Les Puritains d’Amérique/Chapitre XXII

Les Puritains d’Amérique ou la Vallée de Wish-ton-Wish
Traduction par A. J. B. Defauconpret.
Furne, Gosselin (Œuvres, tome 9p. 252-268).

CHAPITRE XXII.


Lorsqu’au milieu de la foule notre cœur se sent attristé par le bruit de la vaine joie des hommes, avec quel empressement nos pensées abandonnent cette froide terre, et cherchent dans l’azur des cieux une place d’innocence et de repos.
BriantLes Cieux.



C’était le jour du sabbat. Cette fête religieuse, qui encore aujourd’hui est célébrée dans la plupart des États-Unis avec plus de recueillement que dans aucun pays de la chrétienté, était alors observée avec une sévérité en harmonie avec les habitudes austères des colons. Voyager un pareil jour, cette circonstance n’avait point échappé à tout le hameau ; mais comme on vit l’étranger diriger sa monture vers la demeure d’Heathcote, et que le temps était fécond en événements intéressants pour la province, on pensa qu’il trouverait une excuse suffisante dans la nécessité. Cependant aucun individu ne se hasarda à s’enquérir des motifs de cette visite extraordinaire. Au bout d’une heure on vit le cavalier repartir comme il était arrivé, et, suivant toute apparence, pressé par quelque devoir urgent. Il allait en effet porter plus loin ses communications importantes, quoique le droit de remplir cet impérieux devoir le jour du sabbat eût été gravement discuté dans le conseil de ceux qui l’avaient envoyé. Heureusement ils trouvèrent ou crurent avoir trouvé dans quelques passages des saintes Écritures un exemple suffisant pour ordonner au messager de continuer sa route.

Peu d’instants après ce départ, le mouvement qui avait été si soudainement excité dans la demeure de Heathcote fit place de nouveau à une tranquillité plus d’accord avec le caractère sacré de ce jour. Le soleil se levait brillant et sans nuages au-dessus des montagnes. Les vapeurs de la nuit, attirées par la chaleur, se mêlaient peu à peu à l’élément invisible. La vallée reposait alors dans cette espèce de calme religieux qui parle au cœur avec tant de douceur et de puissance. Le monde présentait le tableau le plus paisible du chef-d’œuvre sorti des mains de celui qui réclame la gratitude et l’adoration de ses créatures. Pour l’homme dont l’esprit n’est point encore corrompu, il existe dans une telle scène un charme enchanteur qui semble participer de celui de Dieu lui-même. Cette tranquillité générale permettait aux sons les plus faibles d’être entendus. Le bourdonnement de l’abeille, celui de l’aile de l’oiseau, parvenaient à l’oreille comme les accents d’une action de grâces à l’auteur de l’univers. Ce repos momentané est plein d’éloquence. Il devrait enseigner combien les jouissances des beautés de ce monde, combien la paix, combien même les charmes de la nature dépendent de l’esprit qui nous fait agir. Lorsque l’homme repose, tout, autour de lui, semble jaloux de contribuer à sa tranquillité ; et lorsqu’il abandonne les grossiers intérêts du monde pour élever son esprit vers son Dieu, toutes les créatures vivantes semblent s’unir à son culte. Quoique cette apparente sympathie de la nature soit peut-être moins vraie qu’imaginaire, le bien qu’on peut en retirer n’en est pas pour cela moins réel ; il montre suffisamment que ce que l’homme considère comme bon dans le monde est essentiellement bon, et que la plupart de ses maux viennent de sa propre perversité.

Les habitants de la vallée de Wish-ton-Wish étaient peu disposés à troubler le repos du sabbat. Leur erreur était dans l’excès contraire, car ils faisaient consister le bien dans leurs efforts à élever l’homme au-dessus des faiblesses de la nature. Ils substituaient le triste aspect d’une austérité qu’ils croyaient sublime, à cet extérieur gracieux, quoique régulier, si bien fait pour manifester leurs espérances et leur gratitude. Les manières particulières de ceux dont nous parlons étaient produites par l’erreur des temps et du pays, bien que quelque chose de leur caractère rigide et singulier pût être le résultat de l’exemple et des préceptes de celui qui avait la direction des intérêts spirituels de la paroisse. Comme cette personne se trouve liée aux incidents de notre récit, nous allons essayer de tracer son portrait.

