Coupe-le. Pourquoi tiendrait-il de la place ?

8. Le vigneron lui répondit : Seigneur, laisse-le encore cette année, jusqu’à ce que je l’aie déchaussé et que j’y aie mis du fumier. Et le jardinier lui dit : Maître, laisse-le encore un été, je le déchausserai et y mettrai du fumier.
9. S’il porte du fruit, à la bonne heure ; sinon tu le couperas après cela. Peut-être donnera-t-il du fruit ; et si après cela il n’en donne pas, tu le couperas.


La mort — la privation de la possibilité de vivre de la vraie vie de l’entendement de Dieu — à chaque moment donné est devant nous. De même qu’elle est venue chez le riche, la nuit, alors qu’il se préparait à vivre longtemps, de même elle est venue chez les hommes tués par Pilate et chez ceux écrasés par la tour. Chaque heure de notre vie n’est qu’un hasard heureux, comme le jardinier qui demande d’attendre, pour couper le pommier, de voir s’il ne portera point de fruits.

Jean-Baptiste le disait encore aux hommes, en les invitant à changer de vie (Luc, iii, 9).


Ἔλεγε δέ ϰαὶ τοῖς ὄχλοις. Ὅταν ἴδητε τὴν νεφέλην ἀνατέλλουσαν ἀπὸ δυσμῶν εὐθέως λέγετε, Ὅμβρος ἔρχεται· ϰαὶ γίνεται οὓτω.

Καὶ ὄταν νότον πνέοντα, λέγετε, Ὅτι ϰαύσων ἔσται. ϰαὶ γίνεται.

Ὑποϰριταί, τὸ πρόσωπον τῆς γῆς ϰαὶ τοῦ οὐρανοῦ οἶδατε δοϰιμάζειν· τὸν δὲ ϰαιρόν τοῦτον πῶς οὐ δοϰιμάξετε.

Τὶ δὲ ϰαὶ ἀφ’ ἑαυτῶ οὐ ϰρίνετε τὸ οἰϰαιον.


Luc, xii, 54. Puis il disait au peuple : Quand vous voyez une nuée qui se lève du côté d’Occident, vous dites d’abord : Il va pleuvoir ; et cela arrive ainsi. Et il dit au peuple 1) : Quand vous voyez des nuages à l’occident, vous dites aussitôt : il va pleuvoir, et la pluie arrive.
55. Et quand le vent du midi souffle, vous dites qu’il fera chaud ; et cela arrive. Et quand le vent souffle du midi, vous dites qu’il fera chaud et cela arrive.
56. Hypocrites ! vous savez bien discerner ce qui paraît au ciel et sur la terre ; et comment ne discernez-vous pas ce temps-ci ? D’après l’aspect de la terre et du ciel vous savez prévoir, comment donc ne discernez-vous pas votre situation présente ?
57. Et pourquoi ne discernez-vous pas aussi vous-mêmes ce qui est juste ? Comment en vous-mêmes ne voyez-vous pas ce qui est juste ?

Remarques.

1) Ce passage est répété ici avec une autre signification. Chez Matthieu, il correspond à la question des Pharisiens sur les preuves ; ici, il montre que la perte de l’homme par la mort est aussi évidente que la venue de la tempête après certains indices. Comment donc savez-vous, devinez-vous, quand il y aura un orage et ne savez-vous pas, et ne voulez-vous savoir que la mort viendra ?


Συνεπορεύοντοδέ αὐτῷ ὄχλοι πολλοί· ϰαὶ ὀτραφεὶς εἰπε πρὸς αὐτούς·

Εἰ τις ἔρχεται πρὸς με, ϰαὶ οὐ μισεῖ τὸν πατέρα ἑαυτοῦ ϰαὶ τὴν μητέρα, ϰαὶ τὴν γυναῖϰα ϰαὶ τὰ τέϰνα, ϰαὶ τοὺς ἀδελφούς ϰαὶ τάς ἀδελφὰς, ἔτι δὲ ϰαὶ τὴν ἑαυτοῦ ψυχήν, οὐ δυναταί μου μαθητὴς εἶναι.

Καὶ ὅστις οὐ βαστάζει τὸν σταυρὸν αὐτοῦ ϰαὶ ἔρχεται ὀπίσω μου, οὐ δύναται μου εἶναι μαθητής.

Τὶς γὰρ ἐξ ὑμῶν, θέλων πύργον οἰϰοδομῆσαι, οὐχί πρῶτον ϰαθίσας ψηφίζει τὴν δαπάνην, εἰ εχει τα προς απαρτισμον ;

Ἵνα μήποτε θέντος αὐτοῦ θεμέλιον, ϰαὶ μὴ ἰσχύοντος ἐϰτελέσαι πάντες οἱ θεωροῦντες ἄρξωνται ἐμπαίζειν οὐτῷ.

Λέγοντες, ὅτι οὑτος ὁ ἄνθρωπος ἤρξατο οἰϰοδομεῖν, ϰαὶ οὐϰ ἴσχυσεν ἐϰτελέσαι.

Ἢ τίς βασιλεύς πορευόμενος συμβαλεῖν ἐτέρῶ βασιλεῖ εἰς πόλεμον, οἰχί ϰαθίσας πρῶτον βουλεύεται εἰ δυνατός ἐστιν ἐν δέκα χιλιάσιν ἀπαντῆσαι τῷ μετὰ εἴϰοσι χιλιάδων ἐρχομένῳ ἐπ’ αὐτόν ;

Εἰ δὲ μήγε, ἔτι αὐτοῦ μόῤῥω οντος πρεσβείαν ἀποστείλας, ἐρωτᾷ τὰ πρὸς ρὴνην.

Οὔτως οὖν πᾶς ἐξ ὑμῶν, ος οὐϰ ἀποτάσσεται πᾶσι τοῖς ἑαυτοῦ ὑπάρχουσιν οὐ δύναται μου εἶναι μαθητής.

Καλόν τὸ ἄλας· ἐαν δὲ τὸ ἄλας μωρανθῆ, ἐν τίνι ἀρτυθήσεται ;

Οὒτε εἰς γῆν, οὒτε εἰς ϰοπριαν εὐθετόν ἐστιν· ἔξω βάλλουσιν αὐτό. Ὁ ἔχων ὦτα ἀϰούειν, ἀϰουέτω.


Luc, xiv, 25. Et comme une grande multitude de gens allaient avec lui, il se tourna vers eux et leur dit : Et une multitude de gens allaient avec lui ; et s’adressant à eux il leur dit :
26. Si quelqu’un vient à moi et ne hait pas son père, sa mère, sa femme, ses enfants, ses frères, ses sœurs, et même sa propre vie, il ne peut être mon disciple. Celui qui va vers moi, et ne considère pour rien son père, sa mère, sa femme, ses enfants, ses frères, ses sœurs et toute sa vie charnelle, celui-ci ne peut être instruit par moi.
27. Et quiconque ne porte pas sa croix, et ne me suit pas, ne peut être mon disciple. À quiconque ne porte pas sa croix et ne fait pas la même chose que moi, je ne puis rien apprendre.
28. Car qui est celui d’entre vous qui, voulant bâtir une tour, ne s’asseye premièrement et ne calcule la dépense, pour voir s’il a de quoi l’achever ; Car chacun de vous qui désire construire une maison, auparavant s’installe pour calculer la dépense. afin de savoir s’il a de quoi l’achever.

29. De peur qu’après qu’il en aura posé les fondements et qu’il n’aura pu achever, tous ceux qui le verront ne viennent à se moquer de lui ; Pour qu’il ne lui arrive pas qu’ayant commencé et ne pouvant terminer il devienne la risée des gens.
30. Et ne disent : Cet homme a commencé à bâtir et n’a pu achever ? Et qu’on ne dise : Voici l’homme qui a commencé à bâtir et ne peut terminer.
31. Ou qui est le roi qui, marchant pour livrer bataille à un autre roi, ne s’asseye premièrement, et ne consulte s’il pourra avec dix mille hommes aller à la rencontre de celui qui vient contre lui avec vingt mille ? Et si un roi veut guerroyer contre un autre roi, avant tout il réfléchira s’il peut avec dix mille soldats guerroyer contre vingt mille.
32. Autrement, pendant que celui-ci est encore loin, il lui envoie une ambassade pour lui demander la paix. Autrement, encore de loin, il enverra une ambassade pour demander la paix.
33. Ainsi, quiconque d’entre vous ne renonce pas à tout ce qu’il a, ne peut être mon disciple. De même chacun de vous, s’il n’abandonne pas toutes ses affaires, ne peut être instruit par moi.
34. C’est une bonne chose que le sel ; mais si le sel perd sa saveur, avec quoi l’assaisonnera-t-on ? Le sel est bon mais s’il perd sa saveur on ne peut la lui rendre.
35. Il n’est propre ni pour la terre ni pour le fumier ; mais on le jette dehors. Que celui qui a des oreilles pour entendre, entende ! Il n’est ni terre ni fumier ; il faut le jeter dehors. Celui qui a du bon sens comprendra.

Remarques.

1) Je traduis, Ἀποτάσσομαι : abandonner.


Jésus dit : Pour être instruit par moi de la vraie vie qui sauve de la mort, il est nécessaire de renoncer à tout.

Et, afin de ne pas regretter ce à quoi l’on renonce, il suffit de calculer les avantages et les désavantages de la vie charnelle et de la vie spirituelle. Réfléchis à ta situation dans ce monde, comme réfléchit celui qui fait bâtir une maison ou le roi qui se prépare à guerroyer.

Tu aimes ton père, ta mère, tes enfants, ta vie. Eh bien, peux-tu terminer cette vie comme une maison ? Peux-tu t’opposer à la mort qui marche vers toi de toutes ses forces ? Si tu le peux ou si tu crois le pouvoir, alors construis ta vie ; et si tu vois que tu ne le peux pas, que ta maison restera inachevée, que tu ne peux vaincre le roi qui va en guerre contre toi, alors cesse de bâtir, fais la paix et suis-moi vers cette vie que je te montre. C’est pourquoi il ne peut être de milieu. Si tu crois que cette seule vie que donne l’entendement est la vie, alors vis de l’entendement et tu ne regretteras rien, mais avec joie, tu donneras ta vie charnelle. Si, au contraire, tu ne crois pas, si tu regrettes la vie charnelle, alors mieux vaut ne pas me suivre. Le sens de ma doctrine, c’est le renoncement à la vie charnelle. Si, désirant être mon disciple, tu ne renonces pas à tout, si tu regrettes quelque chose, alors, comme le sel qui a perdu sa saveur, tu n’es déjà plus bon à rien.


LA PARABOLE DU FESTIN

Ἀϰούσας δὲ τις τῶν συναναϰειμένων ταῦτα, εἶπεν αὐτῷ. μαϰάριος ος φάγεται αρτον ἐν τῇ βασιλεία τοῦ Θεοῦ.

Ὁ δὲ εἶπεν αὐτῷ· ἄνθρωπος τις ἐποίησε δεῖπνον μέγα, ϰαὶ ἐϰάλεσε πολλούς.

Καὶ ἀπεστειλε τὸν δοῦλον αὐτοῦ τῆ ὤρα τοῦ δείπνου εἰπεῖν τοῖς ϰεϰλημένοις· ἔρχεσθε, ὅτι ηδη ἕτοιμὰ ἐστι πάντα.

Καὶ ἤφξαντο ἀπὸ μιᾶς παραιτεῖσθαι πάντες. Ὁ πρῶτος εἰπεν αὐτῷ· ἀγρὸν ἠγόρασα, ϰαὶ ἔχω ἀνάγϰην ἐξελθεῖν ϰαὶ ἰδεῖν αὐτόν· ἐρωτῶ σε, ἔχε με παρῃτημένον.


Luc, xiv, 15. Un de ceux qui étaient à table ayant ouï cela, lui dit : Heureux celui qui mangera du pain dans le royaume de Dieu ! Ayant entendu cela, un de ceux qui étaient avec lui, dit : Heureux celui qui mange le pain dans le royaume de Dieu 1).
16. Mais Jésus lui dit : Un homme fit un grand souper, et il y convia beaucoup de gens. Et Jésus dit : Un homme avait préparé un grand festin et invité beaucoup de convives 2).
17. Et à l’heure du souper, il envoya son serviteur dire aux conviés : Venez car tout est prêt. Il envoya son serviteur dire aux invités qu’il était temps d’aller souper.
18. Mais ils se mirent tous comme de concert, à s’excuser. Le premier lui dit : J’ai acheté une terre, et il me faut nécessairement partir pour aller la voir ; je te prie de m’excuser. Mais tous, l’un après l’autre, se mirent à s’excuser. Le premier lui dit : J’ai acheté une terre, et il me faut l’aller voir.

Remarques.

1) Le sens de ce verset c’est le doute dans le royaume de Dieu lui-même. Cet homme dit ; Bien, nous partageons tout, et si le royaume de Dieu n’existe pas ?

2) Cette parabole ressemble à celle de Matthieu, mais elle a une autre signification. Pour ne pas se tromper sur sa signification il faut comprendre clairement le cas en question. On a exprimé le doute sur la venue du royaume de Dieu, pour lequel il faut renoncer à la vie charnelle. La parabole exprime la réponse à ce doute. Jésus dit : Il ne peut exister de doute. On vous convie et vous savez qu’il y a un festin, mais vous n’y allez pas non parce que vous êtes occupés, non parce que vous doutez, mais parce que vous êtes préoccupés de la fausse richesse.


Καὶ ἕτερος εἶπε· ζεύγη βοῶν ἠγόρασα πέντε, ϰαὶ πορευομαι δοκιμασαι αὐτὰ· ἐρωτῶ σε, ἔχε με παρητημένον.

Καὶ ἕτερος εἶπε· γυναῖϰα ἔγημα, ϰαὶ διὰ τοῦτο οὐ δύναμαι ἐλθεῖν.

Καὶ παραγενόμενος ὁ δοῦλος ἐϰεῖνος ἀπήγγειλε τῷ ϰυρίῳ αὐτοῦ ταῦτα. Τότε ὀργισθείς ὁ οἰϰοδεσπότης εἶπε τῷ δούλῷ αὐτοῦ· ἔξελθε ταχέως εἶς τὰς, παλτείας ϰαὶ ῥύμας τῆς πόλεως, ϰαὶ τοὺς πτωχούς ϰαὶ αναπήρους ϰαὶ χωλούς ϰαὶ τυφλούς εἰσάγαγε ὦδε.

Καὶ εἶπεν ὁ δοῦλος· ϰύριε, γέγονεν ὡς ἐπέταξας, ϰαὶ ἔτι τόπος ἐστί.

Καὶ εἶπεν ὁ ϰύριος πρὸς τὸν δοῦλον· ἔξελθε εἰς τὰς ὁδούς ϰαὶ φραγμοὺς, ϰαὶ ἀνάγϰασον εἰσελθεῖν, ἵνα γεμισθῆ ὁ οἶϰός μου.

Λέγω γὰρ ὑμῖν, ὅτι οὐδείς τῶν ἀνδρῶν ἐϰείνων τῶν ϰεϰλημένων γεύσεταί μου τοῦ δείπνου.


19. Luc, xiv, 19. Un autre dit : J’ai acheté cinq couples de bœufs, et je m’en vais les éprouver ; je te prie de m’excuser. Un autre dit : j’ai acheté un attelage de bœufs, je vais les éprouver ; je te prie de m’excuser.

20. Un autre dit : J’ai épousé une femme ; ainsi je n’y puis aller. Un autre dit : Je viens de me marier ; c’est pourquoi je n’ai pas le temps.
21. Le serviteur étant donc de retour, rapporta cela à son maître. Alors le père de famille, en colère, dit à son serviteur : Va-t’en promptement par les places et par les rues de la ville, et amène ici les pauvres, les impotents, les boiteux et les aveugles. Le serviteur retourna et raconta tout cela à son maître. Le maître se fâcha et dit au serviteur : Va tout de suite dans les rues et sur les places et amène-moi des mendiants, des malheureux, des boiteux, des aveugles.
22. Ensuite le serviteur dit : Seigneur on a fait ce que tu as commandé, et il y a encore de la place. Et le serviteur dit : Maître j’ai fait tout ce que tu as ordonné, néanmoins il y a encore de la place.
23. Et le maître dit au serviteur : Va dans les chemins et le long des haies, et presse d’entrer ceux que tu trouveras, afin que ma maison soit remplie : Et le maître dit au serviteur : Va donc sur les routes et les carrefours, exhorte tous à venir afin que ma maison soit remplie.
24. Car je vous dis qu’aucun de ceux qui avaient été conviés ne goûtera de mon souper. Car je vous dis qu’aucun de ceux qui avaient été conviés ne goûtera de mon souper 1).

Remarques.

1) Le sens de cetle parabole est simple et transparent. Il est dit dans le Sermon sur la montagne : bienheureux les mendiants et malheur aux riches ; on explique maintenant pourquoi l’on a invité les mendiants, et ils sont heureux, ils sont venus, car ils n’ont rien qui les préoccupe. Ce sont les soucis qui font obstacle aux riches : les uns ont leur champ ; les autres, leurs bœufs ; les autres, leurs noces. Les mendiants sont tous venus, mais il y a encore de la place pour ceux qui voudraient venir. Et pour venir on dit ce qu’il faut faire : il faut abandonner les soucis des choses de ce monde et des richesses. Il y a toujours de la place pour ceux qui veulent venir, c’est-à-dire rendre les richesses. Mais ceux qui ne veulent pas le faire, occupés de leurs bœufs, de leurs champs, de leurs femmes, ceux-là ne peuvent pas venir et ils ne goûteront pas au souper.


Ὡμοιώθη ἡ βασιελεία τῶν οὐρανῶν ἀνθρώπῳ βασιλεῖ, ὅστις ἐποίησε γάμους τῷ νίῷ αὑτοῦ.

Καὶ ἀπέστειλε τοὺς δούλους αὐτοῦ ϰαλέσαι τοὺς ϰεϰλημένους εἰς τοὺς γάμους· ϰαὶ οὐϰ ἤθελον ἐλθεῖν.

Πάλιν ἀπέστειλεν ἄλλους δούλους, λέγων· εἴπατε τοῖς ϰεϰλημένοις. ἰδού, τὸ ἄριστόν μου ἡτοίμασα, οἱ ταῦροί μου ϰαὶ τὰ σιτιστά τεθυμένα, ϰαὶ πάντα ἔτοιμα· δεῦτε εἰς τοὺς γάμους.

Οἱ δὲ ἁμελήσαντες ἀπῆλθον, ὁ μὲν εἰς τὸν ἴδιον ἀγρόν, ὁ δὲ εἰς τὴν ἐμπορίαν αὐτοῦ.

Οἱ δὲ λοιποί, ϰρατήσαντες τοὺς δοῦλους αὐτοῦ, ὑβρισαν ϰαὶ ἀπεϰτειναν.

Ἀϰούσας δὲ ὁ βασιλεύς ὠργίσθη· ϰαὶ πέμψας τὰ στρατεύματα αὐτοῦ, ἀπώλεσε τούς φονεῖς ἐϰείνους, ϰαὶ τὴν πόλιν αὐτῶν ἐνέπρησε.

Τότε λέγει τοῖς δούλοις αὐτοῦ· ὁ μὲν γάμος ἔτοιμός ἐστιν, οἱ δὲ ϰεϰλημένοι οὐϰ ἠσαν ἄξιοι.

Πορεύεσθε οὖν ἐπί τὰς διεξόδους τῶν ὁδῶν, ϰαὶ οσους αν εὔρητε, καλεσατε εἰς τούς γὰμους.

Καὶ ἐξελθόντες οἱ δοῦλοι ἐϰεινοι εἰς τὰς ὁδούς, συνήγαγον πάντας ὅσους εὐρον, πονηρούς τε ϰαὶ ἀγαθούς· ϰαὶ ἐπλήσθη ὁ γάμος ἀναϰειμένων.

Εἰσελθών δὲ ὁ βασιλεύς θεάσασθαι τούς ἀναϰειμενους, εἶδεν ἐϰεῖ ἄνθρωπον οὐϰ ἐνδεδυμένον ἔνδυμα γάμου.

Καὶ λέγει αὐτῷ· ἐταῖρε, πῶς εἰσῆλθες ὧδε μὴ ἔχων ἔνδυμα γάμου ;


Matthieu, xxii, 2. Le royaume des cieux est semblable à un roi qui fit les noces de son fils. Voici à quoi l’on peut comparer le royaume de Dieu : un roi voulut faire les noces de son fils
3. Il envoya ses serviteurs pour appeler ceux qui avaient été invités aux noces ; mais ils n’y voulurent point venir. Il envoya ses serviteurs appeler ceux qui avaient été invités aux noces. Mais les invités n’étaient pas décidés d’y aller.
4. Il envoya encore d’autres serviteurs avec cet ordre : Dites à ceux qui ont été invités : J’ai fait préparer mon dîner ; mes taureaux et mes bêtes grasses sont tués, et tout est prêt ; venez aux noces. Il envoya d’autres serviteurs, leur disant : Dites aux invités que le repas est prêt ; les bœufs nourris spécialement sont tués ; tout est prêt, venez aux noces.
5. Mais eux, n’en tenant compte, s’en allèrent, l’un à sa métairie, et l’autre à son trafic. Mais les convives n’acceptaient pas l’invitation : les uns allaient dans leurs champs ; les autres au marché.
6. Et les autres prirent ses serviteurs, et les outragèrent et les tuèrent. D’autres prirent les serviteurs, les insultèrent et les tuèrent.
7. Le roi, l’ayant appris, se mit en colère, et y ayant envoyé ses troupes, il fit périr ces meurtriers et brûla leur ville. Le roi fut offensé. Il envoya contre eux ses soldats, les fit périr et incendia leurs villes.
8. Alors il dit à ses serviteurs : le festin des noces est prêt ; mais ceux qui étaient invités n’en étaient pas dignes. Alors le roi dit à ses serviteurs : le festin est prêt, mais les invités n’en étaient pas dignes.
9. Allez donc dans les carrefours des chemins, et invitez aux noces tous ceux que vous trouverez. Allez donc dans les carrefours et invitez aux noces tous ceux que vous rencontrerez.

10. Et ses serviteurs étant allés dans les chemins, assemblèrent tous ceux qu’ils trouvèrent tant mauvais que bons, en sorte que la salle des noces fut remplie de gens qui étaient à table. Les serviteurs étant allés sur les routes assemblèrent tous ceux qu’ils trouvèrent, mauvais et bons, et les salles se remplirent d’hôtes.
11. Et le roi, étant entré pour voir ceux qui étaient à table, aperçut un homme qui n’avait pas un habit de noces. Le roi entra pour admirer ses convives, et il en aperçut un qui n’avait pas d’habit de noces.
12. Et il lui dit : Mon ami, comment es-tu entré ici sans avoir un habit de noces ? Et il lui dit : Ami, comment es-tu entré ici sans avoir un habit de noces 1) ?

Remarques.

1) Celui qui venait à la noce devait mettre sur lui l’habit du maître. Celui qui ne le mettait pas témoignait au maître du mépris en n’exécutant pas sa volonté.


Ὁ δὲ ἐφιμῶθη.

Τότε εἶπεν ὁ βασιλεύς τοῖς διαϰόνοις· δήσαντες αὐτοῦ πόδας ϰαὶ χεῖρας, αρατε αὐτόν ϰαὶ ἐϰβάλετε εἰς τὸ σϰότος τὸ ἐξώτερον· ἐϰεῖ ἔσται ὁ ϰλαυθμός ϰαὶ ὁ βρυγμός τῶν ὀδόντων.

Πολλοί γὰρ εἰσι ϰλητοί, ὀλίγοι δὲ ἐϰλεϰτοί.


Matthieu, xxii 12. Et il eut la bouche fermée. Le convive se tut.
13. Alors le roi dit aux serviteurs : Liez-le pieds et mains, emportez-le, et jetez-le dans les ténèbres de dehors ; c’est là qu’il y aura des pleurs et des grincements de dents. Alors le roi dit aux serviteurs : Liez-le pieds et mains ; emportez-le et jetez-le en dehors d’ici, dans les ténèbres.
14. Car il y en a beaucoup d’appelés mais peu d’élus. Car il y a beaucoup d’appelés et peu d’élus.


