LETTRE

De Laure, à madame de Merville.


Miracle, ma chere abbesse, miracle ! Mon vieil époux, semblable à un nouveau Titon, s’est rajeunit dans les bras de son Aurore : cette nuit fut plus abondante en plaisir que je ne l’espérois. La nature fit en ma faveur un dernier effort chez mon époux, et trois fois il se signala : il fut enchanté de mes agaceries, et elles produisirent un merveilleux effet. Il me quitta ce matin pour aller à dix lieue passer trois jours pour des affaires de famille.

Je ne restai pas long-temps veuve ; mon ancien amant, mon vieux chevalier, vint me tenir compagnie. Je lui fis part de ma bonne chance ; je lui dis que mon époux avoit fait son devoir au mieux, et qu’il m’avoit fait oublier ses soixante ans. Nous étions, à l’instant de cette conversation, dans ma chambre à coucher, justement assez près de mon lit. En le fixant, il me dit : voilà donc le trône de vos plaisirs ? Que j’envie le sort de mon ami.

De quoi vous plaignez-vous, lui dis-je, n’avez-vous pas, avant lui, connu les appas que vous semblez regretter ? Il ne me répondit rien.

Il porta sa main sur mon sein ; loin de la repousser, je la pressai avec plus de force. Enhardit par mon geste, il me renversa et troussa mes juppes : ses levres brûlantes s’appliquerent sur toutes les parties de mon corps.

Après avoir rassassié ses yeux, en contemplant mes charmes, il se précipita sur moi. Je l’enlaçai fortement avec mes jambes, et l’agilité de mes reins seconda parfaitement ses efforts. Nous parvînmes tous deux à la suprême jouissance. Il vouloit que je lui accordasse cette nuit ; mais j’ai résisté à sa demande ; je veux mettre de la prudence dans toutes mes actions ; je veux jouir, mais je veux jouir sans crainte. Quelque temps après le départ du chevalier, je reçus la visite de Lucidor, le neveu de mon mari, celui pour lequel je soupirois en secret : il n’est pas si novice que je croyois. Après des complimens d’usage, il me proposa un tour de jardin ; je l’acceptai ; nous y descendîmes. Après plusieurs tours d’allée, il me conduisit vers un petit bois très écarté. Là, un charmant berceau vous invite d’y entrer. Un banc de mousse légere, le murmure d’un petit ruisseau qui serpente mollement et borde ce petit bois, tout inspire la volupté. Le soleil baissoit, et déja la lune répandoit une douce clarté. Lucidor ne bégayoit plus que quelques mots ; moi, éprise de sa jeunesse, de ses graces, je me défendis mal. Il porta, en tremblant, sa main sur mon sein. Sa bouche s’approcha de la mienne, qui ne s’ouvrit que pour lui dire : ah ! méchant ! … Il me comprit à merveille, et me donna mille baisers ; il me coucha sur le banc de verdure, et… vous devinez le reste.

Voilà, ma chere abbesse, comme j’emploie le temps que mon époux me laisse seule. Cette conquête me plaît infiniment, et Lucidor me promet les plus belles jouissances. Je viens de le quitter à l’instant ; il doit revenir demain : la nuit me paroîtra des plus longues.

Me voilà fixée ; je ne veux plus faire de conquête ; Lucidor me suffit.

Adieu charmante Merville ; j’irai te voir sitôt le retour de mon époux ; j’irai jouir de tes délicieuses caresses.

Adieu. Je te baise de tout mon cœur,

Laure Blainville.

FIN.