L’esprit du révérend Meek Wolfe[1] présentait une rare combinaison de l’abnégation la plus humble et des opinions religieuses les plus violentes. Comme la plupart de ceux qui étaient revêtus, dans la colonie, du caractère sacré, il était non seulement le descendant d’une race de prêtres, mais sa plus vive espérance sur la terre était de devenir le père d’une famille dans laquelle le saint ministère se perpétuât aussi scrupuleusement que si la formule régulière des lois de Moïse eût encore existé. Il avait été élevé dans le collège d’Harward, institution que les émigrants d’Angleterre avaient eu la sagesse de fonder dans les premières vingt-cinq années de leur résidence dans la colonie. Là, ce rejeton de l’arbre orthodoxe s’était abondamment pourvu de munitions spirituelles pour les guerres tout intellectuelles de son avenir, en se pénétrant assez profondément de certaines opinions pour donner lieu de croire qu’il ne céderait jamais un pouce de terrain sur ce qu’on pouvait appeler les fortifications placées comme un rempart devant sa foi. Aucune citadelle ne présenta jamais d’obstacles plus insurmontables à l’assiégeant, que l’esprit de ce zélé aux efforts de la conviction, car l’obstination avait élevé autour de lui une muraille inexpugnable pour ses adversaires. Il paraissait croire que ses ancêtres ayant fait usage de tous les arguments raisonnables, il ne lui restait qu’à se maintenir dans son système de défense, ou repousser de temps en temps, par une sortie, les théologiens escarmoucheurs qui pouvaient dans l’occasion s’approcher de sa paroisse. Il y avait dans ce religionnaire une remarquable simplicité d’esprit, qui rendait en quelque sorte respectable sa bigoterie même, et en même temps écartait de la charge épineuse qu’il remplissait la plupart de ses difficultés. Dans sa pensée, la voie étroite devait contenir peu de croyants après ses ouailles. Il admettait quelques exceptions dans une ou deux des paroisses les plus voisines avec les ministres desquelles il avait l’habitude de changer de chaire, et peut-être de temps en temps en faveur d’un saint de l’autre hémisphère, ou des villes et des colonies dont l’éloignement ajoutait à ses yeux à l’éclat de leur foi, comme notre globe opaque paraît un orbe de lumière à ceux qui habitent un de ses satellites. Enfin il y avait dans Meek Wolfe un mélange de charité apparente et d’égoïste espérance, d’infatigable dévouement et de froideur de manières, d’humilité profonde et de complaisant orgueil, de soumission sans murmures aux maux temporels, et de si hautes prétentions spirituelles, que ces contradictions le rendaient un homme aussi difficile à comprendre qu’à décrire.

— De bonne heure, dans l’après-midi, une petite cloche suspendue à un beffroi perché singulièrement sur le toit de l’église appela la congrégation au service divin. Chacun obéit promptement à ce signal ; et, avant que les premiers sons fussent répétés par les échos des montagnes, la rue large et gazonnée fut remplie des groupes des différentes familles, tous prenant la même direction. À la tête de chacun marchait le chef de la famille, au maintien sévère. Quelquefois il portait dans ses bras un enfant au berceau ou quelque autre trop jeune encore pour se soutenir. À une distance convenable on voyait la grave matrone jetant des regards obliques et sévères sur la petite troupe qui l’entourait ; ayant, par habitude, encore quelques conquêtes à faire sur les impulsions légères de la vanité. Lorsqu’il n’y avait point d’enfants à porter, ou lorsque la mère jugeait à propos de remplir elle-même ce devoir, le mari se chargeait d’un des lourds fusils de l’époque ; et quand ses bras étaient différemment occupés, le plus vigoureux de ses fils lui servait de porte-armure. Dans aucune circonstance cette utile précaution n’était négligée ; l’état de la province et le caractère de l’ennemi exigeaient que cette vigilance se mêlât jusque dans les pratiques religieuses. Il n’y avait point de traînards sur la route, et l’on n’y prononçait aucune parole légère. On ne se saluait qu’en ôtant le chapeau ou par un regard grave et sérieux ; c’était tout ce que l’usage accordait à la politesse le jour du sabbat.

Lorsque la cloche changea de son, Meek parut à la porte de la maison fortifiée, où il résidait en qualité de châtelain, par égard pour son caractère public, à cause de la sûreté de ce lieu, et parce que ses habitudes studieuses lui permettaient de remplir sa charge avec moins de travaux qu’il n’en aurait coûté au village si cet office de confiance avait été donné à un homme d’habitudes plus actives. Sa compagne le suivait, mais à une distance plus grande encore que celle qu’affectaient les autres femmes, comme si elle eût éprouvé le besoin de détourner d’un homme dont la profession était si sacrée toute réflexion qui ne s’accordait pas avec la pureté de cette profession. Neuf enfants de différents âges et une servante trop jeune encore pour être mère elle-même composaient la maison du ministre. La présence de tous les paroissiens était une preuve de la salubrité de la vallée, car la maladie seule était regardée comme une excuse suffisante pour s’absenter du service divin. Au moment où cette petite troupe sortait des palissades, une femme, dont les joues pâles attestaient les effets d’une indisposition récente, tenait sa porte ouverte pour laisser entrer Reuben Ring avec un vigoureux jeune homme qui portait la féconde compagne du premier et le don généreux qu’elle venait de recevoir du ciel, dans la citadelle du village, lieu de refuge que le seul courage de cette femme l’avait empêchée d’occuper plus tôt, car plus de la moitié des enfants de la vallée avaient vu la lumière à l’abri de ses fortifications.