« Personne ne peut venir à moi, si le Père, qui m’a envoyé, ne l’attire ; et je le ressusciterai au dernier jour. » (Jean, vi, 44).

« Tous ceux qui me disent : Seigneur ! Seigneur ! n’entreront pas tous au royaume des cieux ; mais celui-là seulement qui fait la volonté de mon Père qui est dans les cieux. » (Matthieu, vii, 21).

La parabole sur les noces du roi n’est que l’explication de ces pensées. La parabole sur les noces et celle du festin se retrouvent chez Luc. Malgré la ressemblance qui existe entre ces deux paraboles, elles sont d’une application différente. Les Églises au culte païen ainsi que les penseurs libres reconnaissent également cette différence, mais les unes et les autres voient dans ces deux paraboles l’assurance que les Juifs ne seront pas sauvés, tandis que les païens le seront.

Il me semble que si Jésus avait eu une idée pareille, aussi simple, aussi pauvre, il ne se serait pas donné la peine de l’expliquer par des paraboles.

Le maître de la maison c’est Dieu, le festin c’est la félicité du royaume de Dieu ; l’invitation a été faite il y a longtemps déjà, enfin le moment du festin arrive, tout est prêt : cela se rapporte à l’évangile, à la bonne nouvelle que le royaume est proche et qu’avec le repentir et la foi on y entrera directement ; le serviteur qui va prendre les invités, c’est Jésus s’adressant aux Juifs, à ceux qui connaissent la loi et les prophètes, aux gens d’école, aux riches[1].

Pour celui qui lit l’Évangile tout simplement, comme il est écrit, ces paraboles sont toujours l’explication de la pensée exprimée dans les paraboles des talents, dans toute la doctrine, et dans toutes les paraboles, mais avec différentes nuances. Ces paraboles se rapprochent surtout de celle des talents. Mais tandis que la parabole des talents explique le verset où il est dit que la volonté du Père est que rien ne périsse de ce qu’il nous a donné, celles-ci expliquent cette pensée : personne ne peut venir à moi si le Père ne l’y attire.

Le père attire à lui comme le roi appelle tout le monde au souper, désirant avoir le plus grand nombre de convives. Le Père appelle à lui, attire tout le monde à lui. Si les uns ne viennent pas, les autres viendront. Si quelques grains tombent sur la route, sur les pierres, parmi les mauvaises herbes, les autres tomberont sur la bonne terre, et il y aura des fruits. Le Père non seulement a semé le champ et attend, mais il prépare le bonheur et y convie les hommes. Mais aux uns il paraît que les œuvres qui les occupent sont plus importantes que cela, et ils ne viennent pas. D’autres, comme les habitants de la ville dans la parabole des talents, ne veulent pas du tout reconnaître le roi et même injurient et tuent ses serviteurs.

Le roi tue ceux-là et emplit sa salle de festin de ceux qui désirent venir.

L’entendement appelle tous à lui. Les uns l’entendent et comprennent mais ne veulent pas lui céder. Ceux-ci restent tels qu’ils étaient avec la possibilité de la vie. Les autres ne reconnaissent pas l’entendement, lui sont hostiles, et, par cela même, se perdent. Enfin, d’autres encore s’unissent à l’entendement.

Une partie de la pensée est exprimée, l’autre concerne ceux qui reconnaissent l’entendement. Les invités qui ont exécuté la volonté du maître ont accepté les biens qu’il leur a donnés — l’habit de noces. La comparaison de l’exécution de la volonté du maître avec l’habit — présent du maître — indique que l’exécution de cette volonté n’est pas difficile, et qu’en outre elle est un bien en elle-même (Matthieu, xi, 28-30). « Venez à moi, vous tous qui êtes travaillés et chargés, et je vous soulagerai. Chargez-vous de mon joug et apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur, et vous trouverez le repos de vos âmes. Car mon joug est aisé et mon fardeau léger. »

Les autres n’ont pas exécuté la volonté du maître ; ils n’ont pas accepté ses habits, et le maître ordonne de les jeter dehors. Il leur est arrivé la même chose qu’à ceux qui ont battu les serviteurs. Les uns, unis à l’entendement, lui obéissent ; les autres ne lui obéissent pas. Ces derniers s’anéantiront ainsi que ceux qui sont hostiles à l’entendement.

Voici comment l’Église interprète la même parabole de Matthieu : Le festin du roi (p. 400-402). On ressent de l’horreur à la lecture de ces interprétations superficielles, comme s’il s’agissait des paroles d’un curé quelconque ; on écrit ce qui vient en tête. Pour Jean Chrysostome cela signifie que les Juifs n’ont pas accepté et que les païens ont accepté, et il l’écrit sans rime ni raison, sans remarquer qu’il est dit dans le texte : les uns ont refusé et les autres ont tué. Il écrit : « C’est peu, ils ont encore tué ! » Et ces sottises et ces écarts du sens se répètent depuis mille ans.

Voici ce que dit l’Église :

Cette parabole présente, évidemment, la répudiation des Juifs et l’appel des païens. L’évangile, avant tout, était destiné aux Juifs, c’est à eux qu’il était enseigné, comme au peuple élu. Mais, dans son aveuglement, il le renia. Alors, il s’est tourné vers les païens, qui l’ont accepté. Telle est la pensée principale de la parabole. Quant aux détails et aux particularités, plusieurs ne sont que de simples ornements de la parole et ne contiennent aucun enseignement mystérieux.

Appelez les élus. — Ils étaient donc prévenus que le roi, à un certain moment, donnerait un festin, et ils avaient été invités à y participer. L’invitation portée maintenant par les serviteurs, n’est donc que l’appel au festin préparé. Les Juifs, en effet, étaient prévenus par la loi et par les prophètes du royaume du messie qui devait être révélé, et ils étaient appelés à y venir. Ensuite, quand le royaume du messie fut révélé, les Juifs y furent appelés par Jean, qui les envoya tous à Christ, en disant : « Il doit grandir et moi diminuer » ; ensuite par le fils lui-même car il dit : « Venez à moi vous tous qui êtes travaillés et chargés, et je vous soulagerai » (Matthieu, xi, 28). Et encore : « Si quelqu’un a soif, qu’il vienne à moi et boive ». Il les a appelés non par des paroles mais par des actes.

Et ils n’ont pas voulu venir. — Il est évident que tous n’ont pas refusé ; plusieurs ont cru en Jean et à Christ. Mais on veut parler de la majorité du peuple juif, qui répudia Christ.

Il a envoyé d’autres serviteurs. — Ici, par serviteurs, il faut entendre des apôtres, qui, remplis de l’esprit, témoignèrent de l’évangile dans Jérusalem et dans toute la Judée. De nouveau, solennellement, les Juifs sont appelés les invités du royaume de Dieu qui se révélait quand, selon l’expression précédente, le dîner était déjà tout à fait prêt.

En négligeant. — Méprisant l’invitation du roi, les élus montraient ainsi du mépris pour le roi lui-même qui les avait conviés.

À leurs champs, à leur commerce. — Ils étaient si plongés dans leurs bas calculs qu’ils en négligeaient l’invitation du roi. Ainsi l’attachement aux biens de ce monde détourne de la satisfaction des besoins spirituels supérieurs. Les bas calculs de ce monde empêchent les Juifs, en la personne de leurs représentants, d’entrer dans le royaume du Christ. Mais le pire n’est pas d’avoir décliné l’invitation, c’est d’avoir mal reçu, injurié, tué les envoyés… Ils ont tué Étienne, Jacques, et injurié les apôtres.


LA PARABOLE DU MAÎTRE ET DU SERVITEUR

Ἀνθρωπός τις ἦν πλούσιος, ὅς εἶχεν οἰϰονόμον. ϰαὶ οὖτος διεβλήθη αὐτῷ ὡς διασϰορπίζων τὰ ὑπἀρχοντά αὐτοῦ.

Καὶ φωνήσας αὐτόν εἶπεν αὐτοῷ· τὶ τοῦτο ἀϰούω περὶ σοῦ ; ἀπόδος τὸν λόγον τῆς οἰϰονομίας σου· οἱ γὰρ δυνήση ἔτι οἰϰονομεῖν.

Εἶπε δὲ ἐν ἑαυτῷ ὁ οἰϰονόμος· τί ποιήσω, ὅτι ὁ ϰύριος μου ἀφαιρεῖται τὴ οἰϰονομίαν ἀπ’ ἐμοῦ ; σϰάπτειν οὐϰ ἰσχύω, ἐπαιτεῖν αἰσχύνομαι.

Ἔγνων τί ποιήσω, ἵνα ὅταν μετασταθῶ τῆς οἰϰονομίας, δέξωνταί με εἰς τοὺς οἴϰους αὐτῶν.

Καὶ προσϰαλεσάμενος ἔνα ἔϰαστον τῶν χρεωφειλετῶν τοῦ ϰυρίου ἑαὑτοῦ, ἔλεγ τῷ πρώτῳ· πόσον ὀφείλεις τῷ ϰυρίῳ μου ;

Ὁ δὲ εἶπεν· ἐϰατόν βάτους ἐλαίου· Καὶ εἶπεν αὐτῷ· δέξαι σου τό γράμμα, ϰαὶ ϰαθίσας ταχέως γράψον πεντήϰοντα.

Ἔπειτα ἐτέρῳ εἶπε· σύ δὲ πόσον ὀφείλεις ; Ὁ δὲ εἶπεν· ἐϰατόν ϰόρους σίτου. Καὶ λέγει αὐτῷ, δέξαι σου τὸ γράμμα, ϰαὶ γράψον ὀγδοήϰοντα.

Καὶ ἐπήνεσῖν ὁ ϰύριος τὸν οἰϰονόμυν τῆς ἀδιϰίας, ὅτι φρονίμος ἐποίησεν, ὅτι οἱ υἱοί τοῦ αἰῶνος τούτου φρονιμώτεροι ὑπέρ τοὺς νἱούς τοῦ φωτὸς εἰς τὴν γενεὰν τὴν ἑαυτων εἰσι.


Luc, xvi, 1. Jésus disait aussi à ses disciples : Un homme avait un économe qui fut accusé devant lui de lui dissiper son bien. Un homme riche avait un employé. Quelqu’un vint dire au maître que cet employé dissipait son bien.
2. Et l’ayant fait venir il lui dit : Qu’est-ce que j’entends dire de toi ? Rends compte de ton administration ; car tu ne pourras plus désormais administrer mon bien. Le maître le fit appeler et lui dit : Voici le bruit qui court sur toi. Rends-moi compte de ta gestion, car tu ne peux plus administrer ma fortune.
3. Alors cet économe dit en lui-même : Que ferai-je, puisque mon maître m’ôte l’administration de son bien ? Je ne saurais travailler à la terre et j’aurais bonté de mendier. Et l’employé se dit à lui-même : Que ferai-je si le maître m’ôte la gestion ? Je n’ai pas la force de labourer, et j’aurais honte de mendier.
4. Je sais ce que je ferai afin que quand on m’aura ôté mon administration, il y ait des gens qui me reçoivent dans leurs maisons. Je sais ce que je ferai afin que les bonnes gens me prennent une fois qu’on m’aura enlevé ma gestion.

5. Alors il fit venir séparément chacun des débiteurs de son maître, et il dit au premier : Combien dois-tu à mon maître ? Et il appela séparément chacun des débiteurs de son maître. À l’un il dit : Combien dois-tu à mon maître ?
6. Il répondit : Cent mesures d’huile. Et l’économe lui dit : Reprends ton billet, assieds-toi là et écris-en promptement un autre de cinquante. Il répondit : Cent mesures d’huile. Et il lui dit : Prends ton billet, assieds-toi et écris-en promptement un de cinquante.
7. Il dit ensuite à un autre : Et toi combien dois-tu ? Il dit : Cent mesures de froment. Et l’économe lui dit : Reprends ton billet, et écris-en un autre de quatre-vingts. Il dit ensuite à un autre : Et toi, combien dois-tu ? Cent mesures de blé. Et il lui dit : Voici ton billet, écris-en un autre de quatre-vingts.
8. Et le maître loua cet économe infidèle de ce qu’il avait agi avec habileté ; car les enfants de ce siècle sont plus prudents dans leur génération que les enfants de lumière. Et le maître approuva 1) son gérant 2) de la richesse infidèle d’avoir agi sagement, car les enfants de ce monde sont plus intelligents que les enfants de la lumière parmi eux 3).

Remarques.

1) Ἐπαινέω ne signifie pas loué ; c’est δοξαζο qui a cette signification. Ἐπαινέω signifie approuver (i Cor. xi, 2, 17, 22) ; Ὅτι φρονίμως ἐποίησεν montre en quoi, précisément, il l’a approuvé.

2) Τὸν οἰϰονόμον τῆς ἀδιϰίας est traduit : employé infidèle. Cette traduction n’est pas bonne parce qu’il serait dit ἄδιϰος, et non τῆς ἀδιϰίας, comme il est dit dans le verset 10 ; τῆς ἀδιϰίας se rapporte dans le verset suivant à τοῦ μαμωνᾶ et le sens ici est le même, c’est-à-dire que le surveillant était le gardien d’une richesse mal acquise ; c’est pourquoi j’introduis ici le mot richesse.

3) Dans son espèce.


Κἁγὼ ὑμῖν λέγω· ποιήσατε ἐαυτοῖς φίλους ἐκ τοῦ μαμωνᾶ τῆς ἀδικίας, ἵνα ὅταν ἐκλίπητε, δέξωνται ὑμᾶς εἰς τὰς αἰωνίους σκηνάς.

Ὁ πιστὸς ἐν ἐλαχίστῳ, καὶ ἐν πολλῷ πιστός ἐστι· καὶ ὁ ἐν ἐλαχίστῳ ἄδικος, καὶ ἐν πολλῷ ἄδικος ἐστιν.


Luc, xvi, 9. Et moi je vous dis aussi : Faites-vous des amis avec les richesses injustes, afin que quand vous viendrez à manquer, ils vous reçoivent dans les tabernacles éternels. Et moi je vous dis : Faites-vous des amis de la richesse injuste afin que, quand il n’en sera plus, vous soyez reçus dans le tabernacle éternel.
10. Celui qui est fidèle dans les petites choses sera aussi fidèle dans les grandes ; et celui qui est injuste dans les petites choses sera aussi injuste dans les grandes. Celui qui est fidèle 1) dans les petites choses sera aussi fidèle dans les grandes ; et celui qui est injuste dans les petites choses sera injuste dans les grandes.

Remarques.

1) Πιστος, a ici la même signification que dans les passages suivants :

Jean, xx, 27. — Puis il dit à Thomas : Mets ici ton doigt et regarde mes mains ; avance aussi ta main et la mets dans mon côté, et ne sois plus incrédule, mais crois.

Actes, xvi, 15. — Et quand elle eut été baptisée avec sa famille, elle nous fit cette prière : Si vous m’avez crue fidèle au Seigneur, entrez dans ma maison et y demeurez ; et elle nous y obligea.

i Tim., iv, 3. — Défendant de se marier, commandant de s’abstenir de viandes que Dieu a créées, afin que les fidèles et ceux qui ont connu la vérité en usent avec actions de grâces.


Εἰ οὖν ἐν τῷ ἀδίϰῳ μαμωνᾶ πιστοί οὐϰ ἐγένεσθε, τὸ ἀληθινόν τὶς ὑμῖν πιστεύσει ;

Καὶ εἰ ἐν τῷ ἀλλοϰρίῳ πιστοὶ οὐϰ ἐγένεσθε, τὸ ὑμέτερον τίς ὑμῖν δώσει ;

Οὐδείς οἰϰέτης δύναται δυσί ϰυρίοις δουλεύειν· ἤ γὰρ τὸν ἔνα μισήσει, ϰαὶ τὸν ἔτερον ἀγαπήσει· ἤ ἑνός ἀνθέξεται, ϰαὶ τοῦ ἐτέρου ϰαταφρονήσει. Οὐ δύνασθε Θεῷ δουλεύειν ϰαὶ μαμωνᾷ.


Luc. xvi, 11. Si donc vous n’avez pas été fidèles dans les richesses injustes, qui vous confiera les véritables richesses ? Si dans la richesse injuste vous faites quelque chose de mal, qui vous confiera la vraie richesse ?
12. Et si vous n’avez pas été fidèles dans ce qui est à autrui, qui vous donnera ce qui est à vous ? Et si dans la richesse d’un autre vous n’êtes pas juste, qui vous donnera ce qui vous appartient ?
13. Nul serviteur ne peut servir deux maîtres ; car ou il haïra l’un, et aimera l’autre ; ou il s’attachera à l’un et méprisera l’autre. Vous ne pouvez servir Dieu et Mammon. Nul serviteur ne peut servir deux maîtres ; ou il considère l’un comme rien et tâche de plaire à l’autre. On ne peut travailler pour Dieu et pour la richesse.


Cette parabole est tenue pour la plus incompréhensible et la plus scandaleuse. On l’interprète de mille manières et sans résultat. Il suffit de ne pas l’interpréter faussement. Il faut dire que seuls les chemineaux, les mendiants sont admis dans le royaume de Dieu ; que celui qui possède non seulement ne peut pas entrer dans le royaume de Dieu, mais que la première condition pour y être admis est de rejeter la propriété, car on ne peut servir Dieu et Mammon, de même qu’on ne peut regarder d’un œil le ciel et de l’autre la terre. Tout cela a été dit tant de fois et de tant de façons, qu’il n’y a qu’à ne pas faire exprès de l’interpréter faussement, et la parabole devient si simple, si claire, qu’il n’est même plus besoin d’interprétation.

Voici comment raisonnent nos interprètes de l’Église[2].

Je vous dis, c’est évidemment adressé à tous les auditeurs sans exception, partisans ou non du Seigneur. Mais dans le cas présent, cette parole s’adresse surtout aux péagers, puisque la parabole est dite principalement pour eux, pour la correction et la véritable direction de leurs œuvres. Le Seigneur dit approximativement ceci : Vous autres péagers, sous certains rapports, vous pouvez profiter de l’exemple du gérant infidèle. Avec le bien de son maître il s’est acquis des amis qui le recevront sous leurs toits quand il perdra sa place. Et vous, si vous vous guidez en cette affaire par des buts lucratifs, si vous jouissez de mauvaise foi de ce que le Seigneur vous confie, alors tôt ou tard vous devrez rendre compte de vos malversations qui ne peuvent être ignorées de Celui qui est partout.

Pour ne pas rester sans toit dans le malheur, pendant que la richesse est entre vos mains, vous devez l’employer pour le profit de votre âme, à l’acquisition d’un toit éternel. Et voici le moyen d’y parvenir. Employez la richesse au profit de votre prochain, des pauvres, des miséreux. Le gérant congédié, par sa ruse bien qu’unie à la tromperie envers le maître, est arrivé à s’assurer dans le malheur des amis et un abri. Imitez cette ruse des fils de ce siècle (sans admettre sans doute la tromperie) ; aidez de votre richesse le prochain, et les pauvres prépareront pour vous les demeures éternelles, de même que les amis ont préparé chez eux une demeure temporaire au gérant infidèle.

Par la richesse injuste, autrement dit par Mammon, Mammon étant la même chose que la richesse. La richesse est appelée injuste dans le même sens que le gérant, précédemment, est appelé infidèle et que, plus loin, elle est opposée à la vraie richesse ; c’est-à-dire dans le sens d’infidélité. La richesse engendre les tentations, les prétextes et les moyens d’agir malhonnêtement et injustement, comme le montre l’exemple du gérant, et, en ce sens, elle est infidèle, comme génératrice de l’action infidèle, tortueuse et injuste. D’autre part elle est infidèle aussi parce qu’elle est mensongère, trompeuse, passagère, par opposition avec la richesse vraie, spirituelle, la richesse de la vertu, la richesse éternelle. Par cette richesse infidèle on peut cependant, en l’employant bien, s’acquérir des amis pauvres, mendiants, qui ont besoin d’aide et de secours sur cette terre, mais qui peuvent nous fournir les demeures éternelles dans le ciel, car un tel emploi de la richesse est une vertu pour laquelle on aura en récompense le royaume du ciel.

L’interprétation de Reuss[3] est bien supérieure ; elle serait même tout à fait juste si son désir n’était d’interpréter faussement l’essentiel de la doctrine évangélique : que la propriété est incompatible avec le royaume de Dieu.

Cet homme administrait mal ; les intérêts de son patron souffraient entre ses mains, il détournait l’argent à son profit, ou ne le faisait pas valoir. Le maître apprend cela et lui enjoint de rendre ses comptes. L’économe sait qu’il perdra sa place, parce qu’il ne pourra pas se justifier ; il va se trouver sans moyens d’existence, il ne se sent pas disposé à gagner sa vie par le travail manuel.

Il imagine donc de se créer des ressources en faisant des arrangements avec les débiteurs (fermiers ?) de son maître. Comme toutes les affaires ont été entre ses mains, cette intrigue peut réussir ; le maître ne pourra pas faire intervenir les tribunaux, les billets (contrats, obligations) qui lui seront remis, seront les seuls qui existent, les seuls qui puissent obliger les débiteurs, lesquels déchargés (frauduleusement, il est vrai, au point de vue du créancier ; mais de gré à gré et valablement, en tant que l’économe avait procuration) d’une bonne partie de leur dette (fermage ?) devaient se trouver disposés à accorder des avantages à l’homme qui leur avait fait cette gracieuseté. Toute l’histoire revient donc à dire que l’homme de la parabole s’assure ce qu’on appelle aujourd’hui des pots de vin ; seulement ces pots de vin, d’après le but de la parabole, devaient se payer en nature par d’autres services à rendre. Le maître pouvait en être fâché comme propriétaire ; mais ici, où il s’agit de l’appréciation d’un acte, considéré au point de vue de celui qui en est l’auteur, et non d’une réalité historique, le maître ne peut s’empêcher de reconnaître que c’était un moyen ingénieux de parer aux éventualités. Si cet individu, dit-il, n’a pas soigné mes intérêts à moi, il a du moins pourvu aux siens propres. Et la manière dont il a été trompé lui arrache, malgré lui, sans doute, un aveu que le narrateur peut très convenablement appeler un éloge.

2o L’application (v. 8, 9). Ici il faut avant tout bien se pénétrer de deux choses : du sens du mot prudence et de la portée du comparatif et de la comparaison contenus dans le v. 8. La prudence n’est pas une qualité morale (Matth., x, 16 sect. 40), c’est l’aptitude de l’esprit à trouver et à disposer les moyens de manière à atteindre le but et à éviter ainsi les chances contraires. Cette qualité, est-il dit, les enfants du siècle la possèdent généralement à un plus haut degré que les enfants de la lumière. Le terme d’enfants (fils), d’après un trope hébreu bien connu et souvent employé dans le Nouveau-Testament (Luc, x, 6 ; Marc, iii, 17 ; Eph., ii, 2), sert à circonscrire l’adjectif de qualité ; les enfants du siècle, du monde, sont donc des mondains, ceux qui se préoccupent avant tout ou exclusivement des intérêts matériels ; les enfants de la lumière (Jean, xii, 36 ; i Thess., v, 5 ; Eph., v, 8) sont ceux qui, éclairés par l’esprit de Dieu, dirigent leurs regards et leur activité vers le ciel et les biens qu’il nous réserve. Or l’expérience prouve que les premiers ont plus de savoir faire que les seconds, nous voulons dire qu’ils montrent une plus grande intelligence des conditions de la réussite dans ce qu’ils proposent.

Dans l’application spéciale à l’argent, cela veut donc dire que les premiers savent très bien s’en servir pour arriver à leurs fins, qu’ils savent faire leurs affaires, tandis que les seconds ne font pas aussi bien les leurs, et ne tirent pas des moyens dont ils disposent tous les avantages qu’il serait possible de réaliser dans leur intérêt tel qu’ils le conçoivent. La phrase accessoire : dans leurs rapports avec leurs semblables, applicable dans la pensée de l’orateur aux enfants du siècle seuls, et non pas également aux enfants de la lumière, découle directement de la parabole, l’économe ayant su faire ses affaires avec des gens qui le voulaient, et qui étaient de sa trempe, qui savaient trouver leur avantage à lui faire trouver le sien.

