LETTRE

De Laure à madame de Merville.


Ma chere amie, l’œuvre est consommé ; je suis la femme de M. de Blainville. J’ai mis tant d’adresse, tant d’innocence dans le moment décisif, qu’il a été enchanté de son triomphe. J’ai crié à me faire entendre des voisins. Il s’y est repris par trois fois, et il étoit en nage. Oh ! je lui ai donné de la besogne ! il jureroit sur ces grands dieux que je suis la plus neuve de toutes les femmes. Si tu avois vu mon embarras, ma rougeur, lorsqu’il voulut me mettre dans la main son outil ; Tu aurois ri de bien bon cœur. L’on eût juré que de ma vie je n’en avois vu ; il admiroit mes tettons, mes cuisses, mes fesses ; tous recevoient son hommage ; mais malgré ces objets séduisans, je ne pus jamais obtenir une seconde audience. Oh ! s’il croit qu’une jeune personne d’un tempérament ardent, se contente d’une fois de jouissance, il se trompe, et je crains bien que ma vertu ne succombe à la vue du premier homme aimable qui me dira qu’il m’aime.

Quelle différence, ma chere abbesse, du vit de notre pauvre Grand-pine à celui de mon époux ! quelle différence !

Imagine-toi un court engin tout ridé, une tête pelée, qui ne peut à peine décalotter, des couilles noires et flasques, surchargées d’un poil grisâtre et clair semé. Voilà le portrait, encore flatté, de mon présent de noce. Moi qui en ai vu de si beaux, de si longs, de si vigoureux, juge comme je dois être contente ? je n’ose encore lui faire appercevoir tout le feu de mon tempérament ; j’attends, pour le faire éclater que le hazard me procure une occasion favorable.

À la noce, j’ai apperçu un neveu de mon époux, qui me paroit taillé comme il faut ; mais il est bien neuf, et je crains d’être obligée de faire les avances.

Hier je fus avec mon époux dans une société. La premiere personne que je vis étoit le chevalier avec lequel j’ai vécu à paris, et qui me procura au directeur de l’opéra. La routeur me monta sur le front, il s’en apperçut, il s’approcha de moi et me dit à l’oreille : ne craignez rien, belle Laure, je suis discret. Cela me rassura. J’appris qu’il avoit fait les dernieres guerres avec mon époux, et que son château étoit contigu au nôtre.

Tandis que les autres personnes jouoient, nous descendîmes au jardin. Il me demanda par quel hazard je me trouvois la femme de son ami. Je lui contai tout sous le sceau du secret. Il ria de tout son cœur, et me promit bien qu’il alloit rompre un hymen qu’il étoit prêt de contracter ; oh, me dit-il, voilà une leçon forte. Il me pria de si bonne grace de lui accorder les mêmes faveurs que ci-devant, que je ne pus le refuser, et nous prîmes des arrangemens pour nous voir.

J’espere bien mettre aussi le neveu dans mes filets : je veux faire rafle d’hommes dans ce canton.

J’irai vous conter toutes les avantures qui m’arriveront, et j’espere chez vous présider encore à quelqu’une de vos orgies.

A présent je ne crains plus rien. Et puis mon époux n’est point un argus, et une femme telle que moi en tromperoit dix mille.

Adieu, ma chere abbesse, adieu ma tendre amie ; nous nous verrons souvent et je baiserai encore avec délices ton beau sein. Je vais entrer au lit nuptial, mais je ne compte point sur des plaisir bien vifs : tu seras plus heureuse que moi ; frère hercule ne te laissera pas chomer.

Je t’embrasse et suis toujours, ton amie.

Laure,

Femme Blainville.