La famille de Meek le précéda dans le temple, et lorsque lui-même en traversa le seuil, on n’aurait pu rencontrer personne hors de ses murailles. La cloche cessa de faire entendre sa triste et monotone harmonie, et la figure grande et maigre de l’ecclésiastique traversa l’aile étroite où il prenait ordinairement son poste, avec l’air d’un homme qui a déjà rejeté à moitié le fardeau des intérêts humains. Il promena un regard morne et scrutateur autour de lui, comme s’il avait eu le pouvoir de deviner les plus secrètes pensées des assistants ; et, lorsqu’il fut assis, le profond silence qui précédait toujours les exercices religieux régna dans le temple.

Lorsque le ministre montra son austère visage à ses auditeurs attentifs, on vit sur ses traits plutôt une préoccupation mondaine que cette absence de tout intérêt charnel à laquelle il s’efforçait ordinairement d’atteindre lorsqu’il s’approchait de son Créateur par la prière.

— Capitaine Content Heathcote, dit-il avec une grave sévérité, après avoir permis qu’un instant de silence éveillât le respect, un cavalier a traversé cette vallée le jour du Seigneur, et il a fait halte dans ta maison. Le voyageur avait-il une garantie contre le manque de respect au jour du sabbat, et peux-tu trouver une raison suffisante dans ses motifs pour recevoir dans ta demeure un étranger qui néglige les ordres solennels donnés sur la montagne ?

Content, qui s’était levé par respect en entendant son nom, répondit :

— Il était chargé d’une commission spéciale ; un grave intérêt pour le bien-être de la colonie est le sujet de son message.

— Il n’y a rien de plus intimement lié au bien-être de l’homme, non seulement de celui qui habite cette colonie, mais de ceux qui résident dans de plus vastes empires, que le respect à la volonté de Dieu, reprit Meek, qui n’était apaisé qu’à demi par l’excuse de Content. Il eût été sage pour celui qui non seulement donne en général un si bon exemple, mais qui, de plus, est revêtu du manteau de l’autorité, de se défier des prétextes d’une nécessité qui peut n’être qu’apparente.

— Les motifs seront déclarés devant le peuple dans un moment convenable ; mais il a semblé plus sage de garder le secret du message jusqu’au moment où le service divin serait terminé, sans y mêler des intérêts temporels.

— En cela tu as agi avec sagesse, car les prières d’un esprit préoccupé ne sont point reçues dans le ciel avec joie. J’espère que tu as également une bonne raison à alléguer pour excuser l’absence d’une des personnes de ta maison dans le temple.

Malgré l’empire que Content possédait sur lui-même, il n’entendit point cette question sans une émotion visible. Il jeta un regard rapide sur le siège vacant où celle qu’il aimait avec une si vive tendresse adorait Dieu à ses côtés : puis il répondit d’une voix dans les accents de laquelle il était facile de reconnaître les efforts qu’il faisait pour recouvrer sa tranquillité habituelle :

— De puissants intérêts ont été éveillés aujourd’hui dans ma demeure ; et il se pourrait que les devoirs du sabbat eussent été négligés par des esprits exercés cependant à la prière. Si nous avons péché, j’espère que celui qui regarde avec indulgence le pénitent nous pardonnera ! Celle dont tu parles vient d’être accablée par la violence d’anciens chagrins ; son esprit était disposé, mais son faible corps n’eût point répondu à son courage, et n’était point capable de supporter la fatigue de paraître ici, quoique ce soit la maison du Seigneur.

Cet exercice extraordinaire d’autorité pastorale ne fut pas même interrompu par la respiration des assistants. Tout incident qui sortait des habitudes générales avait de l’attrait pour les habitants d’un village si isolé ; mais il y avait encore un profond intérêt local lié à cette contravention à l’usage et même aux lois ; chaque individu était excité par ce penchant secret qui nous porte à écouter avec une singulière satisfaction les détails qu’on voudrait nous cacher. Pas une des syllabes qui sortirent des lèvres du ministre ou de celles de Content, pas un mot prononcé plus sévèrement par le premier, pas un des accents douloureux du second n’échappèrent à l’oreille la plus dure de l’assemblée. Malgré l’air grave et austère de tous les assistants, il est inutile de dire que chacun trouvait du plaisir dans cette petite interruption, qui cependant n’était point extraordinaire dans une communauté où l’on croyait non seulement que l’autorité spirituelle pouvait s’étendre jusque sur les incidents les plus familiers de l’intérieur d’un ménage, mais où peu d’intérêts domestiques semblaient assez secrets, où peu de sentiments particuliers étaient considérés comme assez sacrés, pour qu’une grande partie de tout le voisinage ne se crut pas le droit de les connaître. Le révérend M. Wolfe fut apaisé par cette explication ; et après avoir accordé un laps de temps suffisant pour permettre aux esprits de se recueillir, il commença le service régulier du matin. Il est inutile de rapporter la manière bien connue dont les Puritains accomplissaient les exercices religieux : assez de détails ont été donnés sur ce sujet, et leur doctrine ainsi que les formes de leur culte sont également familières à la plupart de nos lecteurs. Nous nous bornerons à une relation de quelques parties de la cérémonie (si l’on peut appeler ainsi un service qui en écarte soigneusement toute apparence), et lesquelles seront intimement liées avec les incidents de notre histoire.