Il est donc entendu que si Jésus, à son tour, prenant la parole après le maître de la parabole (v. 9 : Et moi je vous dis), présente l’économe comme une espèce de modèle, il n’est pas question d’un jugement moral à porter sur cet homme, tout aussi peu qu’il sera question d’approuver moralement la conduite du juge qui fait son devoir pour ne pas être importuné, ou celle de l’individu qui oblige son ami à contre-cœur. On peut apprendre quelque chose, et même beaucoup, de ceux qui, à bien des égards, ne suivent pas le bon chemin ; si ceux-ci, par exemple, songent à l’avenir et se ménagent, avec les moyens dont ils disposent aujourd’hui, une position sûre pour des éventualités difficiles, pourquoi vous, à plus forte raison, n’agissez-vous pas d’une manière analogue, et cela avec des intentions plus pures, dans un but plus noble et plus élevé ?

Or cet avenir était, pour l’économe, le jour où il pourrait trouver un asile dans les maisons des débiteurs de son maître ; pour les disciples, enfants de la lumière, c’est la perspective des demeures éternelles. Il reste donc à examiner les deux autres points de la comparaison, les amis et le mammon.

Par les amis, la plupart des commentateurs entendent assez naturellement les hommes pour le bien desquels on aura employé sa fortune. Mais cette interprétation n’est pourtant pas à l’abri de toute objection. Comment Jésus peut-il dire, comme si cela allait de soi, que les hommes auxquels on aura fait du bien seront morts avant leurs bienfaiteurs, de manière à recevoir ceux-ci dans le séjour des bienheureux, quand ils y arriveront à leur tour ? Et puis sont-ce donc les hommes qui assurent une place à leurs semblables dans ce séjour-là comme les débiteurs de la parabole le font à l’égard de l’économe ? Nous croyons donc plutôt que les amis sont des personnes ou puissances qui disposent de ces places ; le pluriel, qui a engagé quelques interprètes à songer de préférence aux anges, ne nous gênera pas ici, parce qu’il est tout simplement emprunté au récit parabolique. L’amitié qu’on dit songer à gagner par un bon emploi des biens de la terre, c’est celle de Dieu (Luc, xix, 17), et s’il fallait absolument aller plus loin pour justifier le pluriel, le Christ se présenterait immédiatement à notre esprit pour l’expliquer (Matth., xxv, 34, etc.).

Cette question s’est compliquée par suite d’une variante fort curieuse dans notre texte. La leçon vulgaire est traduite assez convenablement : lorsque vous viendrez à mourir, littéralement : à manquer ; mais des témoins anciens et respectables ont une leçon beaucoup moins facile et par conséquent très digne d’attention : quand il (le mammon) viendra à manquer, quand vous n’en aurez plus. Cette leçon convient très bien à la parabole : l’économe se fit des amis pour le moment où ses ressources antérieures lui feraient défaut ; le disciple de Christ doit en faire autant pour le moment où les biens matériels n’y peuvent plus rien (Matth., vi, 20 ; Luc, xii, 33).

Nous arrivons à une dernière expression du v. 9 qui est bien la plus difficile de toutes et qui a le plus dérouté l’exégèse. L’objet avec lequel on doit se faire des amis est appelé (littéralement) le mammon de l’injustice. Que le mot hébreu, que nous avons conservé avec l’évangéliste, signifie la richesse, l’argent, l’avoir pécuniaire qu’on amasse, cela n’a plus besoin d’être démontré (Matth., vi, 24). Que le génitif (de l’injustice) provienne d’un idiotisme de la langue hébraïque et doive être rendu par l’adjectif, cela ne souffre pas de difficulté. Le juge de l’injustice (Luc, xviii, 6) est certainement un juge injuste ; dans notre texte même, deux lignes plus haut, il était question de l’économe de l’injustice ; et deux lignes plus bas (v. 11) l’adjectif remplace le génitif dans la phrase dont nous nous occupons. Mais qu’est-ce donc que la richesse injuste ? S’arrêtant à la signification ordinaire de l’adjectif, on a souvent pensé à un bien mal acquis, quoique, à vrai dire, le mot injuste qualifie celui qui agit contrairement à la justice, ce qui est autre chose. Mais enfin, devons-nous donc croire que Jésus supposait à ses disciples les biens mal acquis ? Et si cela peut avoir été le cas pour quelques-uns, pourquoi ne leur dit-il pas de rendre à qui de droit ce qu’ils ont mal acquis ? Ou bien, si cela n’était pas toujours possible, les aumônes faites avec de l’argent mal acquis effacent-elles le premier tort, de sorte que les amis au ciel n’y regarderont plus ? Et puis l’économe de la parabole était-il donc injuste (comme l’appelle la bible allemande ?) Il manquait à son devoir, il trompait, il était infidèle, comme l’appelle très bien la bible française. Enfin, on remarquera qu’au v. 11, l’opposé de la richesse prétendue injuste est la richesse véritable, le vrai trésor, ce qui nous fait voir clairement que le premier adjectif est mal traduit. Et au v. 10, le contraire d’injuste est fidèle, ce qui semble devoir de nouveau nous recommander de remplacer le mot injuste par infidèle.

Par ces diverses raisons on a été amené à donner au mot grec du texte le sens de infidèle. Pour l’économe, cela allait de soi ; la richesse infidèle devrait être celle qui trompe son possesseur parce qu’elle n’est pas assurée ; elle peut être enlevée, perdue de diverses manières, et en tout cas elle ne nous unit pas dans l’autre vie, elle est passagère. On a même signalé cet emploi du terme dans la littérature rabbinique. En apparence cette seconde interprétation est de beaucoup préférable à la première ; à y regarder de près, elle donne également prise à la critique. L’économe et l’argent peuvent être appelés infidèles tous les deux, mais chacun dans un autre sens.

L’un a positivement et méchamment trompé son maître, l’autre peut manquer accidentellement au sien. La différence nous semble assez grande pour rendre douteux l’expédient exégétique tout entier.

Mais ce qui nous détermine surtout à abandonner cette explication, c’est qu’elle ôte à l’adjectif, dans l’un des deux cas, toute valeur morale, tandis qu’elle la lui conserve dans l’autre cas. Jamais, dans le Nouveau-Testament, cet adjectif, d’un usage d’ailleurs si fréquent, n’est dépouillé de toute portée morale, il indique toujours un vice, c’est-à-dire une qualité positivement mauvaise, et non pas seulement un défaut, c’est-à-dire l’absence d’un avantage matériel. Voilà pourquoi nous avons hardiment mis dans notre traduction, à la place du terme impossible d’injuste, et du terme insuffisant de trompeur, le mot mauvais, et si l’on veut passer en revue tous les passages de l’Évangile où Jésus parle de l’argent, on verra que nous n’avons pas eu tort. La parabole de l’économe prouvait une fois de plus que l’argent peut être une cause de péché. Et comme malheureusement il exerce sur l’homme une puissance d’attraction telle que celui-ci y résiste bien difficilement, Jésus était autorisé à le qualifier comme il le fait, lors même que nous ne voudrions pas faire valoir ici sa coutume d’employer partout les termes les plus absolus, quand il s’agit de juger soit les hommes, soit les choses.

D’après cela nous ramènerons sa pensée à cette thèse, que personne ne contestera : l’argent est un mal, tant qu’il est un but : il peut devenir un bien, quand il est employé comme moyen pour arriver à un but élevé et salutaire. Ce résultat sera confirmé par les maximes que Luc ajoute après la parabole.

3o Maximes détachées (v. 10-13). Nous ne tenons pas trop à cette désignation. Si l’on insistait pour les faire regarder comme partie intégrante de la morale de la fable, nous ne ferions pas opposition. En tout cas, Luc a été très bien inspiré en les plaçant ici. Seulement le passage parallèle de Matthieu ferait voir que, avec les moyens fournis par la tradition, ce n’était pas la seule combinaison possible.

Ces maximes sont, quand on y regarde bien, au nombre de deux : l’une (v. 13) que nous avons déjà rencontrée ailleurs ne nous arrêtera pas ici ; l’autre reproduit une seule et même pensée sous trois formes différentes (v. 10, 11, 12) : celle-ci, en effet, est dans un rapport plus intime avec la parabole. Le disciple de Christ est aussi une espèce d’économe, l’administrateur d’un bien qui ne lui appartient pas en propre, qu’il doit faire valoir dans l’intérêt de son maître (comp. de la parabole des talents). Or, la qualité essentielle, unique même, qu’on est en droit d’exiger dans l’économe (outre l’intelligence des affaires dont il n’est pas question ici), c’est la fidélité (i Cor., iv, 1).

C’est de cette qualité que parle notre texte : Celui qui n’est pas fidèle à l’égard de la chose moindre ne le sera pas à l’égard de beaucoup ; celui qui ne l’est pas à l’égard de la richesse mauvaise (fausse, prétendue, corruptrice) ne le sera pas à l’égard de la vraie richesse ; celui qui ne l’est pas à l’égard de ce qui ne lui appartient pas, ne recevra pas ce qui (autrement) lui était réservé. Ces sentences n’ont pas besoin de commentaires. L’une des séries d’épithètes s’applique aux biens de la terre, l’autre aux biens spirituels.

La première sentence, toute figurée, se borne à présenter leur valeur respective sous forme d’un simple rapport de quantité ; la seconde énonce ce rapport d’une manière propre et directe ; la troisième enfin, fait ressortir cet élément important, que les biens célestes sont destinés à devenir une véritable propriété, tandis que les biens de la terre, même dans le cas le plus favorable, ne sont jamais qu’un prêt.

On voit donc que la seule chose qui empêche la parabole d’être tout à fait claire, c’est la non-reconnaissance de la propriété comme mal, opposée à la doctrine, il en résulte des réticences telles que celles-ci : « L’argent est un mal tant qu’il est un but ; il peut devenir un bien, quand il est employé comme moyen… » Et être « fidèle à l’égard de la richesse mauvaise. » Il n’est dit nulle part que l’argent peut être un bien, mais partout et toujours il est dit le contraire. Ici la richesse est appelée la richesse de l’injustice, et être fidèle à l’injustice, c’est la même chose que de ne pas avoir de justice. De cette interprétation conditionnelle du sens de la parabole, de ces réticences, outre l’obscurité il résulte aussi une interprétation grossière de cette importante parabole liée étroitement avec toute la doctrine.

Si l’on s’en tient aux paroles de l’Évangile, le sens de la parabole est très simple. L’homme pour garantir sa vie donne aux autres sa fausse propriété, qui ne lui appartient pas. Par la fausse richesse d’un autre cet homme se garantit. Autrement dit, il donne une chose étrangère, fausse, et reçoit une chose vraie. Jésus dit : faites la même chose pour recevoir la vie ; donnez la propriété imaginaire, la vie charnelle, avec tout ce qui, soi-disant, lui est nécessaire. Et si vous ne rendez pas cette fausse propriété, celle qui n’est pas en votre pouvoir, comment alors recevrez-vous la vraie vie. La vie charnelle s’exprime par la propriété ; rendez donc la propriété pour recevoir la vie.

Cette parabole n’est que l’explication sous une autre face de celle du festin, du chapitre xiv de Luc ; dans le chapitre xv, il s’agit d’autre chose. Dans le chapitre xvi, la parabole du gérant n’est que l’explication de celle du festin à laquelle elle est liée directement.


LA PARABOLE DU RICHE ET DE LAZARE

Ηϰουον δὲ ταῦτα παντα ϰαὶ οἱ φαρισαῖοι, φιλάργυροι ὑπάρχοντες. ϰαὶ ἐξεμυϰτήριζον αὐτόν.

Καὶ εἶπεν αὐτοίς. ὑμεῖς ἐστε οἱ διϰαιοῦντες ἑαυτούς ἐνώπιον τῶν ἀνθρώπον, ὁ δὲ Θεὸς γινώσϰει τὰς ϰαρδίας ὑμῶν· ὅτι τὸ ἐν ἀνθρώποις ὑψηλόν, βδέλυγμα ἐνώπιον τοῦ Θεοῦ ἐστιν.

Ὁ νόμος ϰαὶ οἱ προφῆται ἕως Ἰωάννου· ἀπὸ τότε ἡ βασιλεία τοῦ Θεοῦ εὐαγγελίζεται, ϰαὶ πᾶς εἰς αὐτήν βιάζεται.

Ἄνθρωπος δὲ τις ἦν πλούσιος, ϰαὶ ἐνεδιδύσϰετο πορφύραν ϰαὶ βύσσον. εὐφραινόμενος ϰαθ’ ἡμέραν λαμπρῶς.

Πτωχός δὲ τις ἦν ὀνόματι Λάζαρος, ὅς ἐβέβλητο πρὸς τὸν πυλῶνα αὐτοῦ ἡλϰωμένος.

Καὶ ἐπιθυμῶν χορτασθῆναι ἀπό τῶν ψιχίων τῶν πιπτόντων ἀπὸ τῆς τραπέζης τοῦ πλουσίου· ἀλλὰ ϰαὶ οἱ ϰύνες ἐρχόμενοι ἀπέλειχον τὰ ἔλϰη αὐτοῦ.

Ἐγένετο δὲ αποθανεῖν τὸν πτωχόν, ϰαὶ ἐπενεχθῆναι αὐτόν ὑπὸ τῶν ἀγγέλων εἰς τὸν ϰόλτον Ἀβραάμ· ἀπέθανε δὲ ϰαὶ ὁ πλούσιος, ϰαὶ ἐτάφη.


Luc, xvi, 14. Les Pharisiens, qui étaient avares, écoutaient tout cela et se moquaient de lui. Les Pharisiens entendaient cela, et comme ils aimaient l’argent ils se mirent à se moquer de lui.
15. Et il leur dit : Pour vous, vous voulez passer pour justes devant les hommes, mais Dieu connaît vos cœurs ; car ce qui est élevé devant les hommes est une abomination devant Dieu. Et il leur dit : Vous vous justifiez vous-mêmes devant les hommes ; mais Dieu connaît vos cœurs. Ce qui est sublime devant les hommes est une abomination devant Dieu.
16. La loi et les prophètes ont eu lieu jusqu’à Jean ; depuis ce temps-là le royaume de Dieu est annoncé, et chacun le force. La loi et les prophètes étaient avant Jean, mais depuis ce temps-là le royaume de Dieu est annoncé, et chacun, par force, y entre.
19. Il y avait un homme qui se vêtait de pourpre et de fin lin, et qui se traitait bien et magnifiquement tous les jours. Il y avait un homme riche qui se vêtait de soie et de pourpre et qui s’amusait et festinait chaque jour.
20. Il y avait aussi un pauvre nommé Lazare, qui était couché à la porte de ce riche, et qui était couvert d’ulcères. Et il y avait un mendiant, un chemineau, nommé Lazare. Ce Lazare couvert d’ulcères était couché à la porte du riche.

21. Il désirait de se rassasier des miettes qui tombaient de la table du riche ; et même les chiens venaient lécher ses ulcères. Il désirait manger les miettes de la table du riche, mais 1) les chiens venaient encore avant, et ils léchaient les ulcères de Lazare.
22. Or il arriva que le pauvre mourut et il fut porté par les anges dans le sein d’Abraham. Le riche mourut aussi et fut enseveli. Le mendiant vint à mourir, et les anges le portèrent chez Abraham. Le riche mourut et fut enseveli.

Remarques.

1) Mais ; ce mot indique que Lazare ne parvenait pas à manger les miettes, parce que les chiens s’en emparaient avant lui, et mangeaient avec une telle avidité qu’ils léchaient même les plaies de Lazare.


Καὶ ἐν τῷ ἄδη ἐπάρας τοὺς ὀφθαλμούς αὐτοῦ, ὑπάρχων ἐν βασάνοις, ὁρᾶ τὸν Ἀβραάμ ἀπὸ μαϰρόθεν, ϰαὶ Λάζαρον ἐν τοῖς ϰόλποις αὐτοῦ.

Καὶ αὐτός φωνήσας εἶπε· πάτερ Ἀβραάμ, ἐλέησον με, ϰαὶ πέμψον Λάζαρον, ἵνα βάψη τὸ ἄϰρον τοῦ δαϰτύλου αὐτοῦ, ὕδατος, ϰαὶ παταψύξη τὴν γλῶσσάν μου· ὅτι ὀδονῶμαι ἐη τῆ φλογί ταύτη.

Εἶπε δὲ Ἀβραάμ· τέϰνον μνήσθητι ὅτι ἀπέλαβες τὰ ἀγαθα σου ἐν τῆ ζωῆ σου, ϰαὶ Λάζαρος ὁμοίως τὰ ϰαϰά· νῦν δὲ ὅδε παραϰαλεῖται, σὺ δὲ ὀδυνᾶσαι.

Καὶ ἐπὶ πᾶσι τούτοις, μεταξύ ἡμῶν ϰαὶ ὑμῶν χάσμα μέγα ἐστήριϰται, ὄπως οἱ θέλοντες διαβῆναι ἐντεῦθεν μρὸς ὑμᾶς, μὴ δύνωνται, μηδὲ οἱ ἐϰεῖθεν πρὸς ἡμᾶς διαπερῶσιν.

Εἶπε δὲ· ἐρωτῶ οὐν σε, πάτερ, ἵνα πέμψηε αὐτόν εἰς τὸν οἶϰον τοῦ πατρός μου.

Ἔχω γὰρπεντε ἀδελφούς· ὅπως διαμαρτύρηται αὐτοῖς, ἵνα μὴ ϰαὶ αὐτοί ἐλθωσιν εἰς τὸν τόπον τοῦτον τῆς βασάνου.

Λέγει αὐτῷ Ἀβραάμ· ἔχουσι Μωῦσέα ϰαὶ τοὺς προφήτας· ἀϰουσάτωσαν αὐτῶν.

Ὁ δὲ εἶπεν· οὐχί, πάτερ ἀβραάμ· ἀλλ’ ἐάν τις ἀπό νεϰρῶν πορευθῆ πρὸς αὐτούς, μετανοήσουσιν.

Εἶπε δὲ αὐτῷ· εἰ Μωῦσέως ϰαὶ τῶν προφητῶν οὐϰ ἀϰούουσιν, οὐδέ ἐάν τις ἐϰ νεϰρῶν ἀναστῆ, πεισθήσονται.


Luc, xvi, 23. Et étant en enfer et dans les tourments, il leva les yeux, et vit de loin Abraham et Lazare dans son sein. Et, de l’enfer il leva les yeux et vit dans le lointain Abraham et Lazare avec lui.
24. Et s’écriant il dit : Père Abraham, aie pitié de moi, et envoie Lazare, afin qu’il trempe dans l’eau le bout de son doigt, pour me rafraîchir la langue ; car je suis extrêmement tourmenté dans cette flamme. Et le riche se mit à parler et dit : Abraham, mon père, aie pitié de moi, envoie-moi Lazare afin qu’il trempe son doigt dans l’eau, et m’en donne quelques gouttes à avaler, car j’ai très chaud dans ce feu.
25. Mais Abraham lui répondit : Mon fils, souviens-toi que tu as eu des biens pendant ta vie, et Lazare y a eu des maux ; et maintenant il est consolé, et tu es dans les tourments. Mais Abraham lui répondit : Mon fils, souviens-toi que tu as eu tant de biens dans la vie et que Lazare n’y eut que des maux. On l’a appelé ici, et toi tu souffres.
26. Outre cela, il y a un grand abîme entre vous et nous ; de sorte que ceux qui voudraient passer d’ici vers vous ne le peuvent, non plus que ceux qui voudraient passer de là ici. De plus, entre vous et nous il y a un grand abîme ; même si quelqu’un désirait passer de chez nous à chez vous, il ne le pourrait.
27. Et le riche dit : Je te prie donc, père Abraham, d’envoyer Lazare dans la maison de mon père ; Et le riche dit : Je te prie alors, père, d’envoyer Lazare dans ma maison.
28. Car j’ai cinq frères, afin qu’il les avertisse, de peur qu’ils ne viennent aussi eux-mêmes dans ce lieu de tourments. J’ai cinq frères, qu’il les avertisse afin qu’ils ne viennent pas dans ce lieu de tortures.

afin qu’il les avertisse, de peur qu’ils ne viennent aussi eux-mêmes dans ce lieu de tourments. avertisse afin qu’ils ne viennent pas dans ce lieu de tortures.
29. Abraham lui répondit : Ils ont Moïse et les prophètes, qu’ils les écoutent Et Abraham lui dit : Ils ont Moïse et les prophètes, qu’ils les écoutent.
30. Le riche dit : Non, père Abraham ; mais si quelqu’un des morts va vers eux, ils s’amenderont. Le riche dit : Non, père Abraham, mais si quelqu’un des morts venait chez eux, cela leur donnerait à réfléchir.
31. Et Abraham lui dit : S’ils n’écoutent pas Moïse et les prophètes, ils ne seraient pas non plus persuadés, quand même quelqu’un des morts ressusciterait. Et Abraham lui dit : S’ils n’écoutent pas Moïse et les prophètes, un mort ressuscitât-il et vînt-il chez eux, ils ne le croiraient pas.


L’EXPLICATION DE LA PARABOLE DE LAZARE

Cette parabole, ou plutôt cet apologue, qui suit immédiatement la parabole du gérant explique la même pensée simple, à savoir que ce sont les pauvres qui sont heureux puisqu’ils reçoivent la félicité, tandis que les riches sont malheureux car ils ont reçu déjà tout ce qu’ils désiraient. Mais comme cette vérité évangélique est escamotée par les Églises, l’interprétation de cet apologue, ainsi que celle de la parabole, devient très difficile.

Voici l’élucubration de l’Église[4].

Tous ces traits désignent le luxe d’un riche et la misère de Lazare. On indique que ce riche n’était pas compatissant envers les pauvres, qu’il ne voulait ni les consoler ni soulager leurs souffrances, et ne vivait que pour son plaisir. Il ne résulte pas de la parabole que ce riche fut avare, il était seulement sans pitié pour les pauvres et était un homme sans cœur.

Emporté par les anges, c’est-à-dire que son âme était emportée par les anges. Telle était la croyance des juifs que les âmes des justes sont portées au ciel par les anges, et Dieu confirme cette croyance. Il n’est pas besoin de voir ici une expression imagée ; il faut l’accepter dans son sens littéral. Si les anges sont des esprits serviteurs, qui sont envoyés pour le salut, alors, servant de gardiens à l’homme, pendant sa vie, ils ne peuvent l’abandonner dans les moments importants, après la mort.

Dans le sein d’Abraham, c’est-à-dire dans le royaume du ciel. Cette image est prise de la coutume de se coucher pendant le festin, et cela indique l’intimité particulière de ceux qui s’allongent de cette façon. Comme les Juifs ne doutaient pas qu’Abraham, ami de Dieu, était heureux dans le paradis, dire que Lazare était couché sur le sein d’Abraham signifie que Lazare était digne du bonheur céleste.

On l’ensevelit. On ne dit pas cela du mendiant. On suppose que les funérailles du mendiant furent si pauvres qu’il n’est pas besoin d’en parler, tandis que les funérailles du riche furent magnifiques, et on en parle pour montrer que pendant et après sa mort le riche reçoit tous les honneurs de ce monde. Mais, après les funérailles, l’état du riche est bien différent de celui du pauvre. Le mendiant est sur la couche d’Abraham, et le riche est en enfer, dans les tourments. Dans la parabole, l’enfer est ainsi caractérisé : 1o c’est un endroit éloigné du lieu de béatitude des justes ; 2o c’est un lieu de souffrances ; 3o un grand abîme le sépare du séjour des âmes des saints ; 4o les souffrances y sont très grandes.

Aperçut dans le lointain, Abraham, etc. Cela sans doute augmente ses souffrances, mais en même temps lui donne l’espoir de leur soulagement. Ainsi la contemplation par les pécheurs du bonheur des justes augmente sans doute leurs souffrances en enfer, mais peut-être excite-t-elle en eux l’espoir, bien que vain, d’un soulagement quelconque.

