LETTRE

De madame de Merville au révérend
pere Ignace.


Mon ami, Laure est arrivée, plus belle que jamais. Des larmes de joie ont coulé de nos yeux. Nous espérons arranger tout avec son pere ; sa lettre a fait un merveilleux effet ; le bon homme croît autant à sa sagesse qu’à son amour. Mais comme il est interressant qu’il ne la vît pas dans l’état où elle est, elle va lui écrire une seconde lettre, pour lui apprendre son arrivée et sa maladie. D’ailleurs je crois qu’elle est venue à temps : cette nuit elle a senti des mouches. Nous avons tout préparé. Une sage femme de nos amies est dans cet instant près d’elle, et ne la quittera plus. Nous allons toutes travailler à son bonheur. Nous serons bien récompensées de nos soins, si nous pouvons parvenir à l’établir, et à envelopper d’un voile impénétrable ses turpitudes et son libertinage.

Au moment où je ferme ma lettre, sœur Ursule vient m’apprendre que Laure est accouchée d’un beau garçon. Nous allons le faire nourrir dans le village ici près. Ne tarde point à venir rendre tes devoirs à notre belle malade.

Viens ce soir goûter dans mes bras cette volupté pure dans laquelle nous nous plongeons si souvent.

Adieu ! je t’embrasse avec l’ardeur d’une sensible amante.