Le ministre avait achevé sa courte prière préparatoire, il avait lu le passage de la sainte Écriture, et prononcé les versets du psaume ; il s’était joint à cette étrange mélopée nasillarde que ses ouailles essayaient de rendre doublement agréable ; il avait terminé sa longue et fervente lutte de l’esprit, dans une espèce de colloque qui dura près de trois quarts d’heure, pendant lequel des allusions directes avaient été faites non seulement au sujet de son récent examen, mais à divers intérêts particuliers à ses paroissiens, et toutes les choses avaient été accomplies de son côté avec son zèle ordinaire, et de la part de ses auditeurs, avec le grave décorum et l’attention habituelle. Mais lorsqu’il se leva pour la seconde fois, dans l’intention de lire un des cantiques d’actions de grâces, on vit passer dans le centre de l’aile principale une figure qui, par son étrange accoutrement autant que par son retard irrévérend à se rendre à l’église, attira l’attention générale. Les interruptions de cette nature étaient rares, et le ministre lui-même, bien qu’absorbé dans ses pensées religieuses, s’arrêta un instant avant d’entonner l’hymne, quoiqu’il courût un bruit parmi les plus instruits de ses paroissiens, que cette version sonore était une effusion de sa muse.

L’interrupteur n’était autre que Whittal Ring. Ce jeune idiot s’était échappé de la maison de sa sœur et avait dirigé ses pas vers le lieu du rendez-nous général, où presque tout le village était assemblé. Pendant son ancienne résidence dans la vallée, il n’avait vu aucun temple, et l’édifice, sa distribution intérieure, les visages qu’il contenait, leurs occupations, tout lui était également étranger. Ce fut seulement lorsque le peuple éleva la voix dans des cantiques de louanges, que quelques lueurs d’anciens souvenirs se montrèrent sur son visage sans expression ; alors il fit éclater une partie de la joie que peuvent inspirer des sons bruyants aux êtres dont les facultés mentales sont si bornées. Néanmoins, comme il parut satisfait de rester à l’écart dans une partie solitaire de l’église, le grave enseigne Dudley lui-même, dont le regard avait plus d’une fois annoncé le mécontentement, ne vit point la nécessité de le faire sortir.

Ce jour-là Meek avait choisi pour son texte ce passage du Livre des Juges : — Et les enfants d’Israël commirent le mal devant le Seigneur, et le Seigneur les abandonna pendant sept années entre les mains de Madian. — L’esprit subtil du docteur en théologie tirait un grand parti de ce texte, se jetant à corps perdu dans toutes les allusions mystérieuses et allégoriques fort en vogue à cette époque. Sous quelque point de vue qu’il considérât le sujet il trouvait moyen de comparer les souffrances supportées par les habitants de la colonie, quoiqu’elles fussent de leur choix, à celles de la race des Hébreux. S’ils n’étaient pas prédestinés parmi tous les peuples de la terre, afin qu’un être plus puissant qu’un homme fût tiré de leur sein, ils avaient été conduits dans ce désert loin des tentations d’un monde licencieux et de la perversité de ceux qui bâtissent l’échafaudage de leur foi sur les salles des honneurs temporels, pour conserver la parole dans sa pureté.

Comme il ne parut pas que le ministre doutât de la vérité avec laquelle il avait expliqué les paroles de son texte, la plupart de ses auditeurs prêtèrent bien volontiers l’oreille à un argument aussi rassurant.

En ce qui avait rapport à Madian, les explications du prédicateur furent moins étendues. On ne pouvait douter que cette allusion n’eût jusqu’à un certain point rapport à l’auteur du mal. Mais de quelle manière les habitants choisis de ces régions devaient-ils ressentir sa maligne influence ? cela était un peu plus incertain. Quelquefois l’imagination exaltée de ceux qui avaient nourri la conviction que les manifestations visibles de la colère ou de l’amour de la Providence se présentaient journellement à leurs yeux, était flattée de l’étrange espérance que la guerre, qui répandait alors ses horreurs autour d’eux, était calculée pour mettre leur armure morale à l’épreuve, et que de leurs triomphes et de leurs victoires naîtraient l’honneur et la puissance de l’Église. Vinrent ensuite des qualifications ambiguës qui laissaient à décider si le retour des puissances invisibles, qui avaient eu tant d’occupation dans les provinces, n’était pas le jugement annoncé. Il n’est pas à supposer que Meek lui-même comprît parfaitement toutes ces subtilités, car il y avait quelque méprise grossière dans la manière dont il traitait son sujet, comme on le verra par les mots qui terminèrent son discours.