Aie pitié de moi. Aie pitié de mes souffrances, et soulage-les. Envoie-moi Lazare, ce même mendiant qui, pendant la vie, se tint couché à la porte d’un riche, avec l’espoir de se nourrir des miettes tombant de sa table. Quel contraste étonnant, surtout pour les riches Pharisiens qui écoutaient le Seigneur et se moquaient de sa doctrine et de l’emploi juste de la richesse !

Qu’il trempe dans l’eau le bout de son doigt, etc. Cela veut dire que pour un gourmand, c’est l’organe de la gourmandise, la langue, qui souffre particulièrement. La chaleur lui a donné une soif terrible, sa langue est devenue sèche, et il supplie qu’on ordonne à Lazare de soulager un peu ses souffrances.

La flamme, le feu, est le symbole des souffrances les plus épouvantables ; l’image est probablement prise du supplice du feu si souvent employé chez les anciens.

Tu as eu tes biens, tous les biens, tous les plaisirs, toutes les jouissances que peut donner la richesse.

Et Lazare, des maux : la misère, le mépris, la souffrance.

Il est consolé et toi tu es dans les tourments. Il paraît que Lazare est heureux uniquement parce qu’il a souffert sur la terre, tandis que le riche souffre uniquement parce qu’il a été heureux sur la terre. Mais ici il est nécessaire de compléter la réponse par cette pensée que Lazare, dans le malheur, était juste, et le riche, avec toutes ses richesses, était injuste, ne sachant employer ses biens d’une façon juste.

Il y a un grand abîme entre nous. Sans doute, même dans le sens littéral, le lieu de souffrances des pécheurs est séparé du lieu de bonheur des justes ; mais il y a aussi l’abîme moral, selon lequel les méchants ne peuvent pas devenir bons et inversement. Cela n’est pas contraire à la doctrine de l’Église, selon laquelle ceux qui meurent repentants, grâce aux prières de l’Église, peuvent passer de l’état de souffrance à l’état de béatitude. Il faut comprendre ici, dans le sens absolu, les pécheurs et les justes.

Voici ce que dit Reuss (p. 505) :

2o La forme de la parabole laisse beaucoup à désirer au point de vue éthique. En effet, le v. 25 dit simplement et froidement : Toi, tu es tourmenté, parce que tu as reçu ta part de biens sur la terre ; lui, il a eu sa part de maux, donc il est consolé. La rémunération future est ainsi présentée comme une simple compensation matérielle, et le mérite moral n’y entre pour rien. On peut dire, à la rigueur, et l’on ne manque jamais de dire dans l’usage homélitique un homme sans pitié, parce qu’il a laissé le pauvre mourir de misère à sa porte même ; on peut ajouter que le v. 30 parle après coup de conversion. Mais on ne peut pas nier que d’après le texte, tel que nous l’avons, l’unique vertu de Lazare a été d’être pauvre autant qu’on peut l’être. Il n’est pas dit le moindre mot pour expliquer que cette pauvreté dépendait de sa propre conduite, comme c’est le cas, neuf fois sur dix, dans le monde des réalités ; il n’est rien dit des qualités morales qu’il aurait eues dans sa pauvreté. Son entrée au paradis n’est motivée en aucune façon, et au point de vue de la morale, l’exégèse est forcée d’amplifier le récit pour tourner cette difficulté. On est ainsi amené à penser qu’au gré de Jésus, la pauvreté par elle-même est un avantage et la richesse un désavantage, en vue du but final de la vie terrestre, et l’on ne manquera pas de passages parallèles à citer en faveur de cette thèse. Cependant cela ne nous paraît pas suffire pour expliquer le texte.

3o La difficulté est précisément celle que nous avons dû chercher à écarter dans le récit précédent. Il faut donc insister sur ce fait que Jésus, pas plus ici que la première fois, n’a voulu inculquer la vérité que nous avons l’habitude d’y chercher de préférence, celle de la rémunération ; mais une autre, que nous n’y cherchons point ordinairement, savoir celle de la nécessité de songer à temps à l’avenir au delà de la tombe, en face des biens terrestres. C’est l’homme riche seul qui est en vue. Lazare appartient uniquement au cadre ; ou bien il sert à mettre en relief le portrait principal. La personne n’est pas plus importante dans le tableau que celle des cinq frères. Or, pour songer à l’avenir, l’homme est suffisamment instruit : il a Moïse et les prophètes. S’il ne veut pas les écouter, il n’écoutera pas non plus les ressuscités. Jésus savait par expérience que les miracles mêmes n’arrivent pas à vaincre la mauvaise volonté. Vous êtes riches ; usez de vos richesses, non pour votre plaisir seul, mais pour le bien commun ; les nécessiteux sont à vos portes. Qu’ils soient toujours méritants au même degré, c’est là une question secondaire. De nos jours un pareil principe est bien plus important et plus fécond qu’autrefois ; l’aumône individuelle est le plus souvent stérile, n’étant plus le seul moyen d’exercer la charité. C’est d’ailleurs la seule parabole dans laquelle un personnage fictif soit désigné par un nom propre. Cela a fait penser à quelques-uns qu’il s’agit ici d’une histoire véritable.

La bonne foi de Reuss et sa stupidité éclairent ici merveilleusement tout. Il dit naïvement : La difficulté est… Il pourrait ajouter que la même « difficulté », il tâche de la tourner dans le sermon sur la montagne et dans plusieurs autres passages. Il s’étonne des paroles : « parce que tu as reçu ta part de biens sur la terre » etc. Mais c’est précisément ce qui est dit dans le sermon sur la montagne, et c’est là où l’on voit que la mendicité, selon l’Évangile, est considérée comme un bien. « Mais on ne peut pas nier que d’après le texte tel que nous l’avons, l’unique vertu de Lazare a été d’être pauvre autant qu’on peut l’être. » Et que « on est amené à penser qu’au gré de Jésus la pauvreté, par elle-même est un avantage et la richesse un désavantage ». C’est vraiment amusant.

Toute la doctrine de Jésus est en ceci : qu’en réalité l’homme ne peut exprimer sa foi dans la doctrine qu’en renonçant à la propriété. Toute la doctrine est en cela et les interprètes trouvent avec étonnement qu’il considérait la richesse comme un mal et la pauvreté comme un bien. Le sens théorique de la parabole est celui-ci : la durée de la vie est donnée pour élever le fils de l’homme, pour sacrifier la vie charnelle en échange de la vraie vie. La mort viendra et l’homme sera privé de cette possibilité. Christ sous une forme rude, ironique, exprime d’une part cette pensée qu’une fois la vie terminée, quand viendra la mort, tout ce qui touche à la vie sera inutile, et, d’autre part, qu’on ne peut retourner cette impossibilité de la vie. Il ajoute qu’il ne faut chercher nulle part des preuves de l’insuffisance de cette seule vie terrestre, qu’il est clair pour chacun que les morts ne peuvent venir raconter ce qu’il leur est arrivé une fois morts, comme le fait le riche.

Le sens pratique de la parabole est le même, mais on dit ce qu’il faut précisément faire pour recevoir la vraie vie : sacrifier la vie charnelle, et la sacrifier non seulement en paroles, mais en ne retenant pas la richesse alors qu’il y a des mendiants et des affamés. La possession de la propriété, quand il existe des mendiants, est donc incompatible avec la vie. Pour rendre la vie il faut avant tout rendre la propriété, et celui qui ne la sacrifie pas ne peut recevoir la vie.

Toute cette parabole est remarquable par son ton ironique. La dernière observation : que si même les morts ressuscitaient on ne les croirait point, fait allusion à la fable de la résurrection du Christ.


LES PRINCIPAUX COMMANDEMENTS

Καὶ ἐπηρώτησεν εἶς ἐξ αὐτῶν νομιϰός, πειράζων αὐτόν ϰαὶ λέγων.

Διδάσϰαλε, ποία ἐντολή μεγάλη ἐν τῷ νόμῳ ;


Matth., xxii, 35. Et l’un d’entre eux, qui était docteur de la loi, l’interrogea pour l’éprouver, et lui dit : Et l’un d’eux, un légiste, pour éprouver Jésus lui demanda :
36. Maître ! Quel est le plus grand commandement de la loi ? Maître ! quel est le plus grand commandement de la loi 1) ?

Remarques.

1) Cette conversation avec le légiste doit précéder l’entretien avec le riche adolescent. Il faut se rappeler que, d’après la loi de Moïse, comme la comprenaient les légistes et comme nous la comprenons, on ne peut pas dire que le plus grand commandement soit d’aimer Dieu et son prochain.

Deut., vi, 5 — Tu aimeras donc l’Éternel, ton Dieu, de tout ton cœur, de toute ton âme et de toutes tes forces.

Levit., xix, 18. — Tu ne te vengeras point, et tu ne garderas point de ressentiment contre les enfante de ton peuple ; mais tu aimeras ton prochain comme toi-même. Je suis l’Éternel.

Dans la loi il y a beaucoup de prescriptions et l’on peut en choisir deux quelconques, c’est-à-dire, affirmer mille choses différentes, à l’aide des mots de la loi.

Aime ton Dieu et ton prochain sont les commandements principaux. C’est la pensée non de Moïse, mais de Jésus, et le légiste, en y consentant et répétant ces commandements, ne fait que répéter ce que Jésus a dit auparavant.

Dans son entretien avec l’adolescent, Jésus, ayant énuméré les commandements, à la fin des plus usuels, les résume tous dans le commandement de l’amour du prochain et répète ce qui est déjà connu. C’est pourquoi cette conversation doit être placée avant.


Ὁ δὲ Ἰησοῦς εἶπεν αὐτῷ· ἀγαπήσεις Κύριον τὸν Θεού σου ἐν ὅλη τῆ ϰαρδίᾳ σου, ϰαὶ ἐν ὅλῆ τῇ ψυχῇ σου, ϰαὶ ἐν ὁλῃ τῇ διάνοια σου.

Αὔτη ἐστι πρώτη ϰαὶ μεγάλη ἐντολή.

Δευτέρα δὲ ὁμοία αὐτῆ· ἀγαπήσεις τὸν πλησίον σου ὡς σεαυτόν.

Ἐν ταύταις ταῖς δυσὶν ἐντολαῖς ὅλος ὁ νόμος ϰαὶ οἱ προφῆται ϰρέμανται.

Καὶ εἶπεν αὐτῷ ὁ γραμματεύς· ϰαλῶς, διδάσϰαλε· ἐπ’ ἀληθείας εἶπας, ὅτι εἶς ἐστι Θεὸς, ϰαὶ οὐϰ ἔστιν ἄλλος πλὴν αὐτοῦ.

Καὶ τὸ ἀγαπᾷν αὐτὸν ἐξ ὅλης τῆς ϰαρδίας, ϰαὶ ἐξ ὅλης τῆς ψυχῆς, ϰαὶ ἐξ ὅλης τῆς ἰσχυός. ϰαὶ τὸ ἀγαπᾶν τὸν πλησίον ὠς ἑαυτόν, πλεῖόν ἐστι πάντων τῶν ὁλοϰαυτώματων ϰαὶ τῶν θυσιῶν.

Καὶ ὁ Ἰησοῦς ἰδὼν αὐτὸν ὅτι νουνεχῶς ἀπεϰρίθη, εἶπεν αὐτῷ, οὐ μαϰρὰν εἶ ἀπὸ τῆς βασιλείας τοῦ Θεοῦ.


Matthieu, xxii, 37. Jésus lui dit : Tu aimeras le Seigneur ton Dieu, de tout ton cœur, de toute ton âme et de toute ta pensée. Jésus lui dit : Aime le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de toute ta force.
38. C’est le premier et le grand commandement. C’est le premier grand commandement.
39. Et voici le second qui lui est semblable : Tu aimeras ton prochain comme toi-même. Le second est celui-ci : Aime ton prochain comme toi-même.
40. Toute la loi et les prophètes se rapportent à ces deux commandements. Dans ces deux commandements est toute la loi et les prophètes 1).
Marc, xii, 32. Et le scribe lui répondit : Maître ! tu as bien dit, et selon la vérité, qu’il n’y a qu’un seul Dieu et qu’il n’y en a point d’autre que lui. Et le légiste lui dit encore : Maître ! tu as bien dit que c’est la seule loi et qu’il n’y en a pas d’autre.
33. Et que l’aimer de tout son cœur, de toute son intelligence, de toute son âme et de toute sa force, et aimer son prochain comme soi-même, c’est plus que tous les holocaustes et que tous les sacrifices. Et que l’aimer de tout son cœur, de toute sa vie 2) et de toute sa force, et aimer son prochain comme soi-même, c’est le plus essentiel de tous les cultes.

34. Jésus, voyant qu’il avait répondu en homme intelligent, lui dit : Tu n’es pas éloigné du royaume de Dieu. Jésus le regardant lui dit : Tu n’es pas loin du royaume de Dieu.

Remarques.

1) Mot à mot : sur ce commandement se tient la loi et les prophètes ; ou, de ces commandements dépend la loi et les prophètes.

2) Dans le Deutéronome il n’y a pas « de toute ta raison », c’est pourquoi je l’omets. Plus loin, dans ce même verset du Deutéronome, il y a : « que les choses que je vous ordonne soient dans votre cœur » (Deut., vi, 5, 8). La pensée est donc qu’il ne faut pas aimer Dieu en paroles, mais l’aimer en accomplissant sa volonté. Et sa volonté est exprimée dans le commandement suivant : Aime ton prochain. De sorte que Jésus répond directement à cette question du légiste quel est le plus grand commandement ? Honore ton Dieu afin d’aimer ton prochain comme toi-même.


SUR LE RICHE ET LA RICHESSE

Καὶ ἐϰπορευομὲνου αὐτοῦ εἰς ὁδόν, προδρμών εἰς ϰαὶ γονυπετήσας αὐτόν, ἐμηρώτα αὐτόν· διδάσϰαλε ἀγαθὲ, τί ποιήσω, ἵνα ζωὴν αἰώνιον ϰληρονομήσω ;

Ὁ δὲ Ἰησοῦς εἶπεν αὐτῷ· τὶ με λέγεις ἀγαθόν ; Οὐδείς ἀγαθός, εἰ μή εἶς ὁ Θεός.

Εἰ δὲ θέλεις εἰσελθεῖν εἰς τὴν ζωῂν, τήρησον τὰς ἐντολάς.

Λέγει αὐτῷ· ποίας ; Ὁ δὲ Ἰησοῦς εἶπε· τὸ οὐ φονεύσεις· οὐ μοιχεύσεις· οὐ ϰλέψεις. οὐ ψευδομαστυρήσεις.

Τίμα τὸν πατέρα σου ϰαὶ τὴν μητέρα, ϰαὶ ἀγαπήσεις τὸν πλησίον σου ὡς σεαυτόν.


Marc, x, 17. Et comme il sortait pour se mettre en chemin, un homme accourut ; et s’étant mis à genoux devant lui, il lui demanda : Mon bon maître ! que dois-je faire pour obtenir la vie éternelle ? Une fois un chef accourut vers Jésus, et, tombant à genoux devant lui lui demanda : Bon 1) Maître dis-moi quelle bonne œuvre je dois faire pour obtenir la vie éternelle ?
18. Matth., xix, 17. Mais Jésus lui répondit : Pourquoi m’appelles-tu bon ? Il n’y a qu’un seul bon : c’est Dieu. Et Jésus lui répondit : Pourquoi me dis-tu bon ? Il n’y a qu’un seul bon : le Père 2).
Matth., xix, 17. Que si tu veux entrer dans la vie garde les commandements. Si tu veux avoir la vie 3) garde les commandements.
18. Il lui dit : Lesquels ? Et Jésus lui répondit : Tu ne tueras point ; tu ne commettras point l’adultère ; tu ne déroberas point ; tu ne diras point de faux témoignages. Il lui dit : Lesquels ? Et Jésus lui répondit : Tu ne tueras point : tu ne commettras point l’adultère ; tu ne déroberas pas ; tu ne prêteras pas de faux serment.
19. Honore ton père et ta mère et tu aimeras ton prochain comme toi-même. Respecte ton Père 4) et aime ton prochain comme toi-même.

Remarques.

1) Ἀγαθός ne peut signifier ici, ni doux, ni bon, ni vertueux, car, d’après le sens de ces paroles, Jésus ne renie pas ces qualités, mais indique au jeune homme que lui et ses disciples ne sont pas des heureux, c’est-à-dire n’éprouvent pas et ne donnent pas le bonheur terrestre, qu’ils sont au contraire parmi les plus miséreux de ce monde. La signification de ἀγαθός, dans le sens d’heureux, de bienheureux, se rencontre dans i Pierre, iii, 10 :

Car quiconque aime la vie, et souhaite de voir des jours heureux, qu’il garde sa langue de dire du mal, et ses lèvres de prononcer aucune fraude.

Ἀγαθός a le sens de bienheureux sans distinction du bonheur, c’est-à-dire du bonheur donné aux autres ou de celui qu’on éprouve soi-même ; il signifie donc à la fois bienfaisant et bon. Le jeune homme demande au chef la béatitude, le bonheur ; le moyen d’obtenir le bien, l’aisance, le bonheur. Et Jésus dit : Heureux, c’est-à-dire tout à fait satisfait, est Dieu seul, nous ne pouvons pas obtenir ce qu’on appelle le bonheur, nous ne pouvons obtenir que la vie.

2) Dans plusieurs copies il y a πατήρ et πατηρ ἐν τοῖς οὐρανοῖς au lieu de Dieu ; et cela me semble mieux parce que, selon moi, les dernières paroles : « Respecte ton père», se rapportent à Dieu-Père.

3) Jésus ne dit pas « la vie éternelle » mais, tout simplement, la vie.

4) Dans plusieurs copies les mots « et ta mère » sont omis. Je pense qu’ils ont été ajoutés, et que le Père ici, c’est Dieu ; les dernières paroles ne faisant que répéter les deux commandements dits au légiste : Respecte ton Père et aime ton prochain.

Cette supposition nous est confirmée par ce fait que les commandements : Tu ne tueras point, tu ne commettras pas l’adultère, tu ne déroberas point, tu ne mentiras pas, se trouvent dans le même ordre que chez Moïse, et que le commandement : Respecte ton père et ta mère, est mentionné le dernier. Je pense que Jésus n’énumère les quatre commandements que pour dire qu’il ne nie pas les commandements de Moïse, mais à la fin, il ajoute le sien, duquel il est dit auparavant qu’il est toute la loi et les prophètes.

Il dit : Les reconnais-tu ces commandements de Moïse et ce dernier dans lequel tout est contenu : Aime Dieu et ton prochain ?


Λέγει αὐτῷ ὁ νεανίσϰος· πάντα ταῦτα ἐφυλαξάμην ἐϰ νεότητός μου. τί ἔτι ὑστερῶ ;

Ὁ δὲ Ἰησοῦς ἐμβλέψας αὐτῷ, ἠγάπησιν αὐτόν, ϰαὶ εἶπεν αὐτῷ· ἐν σοι ὑστερεῖ.

Εἰ θέλεις τάλειος εἶναι, ὕπογε, πώλησον σου τὰ ὑπάρχοντα ϰαὶ δός πτωχοῖς. ϰαὶ ἔξεις θησαυρὸν ἐν οὐρανῷ· ϰαὶ δεῦρο, ἀϰολούθει μοι.


Matth., xix, 20. Le jeune homme lui dit : J’ai observé toutes ces choses-là dès ma jeunesse ; que me manque-t-il encore ? Et le chef dit : J’ai observé tout cela dès mon jeune âge. Qu’est-ce donc que je n’ai pas encore fait ?
Marc, x, 21. Et Jésus, ayant jeté les yeux sur lui, l’aima et lui dit : Il te manque une chose. Jésus le regarda, sourit et dit : Il y a encore une chose 1) que tu n’as pas faite :
Matth., xix, 21. Si tu veux être parfait, va, vends ce que tu as et donne-le aux pauvres, et tu auras un trésor dans le ciel ; après cela, viens et suis-moi. Si tu veux exécuter tout, va, vends tout ce que tu as et distribue-le aux pauvres, et tu auras un trésor en Dieu. Après cela reviens ici et suis-moi.
Remarques.

1) « Il y a encore une chose que tu n’as pas faite », c’est évidemment une raillerie. Jésus répète ses paroles et dit : Il y a une toute petite chose que tu n’as pas faite, à savoir, d’exécuter ces commandements.


Ὁ δὲ στυγνάσας ἐπὶ τῷ λόγῳ, ἀπηλθε λυπούμενος· ἦν γὰρ εχων ϰτήματα πολλά.

Καὶ περιβλεψάμενος ὁ Ἰησοῦς, λέγει τοῖς μαθηταῖς αὐτοῦ· πῶς δυσϰόλως οἱ τὰ χρήματα εχοντες εἰς τὴν βασιλσίαν τοῦ Θεοῦ εἰσελεύσονται.

Οἱ δὲ μαθηταί ἐθαμβοῦντον ἐπὶ τοῖς λόγοις αὐτοῦ. Ὁ δὲ Ἰησοῦς πάλιν ἀποϰριθείς λέγει αὐτοῖς· τέϰνα, πῶς δύσϰολον ἐστι τούς πεποιθότας ἐπὶ τοῖς χρήμασιν, εἰς τὴν βασιλείαν τοῦ Θεοῦ εἰσελθεῖν.


Marc, x, 22. Mais cet homme fut affligé de cette parole, et il s’en alla tout triste, car il avait de grands biens. L’homme fut attristé de ces paroles parce qu’il avait de grands biens, et il s’en alla.
23. Alors Jésus en regardant autour de lui dit à ses disciples : Qu’il est difficile que ceux qui ont des richesses entrent dans le royaume de Dieu ! Ayant remarqué sa tristesse Jésus se retournant dit à ses disciples : Voyez comme il est peu commode 1) à ceux qui ont des biens 2) d’entrer dans le royaume de Dieu.
24. Et ses disciples furent étonnés de ce discours. Mais Jésus reprenant la parole leur dit : Mes enfants, qu’il est difficile à ceux qui se confient aux richesses d’entrer dans le royaume de Dieu ! Les disciples furent étonnés de ces paroles. Mais Jésus se tournant vers ses disciples dit : Oui, mes enfants, je vous le dis de nouveau : Il est peu commode à ceux qui ont des biens d’entrer dans le royaume de Dieu.
Remarques.

1) δύσϰολος signifie exactement non commode ; δύσϰολος s’emploie le plus souvent dans le sens : impropre, incommode. Ces paroles expriment la même chose qui a été dite dans le sermon sur la montagne : qu’on ne peut servir deux maîtres, Dieu et Mammon.

2) Chez Marc et chez Luc, il n’est pas dit : aux riches, mais : à ceux qui ont la propriété.


Εὐϰοπώτερον ἐστι ϰάμηλον διὰ τῆς τρυμαλιᾶς τῆς ῥαφίδος διελθεῖν, ἤ πλούσιον εἰς τὴν βασιλείαν τοῦ Θεοῦ εἰσεθεῖν.

Οἱ δὲ περισσῶς ἐξεπλήσσοντο, λέγοντες πρὸς ἑαυτοὺς· ϰαὶ τὶς δύναται σωθῆναι ;

Ἐνβλέψας δὲ αὐτοῖς ὁ Ἰησοῦς, λέγει· παρὰ ἀνθρώποις ἀδύνατον, ἀλλ’ οὐ παρὰ τῷ Θεῶ· πάντα γὰρ δυνατά ἐστι παρὰ τῷ Θεῷ.


Marc, x, 25. Il est plus aisé qu’un chameau passe par le trou d’une aiguille, qu’il ne l’est qu’un riche entre dans le royaume de Dieu. Il est plus aisé à un chameau de passer par le trou d’une aiguille qu’il ne l’est au riche d’entrer dans le royaume de Dieu.
26. Et ils furent encore plus étonnés, et ils se disaient les uns aux autres : Et qui peut donc être sauvé ? Et ils furent encore plus étonnés, et ils se disaient les uns aux autres : Qui donc peut conserver la vie ?
27. Mais Jésus les regardant leur dit : Quant aux hommes cela est impossible, mais non pas quant à Dieu ; car toutes choses sont possibles à Dieu. Et les regardant Jésus dit : Selon les hommes 1) cela paraît impossible, et, selon Dieu, tout est possible.
Remarques.

