CHAPITRE XXXI

Moissonnés par le fer d’ennemis furieux,
Les Écossais vaincus ensanglantaient la plaine.
Ainsi l’on voit une grêle soudaine
Tomber du haut des cieux.

Ancienne ballade.

Avant que Morton et Burley eussent atteint le poste qu’il s’agissait de défendre, l’ennemi en avait commencé l’attaque. Les deux régiments des gardes à pied, marchèrent vers la Clyde ; ensuite, se déployant, l’un fit un feu bien nourri sur les défenseurs du passage, pendant que l’autre s’efforçait d’occuper le pont. Les insurgés soutinrent l’attaque avec courage : pendant qu’une partie des leurs répondaient à la fusillade, les autres conservaient la position. Les troupes royales souffraient beaucoup, mais elles gagnaient du terrain, et la tête de leur colonne était déjà sur le pont quand l’arrivée de Henry et de ses compagnons changea la scène. Forcées à se retirer, après avoir été bien maltraitées, elles revinrent à la charge, mais furent repoussées avec une plus grande perte, Burley étant survenu à son tour. Le feu continua donc de part et d’autre, et l’issue du combat semblait douteuse.

Monmouth, monté sur un superbe cheval blanc, se faisait remarquer de l’autre côté de la rivière, pressant et encourageant ses soldats. Par ses ordres, le canon, qui jusqu’alors avait été employé à inquiéter le corps principal des presbytériens, fut tourné contre le pont ; mais ces terribles machines ne répondirent pas à l’attente du général. Grâce aux dispositions ordonnées par Morton, les insurgés combattaient à couvert, pendant que leurs adversaires étaient exposés de toutes parts. La défense fut si bien conduite, que les chefs de l’armée du roi commencèrent à craindre pour le succès.

Monmouth mit pied à terre, rallia ses gardes, et les conduisit à un nouvel assaut, secondé par Dalzell.

Malheureusement pour les presbytériens, les munitions commençaient à leur manquer. Ils expédièrent message sur message au corps principal qui restait inactif dans la plaine ; mais ce fut en vain : la consternation et le désordre y régnaient au plus haut degré.

Les défenseurs du pont ralentirent forcément leur feu ; celui des assaillants, au contraire, devenait plus nourri et plus meurtrier. Excités par les exhortations et l’exemple de leurs généraux, ceux-ci parvinrent à s’établir sur le pont, et commencèrent à écarter tout ce qui s’opposait à leur marche, non sans difficulté cependant, car Morton et Burley, toujours à la tête de leurs compagnons, les encourageaient à opposer aux baïonnettes des gardes, leurs piques, leurs hallebardes, leurs pertuisanes. Malheureusement, à la vue d’une lutte si inégale, ceux qui étaient aux derniers rangs reculaient peu à peu, se détachaient par deux, par trois, pour rejoindre le gros de l’armée, si bien qu’enfin les autres, cédant à la pression des colonnes ennemies, durent renoncer à la défense du passage. L’ennemi y pénétra en foule, mais il était étroit et long, ce qui rendait les mouvements dangereux et lents.

Burley et Morton étaient auprès l’un de l’autre dans ce moment critique. — Si la cavalerie les chargeait avant qu’ils fussent rangés en ordre de bataille, dit le premier, nous pourrions encore les repousser et reprendre le pont. Allez lui ordonner de marcher ; je tâcherai de tenir bon jusqu’à son arrivée.

Morton reconnut l’importance de cet avis, et courut au galop vers la cavalerie de l’aile gauche. Mais, avant qu’il eût pu donner ses ordres, il fut salué par les malédictions de ce corps tout entier, qui n’était composé que de caméroniens : — Il fuit ! s’écria-t-on ; il fuit, le lâche, le traître ! Il a abandonné le brave Burley.

— Je ne fuis pas ; je viens au contraire vous conduire à l’ennemi. Voici l’instant de l’attaquer : suivez-moi !

— Ne le suivez pas ! cria-t-on.

Tandis que Morton employait inutilement les prières, les persuasions, les reproches, le moment de faire une utile diversion était passé ; Burley, repoussé avec le petit nombre d’hommes qui lui restaient, était obligé de se replier sur le gros de l’armée, à qui le spectacle de sa retraite ne rendit pas la confiance qui lui manquait.