— S’imaginer, dit-il, qu’Azazel contemple d’un œil satisfait les longues souffrances et la constance du peuple choisi, c’est croire que la moelle de la justice peut exister dans la corruption du mensonge. Nous avons déjà vu son esprit envieux et sa rage s’exercer dans plus d’une circonstance tragique. Si nos yeux ont besoin d’un témoignage qui nous annonce la présence de ce perfide ennemi, je dirai, en empruntant les paroles d’un homme savant et ingénieux à deviner ses ruses, que lorsqu’une personne ayant toute sa raison cherche en connaissance de cause et volontairement à obtenir du démon ou de quelque autre dieu qui n’est pas le vrai Dieu Jehovah, la science de faire ou de connaître des choses surnaturelles auxquelles elle ne peut parvenir par aucun moyen humain, elle peut alors se défier de ses dons et trembler pour son âme. Ô mes frères, combien d’entre vous en ce moment penchent vers ces illusions fatales et adorent les vanités du monde au lieu de se nourrir de la famine du désert[2], qui est la subsistance de ceux qui veulent vivre à jamais ? Levez vos yeux vers le ciel, mes frères…

— Tournez-les plutôt vers la terre, interrompit de l’intérieur de l’église une voix dont les accents étaient sonores et remplis d’autorité. Toutes vos facilités vont vous être nécessaires pour sauver votre vie, et même pour garder les tabernacles du Seigneur !

Les exercices religieux composaient les récréations des planteurs de cet établissement éloigné. Lorsqu’ils se réunissaient en société pour alléger le fardeau de la vie, la prière et des cantiques de louanges étaient les amusements les plus ordinaires de ces réunions. Pour eux un sermon était un spectacle dans une autre communauté plus mondaine, et personne n’écoutait la parole divine d’une oreille froide et préoccupée. Pour obéir littéralement aux ordres du prédicateur, les yeux de chaque individu de la congrégation s’étaient élevés vers les soliveaux bruts de la voûte, lorsque la voix inconnue se fit entendre, et détruisit toute l’illusion. Par un mouvement général chacun sembla demander l’explication d’un appel aussi extraordinaire. Le ministre devint muet de surprise et d’indignation. Un seul regard fut suffisant pour prouver que d’importantes nouvelles allaient être communiquées. Un étranger d’un aspect austère, dont le regard était calme et rempli d’intelligence, était debout à côté de Whittal Ring. Son costume, composé des rustiques tissus du pays, avait la simplicité de ceux des colons. Il portait cependant sur sa personne l’équipage d’un homme familier avec les guerres de l’ancien hémisphère. Sa main était armée d’une épée large et brillante, semblable à celles que portaient les cavaliers d’Angleterre, et sur son épaule était suspendue la courte carabine d’un homme habitué à combattre à cheval. Ses manières étaient remplies de dignité, elles annonçaient qu’il était fait au commandement. Un premier coup d’œil suffit pour prouver que ce nouvel interrupteur était d’un caractère bien différent de celui du malheureux idiot qu’on voyait à ses côtés.

— Pourquoi un inconnu vient-il troubler le service du temple ? demanda Meek lorsque l’étonnement lui permit de parler. Trois fois le jour saint a été profané par le pied de l’étranger ; et nous pouvons douter si nous ne sommes pas sous l’influence du malin esprit.

— Aux armes ! hommes de Wish-ton-Wish ; aux armes ; courez à vos fortifications !…

Un cri s’éleva du dehors, il sembla entourer la vallée tout entière ; puis d’innombrables hurlements percèrent les vastes arcades de la forêt, comme pour se joindre à cette menace de destruction sur le hameau dévoué. Ces cris avaient été trop souvent entendus ou trop souvent décrits pour n’être pas compris au même instant. Une scène de confusion leur succéda.

Chaque homme, en entrant dans l’église, avait déposé ses armes à la porte, et chacun se précipita au même endroit pour les reprendre. Les femmes rassemblèrent autour d’elles leurs enfants, et les lamentations d’horreur, les larmes, commençaient à l’emporter sur l’empire de l’habitude.

— Silence ! s’écria le pasteur dans un degré d’exaltation qui surpassait toute émotion humaine ; avant de marcher à l’ennemi, qu’une voix s’élève vers notre père qui est au ciel. Cette demande vaudra un millier d’hommes combattant en notre faveur !

Le désordre cessa aussi subitement que si l’ordre était descendu du lieu vers lequel s’adressent les prières. L’étranger lui-même, qui avait regardé ces préparatifs d’un œil sombre et avec anxiété, courba la tête et sembla se joindre à la prière avec un cœur pieux et confiant.

— Seigneur ! dit Meek en étendant ses bras maigres et posant ses mains ouvertes au-dessus de la tête de son troupeau spirituel, par ton ordre nous allons à l’ennemi. Avec ton secours, les portes de l’enfer ne prévaudront jamais contre nous ; avec ta miséricorde il y a de l’espoir dans le ciel et sur la terre. C’est pour ton tabernacle que nous répandons notre sang ; c’est pour ta parole que nous combattons : prends notre défense. Roi des rois ! envoie tes légions célestes à notre secours, afin que les chants de la victoire soient un encens sur tout autel et portent la consternation aux oreilles de l’ennemi. Amen.