1) Παρὰ ici, avec le datif, signifie : dépendant du jugement de quelqu’un (i Pierre, ii, 20 ; Rom., ii, 13 ; Gal., iii, 11, etc.) Cette signification est particulièrement nette avec le mot Θεῷ, avoir le pouvoir, la possibilité. À ses disciples, qui jugeaient cela impossible, Jésus dit : Selon les hommes, juger est impossible ; mais, selon Dieu, tout est possible.


L’idée de l’entretien est celle-ci : Un homme riche et important s’approchant de Jésus lui dit : Tu es maître du bien et du bonheur ; alors dis-nous quel bien et quel bonheur tu enseignes ?

Jésus répond : Ce n’est pas le bien et le bonheur que j’enseigne, seul Dieu-Père est bon et heureux. Moi j’enseigne la vie ; comment recevoir la vie. Pour recevoir la vie il faut observer les commandements, et, sauf les anciens : tu ne tueras point, tu ne commettras point l’adultère, encore celui-ci : Respecte Dieu afin d’aimer le prochain comme toi-même.

L’homme riche dit : J’accomplis tous ces commandements. Jésus répond : Si tu exécutais les deux derniers commandements ou au moins le dernier seul, tu n’aurais point de propriété.

Si tu observais fidèlement le commandement d’aimer ton prochain comme toi-même, tu n’aurais rien à toi ; tu aurais déjà tout distribué à ceux qui n’ont pas ; et si tu veux l’observer, va et distribue tes richesses.

Le chef, désappointé, s’en alla. Alors Jésus dit à ses disciples : Vous voyez la vérité de ce que je vous ai dit : que le royaume de Dieu appartient aux mendiants, que vous ne pouvez servir Dieu et Mammon. Celui qui possède ne peut en aucune façon entrer dans le royaume de Dieu.

Ses disciples étaient épouvantés, et il leur dit de nouveau : Celui qui possède ne peut pas entrer dans le royaume de Dieu. Il est plus facile à un chameau de passer par le trou d’une aiguille qu’il ne l’est à celui qui possède d’entrer dans le royaume de Dieu.

Encore plus épouvantés, les disciples demandèrent : Comment est-ce possible ? Jésus leur dit : À en juger du point de vue humain, c’est impossible, mais à en juger par l’esprit, selon Dieu, non seulement c’est possible, mais on ne peut même penser autrement.

Peu de paraboles ont présenté pour les interprètes plus de difficultés.

Voici ce que dit l’Église[5] :

Si tu désires être parfait. — Celui à qui il ne manque rien, pour lequel il n’y a plus d’obstacles pour obtenir la vie éternelle.

Va et vends tes propriétés, etc. Le jeune homme se flattait d’exécuter les commandements de la loi, et la loi exigeait qu’il aimât son prochain comme soi-même et Dieu par-dessus tout. Le Seigneur Dieu dit à l’adolescent que s’il a vraiment un tel amour, ou si seulement il veut l’avoir, s’il aime ou veut aimer ainsi Dieu et son prochain, comme l’exige la loi, il doit consacrer à Dieu et à son prochain sa personne et toutes ses richesses. Vends tes biens, distribue l’argent aux pauvres, et suis-moi.

Suis-moi : c’est-à-dire sois mon disciple.

Tu auras des trésors aux cieux. — Voilà la récompense de cet acte héroïque. Jésus ordonne à l’adolescent d’abandonner ses richesses, lui montrant d’ailleurs qu’il ne lui ôte point la richesse, mais lui en donne une autre, supérieure à celle qu’il lui ordonne de distribuer, supérieure autant que le ciel est supérieur à la terre. En outre, il appelle ce trésor une large et unique récompense, et telle que personne ne peut l’enlever à celui qui la possède.

Ainsi ce n’est pas assez de mépriser la richesse, il faut être prêt aux souffrances et même à la mort.

Ce commandement sur la distribution des biens aux pauvres est donné sous conditions : si tu veux être parfait. On peut dire de ce commandement ce qui est dit plus haut du célibat : tous ne peuvent pas s’y conformer. Qui peut l’observer, l’observe.

Il est difficile aux riches, etc. Christ ne blâme pas les richesses, mais ceux qui ont la possession des richesses. Le danger de la richesse dans l’œuvre du salut ou de la perfection morale n’est pas en elle-même, mais en ce qu’elle offre beaucoup de tentations à la nature faible de l’homme et beaucoup d’obstacles à l’exécution des exigences de la loi et de la volonté divines.

Il est plus aisé à un chameau, etc. C’était un proverbe répandu parmi les Juifs, et qu’emploient jusqu’à nos jours les Arabes. Pour indiquer qu’une chose est impossible ou extraordinairement difficile, on disait qu’un chameau ou un éléphant passerait par le trou d’une aiguille plutôt que cette chose ne se réalisât.

D’ailleurs quelques-uns comprennent par chameau non l’animal, mais une grosse corde qu’emploient les navigateurs pour retenir l’ancre. Dans l’un et l’autre cas, il ne faut pas, sans doute, entendre ces mots dans leur sens littéral. Par ces paroles on montre seulement l’impossibilité ou l’extrême difficulté de la chose. Mais pourquoi Jésus-Christ dit-il à ses disciples qu’il est difficile pour un riche d’entrer dans le royaume du ciel tandis qu’ils étaient pauvres et ne possédaient rien ? Probablement pour leur apprendre à ne pas avoir honte de la misère et se justifier devant eux de leur avoir conseillé auparavant de ne posséder rien.

Celui qui ne peut pas se sauver. Si pour un riche le salut est difficile, alors qu’ils ont tant de possibilités de faire le bien, qui donc alors peut faire son salut ? C’est la conclusion du plus grand au plus petit, ou : s’il est difficile aux riches de se sauver, en est-il parmi eux qui seront sauvés ?

Ayant regardé. Chez Marc on fait remarquer comme une particularité dans cette réponse du Seigneur, qu’il a regardé d’un œil doux et bienveillant. Il a calmé les pensées qui les bouleversaient, il a détruit les doutes, car l’Évangile fait la même observation en disant : il regarda.

Il est impossible à l’homme riche de faire son salut. Avec les forces humaines c’est impossible ; mais Dieu est tout-puissant, et pour lui il n’y a rien d’impossible. Sa grâce peut faire ce que l’homme ne peut accomplir par ses propres forces et moyens. Mais comment l’impossible deviendra-t-il possible ? Si tu renonces à tes richesses, si tu les distribues aux pauvres, et si tu renonces aux méchantes espérances, car les paroles de Jésus-Christ n’attribuent pas l’œuvre de salut exclusivement à Dieu seul, elles expriment en même temps la difficulté de cet acte pour nous, ainsi qu’il résulte du passage qui suit.

Voici ce que dit Reuss (p. 527) :

Dans cette péricope, le fond de la narration est le même chez les trois évangélistes, et les différences ne portent que sur les détails peu importants. Néanmoins ces différences sont de nature à nous faire reconnaître des rédactions plus ou moins libres ou indépendantes l’une de l’autre. Le personnage qui est mis en scène est désigné par Matthieu comme un jeune homme ; par Luc, comme un chef (de synagogue ou magistrat ?) ; les deux versions peuvent s’accorder à la rigueur. La question qu’il pose à Jésus paraît avoir été inspirée par un sentiment louable, à moins qu’on ne veuille supposer gratuitement qu’il était venu pour entendre dire qu’il ne lui restait plus rien à faire. Il ne se connaissait ni vices ni péchés graves ; mais il pensait qu’il fallait quelque chose de plus que la justice vulgaire pour aspirer à la félicité éternelle et, se représentant les conditions de l’entrée au royaume de Dieu comme une certaine quantité de choses à faire, il demandait à connaître ce qui pourrait encore lui manquer. Il aborde Jésus fort poliment avec une formule caressante : Mon bon Maître !

C’est à cette formule prononcée sans aucune arrière-pensée, que Jésus l’arrête pour lui faire comprendre que la chose dont il s’enquiert est infiniment plus sérieuse qu’il ne le pense :

Pourquoi m’appelles-tu bon ? Il n’y a de bon que Dieu seul. Le Seigneur a parfaitement compris que cet homme ne doutait pas le moins du monde qu’il ne fût bon lui-même ; qu’il ne se faisait pas de soucis au sujet de la portée idéale de ce terme ou de cette notion, qu’il n’avait aucune idée de la grandeur des devoirs, mesurés d’après la sainteté absolue de Dieu et les besoins infinis de l’humanité. Eh bien, il doit apprendre avant tout à mesurer la distance qui le sépare du but, ou plutôt à entrevoir un but sur lequel il n’avait jamais jeté un regard. Le grand prophète auquel il parle, qu’il a cru devoir consulter, de préférence à tout autre mortel, au sujet des conditions du salut, décline lui-même l’honneur d’être appelé bon ; à plus forte raison, tout autre se gardera d’être trop présomptueux à cet égard. Dieu seul est bon, parfaitement, invariablement. L’homme ne doit pas être appelé bon, ni surtout s’estimer tel, non plus seulement parce qu’il a réellement des défauts et qu’il peut faire une chute, mais par une raison dont on parle moins souvent : le meilleur peut et doit toujours progresser, il lui reste toujours quelque chose à faire, chaque jour amène pour lui de nouveaux devoirs. Il n’y a pour lui jamais de sabbat réservé à la contemplation joyeuse d’une œuvre parfaitement achevée (Jean, v, 17 ; x, 4). Dans ce sens-là, nous pouvons reconnaître, sans que notre sentiment en soit blessé, sans que nous ayons à reprocher à Jésus une affectation de fausse modestie, qu’il a pu et dû refuser la qualification que cet homme lui donnait, pour l’éclairer en même temps sur sa propre valeur morale et pour détruire les illusions qu’il se faisait. On comprend que certains lecteurs aient été offusqués d’une phrase qui paraissait contredire la thèse de l’impeccabilité de Jésus. Aussi voyons-nous dans le texte de Matthieu, tel que la critique l’a rétabli, une tentative pour faire disparaître ces autres textes qui nous ont conservé la forme authentique du discours.

Après cela, Jésus répondant au fond de la question, commence par renvoyer son interlocuteur à la loi. Il n’a pu vouloir dire qu’une observation plus ou moins rigoureuse et littérale de certains préceptes, pour la plupart négatifs, suffisait pour gagner le ciel et mériter le titre de bon. Le sermon de la montagne nous préserverait au besoin d’une pareille erreur. Mais il pouvait vouloir faire faire à son présomptueux interlocuteur un retour sur lui-même, l’amener à sonder sa conscience, et, en général, le préparer par cette catéchisation basée sur la loi, à des instructions plus spécialement évangéliques. Le bon Israélite est à toute épreuve, il subit l’examen avec une entière assurance et à sa grande satisfaction. Il a tout fait, tout observé, et depuis sa jeunesse. Ne faudrait-il rien de plus ? Il fait parade de ses illusions avec tant de candeur, que Jésus le prend en affection. Évidemment, comme Juif, il était ce qu’il pouvait et devait être. La loi, la règle traditionnelle, ne lui demandait rien de plus. Jésus va donc élargir le cercle du devoir, et se sert à ce propos d’une formule très énergique, étonnante, et même, si l’on veut, absurde au point de vue du bon sens pratique, mais parfaitement propre à rendre palpable l’idée qu’elle devait représenter. La pierre de touche qu’il applique à l’or de cette vertu légale, c’est tout simplement la question de savoir si elle irait jusqu’à l’abnégation des intérêts terrestres légitimes, en vue de biens supérieurs, mais purement spirituels. S’il pouvait rester le moindre doute à cet égard, le fait que Marc explique lui-même l’invitation de Jésus par cette autre formule : se charger de sa croix, et puis l’interprétation donnée plus bas, par le v. 29 des trois textes, prouvent que nous aurions bien tort de ne voir dans la phrase que nous avons sous les yeux, que le conseil positif et direct de jeter l’argent par la fenêtre. La vertu chrétienne ne doit pas se tracer de limites. L’amour de l’argent est une des mille pierres d’achoppement contre lesquelles la faiblesse morale vient se heurter, un des écueils qui en révèlent la fragilité. Il n’est signalé ici qu’à titre d’exemple, et l’on aurait tort de croire que cette histoire ne doit pas avoir une portée plus générale, ou qu’elle doit signaler la richesse elle-même, objectivement, comme un mal.

Cette seconde épreuve, le jeune homme ne la soutient pas. Le royaume de Dieu, la vie éternelle, telle qu’il l’a conçue, ne vaut pas ce prix à son gré. Jésus le voit partir à regret, et il proclame avec douleur, devant ses disciples, une vérité qu’il a bien souvent déjà répétée sous des formes diverses (Matth., vi, 19 ; xxii, 49 ; iii, 44 ; x, 9, 37 ; xvi, 24 ; Luc, ix, 62 ; xii, 22 ; xiv, 26), mais qu’il trouvait bien difficile à inculquer aux hommes, celle qu’il n’y a de sauvé que celui qui sait au besoin renoncer ; qu’en vue du ciel, il faut savoir sacrifier les biens de la terre ; qu’il y a des moments décisifs où il faut choisir entre l’un et l’autre. Les hommes sont si peu disposés à faire ce choix dans le sens qui leur serait salutaire que Jésus hasarde le mot impossible, qu’il semble désespérer de trouver chez eux l’héroïsme moral qu’il réclame. L’image du chameau et du trou de l’aiguille a le même sens que celle de la montagne transportée par la simple parole ; c’est l’expression figurée de l’impossibilité. On n’a pas besoin pour cela de substituer (comme on l’a proposé) au chameau un câble, ou au trou de l’aiguille une étroite poterne, au risque d’amoindrir la force du dicton proverbial.

Les talmudistes et les Arabes l’ont aussi et renchérissent même sur le chameau en le remplaçant par éléphant.

Les disciples comprennent si bien la portée des paroles de leur Maître qu’ils s’écrient tout consternés : Qui donc peut être sauvé ? Cela ne veut pas dire : si les riches risquent de manquer le ciel, eux qui ont tant de moyens de bien faire, à plus forte raison les pauvres qui n’ont rien à donner n’y arriveront pas. Ils veulent dire : si tout ce que les hommes désirent le plus est un empêchement dans la voie du salut, comment espérer que quelqu’un arrive jusqu’au bout ? Nous ajouterons dans le même sens : Riche et pauvre sont des termes extrêmement vagues et purement relatifs ; la quotité matérielle de la fortune terrestre ne détermine pas le degré d’attachement du cœur aux choses d’ici-bas, ni les chances plus ou moins grandes que peut avoir un homme de réussir dans ses efforts à le vaincre. Seulement le cas particulier, qui donne ici lieu à la réflexion du Seigneur, présentait cette vérité sous la forme la plus palpable et la plus populaire. Voilà pourquoi cette forme est acceptée et employée par lui.

Aussi ajoute-t-il un autre mot qui fait voir clairement que la portée du premier s’entendait bien au delà de ce qu’on appelle vulgairement l’aisance et la richesse. Si le salut, la certitude de la vie éternelle, l’entrée du royaume de Dieu, était le fait des hommes seuls, de leurs efforts constants et infatigables, de leurs forces et de leur volonté, aucun n’y arriverait. Il leur faut à tous l’appoint de forces divines, l’assistance du Saint-Esprit, l’appui de la grâce.

Pour Dieu et par Dieu, tout est possible. Ce passage est l’un de ceux qui prouvent de la manière la plus directe que la théologie évangélique telle qu’elle a été développée par Paul, a ses racines dans l’enseignement de Jésus lui-même.

Plus haut (Luc, xvii, 10) nous lisions que l’homme n’a point de récompense à réclamer lors même qu’il aurait fait tout son devoir ; ici nous apprenons qu’il ne peut pas même le faire sans que Dieu lui vienne en aide. Ces deux textes se complètent l’un l’autre.

Il faut interpréter tout de telle façon qu’on puisse être riche et en même temps chrétien, bien que sachant qu’il y a des pauvres qui meurent de faim. C’est ainsi que ceux qui déforment la doctrine se permettent de l’interpréter. On est tenté de se demander comment l’on peut se résoudre à interpréter ce qui a été dit tant de fois et si clairement.

L’Évangile commence par la prédication de Jean qui, mendiant, court dans le désert et exhorte ceux qui ont deux habits à en donner un à celui qui n’en a pas, et à faire de même pour la nourriture ; en même temps il reproche aux riches leurs richesses et leur cruauté. D’après les interprétations ecclésiastiques cela signifie seulement que Jean-Baptiste a oint Jésus ; quant à la richesse et à la mendicité, il ne faut voir là qu’ornements de style.

Jésus va dans le désert, chez les mendiants, et lutte contre la séduction de la richesse ; cela ne signifie rien : c’est le diable qui tente Dieu. Jésus retourne dans le monde, renonce à la famille, à la propriété, se rapproche des mendiants, prêche ; cela montre seulement l’humilité de Dieu. Jésus dit que les riches offrandes sont odieuses à Dieu, qu’il ne se réjouit que de l’amour et de la miséricorde des hommes les uns envers les autres : ce n’est qu’une citation des Prophètes. Jésus explique que le royaume de Dieu consiste à renoncer à la vie de la chair et à vivre par l’esprit : ce n’est que l’explication des rapports entre les personnages de la Sainte Trinité, et rien de plus.

Jésus, répondant aux disciples de Jean, dit que les mendiants apprendront aussi leur bien : cela aussi n’est qu’un ornement de la phrase. Enfin Jésus use dans sa prédication de paroles claires, accessibles à tous, en disant très nettement ce que les hommes doivent faire pour exécuter sa doctrine. Ce sermon est considéré par les savants et les autres comme le passage le plus lumineux et le plus net de l’Évangile. Jésus commence sa prédication par les paroles : « Bienheureux mendiants et chemineaux, parce que le royaume de Dieu est le vôtre ; et malheureux sont les riches, parce qu’ils tiennent trop aux récompenses de ce monde ». À ces paroles on ajoute τῷ πνεύματι, qui n’est lié à rien, et toutes ces paroles sont interprétées comme une phrase sentimentale se rapportant à l’humilité. Et que la richesse, la propriété, soient la source du mal et de la cruauté, cela Jésus ne le dit pas ; ce n’est pas Christ qui a dit tout cela, mais Proudhon. Et Proudhon, socialiste et athée, ment.

De toute la prédication on n’explique et n’affirme que cette doctrine du désintéressement. Dans le chapitre v, les commandements qui sont donnés ont pour conséquence l’impossibilité de la propriété. Si l’on pardonne toutes les offenses, si l’on ne se défend pas, si l’on ne va pas chez le juge, la propriété est impossible. Mais on rejette tous ces préceptes, ne leur attribuant qu’une portée sentimentale.

Dans le chapitre vi il est dit : Ne recueillez, n’amassez rien, c’est-à-dire n’ayez rien, et si vous amassez vous ne serez pas les enfants de Dieu. Enfin il est dit nettement qu’on ne peut pas servir Dieu et Mammon. Il est clair que celui qui recueille et amasse quelque chose ne l’a pas donné aux mendiants. Et cependant il y a toujours des mendiants. C’est pourquoi on ne peut pas amasser. Du reste, cela n’a aucun sens, puisque nous sommes soumis au pouvoir de Dieu : on amassera et on mourra. Il ne faut même pas se soucier du lendemain. Cela semble pourtant net et clair. Mais Jésus paraît prévoir que les hommes voudront le masquer sous de fausses interprétations, et il ajoute des paraboles : celle du festin auquel n’assistent que les mendiants ; celle du gérant infidèle ; celle du riche et de Lazare. Il choisit de tous côtés ; il dit qu’on ne peut pas entrer dans le royaume de Dieu, si l’on possède. Mais, selon les interprètes, cela s’applique à tout autre chose qu’à la tirelire. La richesse n’empêche rien ; elle est même très belle.

Mais il y a mieux. Dans l’entretien avec l’adolescent tout cela est expliqué avec tant de simplicité, de clarté, qu’on ne peut rien interpréter faussement. Cependant les interprètes s’arrangent si bien que la tirelire reste intacte ; et ils emploient à le prouver toutes les ressources et tous les efforts de la pensée et de la parole. On a inventé un Eubion quelconque, qui n’exista jamais, et qui, soi-disant, a fondé une secte qui reconnaît la nécessité de la pauvreté pour entrer dans le royaume de Dieu. Mais Eubion signifie πτωχὸς c’est-à-dire ce que précisément Jésus a ordonné d’être, et les disciples s’appelaient les Eubions. Les Eubionistes, c’est-à-dire ceux qui ont suivi cette doctrine, forment une secte, et ceux qui ont inventé la trinité, les mystères, et qui admettent les richesses, les tribunaux, la guerre, sont les vrais disciples du Christ !

Les premiers disciples de Jésus, les apôtres, comprenaient autrement la doctrine.

Actes, ii, 44. Et tous ceux qui croyaient étaient ensemble dans un même lieu, et avaient toutes choses communes.

45. Ils vendaient leurs possessions et leurs biens, et les distribuaient à tous, selon le besoin que chacun en avait.

46. Et ils étaient tous les jours assidus au temple d’un commun accord ; et rompant le pain de maison en maison, ils prenaient leurs repas avec joie et simplicité de cœur ;

47. Louant Dieu et étant agréables à tout le peuple. Et le Seigneur ajoutait tous les jours à l’Église des gens pour être sauvés.

Actes, iv, 32. Or la multitude de ceux qui avaient cru n’étaient qu’un cœur et qu’une âme, et personne ne disait que ce qu’il possédait fût à lui en particulier, mais toutes choses étaient communes entre eux.

33. Et les apôtres rendaient témoignage, avec beaucoup de force, de la résurrection du Seigneur Jésus ; et il y avait une grande grâce sur eux tous.

34. Car il n’y avait personne parmi eux qui fût dans l’indigence ; parce que tous ceux qui possédaient des fonds de terre, ou des maisons, les vendaient et apportaient le prix de ce qu’ils avaient vendu.

35. Ils le mettaient aux pieds des apôtres, et on le distribuait à chacun selon qu’il en avait besoin.

Mais non, ils désirent maintenir la tirelire et se considérer comme fils du royaume du ciel.

Mais assez sur la tirelire. Qu’ils la possèdent, mais qu’ils laissent en paix la doctrine de Jésus. On ne peut suivre partiellement cette doctrine ; eux-mêmes disent qu’elle est la vérité ; la vérité ne peut pas être partielle ; c’est la vérité ou le mensonge. Pour admettre la vérité en partie il faut être abêti comme le sont les gens de la soi-disant science : Renan, Strauss, Reuss, et tous ceux qui étudient la religion au point de vue rhétorique.

Renan, par exemple, dans les Apôtres, dit (p. 381) :

La foi absolue est pour nous un fait complètement étranger. En dehors des sciences positives, d’une certitude en quelque sorte matérielle, toute opinion n’est à nos yeux qu’un à peu près, impliquant une part de vérité et une part d’erreur. La part d’erreur peut être aussi petite que l’on voudra ; elle ne se réduit jamais à zéro, quand il s’agit de choses morales, impliquant une question d’art, de langage, de forme littéraire, de personnes. Telle n’est pas la manière de voir des esprits étroits et obstinés, des Orientaux par exemple. L’œil de ces gens n’est pas comme le nôtre ; c’est l’œil d’émail des personnages de mosaïque, terne, fixe. Ils ne savent voir que… etc., etc.

Autrement dit, nous ne croyons à rien et jugeons tout ; c’est nous qui avons raison, et ceux qui croient, nous les critiquons.

Nous sommes si habitués à ce galimatias scientifique qu’il ne nous stupéfait pas ; et cependant, si on l’analyse, on reconnaît le délire d’un fou qui dit : Je suis roi et tous ceux qui ne reconnaissent pas mon royaume se trompent.