Cependant les troupes royales, maîtresses de la position, se formaient en bataille dans la plaine. Claverhouse passa le pont à la tête de ses cavaliers, au galop, puis les conduisant par escadrons autour des rangs de l’infanterie, il les réunit sur le terrain, et commença la charge avec un corps considérable, pendant que deux autres divisions menaçaient les flancs des covenantaires. Cette malheureuse armée était alors dans cette situation où l’approche d’une attaque suffit pour inspirer une terreur panique ; le découragement la rendit incapable de soutenir le choc.

Le champ de bataille n’offrait plus qu’une scène d’horreur et de confusion. Enfoncés de toutes parts, les presbytériens ne songeaient même plus à se défendre. Au milieu du tumulte, la voix de Claverhouse se fit entendre. — Tue ! tue ! point de quartier ! s’écriait-il ; souvenez-vous de Richard Grahame ! — Les dragons, qui n’avaient pas oublié leur défaite à Loudon-Hill, n’avaient pas besoin d’être excités à la vengeance : ils n’eurent que la peine de massacrer des ennemis qui ne songeaient plus à se défendre.

Un corps de douze cents insurgés, qui se trouvait à l’aile gauche, jeta les armes à l’approche du duc de Monmouth, et se rendît. Ce seigneur, aussi humain que brave, leur accorda quartier ; et, voyant que partout la résistance avait cessé, il se mit à parcourir le champ de bataille afin d’arrêter le carnage. À l’aile droite il trouva Dalzell.

— Général, faites sonner la retraite ; assez de sang a coulé.

— J’obéis à Votre Grâce, dit Dalzell, mais je vous préviens que nous n’avons pas encore assez intimidé ces misérables rebelles. N’avez-vous pas appris que Basile Olifant, qui vient de lever une troupe, est en marche pour se joindre à eux ?

— Basile Olifant ? quel est cet homme ?

— Le dernier héritier mâle du feu comte de Torwood. Il est mécontent du gouvernement, parce que lady Marguerite Bellenden a été mise en possession de toute la succession de son père, à laquelle il prétendait avoir des droits. Il espère sans doute, à la faveur des troubles, pouvoir recouvrer ses biens par la force.

— Quels que puissent être ses motifs, il n’est plus à craindre. Cette armée est trop en désordre pour qu’il soit possible de la rallier.

Le général donna, d’un air de répugnance, l’ordre de sonner la retraite.

Mais le terrible et vindicatif Claverhouse était déjà trop loin pour entendre ce signal ; lancé à la poursuite des fuyards, il taillait en pièces tout ce qui ne pouvait se soustraire à sa rage.

Morton et Burley combattirent jusqu’à la dernière extrémité ; ils essayèrent de couvrir la retraite, et finirent par se voir abandonnés de presque tous ceux qui jusqu’alors avaient partagé leurs dangers. Une balle vint casser le bras droit de Burley,

— Puisse se flétrir la main qui a tiré ce coup ! s’écria-t-il en voyant tomber à son côté son glaive impuissant ; — je suis hors de combat[1].

À ces mots, il tourna bride.

Morton reconnut que tous ses efforts resteraient impuissants, et, ne voulant ni se sacrifier en pure perte, ni s’exposer à être fait prisonnier, il prit le parti de s’éloigner aussi, suivi du fidèle Cuddy.

De la première hauteur qu’ils purent atteindre, ils virent d’un côté l’armée royale arrêtée sur les bords de la Clyde, où elle avait pris position ; de l’autre, des fuyards poursuivis par les dragons de Claverhouse.

— Il est impossible que l’armée se rallie de nouveau, dit Morton.

Se soumettant à la nécessité, il dirigea sa course vers les montagnes, pensant qu’il y rencontrerait peut-être quelques débris de l’armée covenantaire, et qu’en se mettant à leur tête il serait possible d’opposer de la résistance au vainqueur, ou d’obtenir de lui une capitulation honorable.

  1. Cet incident et l’exclamation de Burley sont historiques.