Il y avait quelque chose de si profond dans la voix de l’orateur, un calme si surnaturel, et une telle confiance dans le secours de l’allié qu’il implorait, que ses paroles parvinrent jusqu’au cœur de chaque assistant. La nature était puissante chez ce peuple, mais l’enthousiasme l’élevait en ce moment au-dessus de son influence. Ainsi excités par un appel à des sentiments qui ne s’étaient jamais endormis, et stimulés par les intérêts les plus chers, les hommes de la vallée s’élancèrent hors du temple pour défendre leurs personnes, leurs demeures, et, suivant leur opinion, leur religion et leur Dieu.

Il y avait une nécessité pressante qui exigeait non seulement ce zèle, mais toute l’énergie physique des plus vigoureux planteurs. Le spectacle qui frappa leur vue lorsqu’ils sortirent du temple eut été capable de décourager des guerriers plus habiles, ou de paralyser les efforts d’hommes moins susceptibles d’exaltation religieuse.

Des figures noirâtres sautaient à travers les champs sur les flancs des montagnes ; et dans tous les sentiers qui conduisent à la vallée, on voyait des sauvages armés s’avançant témérairement et ne respirant que la destruction et la vengeance. Derrière eux le feu et le couteau laissaient déjà des traces, car les fermes construites de troncs d’arbres, les provisions de bois et les bâtiments extérieurs de Reuben Ring et de ceux qui habitaient sur les confins de l’établissement, envoyaient des nuages d’une fumée noire au milieu desquels s’élevait déjà la flamme dévastatrice. Mais le danger était encore plus voisin : une ligne de féroces guerriers se prolongeait jusque dans les prairies, et l’œil ne rencontrait de tout côté que la preuve effrayante de la supériorité du nombre des sauvages qui entouraient la vallée.

— À la garnison ! crièrent quelques-uns de ceux qui virent les premiers la nature et l’imminence du danger, et se précipitant dans la direction de la maison fortifiée ; — à la garnison, ou nous sommes perdus !

— Arrêtez ! s’écria la voix qui était étrangère aux oreilles de la plupart de ceux qui l’entendaient, mais qui par son calme et un ton d’autorité commandait l’obéissance, si ce désordre continue, nous serons réellement perdus. Laissez le capitaine Heathcote parvenir jusqu’à moi.

Malgré le tumulte et la confusion qui croissaient autour de lui, le paisible Content, auquel appartenait peut-être légalement et moralement le droit de commander, n’avait perdu en aucune manière sa tranquillité habituelle. Il était évident, par la surprise avec laquelle il avait d’abord regardé l’étranger lors de sa soudaine interruption du service, et par les regards d’intelligence secrète qu’ils échangèrent, qu’ils s’étaient déjà rencontrés ; mais ce n’était pas le temps des reconnaissances et des explications ; les moments étaient trop précieux pour les perdre dans d’inutiles disputes d’opinions.

— Je suis ici, répondit Content à l’appel de l’étranger, prêt à suivre le chef dont la prudence et l’expérience montreront le chemin.

— Parle au peuple, et sépare les combattants en trois corps d’égale force. Le premier se dirigera vers les prairies pour faire reculer les sauvages avant qu’ils parviennent à entourer la maison fortifiée ; le second protégera la fuite des femmes jusque sous son abri, et le troisième… mais tu sais ce que je voudrais faire du troisième. Hâte-toi, ou nous nous perdrons par trop de lenteur.

Il était peut-être heureux que des ordres si urgents et si nécessaires fussent donnés à un homme aussi peu habitué que Content à un luxe de paroles. Sans offrir ni louange ni critique, Content obéit. Accoutumés à suivre son exemple, et convaincus de la situation critique de tout ce qui leur était cher, les hommes du village montrèrent une soumission plus prompte et plus efficace qu’on n’en rencontre ordinairement dans des soldats auxquels les habitudes de la discipline ne sont pas familières. Les combattants se séparèrent aussitôt en trois corps composés chacun d’un peu plus de vingt hommes. L’un d’eux, commandé par Ében Dudley, s’avança d’un pas rapide vers les prairies, sur les derrières de la forteresse, afin de repousser le corps hurlant de sauvages qui menaçait déjà de couper la retraite des femmes et des enfants ; un autre prit une direction presque opposée, traversant la rue du hameau, dans le dessein d’arrêter la marche de ceux qui s’avançaient par l’entrée méridionale de la vallée ; le troisième et dernier, aussi dévoué que les deux autres, resta stationnaire en attendant des ordres définitifs.

Au moment où la première de ces petites divisions fut prête à se mettre en marche, le ministre parut à sa tête ; on voyait sur son visage une grande confiance spirituelle dans les desseins de la Providence, singulièrement mêlée à quelque ostentation de courage temporel. D’une main il portait la Bible, qu’il élevait comme l’étendard sacré de sa troupe, de l’autre il brandissait une courte et large épée, de manière à prouver qu’il ne serait pas sans danger de rencontrer sa lame. Le volume était ouvert, et par intervalles le ministre lisait d’une voix haute les passages qui frappaient accidentellement ses yeux ; les feuilles volaient avec une rapidité qui produisait un remarquable mélange de doctrines et de sensations ; mais à ces légères incongruités morales le pasteur et ses paroissiens étaient également indifférents, leurs exercices spirituels et subtils ayant donné à leur esprit une grande tendance à concilier ensemble les choses contradictoires, ainsi bien qu’a rapporter les doctrines les plus obscures aux plus simples intérêts de la vie.