L’homme qui ne croit à rien ne sait rien : c’est un homme psychiquement malade, et le savant, dans son livre, l’exprime et le déclare nettement. Dans tous ses ouvrages il parle souvent avec compassion de la doctrine du Christ et, tout d’un coup, du haut d’un principe quelconque, qu’il n’a pas exprimé, il condamne la doctrine du Christ. Mais celui qui dit quelque chose sait quelque chose, et lui, que sait-il ? On cherche en vain la réponse. La critique et la science. Mais qu’est-ce cela : La critique et la science ? La science, l’histoire, la critique historique, pour employer le ton élevé, sont des aspects de la science générale, humaine, qui toujours augmente et enrichit l’humanité. La branche dont nous nous occupons c’est l’histoire de la vie de l’humanité, de la formation et du développement du peuple, de l’État, de la société, de l’instruction. La section que nous étudions a pour objet l’histoire du développement des religions. Le cas particulier qui nous intéresse, c’est le développement du christianisme.

C’est bon. La première question : La science humaine est-elle une ou plusieurs ? La science indoue ou chinoise n’est pas entrée, il me semble, dans notre science, et elle nie la nôtre. On me répondra : la nôtre embrasse ou embrassera tout parce qu’elle est libre et ne cherche que la lumière. Les Chinois disent autre chose. J’y consens.

La deuxième question : La vie de l’humanité n’est-elle pas un champ trop vaste pour la science ? Pour décrire la vie d’un seul homme, le travail de mille hommes ne suffit pas. Comment donc décrire la vie de toute l’humanité ? On me répond : Il y a les généralités de la forme de la vie humaine ; nous les trouvons et ensuite nous y substituons les phénomènes de la vie ; nous comparons, nous trouvons de nouvelles lois, nous les contrôlons par les faits ; et ces études forment l’histoire de la science.

Je demande : Eh bien ? quoi ? Ces généralités des formes dans lesquelles se manifeste la vie humaine sont-elles toujours les mêmes, invariables, absolues ?

On me répoud : oui, ces formes sont : le développement des populations et des États, les institutions, les lois, l’instruction, la religion.

Bon. Je comprends ces formes mais je ne vois pas bien pourquoi, précisément, ces formes vous occupent. Je connais encore d’autres formes de la vie : l’agriculture, l’industrie, le commerce. On me dit : nous nous en occupons dans la mesure où nos matériaux nous le permettent.

Bon. Mais je connais encore d’autres formes : l’éducation, la vie de famille. Nous en tenons compte aussi. Je connais encore les divertissements, les habits. Nous tenons compte de cela aussi. Je connais encore les rapports avec les animaux, la famille, l’organisation de la maison, la préparation des aliments. Je connais aussi le rapport dans l’espace : les hommes vivent dans un lieu ou un autre, marchent d’un endroit à l’autre. Je sais encore comment sont distribués les travaux ; comment les hommes se comportent dans l’amitié, l’hostilité, et ainsi jusqu’à l’infini.

Si l’on a choisi les formes de la constitution politique, les seules que l’on ait, jusqu’à présent, choisies et étudiées avec succès, ce n’est pas qu’elles nous intéressent particulièrement, mais parce que nous les jugeons importantes et que, parmi certaines formes gouvernementales, les unes nous paraissent meilleures, les autres pires. De sorte que les études historiques, en ce sens, se font en se basant sur notre idéal de la vie gouvernementale.

L’étude des autres objets n’est qu’un contrôle pour savoir à quel point les phénomènes étudiés s’appliquent à ceux que nous avons décidé être bons. Et tout cela est possible pour tous les phénomènes de la vie humaine, tant que nous garderons la conviction naïve que, sous certains rapports, nous connaissons ce qu’il y a de mieux. Mais ici il est arrivé aux historiens un petit désagrément. Au beau milieu de leur joie ils se sont mis à entasser dans leurs paniers, comme l’enfant ramasse ses jouets dispersés, tout ce qu’ils avaient sous la main : commerce, instruction, mœurs, folklore (ils aiment beaucoup ce mot), et bien que tout cela n’ait pu rentrer dans leur panier, leur jeu n’en a pas été gâté.

Si les hommes sont convaincus que Paris en 1880 représente l’idéal de la vie, on peut alors, s’adaptant à cet idéal, décrire n’importe quelle vie. Mais ici, au beau milieu du jeu, ils ont attrapé la religion. Diverses religions influent diversement sur la vie des peuples, et ce jouet, ils l’ont mis aussi dans le panier. Mais ce jouet était un charbon ardent, il a tout brûlé et il n’est rien resté.

En effet, prenez n’importe quel phénomène de la vie humaine. Si je suis naïvement convaincu que je sais la meilleure façon d’envisager ce phénomène, je puis le décrire dans tous les cas, suivre son développement et sa décadence.

Mais que faire avec les religions, ou, comme on dit, avec la foi ? La foi n’est pas le rapport de l’homme avec l’État, avec le marché ou le suffrage universel ; c’est quelque chose qu’il sait indubitablement et sur quoi est basée toute sa vie, de quoi découle toute sa manière d’être envers tous les phénomènes de la vie : le pays, la famille, la propriété, les plaisirs, les arts, la science, en un mot envers tout.

C’est pourquoi l’on ne peut, d’aucune façon, saisir la foi et l’introduire dans le panier historique, et si on l’y introduit on n’en peut rien faire, car on ne peut juger de l’état gouvernemental que d’après la constitution estimée la meilleure ; de l’instruction et des lois, que d’après celles qui sont estimées les meilleures. Ainsi de la religion, on ne peut rien dire : on ne peut pas dire je connais la meilleure et personne ne connaît la pareille.

Mais tout d’un coup, l’historien dit qu’il n’y a aucune religion, aucune foi ; qu’il n’y en a plus maintenant, mais qu’il y en avait autrefois… C’est-à-dire que l’historien avoue qu’il ignore ce qui est le sens de la vie ; et ainsi disparaît le sens de tout ce qu’il a dit auparavant des autres choses : tous les jouets sont brûlés.

Mais les historiens ne voient pas cela, et naïvement, ne connaissant aucune véritable religion, ils jugent la religion d’après de petits phénomènes de la vie sociale, c’est-à-dire de la vie gouvernementale, économique et autre.

C’est ainsi que Strauss critique toute la doctrine du Christ, parce que la vie allemande à laquelle il est habitué, en serait dérangée (p. 622).

Es ist nicht zu verkennen, dass in dem Muster, wie es Jésus in Lehre und Leben darstellte, neben der vollen Ausgestaltung einiger Seiten, andere nur schwach umrissen, oder auch gar nicht angedeutet sind. Voll entwickelt findet sich Alles, was sich auf Gottes- und Nächstenliebe, auf Reinheit des Herzens und Lebens der Einzelnen bezieht ; aber schon das Leben des Menschen in der Familie tritt bei den selbst familienlosen Lehrer in den Hintergrund ; dem Staate gegenüber erscheint sein Verhältnis als ein lediglich passives ; dem Erwerb ist er nicht bloss für sich, seines Berufs wegen abgewendet, sondern auch sichtbar abgeneigt, und Alles vollends, was Kunst und schönen Lebensgenuss betrifft, bleibt völlig ausserhalb seines GesichtsKreises. Dass dies wesentliche Lücken sind, dass hier eine Einseitigkeit vorliegt, die teils in den besonderen Lebensverhältnissen Jesu ihren Grund hat, sollte man nicht leugnen wollen, da man es nicht leugnen kann. Und die Lücken sind nicht etwa der Art, dass nur die vollständige Durchführung fehlte, während der regelnde Grundsatz gegeben wäre ; sondern für den Staat insbesondere, den Erwerb und die Kunst fehlt von vorneherein der rechte Begriff, und es ist ein vergebliches Unternehmen, die Tätigkeit des Menschen als Staatsbürger, das Bemühen um Bereicherung und Verschönerung des Lebens durch Gewerbe und Kunst nach den Vorschriften oder dem Vorbilde Jesu bestimmen zu wollen. Sondern hier war eine Ergänzung, sowohl aus anderen Volkstümlichkeiten als anderen Zeit, und Bildungsverhältnissen heraus erforderlich, wie sie zum Teil schon rückwärts in demjenigen lag, was Griechen und Römer in dieser Hinsicht vor sich gebracht hatten, zum Teil aber der weiteren Entwicklung der Menschheit und ihrer Geschichte vorbehalten blieb.

Et Renan, Vie de Jésus, chap. xi. Le royaume de Dieu, p. 178 :

Ces maximes, bonnes pour un pays où la vie se nourrit d’air et de jour, ce communisme délicat d’une troupe d’enfants de Dieu, vivant en conscience sur le sein de leur père, pouvaient convenir à une secte naïve, persuadée à chaque instant que son utopie allait se réaliser.

Et cette sottise est tellement séduisante qu’aussitôt que l’homme n’a pas de pensées à lui, quand il ne sait rien parce qu’il ne croit rien et veut quand même philosopher, il se met à écrire l’histoire de la religion. Dans tous les romans les savants écrivent une histoire de la religion, — c’est à-dire la chose à laquelle on ne peut même penser, ce qu’un homme fou seul peut faire.


JÉSUS ET ZACHÉE

Καὶ εἰσελθών διήρχετο τὴν Ἱεριχώ.

Καὶ ἰδοὺ, ἀνήρ ὀνόματι ϰαλούμενος Ζαϰχαῖος· ϰαὶ αὐτὸς ἦν ἀρχιτελώνης, ϰαὶ οὖτος ἦν πλούσιος,

Καὶ ἐζήται ἰδεῖν τὸν Ἰησουν τὶς ἐστί· ϰαὶ οὐϰ ἠδύνατο ἀπὸ τοῦ ὄχλου, ὅτι τῆ ἡλιϰίᾳ μιϰρὸς ἦν.

Καὶ προδμών ἔμποσθεν, ἀνέβη ἐπί συϰομορέαν, ἵνα ἴδῃ αὐτόν· ὅτι δί ἐϰείνης ἤμελλε διέρχεσθαι.

Καὶ ὠς ᾖλθεν ἐπὶ τὸν τόπον, ἀναβέψας ὁ Ἰησοῦς εἶδεν αὐτὸν ϰαὶ εἶπε πρὸς αὐτόν. Ζαϰχαῖε, σπεύσας ϰατάβηθι· σήμερον γὰρ ἐν τῷ οἴϰῳ σου δεῖ με μεῖναι.

Καὶ σπεύσας ϰατέβη ϰαὶ ὑπεδέξατο αὐτόν χαίρων.

Καὶ ἰδόντες ἄπαντες διεγόγγυζον, λέγοντες, ὅτι παρὰ ἁμαρτοωλῷ ἀνδρὶ εἰσῆλθε ϰαταλῦσαι.

Σταθείς δὲ Ζαϰχαῖος εἶπε πρὸς τὸν ϰύριον· ἰδού, τὰ ἡμίση τῶν ὑπαρχόντων μου, ϰύριε, δίδωμι τοῖς πτωχοῖς· ϰαὶ εἰ τινός τι ἐσυϰοφάντησα, ἀποδιδωμι τετραπλοῦν.

Εἶπε δὲ πρὸς αὐτὸν ὁ Ἰησοῦς, ὅτι σημερον σωτηρία τῷ οἴϰῳ τούτῳ ἐγένετο, ϰαθότι ϰαὶ αὐτὸς υἱὸς Ἀβραάμ ἐστιν.

Ἦλθε γὰρ υἱός τοῦ ἀνθρώπου ζητῆσαι ϰαὶ σῶσαι τὸ ἀπολωλός.


Luc, xix, 1. Jésus étant entré dans Jéricho passait par la ville. Étant entré à Jéricho, Jésus passa par la ville.
2. Et un homme, appelé Zachée, chef des péagers, qui était riche, Il y avait un homme appelé Zachée, le chef des adjudicataires, qui était très riche.
3. Cherchait à voir qui était Jésus ; mais il ne le pouvait pas à cause de la foule, parce qu’il était de petite taille. Il voulait voir qui était Jésus ; mais à cause de la foule il ne pouvait arriver à lui parce qu’il était de très petite taille.
4. C’est pourquoi il courut devant, et monta sur un sycomore pour le voir, parce qu’il devait passer par là. Il courut devant et monta sur un arbre, afin de le voir quand il passerait par là.

5. Jésus étant venu en cet endroit, et regardant en haut, le vit et lui dit : Zachée ! hâte-toi de descendre, car il faut que je loge aujourd’hui dans ta demeure. En passant devant, Jésus le regarda et lui dit : Zachée, descends vite, car je veux aujourd’hui m’arrêter dans ta maison.
6. Et il descendit promptement et le reçut avec joie. Zachée descendit vivement et l’accepta avec joie dans sa maison.
7. Et tous ceux qui virent cela murmuraient, disant qu’il était entré chez un homme de mauvaise vie pour y loger. Mais tous ceux qui virent cela se mirent à murmurer : Comment, il s’arrête dans la maison d’un pécheur !
8. Et Zachée, se présentant devant le Seigneur, lui dit : Seigneur ! je donne la moitié de mes biens aux pauvres ; et si j’ai fait tort à quelqu’un en quelque chose, je lui en rends quatre fois autant. Et Zachée s’approchant de Jésus lui dit : Maître, j’ai donné aux pauvres la moitié de mes biens, et si j’ai fait tort à quelqu’un je le lui rendrai quatre fois.
9. Sur quoi Jésus lui dit : Le salut est entré aujourd’hui dans cette maison parce que celui-ci est aussi enfant d’Abraham. Jésus répondit à ces paroles : Maintenant l’enfant 1) de cette maison sera sauvé puisqu’il est fils d’Abraham 2).
10. Car le Fils de l’homme est venu chercher et sauver ce qui était perdu. Car l’œuvre du Fils de l’Homme consiste à chercher et à sauver ce qui a péri et périt 3).

Remarques.

1) Οἶϰος signifie la race, la génération. Ici, par οἶϰος on comprend le personnage dont on parle, c’est-à-dire Zachée. Jésus l’appelle la race de cette maison ; moi je traduis : l’enfant de cette maison.

2) L’expression : le fils d’Abraham, a une signification toute particulière, qui se trouve clairement exprimée dans l’Épître aux Galates, iii, 7 : « Sachez de même que ceux qui ont la foi sont des enfants d’Abraham. » Autrement dit, celui qui croit comme Abraham et, comme Abraham, prouve sa foi, en immolant son fils.

3) Il est évident que Zachée connaissait la doctrine du Christ et l’aimait ; autrement il n’aurait point pris tant de peine pour voir Jésus ; il est évident que Jésus l’apercevant dans une position aussi dangereuse, et remarquant l’expression de son visage et peut-être même entendant ses paroles, s’adressa à lui. Il faut supposer de même que dans la maison de Zachée, Jésus lui parla, et que les paroles de Zachée sur l’abandon de la moitié de ses biens répondaient à la doctrine de Jésus.


Καὶ ϰαθίσας ὁ Ἰησοῦς ϰατέναντι τοῦ γαζοφυλαϰίου, ἐθεώρει πως ὁ ὄχλος βάλλει χαλϰὸν εἰς τὸ γαζοφυλάϰιον.

Καὶ πολλοί πλούσιοι ἔβαλλον πολλά.

Καὶ ἐλθοῦσα μία χήρα πτωχὴ ἔβαλε λεπτὰ δύο, ὅ ἐστι ϰοδράντης.

Καὶ προσϰαλεσάμενος τοὺς μαθητάς αὐτοῦ, λέγει αὐτοῖς· ἀμήν λέγω ὑμῖν, ὅτι ἡ χήρα οὑτη ἡ πτωϰὴ πλεῖον πάντων βέβληϰε τῶν βαλόντων εἰς τὸ γαζοφυλάϰιον.

Πάντες γὰρ ἐϰ τοῦ περισσεύοντος αὐτοῖς ἐβαλον· αὔτη δὲ ἐϰ τῆς ὑστερήσεως αὐτῆς πάντα ὅσα εἶϰεν ἔβαλεν, ὅλον τὸν βίον αὐτῆς.


Marc, xii, 41. Et Jésus, étant assis vis à vis du tronc, regardait comment le peuple mettait de l’argent dans le tronc. Et plusieurs personnes riches y mettaient beaucoup. Jésus s’étant assis en face du tronc regardait comment le peuple mettait l’argent dans le tronc. Et plusieurs riches passaient et y mettaient beaucoup d’argent.

42. Et une pauvre veuve vint, qui y mit deux petites pièces qui font un quadrin. Une pauvre veuve s’approcha et mit dans le tronc deux petites pièces valant un kopek.
43. Alors, ayant appelé ses disciples il leur dit : Je vous dis en vérité que cette pauvre veuve a plus mis au tronc que tous ceux qui y ont mis. Alors il appela ses disciples et leur dit : Je vous dis que cette pauvre veuve a plus mis dans le tronc que tous les autres.
44. Car tous les autres y ont mis de leur superflu ; mais celle-ci y a mis de son indigence tout ce qu’elle avait, tout ce qui lui restait pour vivre. Car ceux-ci n’y ont mis que leur superflu, tandis qu’elle y a mis de ce qui lui manque, tout ce qu’elle avait ; elle y a mis toute sa vie.


Les hommes sont habitués à croire en l’inutilité du sacrifice ; c’est pourquoi Jésus dit, au sujet des deux petites pièces de la veuve, que celle qui a donné tout ce qu’elle possédait a seule vraiment donné quelque chose. Les autres n’ont rien donné n’ayant donné que leur superflu. Cette petite parabole est très importante. À un autre point de vue, elle confirme nettement que pour avoir la possibilité d’exécuter la volonté de Dieu, il est nécessaire d’être mendiant. Donner, c’est donner tout, sans rien garder pour soi.

Donner les trois quarts de ses biens, ne se priver de rien dans la vie, cela équivaut à ne rien donner du tout. D’ordinaire, les gens à qui déplaisent cette exigence et cette interprétation de Jésus (et elle déplaît à tous les riches) disent : Il a été commandé de donner tout, personne ne le fait et ne peut le faire, donc, ce n’est pas vrai ; et il est tout de même mieux de donner quelque chose de son superflu, du moins les pauvres seront rassasiés et auront un abri.

Ce raisonnement est basé sur l’incompréhension de la doctrine. Nulle part Jésus n’ordonne de donner aux pauvres pour que les pauvres soient rassasiés et contents. Il dit que l’homme, afin d’être heureux, doit donner aux pauvres tout ce qu’il possède. Il n’ordonne pas, il ne dit pas ce que chacun doit donner, mais il annonce aux hommes le vrai bonheur, et il dit que celui qui a compris le vrai bien et cherche la vraie vie, donnera absolument toute sa fortune et trouvera dans cela tout le bonheur. On ne peut servir Dieu et Mammon. Ce n’est pas une règle, mais ce doit être la réalité ; il ne s’agit pas que cela convienne ou non, mais on ne peut point agir autrement. Celui qui ne renonce pas à ses biens et n’abandonne pas sa famille pour me suivre, celui-ci ne peut pas être mon disciple ; c’est-à-dire : celui-ci ne m’a pas compris. Celui qui m’a compris, du fait même qu’il a compris, le fera. L’adolescent qui se flatte d’avoir observé les commandements, même le commandement d’aimer le prochain comme soi-même, est dénoncé par ce fait même ; il n’a pas encore la possibilité de remplir les commandements s’il ne s’est débarrassé de la richesse. La richesse empêche d’entrer dans le royaume de Dieu. C’est pourquoi ceux qui affirment que si l’on ne peut faire ce que Jésus-Christ ordonne, il vaut cependant mieux donner quelque chose aux pauvres que de ne rien donner du tout, ceux-là ne comprennent pas ce que dit Jésus. Non seulement Jésus ne parle pas de l’utilité matérielle, il l’ignore. Il ordonne l’abandon des richesses, à seule fin qu’elles ne soient pas un obstacle dans la vie. Puis il enseigne qu’après avoir renoncé à la propriété, le bonheur de l’homme consiste à plaindre et aimer ses semblables. Alors, avant tout, pour avoir la possibilité de donner sa vie à Dieu, il faut renoncer à la richesse injuste. Ceux donc qui prélèvent ou établissent des impôts pour les pauvres doivent laisser tranquilles Jésus et sa doctrine. Christ n’ordonne pas cela. S’ils le font c’est par leur bon plaisir ; et alors qu’ils le disent. Donner de son superflu, Jésus-Christ le juge indifférent, ou plutôt il n’en dit rien ; mais il défend de donner de manière à être vu des autres.


LA MESURE DU BIEN

Καὶ ὄντος αὐτοῦ ἐν βηθανίᾳ ἐν τῇ οἰϰία Σίμωνος τοῶ λεπροῦ, ϰαταϰειμένου αὐτοῦ, ἦλγε γυνή ἐχουσα ἀλάβαστρον μύρου νάρδου πιστιϰῆς πολυτελοῦς· ϰαὶ συντρίψασα τὸ ἀλάβαστρον, ϰατέχεεν αὐτοῦ ϰατὰ τῆς ϰεφαλῆς.


Marc, xiv, 3. Et Jésus étant à Béthanie, dans la maison de Simon surnommé le lépreux, une femme vint à lui, lorsqu’il était à table, avec un vase d’albâtre plein d’une huile odoriférante et de grand prix, qu’elle lui répandit sur la tête, ayant rompu le vase. Il arriva à Jésus de se trouver dans la maison de Simon le lépreux, et une femme 1) s’approcha de lui ; elle était riche d’un vase contenant une huile odoriférante de grand prix ; Et la femme brisa 2) ce vase et répandit l’huile sur la tête de Jésus 3).

Remarques.

1) Chez Matthieu et chez Marc se trouve la même expression : Σχουσα ἀλάβαστρον μύρου. On devrait la traduire ainsi : qui avait en sa propriété un vase d’huile. Je traduis : elle était riche d’un vase contenant… D’après le sens de tout ce qui suit, surtout d’après les paroles ἔχουσα μύρου, il faut comprendre que cette femme était une marchande d’huile, et que c’était tout ce qu’elle possédait, au moins présentement. Si cette femme ne portait pas toujours cette huile, elle avait dû l’aller quérir intentionnellement, et alors le sens principal du passage se perd. Au lieu de ἔχουσα, qui avait l’huile, on aurait dit : elle avait apporté de l’huile. Mais il y a ἔχουσα ; c’est pourquoi nous sommes forcés de supposer que cette femme portait toujours cette huile précieuse. Elle pouvait la porter soit pour la vendre, soit pour la transporter d’un lieu à un autre. En tout cas, cette femme portait une chose précieuse, et non seulement elle n’avait pas en vue de la dépenser, mais elle la couvait comme un trésor. Il faut bien tenir compte de cela pour comprendre la suite. Le mot précieux se trouve chez les trois évangélistes, précisément pour bien le montrer.

2) Le fait de briser le vase montre qu’elle ne pouvait pas l’ouvrir aisément, et, principalement, qu’elle ne regardait pas à la valeur de l’huile.

3) Le détail sur l’essuyage avec les cheveux est inopportun, et doit être emprunté à la rencontre avec la femme adultère.


Ἡ δὲ οἰϰία ἐπληρώθη ἐϰ τῆς ὀσμῆς τοῦ μύρου.

Ἰδόντες δὲ οἱ μαθηταὶ αὐτοῦ ἠγαναϰτησαν, λέγοντες· εἰς τί ἡ απώλεια αὔτη ;

Ἠσύνατο γὰρ τοῦτο τὸ μύρον πραθῖναι πολλοῦ ϰαῖ δοθῆναι πτωχοῖς·

Λέγει οὖν εἰς ἐϰ τῶν μαθητῶν αὐτοῦ, Ἰούδας Σίμωνος Ἰσϰαριώτῆς, ὁ μέλλων αὐτόν παραδιδόναι.

Διατί τοῦτο τὸ μύρον οὐϰ ἐπράθη τριαϰοσίων δηναρίων ϰαὶ ἐδόθη πτωχοῖς ;

Εἶπε δὲ τοῦτο, οὐχ ὅτι περὶ τῶν πτωχῶν ἔμελεν αὐτῷ, ἀλλ’ ὅτι ϰλέπτης ἦν, ϰαὶ τὸ γλωσσόϰομον εἰχε, ϰαὶ τὰ βαλλόμενα ἐβάσταγεν.

Γνούς δὲ ὁ Ἰησοῦς εἶπεν αὐτοῖς· τί ϰόπους παρέχετε τῇ γυναιϰί ; ἔργον γὰρ ϰαλόν εἰργάσατο εἰς ἐμὲ.

Πάντοτε γὰρ τούς πτωχοὺς ἔχετε μεθ' ἑαυτῶν, ϰαὶ ὅταν θέλητε, δύνασθε αὐτοὺς εὖ ποιῆσαι· ἐμέ δὲ οὐ πάντοτε ἔχετε.

Ὁ εἶχεν αὔτη, ἐποίησε. προέλαβε μυρίσαι μου τὸ σῶμα εἰς τὸν ἐνταφιασμόν.


Jean, xii, 3. Et la maison fut remplie de l’odeur de ce parfum. Et toute la chambre fut remplie de la bonne odeur de l’huile.
Matth. xxvi, 8. Et ses disciples voyant cela en furent indignés et dirent : À quoi sert cette perte ? Cela ne plut pas aux disciples, et ils se dirent entre eux : Pourquoi perdre inutilement une huile si chère ?

9. Car on pouvait vendre bien cher ce parfum, et en donner l’argent aux pauvres. On pourrait vendre cette huile très cher et distribuer aux pauvres.
Jean, xiii, 4. Alors Judas Iscariot, fils de Simon, l’un de ses disciples, celui qui devait le trahir, dit : Alors l’un des disciples, Judas l’Iscariote, celui qui le trahit, dit :
5. Pourquoi n’a-t-on pas vendu ce parfum trois cents deniers d’argent pour les donner aux pauvres ? On aurait dû vendre cette huile trois cents deniers et les distribuer aux pauvres.
6. Il disait cela non qu’il se souciât des pauvres, mais parce qu’il était larron, et qu’il avait la bourse, et qu’il portait ce qu’on y mettait. Il disait cela non qu’il se souciât des pauvres, mais parce qu’il était larron et portait le tronc pour les pauvres.
Matth., xxvi, 10. Mais Jésus connaissant cela leur dit : Pourquoi faites-vous de la peine à cette femme ? car elle a fait une bonne action à mon égard. Jésus le comprit et dit : Pourquoi mortifiez-vous cette femme ? Laissez-la, elle a fait du bien à mon égard.
Marc, xiv, 7. Car vous aurez toujours des pauvres avec vous, et toutes les fois que vous voudrez vous pourrez leur faire du bien ; mais vous ne m’aurez pas toujours. Des mendiants il y en a toujours près de vous et quand vous le voudrez vous pourrez leur faire du bien ; mais moi je ne serai pas toujours avec vous 1).
7 et 8. Matth., xxvi. 12. Elle a fait ce qui était en son pouvoir : elle a embaumé par avance mon corps pour ma sépulture. Elle a donné ce qu’elle avait ; par avance elle a couvert mon corps d’huile pour ma sépulture.

Remarques.

1) Si aux paroles : des mendiants, il y en a toujours, n’était ajouté : mais moi je ne serai pas toujours avec vous, la signification des paroles de Jésus serait celle-ci : Ne faites pas de reproches à cette femme de n’avoir pas donné aux mendiants que vous ne voyez pas et de m’avoir donné. Il y a toujours devant vous des mendiants. Celui que vous plaignez est un mendiant. Je suis mendiant et elle a eu pitié de moi, et elle a bien fait.

Mais les paroles : et moi je ne serai pas toujours avec vous, et le verset suivant où il est question de sépulture, sont regardés comme une allusion à sa mort.

Selon moi, Jésus, répondant au raisonnement de Judas sur l’utilité, dit : Dans un acte bon il n’est pas question d’utilité, et l’on peut interpréter chaque acte de telle façon qu’il soit à volonté utile ou inutile. On ne peut faire d’acte plus insensé que celui de cette femme, mais même dans cet acte on peut trouver le côté utile.

Elle a couvert mon corps d’huile. Vous dites que c’est en vain. Qu’en savez-vous ? Peut-être mourrai-je à l’instant, et il en résultera qu’elle aura très bien fait : elle aura préparé mon corps pour la sépulture.

Jésus est recouvert d’huile, comme les cadavres préparés pour la sépulture, et il exprime en plaisantant sa pensée : que l’homme ne peut savoir ce qui est utile et ce qui ne l’est pas.


Ἀμὴν λέγω ὑμῖν, ὅπου ἄν ϰηρυχθῇ τὸ εὐαγγέλιον τοῦτο εἰς ὅλον τὸν ϰόσμον, ϰαὶ ὁ ἐποίησεν αὔτη, λαληθήσεται τίς μνημόσυνον αὐτῆς.


Marc, xiv, 9. Je vous dis en vérité que dans tous les endroits du monde où cet évangile sera prêché, ce qu’elle a fait sera aussi raconté en mémoire d’elle. Je vous dis en vérité que dans tous les endroits du monde où l’on parlera du vrai bien, ce qu’elle a fait sera mentionné 1).

Remarques.

1) Après la plaisanterie sur l’utilité, Jésus parle de l’importance de l’acte au point de vue du bien, et il dit ici que cet acte est la meilleure expression du bien qu’il enseigne.


Les disciples mesurent le bien à l’utilité, c’est pourquoi ils blâment la femme qu’ils rendent confuse, de sorte qu’elle ne sait plus si elle a bien ou mal agi en s’attendrissant sur Jésus et lui donnant tout ce qu’elle possédait de précieux. C’est Judas surtout qui est mécontent. Christ dit : ne la blâmez point, elle a fait le bien, le plus grand qu’elle pouvait faire. Ne parlez point des mendiants que vous ne voyez pas, dont vous n’avez point pitié, que vous n’aimez pas. Elle m’a vu, m’a plaint et m’a donné tout ce qu’elle possédait.

On ne peut faire davantage. La femme a perdu trois cents deniers parce qu’elle a eu pitié de Jésus et voulut lui faire du bien. Cet acte est-il bon ou non ? Nous sommes si habitués de vivre d’après la loi de Judas l’Iscariote qu’il n’est personne qui, devant un acte pareil, n’eût dit que c’était l’acte d’un fou et même un acte mauvais. L’exemple est des plus frappants. Le vase contenant l’huile précieuse, comme le sont maintenant les essences de roses, est brisé, l’huile se répand, et voilà trois cents roubles de perdus. Pourquoi ? À qui est-ce utile ? Et là, dans la rue, il y a des centaines de mendiants ; ne valait-il pas mieux les leur donner ? Cela devait être agréable à Jésus ; lui-même a pitié des pauvres. Comment donc ne pas blâmer cette femme stupide ? C’est ce que fait Judas et tous les disciples après lui. Et le raisonnement qui condamne l’acte de la femme stupide est si clair, qu’on n’y peut contredire.

Mais Jésus-Christ non seulement n’a pas blâmé la femme, il la loue. Il dit : Partout, dans tout l’univers où l’on annoncera le vrai bien, on parlera de ce qu’elle a fait.

Elle a renoncé à la richesse au nom de la pitié. Par pitié, elle a fait une chose insensée aux yeux du monde. Dans son acte elle a mis les deux éléments principaux de la doctrine de Jésus : rendre tout ce que l’on possède, et plaindre et aimer son prochain. Dans un seul acte, elle a remis et eu pitié. Elle a brisé le vase contenant l’huile, elle a perdu tout ce qu’elle possédait ; elle a versé l’huile sur la tête de Jésus parce qu’elle ressentait pour lui de la pitié. Quel sera le résultat de cet acte ? C’est Judas qui y songe et qui le sait. Il dit que cette huile est répandue en vain. Mais voilà que nous, à qui est annoncé le vrai bien, grâce à l’acte stupide de cette femme, nous comprenons le sens de l’Évangile. Il est facile de condamner non seulement cet acte, mais n’importe quel acte d’amour et de commisération. On peut toujours faire quelque chose d’utile ; mais chaque acte d’amour et de commisération provoque, non en Judas, mais dans le fils de Dieu, le désir de l’imiter, de faire la même chose ou davantage. Ce n’est qu’en Judas que cet acte provoque un raisonnement sur l’utilité.

L’évangéliste Jean a expliqué la signification du raisonnement de Judas : « Il le dit, non qu’il se souciât des malheureux, mais parce qu’il était larron et portait avec lui le tronc des pauvres. »

On ne comprend pas qu’après des paroles si simples, si claires, si justes, des institutions de bienfaisance puissent exister dans la société chrétienne. Ces institutions sont basées tout simplement sur le raisonnement de Judas et contredisent absolument les paroles du Christ : « Des mendiants vous en avez toujours près de vous. » Et les explications de Jean le Théologien tendent à établir l’importance des hommes qui introduisent de pareilles institutions, alors qu’ils le font non par souci des malheureux, mais parce qu’ils portent la cassette et sont des voleurs. Par malheur les larrons (même au sens propre du mot) se trouvent trop souvent (et toujours au sens figuré), et leurs soucis ne sont point pour les malheureux, mais pour les avantages du monde et de la gloire, qui les font raisonner comme Judas et agir comme lui.


Ἐδίδασκε γὰρ τοὺς μαθητὰς αὐτοῦ, καὶ ἔλεγεν αὐτοῖς, ὅτι ὁ υἱὸς τοῦ ἀνθρώπου παραδίδοται εἰς χεῖρας ἀνθρώπων, καὶ ἀποκτενοῦσιν αὐτόν, καὶ ἀποκτανθεὶς, τῇ τρίτῃ ἡμέρᾳ, ἀναστήσεται.

Οἱ δὲ ἠγνόουν τὸ ῥῆμα, καὶ ἐφοβοῦντο αὐτὸν ἐπερωτῆσαι.


Marc, ix, 31. Cependant il instruisait ses disciples et il leur disait : Le fils de l’homme va être livré entre les mains des hommes, et ils le feront mourir ; mais après avoir été mis à mort il ressuscitera le troisième jour. Et il enseignait ses disciples et il leur disait que le Fils de l’homme serait donné au pouvoir des hommes et qu’on le ferait mourir, mais, que mort, il ressusciterait le troisième jour.
32. Mais ils ne comprenaient point ce discours, et ils craignaient de l’interroger. Ils ne comprenaient point ce discours et craignaient de l’interroger.

Remarques.

Jésus dit à ses disciples et au peuple que pour suivre sa doctrine, bien qu’elle soit l’annonciation du vrai bien qui donne la vie à tous les hommes, il faut être prêt aux souffrances de cette terre, et que les anciens, les prêtres et les savants n’accepteront point la doctrine du Fils de l’homme, la rejetteront, et que le fils de l’homme, c’est-à-dire celui qui a en lui la conscience de Dieu, aura beaucoup à souffrir et endurera maintes persécutions. Les paroles : le fils de l’homme ressuscitera le troisième jour ou bien signifient que malgré toutes les persécutions le fils de l’homme ne peut être anéanti et bientôt ressuscitera de nouveau, ou bien elles n’ont pas de sens.

La première interprétation doit être juste parce que, aussitôt après cela, Jésus dit que prochainement, si prochainement que ceux qui sont ici ne seront pas encore morts, la doctrine du fils de l’homme gagnera déjà tous les hommes et ne sera plus persécutée, mais triomphante.

Mais comment souffrir ? Pourquoi les hommes qui professent la doctrine de l’amour doivent-ils souffrir ? Ne peut-on ne pas souffrir, éviter ce qui force à souffrir ? Ne peut-on pas cacher ce qui révolte et met en colère les hommes ? demande Simon Pierre. Et Jésus-Christ lui répond : Ne dis pas cela ; c’est tentation. Tu penses aux choses humaines et non aux choses divines. Pour Dieu il n’y a pas de souffrances ; il n’y a pas de tourments. Celui qui veut me suivre, qui a compris ma doctrine, doit renoncer à cette vie terrestre ; il ne doit avoir ni honte ni crainte d’exposer devant les hommes toute la vérité.

Marc, ix, 31. Cependant il instruisait ses disciples et il leur disait : Le Fils de l’homme, la conscience de Dieu, est livré entre les mains des hommes. Les hommes l’ont meurtri et le meurtriront davantage, mais il se reconstituera.

Πωλήσατε τὰ ὑπάρχοντα ὑμῶν, καὶ δότε ἐλεημοσύνην. Ποιήσατε ἑαυτοῖς βαλάντια μὴ παλαιούμενα, θησαυρὸν ἀνέκλειπτον ἐν τοῖς οὐρανοῖς, ὅπου κλέπτης οὐκ ἐγγίζει, οὐδὲ σὴς διαφθείρει·

Ὅταν ποιῇς ἄριστον ἢ δεῖπνον, μὴ φώνει τοὺς φίλους σου, μηδὲ τοὺς ἀδελφούς σου, μηδὲ τοὺς συγγενεῖς σου, μηδὲ γείτονας πλουσίους· μήποτε καὶ αὐτοί σε ἀντικαλέσωσι, καὶ γένηταί σοι ἀνταπόδομα.

Ἀλλ’ ὅταν ποιῇς δοχὴν, κάλει πτωχούς, ἀναπήρους, χωλούς, τυφλούς.

Καὶ μακάριος ἔσῃ· ὅτι οὐκ ἔχουσιν ἀνταποδοῦναί σοι· ἀνταποδοθήσεται γάρ σοι ἐν τῇ ἀναστάσει τῶν δικαίων.


Luc, xii, 33. Vendez ce que vous avez et le donnez en aumônes ; faites-vous des bourses qui ne s’usent point, un trésor dans les cieux, qui ne manque jamais, d’où les voleurs n’approchent point, et où la teigne ne gâte rien. Vendez ce que vous possédez et le distribuez en aumônes. Procurez-vous une bourse qui ne s’use point, un trésor inépuisable chez Dieu, où les voleurs ne peuvent approcher, ni la teigne s’installer.
Luc, xiv, 12. Il disait aussi à celui qui l’avait invité : Quand tu fais un dîner ou un souper n’invite pas tes amis, ni tes frères, ni tes parents, ni tes voisins qui sont riches, de peur qu’ils ne t’invitent à leur tour, et qu’on ne te rende la pareille. Et si tu veux régaler d’un dîner ou d’un souper n’invite point tes amis, tes frères, tes parents ou tes riches voisins, afin qu’ils ne t’invitent à leur tour et ne te paient de la même façon.
13. Mais quand tu feras un festin, convie les pauvres, les impotents, les boiteux et les aveugles. Mais quand tu fais un festin, invite les mendiants, les estropiés, les boiteux et les aveugles.
14. Et tu seras heureux de ce qu’ils ne peuvent pas te le rendre ; car tu en recevras la récompense à la résurrection des justes. Et tu seras heureux parce que ceux-ci n’ont point de quoi te le rendre ; mais il te sera rendu à la résurrection des justes.


L’ACCOMPLISSEMENT DE LA VOLONTÉ DE DIEU

La vie consiste à accomplir la volonté de Dieu.

Pour accomplir la volonté de Dieu, il faut donner la vie de la chair en pâture à la vie de l’esprit. Celui qui accomplit la volonté de Dieu donne la vie de la chair pour la vie de l’esprit. L’accomplissement de la volonté de Dieu n’est possible que pour donner la vie de la chair en pâture à la vie de l’esprit. En cela consiste l’accomplissement du culte de Dieu qu’a donné Jésus. C’est en cela, précisément, que le nouveau culte de Dieu remplace l’ancien. C’est en cela que consiste la différence : la loi est donnée par Moïse, le culte par l’acte est donné par Jésus-Christ. C’est en cela que consiste le culte de Dieu en esprit et par les actes.

Jésus a dit : Le royaume de Dieu appartient aux mendiants, aux chemineaux, et non pas aux riches et aux puissants, parce que la volonté de Dieu consiste à accomplir la loi. La loi est contenue dans ces cinq commandements : ne pas se mettre en colère ; ne pas commettre l’adultère ; ne pas jurer ; ne pas juger ; ne pas faire la guerre. Celui qui accomplira cette loi ne sera ni riche ni fort, il ne possédera rien, il sera celui que les hommes appellent mendiant, chemineau. Celui-ci donnera sa vie charnelle et sera dans le pouvoir de Dieu. Être dans le royaume de Dieu et remplir la loi de Dieu, cela ne se peut que par les actes, en donnant la vie de la chair pour la vie de l’esprit. C’est en cela que consiste la particularité de la doctrine de Jésus, et la révélation de l’entendement.


Τί δὲ ὑμῖν δοϰεῖ ; ἄνθρωπος τις εἶχε τέϰνα δύο, ϰαὶ προσελθών τῷ πρώτῳ, εἶπε· τέϰνον, ὓπαγε, σήμερον ἐργάζου ἐν τῷ ἀμπελῶνι μου.

Ὁ δὲ ἀποϰριθείς εἴπεν· οὐ θέλω. ὕστερου δὲ μεταμεληθείς, ἀπῆλθε.

Καὶ προσελθών τῷ δευτέρῳ, εἶπεν ὡσαύτως· Ὁ δὲ ἀποϰριθείς εἶπεν· ἐγώ ϰύριε· ϰαὶ οὐϰ ἀπῆλθε.

Τίς ἐϰ τῶν δύο ἐποίησε τὸ θέλῃμα τοῦ πατρός ; Λέγουσιν αὐτῷ· πρῶτος.


Matthieu, xxi, 28. Mais que vous semble-t-il de ceci ? Un homme avait deux fils, et s’adressant au premier il lui dit : Mon fils, va, et travaille aujourd’hui dans ma vigne. Que vous semble-t-il de ceci : Un homme avait deux fils, et s’adressant au premier, il lui dit : Va, et travaille aujourd’hui dans le jardin.
29. Mais il répondit : Je n’y veux point aller ; cependant, s’étant repenti ensuite, il y alla. Celui-ci répondit : Je n’y veux point aller ; mais ensuite, ayant réfléchi, il y alla.
30. Puis il vint à l’autre, et lui dit la même chose. Celui-ci répondit : J’y vais, seigneur, mais il n’y alla pas. Et le père s’adressant au second dit la même chose. Celui-ci répondit : J’obéis mon père, mais il n’y alla pas.
31. Lequel des deux fit la volonté de son père ? Ils lui dirent : C’est le premier. Lequel des deux fit la volonté du père ? On lui répondit : C’est le premier 1).

Remarques.

1) Cette parabole ne se trouve que chez Matthieu, et elle est introduite dans le raisonnement sur l’importance de Jean. Son sens ici est très peu clair et n’ajoute rien au reste. Cependant le sens de cette parabole se rapporte directement au verset 21 du chapitre viii et suivants, et explique la pensée exprimée dans ces versets : « Tous ceux qui me disent : Seigneur, Seigneur, n’entreront pas tous au royaume des cieux ; mais celui-là seulement qui fait la volonté de mon Père qui est dans les cieux. » (Matth., vii, 21.)


POUR RECEVOIR LA VRAIE VIE, ON DOIT RENONCER À LA FAUSSE VIE DE LA CHAIR

Pour la vie de l’esprit il n’est pas de différence entre les siens et les étrangers. Jésus dit que sa mère et ses frères, comme tels, ne sont rien pour lui ; à lui sont proches ceux qui remplissent la volonté de leur Père commun.

La béatitude de la vie de l’homme dépend non de ses rapports de famille, mais de la vie de l’esprit. Jésus dit que ce sont ceux qui suivent l’entendement du Père qui sont heureux. Pour l’homme qui vit de l’esprit, il n’y a pas de domicile. Les bêtes ont des demeures, mais l’homme vit de l’esprit, et c’est pourquoi ne peut avoir de demeure. Jésus dit qu’il n’y a pas de place définie pour lui. Pour accomplir la volonté du Père, il ne faut point de place définie ; cela est possible partout et toujours. La mort charnelle ne peut point être terrible pour l’homme qui s’est donné à la volonté du Père, parce que la vie de l’esprit ne dépend pas de la mort de la chair. Jésus dit que celui qui croit en la vie de l’esprit ne peut avoir peur de rien. Aucun souci ne peut empêcher l’homme de vivre de l’esprit.

Aux paroles de l’homme : qu’il remplira la doctrine de Jésus après, mais qu’auparavant il lui faut ensevelir son père, Jésus répond : Seuls les morts doivent se soucier des morts, les vivants ne vivent qu’en accomplissant la volonté du Père. Les soucis des affaires de famille et domestiques ne peuvent empêcher la vie de l’esprit. Celui qui se soucie de ce qu’il résultera pour la vie de la chair de l’accomplissement de la volonté du Père, celui-là est semblable au cultivateur qui laboure en regardant non devant lui mais derrière lui. Les soucis concernant les joies de la chair, qui semblent aux hommes si importants, sont un rêve. L’œuvre vraie, unique, de la vie c’est l’annonciation de la volonté du Père, le respect et l’accomplissement de cette volonté.

Aux reproches de Marthe qu’elle seule prend soin du souper, tandis que Marie, au lieu de l’aider, écoute le maître, Jésus répond : Tu lui fais en vain des reproches ; occupe-toi, si tu le juges nécessaire, de ce qui réclame tes soins, mais laisse en paix ceux qui n’ont pas besoin des plaisirs de la chair, laisse-les faire cette chose qui seule est nécessaire dans la vie. Jésus dit : Celui qui désire recevoir la vraie vie, qui consiste à accomplir la volonté du Père, celui-ci doit, avant tout, renoncer à ses désirs personnels ; il ne doit pas organiser sa vie comme il le désire, mais il doit être prêt aux privations et aux souffrances de toutes sortes. Celui qui veut arranger sa vie charnelle selon son désir, fera périr la vraie vie de l’accomplissement de la volonté du Père.

Et il n’y a point avantage à acquérir pour la vie de la chair, si cette acquisition fait périr la vie de l’esprit. Ce qui fait surtout périr la vie de l’esprit, c’est le lucre, l’acquisition des richesses. Les hommes oublient qu’ils auront beau acquérir des richesses, à tout moment ils peuvent mourir, et la fortune n’est pas nécessaire pour leur vie. La mort est suspendue sur chacun de nous : la maladie, le meurtre, les accidents, à toute seconde peuvent faire cesser la vie. La mort charnelle est une condition inévitable de chaque seconde de la vie. L’homme vivant doit envisager chaque heure de sa vie comme un ajournement qui lui est accordé par une sorte de faveur. Il faut se bien rappeler cela, et ne pas dire que nous l’ignorons. Nous connaissons et prévoyons tout ce qui arrive sur la terre et sous le ciel, mais nous oublions que cette mort, que nous connaissons, nous guette à chaque seconde.

Mais si nous ne l’oublions pas nous ne pouvons pas nous adonner à la vie de la chair, nous ne pouvons pas compter sur elle.

Pour suivre ma doctrine il suffit de calculer les avantages qu’il y a à servir la vie charnelle (notre volonté), et ceux qu’il y a à accomplir la volonté du Père. Celui qui a fait exactement ce calcul, celui-là seul peut être mon disciple, et celui qui fera ce calcul ne regrettera pas le bonheur imaginaire et la vie imaginaire en échange du vrai bien et de la vraie vie.

La vraie vie est donnée aux hommes, et les hommes connaissent et entendent son appel, mais, toujours entraînés par les soucis du moment, ils s’en privent. La vraie vie est semblable au festin qu’a fait préparer un homme riche et auquel il a convié des hôtes. Il appelle les hôtes, comme la voix de l’esprit-père appelle à lui tous les hommes. Mais certains des invités font du commerce, les autres s’occupent de leurs biens, d’autres de leurs affaires de famille, et ils ne se rendent pas au festin. Seuls les mendiants, qui n’ont point les soucis de ce monde, sont venus au festin et ont reçu le bonheur.