— Les Israëlites et les Philistins s’étaient mis en bataille armée contre armée, dit Meek au moment où la troupe qu’il commandait commençait à avancer. Puis lisant de nouveau après un court intervalle, il continua : — Écoutez, je vais faire une chose dans Israël au récit de laquelle les deux oreilles de ceux qui m’écoutent seront ébranlées… — Ô maison d’Aaron ! mets ta confiance dans le Seigneur, il est ton secours et ton bouclier. — Délivrez-moi, Ô Seigneur ! de l’homme méchant ; préservez-moi de l’homme violent. — Que des charbons ardents tombent sur eux ; qu’ils soient jetés dans les flammes, dans les profondeurs de la terre, afin qu’ils ne se relèvent plus. — Que le méchant tombe dans ses propres filets, tandis que moi j’échapperai de leurs mains… — Aussi mon père m’aime-t-il, parce que je sacrifie ma vie afin de la reprendre de nouveau. — Celui qui me hait, hait aussi mon père… — Mon père, pardonne-leur, parce qu’ils ne savent ce qu’ils font. — Ils ont entendu ce qui a été dit, on exigera œil pour œil, dent pour dent… — Car Josué ne baissa plus le bras avec lequel il soutenait la lance, jusqu’à ce qu’il eût entièrement détruit tous les habitants… — Jusque-là les paroles de Meek avaient été intelligibles pour ceux qui étaient restés ; mais la distance confondit bientôt les syllabes, et l’on n’entendit plus que les cris de l’ennemi, le pas rapide des hommes qui suivaient le prêtre avec une pompe militaire aussi formidable que leurs faibles moyens pouvaient le leur permettre, et les sons clairs et élevés du ministre qui résonnaient aux oreilles de ses soldats, et pénétraient leur cœur d’une ardeur guerrière, comme eussent pu le faire les sons de la trompette. Quelques minutes plus tard la petite bande fut cachée à la vue par les buissons des champs, et le bruit des armes à feu succéda à celui de leur marche.

Tandis que ce mouvement s’exécutait en avant, le corps qui avait reçu l’ordre de protéger le village ne resta pas oisif. Commandé par un robuste laboureur qui remplissait les fonctions de lieutenant, il avançait avec moins de parade religieuse, mais non moins d’activité, dans la direction du midi ; et l’on entendit bientôt un tumulte qui proclamait l’urgence du danger et la chaleur de l’action qui venait de s’engager.

Pendant ce temps, ceux qui étaient restés devant l’église montraient une activité égale, quoique tempérée par quelques circonstances importantes pour l’intérêt général. Aussitôt que la troupe de Meek fut parvenue à une distance assez grande pour inspirer de la sécurité, l’étranger ordonna que les enfants fussent conduits à la maison fortifiée. Ce devoir fut accompli par les mères tremblantes, auxquelles on avait persuadé avec assez de difficulté d’attendre jusqu’à ce que des têtes plus froides eussent choisi le moment du départ.

Quelques femmes s’étaient dispersées au milieu des bâtiments pour chercher les infirmes, tandis que tous les garçons d’un âge convenable étaient occupés à transporter des objets indispensables du village dans l’intérieur des palissades. Comme ces différents mouvements furent simultanés, peu de temps s’écoula entre le moment où les ordres furent donnés et celui où ils furent accomplis.

— J’aurais désiré que tu conduisisses la troupe qui s’est dirigée vers les prairies, dit l’étranger à Content, lorsqu’il n’y eut plus à faire que ce qui avait été réservé au dernier corps des combattants. Mais, comme on se comporte bravement de ce côté, nous irons de compagnie. — Pourquoi cette jeune fille est-elle restée ?

— En vérité, je n’en sais rien, à moins que ce ne soit la crainte qui arrête ses pas. — Il y a une porte ouverte pour ton entrée dans le fort, Marthe, avec les autres personnes de ton sexe.

— Je suivrai les combattants qui sont sur le point de marcher au secours de ceux qui sont restés dans notre habitation, dit la jeune fille d’une voix basse, mais calme.

— Et comment sais-tu que telle est la pensée de ceux qui sont arrêtés ici ? demanda l’étranger, un peu mécontent que le secret de ses opérations militaires eût été deviné.

— Je le vois dans l’expression de ceux qui restent, dit la jeune fille en jetant un regard furtif sur Mark, qui, placé dans une des lignes, supportait avec impatience un délai qui menaçait d’un aussi grand péril la maison de son père et ceux qui y étaient enfermés.