Ainsi les hommes, distraits par les soucis de la vie de la chair, se privent de la vraie vie. Celui qui ne renonce pas entièrement aux soucis et aux craintes de la vie de la chair ne peut accomplir la volonté du Père, parce qu’on ne peut servir en partie soi-même, en partie le Père. Il faut calculer s’il est avantageux de servir la chair. Peut-on arranger sa vie comme on le désire ? Il faut faire ce que fait l’homme qui bâtit une maison ou se prépare à guerroyer : il calcule s’il peut terminer, s’il peut vaincre. S’il voit qu’il ne le peut pas, il ne dépense pas inutilement ni le travail, ni l’armée, sans quoi il serait la risée des hommes. Si l’on pouvait arranger la vie de la chair comme on le désire, alors il faudrait servir la chair ; mais, puisque c’est impossible, mieux vaut abandonner tout ce qui concerne la chair et servir l’esprit. Mais on ne peut servir l’un et l’autre, sans quoi on perdra les deux. C’est pourquoi, pour accomplir la volonté du Père, il faut renoncer complètement à la vie de la chair.

La vie de la chair c’est cette richesse illusoire, étrangère, confiée à nous, que nous devons employer de manière à recevoir la vraie richesse. Si un homme employé au service d’un maître riche, sait que celui-ci, si bien qu’il le serve, le congédiera et ne lui laissera rien, cet employé agira sagement en faisant du bien à d’autres gens, pendant qu’il est encore au service de son maître. En effet, quand on le congédiera, ceux à qui il aura fait du bien le recevront et le nourriront. Les hommes doivent faire la même chose avec leur vie terrestre. La vie de ce monde c’est cette fortune d’un autre que chacun gère provisoirement. Ceux qui emploieront bien cette richesse d’un autre, recevront la leur, la vraie. S’ils ne rendent pas la fausse richesse, la leur, ils n’auront pas la vraie. On ne peut servir la vie fausse de la chair et celle de l’esprit ; il faut servir l’une ou l’autre. On ne peut servir la richesse et Dieu. Ce qui est grand devant les hommes est une vilenie devant Dieu. Devant Dieu la richesse est un mal. Le riche est coupable du fait même qu’il mange beaucoup et des mets raffinés tandis que des mendiants affamés se tiennent à sa porte. En outre tous savent que de retenir la fortune sans la distribuer à autrui c’est déjà enfreindre la volonté du Père.

Une fois, un riche chef s’approcha de Jésus et se vanta de remplir tous les commandements de la loi. Jésus lui rappela qu’il y a le commandement d’aimer tous les hommes comme soi-même et que c’est en cela que consiste la volonté du Père. Le chef se flatta de l’avoir exécuté. Jésus lui répondit : Cela n’est pas vrai. Si tu voulais exécuter la volonté du Père, tu ne posséderais pas. Tu ne peux remplir la volonté du Père et posséder une propriété que tu ne donnes pas aux autres.

Et Jésus dit à ses disciples : les hommes déclarent qu’on ne peut pas vivre sans propriété et moi je vous dis que la vraie vie consiste à donner aux autres ce que l’on possède.

Un homme, nommé Zachée, ayant ouï la doctrine de Jésus, crut en lui ; et il invita Jésus dans sa maison. Là il lui dit : Je donne la moitié de ma fortune aux malheureux, et je récompenserai au quadruple celui à qui j’aurai fait tort durant ma vie. Et Jésus dit : Voilà un homme qui accomplit la volonté du Père, car il n’est pas de situation dans laquelle la volonté du Père soit exécutée, mais toute notre vie est son accomplissement, et cet homme l’a compris.

La volonté du Père, dans la vie, est que les hommes retournent à cette volonté.

Le bien ne se peut mesurer. On ne peut pas dire qu’on en a fait plus ou moins. La veuve qui donne son dernier sou donne plus que le riche qui apporte des milliers. De même on ne peut mesurer le bien par l’utile et l’inutile. L’exemple de la manière de faire le bien nous est donné par cette femme qui eut pitié de Jésus, et, follement, répandit sur lui une huile valant trois cents roubles. Judas trouve qu’elle a fait une sottise, qu’avec cet argent on aurait pu nourrir plusieurs personnes. Mais Judas est un voleur. Il a menti. En parlant de l’utilité terrestre, il ne pensait pas aux mendiants. Ce n’est ni l’utilité, ni la quantité qui sont importantes ; c’est la volonté du Père : Aimer, et vivre pour les autres.


Une fois, la mère et les frères de Jésus vinrent pour le voir, mais ils ne purent arriver jusqu’à lui, tant il y avait de gens qui l’entouraient. Un homme les ayant vus s’approcha de Jésus et lui dit : Les tiens, ta mère et tes frères sont là-bas ; ils veulent te voir. « Ma mère et mes frères, répondit Jésus, sont ceux qui ont compris la volonté du Père et l’accomplissent. »

Un homme dit à Jésus : Je te suivrai n’importe où. À cela Jésus lui répondit : Il n’y a pas d’endroits où me suivre, je n’ai ni maison ni abri. Seules les bêtes ont des tanières et des trous. L’homme est esprit ; il est partout chez lui s’il vit par l’esprit.

Une fois il arriva à Jésus de naviguer dans une barque avec ses disciples ; il voulait traverser de l’autre côté. Mais au milieu du lac une tempête s’éleva, et la barque faillit chavirer. Jésus était couché à la proue et dormait. Ses disciples l’éveillèrent et lui dirent : Maître, t’est-il donc égal que nous tous périssions ! Quand la tempête se fut calmée, il leur dit : Pourquoi êtes-vous si craintifs ? N’avez-vous point la foi en la vie de l’esprit ?

Jésus dit à un homme : Suis-moi. Cet homme objecta : Mon vieux père est mort, laisse-moi d’abord l’ensevelir, ensuite je te suivrai. Jésus lui dit : Que les morts ensevelissent leurs morts, et toi, si tu veux être vivant, remplis la volonté du Père et annonce-la.

Un autre homme dit à Jésus : Je désire être ton disciple ; j’exécuterai la volonté du Père comme tu l’ordonnes, mais permets-moi auparavant de mettre en ordre ma maison. Jésus lui dit : Si un laboureur regarde derrière lui, il ne peut labourer. Il faut oublier tout, sauf le sillon que l’on trace ; alors on peut labourer. Si tu t’inquiètes de ce qu’il te faut pour la vie de ce monde, tu n’as pas compris la vraie vie et tu n’en peux vivre.

Ensuite il arriva que Jésus s’en vint avec ses disciples dans un bourg ; et une femme, nommée Marthe, l’invita chez elle. Marthe avait une sœur, Marie. Celle-ci, s’étant assise aux pieds du Christ, écoutait sa doctrine. Marthe travaillait à la préparation du repas. Elle s’approcha de Jésus et lui dit : Cela ne te fait-il rien que ma sœur me laisse servir seule ; dis-lui de m’aider.

En réponse, Jésus lui dit : Marthe, Marthe, tu te mets en peine de bien des choses, mais une seule chose est nécessaire ; et Marie a choisi cette seule chose qui est nécessaire et personne ne peut la lui ôter. Pour la vie seule la nourriture spirituelle est nécessaire.

Et Jésus dit à tous : Que celui qui veut me suivre renonce à sa volonté et soit prêt à toutes les privations et souffrances de la chair. Alors seulement, il peut me suivre. Car celui qui veut se soucier de la vie charnelle fera périr la vraie vie ; et celui qui, en remplissant la volonté du Père, fera périr la vie de la chair, celui-là sauvera la vraie vie. Et quel avantage y a-t-il pour l’homme d’accaparer tout le monde, s’il perd sa vie ou lui nuit ?

Un homme ayant entendu cela dit : s’il y a la vie de l’esprit, c’est bien ; mais si nous donnons tout et que cette vie n’existe pas ?

À cela Jésus dit : Vous savez que l’accomplissement de la volonté du Père donne la vie à tous ; mais vous vous écartez de cette vie par des soins faux et renoncez à elle. Ce que vous faites est semblable à ceci : Un maître ayant fait préparer un dîner fit chercher les invités. L’un dit : J’ai acheté des terres, je les dois aller voir ; un autre dit : J’ai acheté des bœufs, il me faut les soigner ; un autre dit : Je viens de me marier, il faut faire les noces. Les serviteurs revinrent dire au maître qu’aucun des invités ne venait. Alors le maître envoya ses serviteurs quérir les mendiants. Ceux-ci acceptèrent, mais quand tous furent là, il restait encore de la place. Le maître en envoya chercher d’autres encore. Il dit : Va, prie-les tous de venir à mon repas, afin que j’aie beaucoup de convives et que ceux qui ont refusé par manque de temps, n’y trouvent plus de place.

Tous savent que l’accomplissement de la volonté de Dieu donne la vie, mais ils ne la font pas, distraits qu’ils sont par la tromperie de la richesse. Et Jésus dit ; Prenez garde à la richesse, car ce n’est pas de ce que tu possèdes de plus que les autres que vient ta vie.

Il y avait un homme riche qui gardait chez lui beaucoup de blé. Il se dit ; Si je construisais de vastes hangars et amassais là mes richesses ? Et je dirais à mon âme : Voilà mon âme, tout à ta guise, repose-toi, mange et vis en joie.

Et Dieu lui dit : Imbécile ! Cette nuit on prendra ton âme, et tout ce que tu as amassé pour les autres restera. C’est ce qui arrive à chacun qui amasse pour la vie de la chair et qui ne vit pas en Dieu.

Jésus leur dit encore : Vous racontez que Pilate a tué des Galiléens ; ces Galiléens étaient-ils en quelque manière pires que les autres pour que cela leur soit arrivé ? Nullement. Nous sommes tous pareils et nous périrons aussi si nous ne trouvons pas le salut de la mort. Et ces dix-huit personnes que la tour a écrasées en tombant, étaient-elles pires que tous les autres habitants de Jérusalem ? Nullement. Si nous ne nous sauvons pas de la mort, aujourd’hui ou demain nous périrons aussi.

Si nous n’avons pas encore subi le sort de ceux-ci, voici comment nous devons penser : Un pommier poussait dans le jardin d’un propriétaire. Le propriétaire vient dans son jardin, regarde le pommier et voit qu’il n’a pas de fruits. Il dit au jardinier : Voilà trois ans que je viens ici, et ce pommier est toujours stérile, il faut le couper, car il prend de la place tout à fait inutilement ! Le jardinier dit : Maître, attendons encore : je déchausserai l’arbre, mettrai du fumier autour et l’été prochain, nous verrons, peut-être donnera-t-il des fruits. S’il n’en donne pas, alors nous le couperons.

Nous sommes ainsi tant que nous vivons de la chair et n’apportons pas le fruit de la vie ; nous sommes le pommier stérile. C’est par une faveur quelconque qu’on nous a laissés encore un été ; mais si nous ne portons pas de fruits, nous périrons comme celui qui a construit le hangar, comme les Galiléens, comme les dix-huit personnes écrasées par la tour, comme tous ceux qui ne donnent pas de fruits et périssent pour toujours.

Pour comprendre cela, il ne faut aucune sagesse particulière ; chacun le voit de lui-même. Nous pouvons deviner et raisonner d’avance non seulement en ce qui concerne nos affaires de famille, mais les phénomènes de la nature. Si le vent souffle de l’ouest, nous disons qu’il pleuvra, et cela arrive ainsi ; quand le vent vient du midi, nous disons que nous aurons le beau temps, et il en est ainsi. Nous pouvons donc prévoir le temps et nous ne pouvons pas savoir d’avance que nous tous mourrons et périrons et que le seul salut pour nous c’est la vie de l’esprit, l’accomplissement de sa volonté.

Jésus était suivi d’une multitude de peuple. Une fois il leur dit à tous : Celui qui veut être mon disciple doit ne compter pour rien son père, sa mère, sa femme, ses enfants, ses frères, ses soeurs, et toute sa fortune, et à chaque instant, il doit être prêt à tout. Celui seul qui fait ce que je fais suit ma doctrine, et c’est lui qui sera sauvé de la mort.

Car chacun, avant d’entreprendre quelque chose, calcule si cela lui est avantageux, sinon il y renonce.

Celui qui veut bâtir une maison, d’abord s’assoira et caculera combien il lui faudra d’argent et s’il en aura assez pour la terminer, afin de n’être pas obligé d’arrêter la construction, et ainsi se faire moquer de soi. De même celui qui veut vivre de la vie de la chair doit avant tout calculer s’il peut mener jusqu’au bout ce de quoi il est occupé.

De même un roi qui veut faire la guerre, réfléchit d’abord s’il peut, avec 10.000 soldats, marcher contre 20.000 ; s’il voit qu’il ne le peut pas, il envoie des ambassadeurs pour faire la paix.

Ainsi, que chaque homme avant de s’adonner à la vie de la chair réfléchisse : peut-il guerroyer contre la mort ou est-elle plus forte que lui ? Et alors ne vaut-il pas mieux faire la paix ?

Chacun de vous doit donc, d’abord, bien examiner ce qu’il considère comme son bien : la famille, l’argent, la propriété ; puis ayant calculé cela, quelle utilité il en retirera. Il comprendra sans peine qu’il n’y en a aucune, et c’est alors qu’il pourra devenir mon disciple.

Celui qui donnera la richesse fausse, temporaire, pour la vie vraie, selon la volonté du Père, celui-là agira comme l’employé intelligent.

Un homme était employé chez un maître très riche. Cet employé s’aperçut qu’il était menacé d’être chassé par le maître et de rester sans pain ni asile.

Alors il pensa : Voici ce que je ferai : je distribuerai en cachette, aux paysans, une partie des biens du maître, je leur diminuerai leurs dettes, et alors, si le maître me chasse, les paysans, se souvenant de mes bienfaits, ne m’abandonneront pas. Ainsi fit l’employé. Il appela les paysans, les débiteurs du maître, et leur fit de nouveaux reçus. À celui qui devait cent, il marque cinquante ou soixante ; à d’autres, vingt, etc.

Le maître ayant appris cela se dit : Il a agi fort intelligemment, autrement, il aurait été obligé de mendier. Pour moi c’est un préjudice, mais selon ses calculs, il a été habile. Car dans la vie ordinaire nous tous comprenons quel est le calcul juste ; mais dans la vie de l’esprit nous ne voulons pas le comprendre.

C’est ainsi qu’il nous faut agir avec la richesse injuste, la donner afin de recevoir la vie de l’esprit ; et si nous lésinons, pour la vie de l’esprit sur des choses mesquines comme les richesses, nous ne l’aurons pas. On ne peut servir deux maîtres à la fois : Dieu et la richesse ; la volonté du père, et la nôtre. Il faut choisir.

Les orthodoxes entendent cela ; mais comme ils aiment la richesse, ils se moquent de Jésus.

Jésus leur dit : Vous vous croyez respectables parce que les hommes vous respectent à cause de votre richesse. Non, Dieu ne regarde pas l’extérieur, il regarde le cœur. Ce qui est grand devant les hommes est méprisable devant Dieu. Maintenant c’est le royaume de la terre et sont grands ceux qui y entrent ; mais dans le royaume du ciel, ce ne sont point les riches qui y entrent, ce sont ceux qui n’ont rien. Et cela est ainsi toujours, selon votre loi, selon Moïse, et selon les prophètes.

Écoutez ce que, selon vous, sont les riches et les mendiants.

Il y avait un homme riche, il se paraît de beaux habits, ne faisait rien et s’amusait chaque jour. Et il y avait un mendiant, le lépreux Lazare.

Lazare venait dans la cour du riche, pensant : peut-être me laissera-t-on les miettes du riche. Mais même les rogatons n’arrivaient pas à Lazare : les chiens du riche mangeaient tout et même léchaient les plaies de Lazare.

Tous deux moururent, Lazare et le riche. Et voilà que, de l’enfer, le riche aperçut dans le lointain Abraham et, assis à ses côtés, Lazare le lépreux. Et le riche dit : Abraham, mon père, près de toi est assis Lazare le lépreux ; toi je n’ose pas te déranger, mais envoie-moi Lazare afin qu’il trempe son doigt dans l’eau et m’en rafraîchisse les lèvres, car je brûle dans le feu.

Abraham lui dit : Pourquoi t’enverrais-je Lazare ? Dans l’autre monde tu avais tout ce que tu désirais, Lazare n’a eu que du malheur, maintenant il doit se réjouir. Et si même je voulais le faire je ne le pourrais pas, car entre vous et nous il y a un immense abîme : nous sommes les vivants, vous êtes les morts.

Alors le riche dit : Eh bien, Abraham, mon père, au moins envoie Lazare le lépreux dans ma maison. J’ai cinq frères, j’ai pitié d’eux, qu’il leur raconte tout et leur montre combien la richesse est nuisible, afin qu’ils ne tombent pas dans les tourments où je suis.

Et Abraham dit : Ils savent que la richesse est nuisible, Moïse et tous les prophètes l’ont dit. Le riche reprit : Ce serait tout de même mieux si un des morts ressuscitait et allait près d’eux ; ils réfléchiraient davantage.

Abraham répondit : S’ils n’ont pas écouté Moïse et les prophètes, ils n’écouteront pas les morts, alors même qu’ils ressusciteraient. Tous savent qu’il faut partager avec son frère et faire le bien aux hommes. Toute la loi de Moïse et tous les prophètes ne disent que cela. Vous le savez mais ne voulez pas le faire parce que vous aimez la richesse.

Un grand personnage s’approchant de Jésus lui dit : Toi, bon maître, dis-moi ce que je dois faire pour recevoir la vie éternelle ?

Jésus dit : Pourquoi m’appelles-tu bon ? Seul le Père est bon, et si tu désires avoir la vie exécute ses commandements.

Le grand personnage dit : Il y a beaucoup de commandements, lesquels faut-il exécuter ? Jésus répondit : Tu ne tueras point ; tu ne commettras pas l’adultère ; tu ne déroberas point ; tu ne mentiras pas, et encore : Respecte ton Père, exécute sa volonté, et aime ton prochain comme toi-même.

Le grand personnage dit : Tous ces commandements je les exécute depuis mon enfance, mais je te demande ce qu’il faut encore faire de plus, selon ta doctrine ?

Jésus le regarda, examinant ses riches vêtements ; puis il sourit et dit : Il y a une petite chose que tu as omise : tu n’as pas exécuté ce que tu dis. Si tu veux remplir tous les commandements et, principalement, celui d’aimer le prochain comme toi-même, vends tout de suite tout ce que tu possèdes, et le donne aux mendiants, alors tu exécuteras la volonté du Père. Le chef, entendant cela, fronça les sourcils et s’éloigna, car il lui était dur d’abandonner ce qu’il possédait.

Et Jésus dit à ses disciples : Vous voyez qu’on ne peut, à la fois, être riche et exécuter la volonté du Père. Les disciples s’étant effrayés de ces paroles, Jésus les répéta et dit : Oui, mes enfants, celui qui possède ne peut pas suivre la volonté du Père ; un chameau passera plutôt par le trou d’une aiguille qu’un riche n’accomplira la volonté du Père.

Encore plus effrayés les disciples dirent : Mais après cela, on ne peut pas protéger sa vie. Jésus dit : Il semble à l’homme qu’on ne puisse protéger sa vie sans la propriété, mais Dieu, sans propriété, protège la vie de l’homme.

Une fois, Jésus traversa Jéricho. Le chef de cette ville était un riche adjudicataire, nommé Zachée. Ce Zachée avait entendu parler de la doctrine de Jésus et croyait en lui. Apprenant que Jésus était à Jéricho, il voulut le voir. Mais une telle multitude entourait Jésus, qu’il ne put se frayer un chemin jusqu’à lui, d’autant plus que Zachée était de très petite taille.

Alors il courut en avant et grimpa sur un arbre pour voir Jésus quand il passerait là.

En effet, en passant devant l’arbre, Jésus l’aperçut, et, ayant appris qu’il croyait en sa doctrine, il lui dit : Descends et va dans ta demeure ; j’irai chez toi. Zachée descendit de l’arbre, courut chez lui, fit des préparatifs pour recevoir Jésus, et l’accueillit avec joie.

Le peuple se mit à clabauder au sujet de Jésus : Voilà, il est allé dans la maison de l’adjudicataire, chez un voleur.

Pendant ce temps Zachée disait à Jésus : Maître, voici ce que je ferai : Je donnerai aux mendiants la moitié de mes biens, et, du reste, je rembourserai au quadruple tous ceux que j’ai lésés.

Et Jésus lui dit : Tu t’es sauvé ; tu étais mort et tu es devenu vivant ; tu te perdais et tu t’es retrouvé parce que tu as fait comme Abraham, au moment où il voulait immoler son fils, tu as montré ta foi. Car toute la vie de l’homme consiste à chercher et à trouver dans son âme ce qui fait périr.

On ne peut pas mesurer le sacrifice à sa grandeur.

Il arriva qu’une fois, Jésus et ses disciples s’assirent à côté du tronc. Des gens venaient mettre dans le tronc de l’argent pour Dieu. Les riches s’approchaient du tronc et y mettaient beaucoup ; vint à son tour une femme veuve ; elle mit dans le tronc deux petites pièces.

Jésus la désignant à ses disciples, dit : Vous voyez, cette pauvre veuve qui a mis deux petites pièces, elle a donné plus que tous les autres, car les autres ont mis ce dont ils n’avaient pas besoin pour la vie, tandis que cette femme a donné tout ce qu’elle avait : elle a donné toute sa vie.

Il arriva à Jésus de se trouver dans la maison de Simon le lépreux, et une femme entra dans la maison. Cette femme tenait un vase plein d’une huile très chère.

Jésus dit à ses disciples que sa mort était proche. Ayant entendu cela la femme eut pitié de Jésus ; elle voulut lui montrer son amour et, pour cela, répandre de l’huile sur sa tête. Oubliant la valeur de l’huile, elle brisa le vase et répandit toute l’huile sur la tête et sur les pieds de Jésus.

Les disciples se mirent à blâmer entre eux l’acte de cette femme. Judas, celui qui plus tard a trahi Jésus, dit : Que d’argent est ainsi perdu inutilement ! On aurait pu vendre cette huile trois cents roubles et faire le bonheur de combien de mendiants. Et les disciples adressèrent des reproches à la femme qui devint confuse, ne sachant si elle avait agi bien ou mal.

Alors Jésus leur dit : Vous avez tort de mortifier cette femme, elle a fait une bonne action ; et c’est en vain que vous rappelez les mendiants ; si vous voulez faire du bien aux pauvres, faites-le, il en existe toujours. Pourquoi donc en parler ? Si vous avez pitié des pauvres, allez, plaignez-les, secourez-les, mais cette femme a eu pitié de moi, et a fait le vrai bien ; car elle a donné tout ce qu’elle possédait. Qui de vous peut savoir ce qui est nécessaire et ce qui ne l’est pas. Pourquoi savez-vous qu’il ne faut pas répandre d’huile sur moi ? Elle a versé l’huile sur moi, au moins pour préparer mon corps pour la sépulture, et c’est pourquoi c’était nécessaire. Elle a rempli véritablement la volonté du Père ; elle n’a plus pensé à elle mais a eu pitié d’un autre ; elle a oublié les calculs de ce monde et a donné tout ce qu’elle possédait,

Et Jésus dit : Ma doctrine consiste dans l’exécution de la volonté du Père ; et on ne peut exécuter la volonté du Père que par les actes, et non par les paroles. Si un fils répond à l’ordre de son père : J’obéis, j’obéis, et ne fait pas ce que le père ordonne, il n’exécute pas la volonté du Père. Mais si un autre fils, bien qu’il dise je ne veux pas obéir, se ravise et exécute l’ordre du père, celui-ci exécute la volonté du Père. C’est la même chose parmi les hommes. Ce n’est pas celui qui dit : Je suis dans la volonté du Père, qui est véritablement dans cette volonté, mais celui qui exécute ce que le Père désire.

  1. Reuss, La Bible. Nouveau-Testament, p. 1, p 486.
  2. Évangile selon saint Luc, p. 473, 474 et 475.
  3. Reuss, Interprétations des Évangiles, p. 496-501.
  4. Les Interprétations des Évangiles, par l’Archevêque Mikhaïl, p. 481-484.
  5. Interprétation des Évangiles par l’archevêque Mikhaïl, pp. 352-355.