— En avant ! cria étranger. Nous n’avons plus le temps de discuter. Que les filles prennent conseil de la sagesse, et se hâtent de retourner dans le fort. Suivez-moi, hommes fermes de cœur, car nous arriverions trop tard au secours.

Marthe attendit que la troupe eût fait quelques pas ; puis, au lieu d’obéir à l’ordre répété de songer à sa sécurité personnelle, elle suivit les combattants.

— Je crains que nos forces ne soient pas assez supérieures observa l’étranger, qui marchait à la tête de la troupe, à côté de Content, pour défendre la maison à une si grande distance de tout secours.

— Et cependant il sera sanglant le combat qui nous enlèvera une seconde fois notre abri. De quelle manière as-tu eu connaissance de cette invasion ?

— Les sauvages se croyaient cachés dans leur lieu d’observation, où tu sais que mon œil eut l’occasion de surveiller leurs artifices. Il y a une providence dans nos moindres calculs ; une captivité de longues et pénibles années à sa récompense dans cet avertissement.

Content parut partager cette opinion ; mais la situation des affaires empêcha cette confidence de devenir plus précise. En approchant de la demeure des Heathcote, ils purent observer avec plus de facilité la situation des choses dans l’intérieur et dans les environs de la maison. La position du bâtiment eût rendu, de la part de ceux qui y étaient enfermés, toute tentative de gagner le fort avant l’arrivée du secours aussi dangereuse qu’impraticable ; car les prairies qui les séparaient étaient déjà couvertes de féroces guerriers ennemis. Mais il était certain que le Puritain, que ses infirmités retenaient dans l’intérieur de la maison, n’avait point conçu un tel dessein ; on s’aperçut bientôt que les personnes de l’habitation fermaient et barricadaient les fenêtres, et qu’on préparait tous les moyens de défense. L’anxiété de Content, qui savait que la maison ne renfermant que son père, sa femme et une servante, se faisait sentir à son cœur comme une angoisse pénible, lorsque la troupe qu’il commandait s’approcha à une distance à peu près égale à celle d’une bande de sauvages qui arrivaient diagonalement de l’autre côté. Il voyait les efforts de ceux qui lui étaient si chers, et qui employaient tous les moyens en leur pouvoir pour repousser le danger qui les menaçait. Les mains de Ruth lui semblaient avoir perdu leur force, et l’effroi, joint à la précipitation, rendit plus d’une fois ses efforts inutiles.

— Il faut attaquer et charger les sauvages, ou leur arrivée sera plus prompte que la nôtre, dit Content, dont la respiration agitée rendait les paroles presque inintelligibles. Vois ! ils entrent dans le verger ; encore un instant, et ils seront maîtres de l’habitation !

Mais son compagnon marchait d’un pas plus ferme et voyait d’un œil plus calme. Il y avait dans son regard intelligence d’un guerrier vivant au milieu de semblables scènes, et dans son maintien l’assurance d’un homme habitué à commander.

— Ne crains pas, répondit-il ; le vieux Mark Heathcote n’a point encore oublié son art ; il sait encore comment résister à une première attaque. Si nous rompons nos rangs, la supériorité que donne l’accord sera perdue ; étant peu nombreux, la défaite sera certaine. Il est inutile de te dire, capitaine Heathcote, que celui qui te donne ce conseil a combattu les sauvages avant ce jour.

— Je le sais ; mais ne vois-tu pas ma chère Ruth travaillant en vain à fermer le volet de cette chambre ; elle se fera tuer en s’exposant ainsi… Tiens, écoute, voilà une décharge de l’ennemi !

— Non ; c’est celui qui conduisait ma troupe dans une guerre bien différente ! s’écria l’étranger, dont la taille se redressa, et dont les sombres traits exprimèrent quelque chose du plaisir qui anime les regards du soldat lorsque des sons semblables se font entendre à ses oreilles ; c’est le vieux Mark Heathcote, fidèle à sa race et à son nom ! Il a déchargé sa couleuvre sur les coquins ! Regarde, ils se disposent déjà à abandonner celui qui leur répond si hardiment, et se répandent sur la gauche à travers les haies, afin que nous puissions tâter de leurs personnes. Maintenant, courageux Anglais, dont le cœur est aussi ferme que le bras, vous connaissez votre devoir, et vous ne manquerez pas d’exemples ! Vos femmes et vos enfants sont près d’ici, contemplant vos actions ; et il y a au-dessus de vous un Être qui vous tiendra compte de la manière dont vous servirez sa cause ! Voici un chemin ouvert à votre bravoure. Renversez les Cannibales par la main de la mort ! En avant ! en avant ! À l’attaque ! à la victoire !



  1. Dans les romans, comme dans les pièces de théâtre, les Américains, à l’imitation des Anglais, donnent volontiers à leurs personnages un nom significatif, qui résume le caractère que leur attribue l’auteur. Le nom de Meek Wolfe est assez bizarre pour être remarqué ; Meek Wolfe signifie doux loup.
  2. Il y a dans le texte famine ; il faudrait peut-être lire manne.