Les Progrès du libertinage/05
LETTRE
De madame de Merville au révérend
pere Ignace.
Mon ami, Laure est arrivée, plus
belle que jamais. Des larmes de joie
ont coulé de nos yeux. Nous espérons
arranger tout avec son pere ; sa lettre
a fait un merveilleux effet ; le bon
homme croît autant à sa sagesse qu’à
son amour. Mais comme il est interressant
qu’il ne la vît pas dans l’état
où elle est, elle va lui écrire une
seconde lettre, pour lui apprendre
son arrivée et sa maladie. D’ailleurs
je crois qu’elle est venue à temps :
cette nuit elle a senti des mouches.
Nous avons tout préparé. Une sage femme de nos amies est dans cet
instant près d’elle, et ne la quittera
plus. Nous allons toutes travailler à
son bonheur. Nous serons bien récompensées
de nos soins, si nous
pouvons parvenir à l’établir, et à
envelopper d’un voile impénétrable
ses turpitudes et son libertinage.
Au moment où je ferme ma lettre, sœur Ursule vient m’apprendre que Laure est accouchée d’un beau garçon. Nous allons le faire nourrir dans le village ici près. Ne tarde point à venir rendre tes devoirs à notre belle malade.
Viens ce soir goûter dans mes bras cette volupté pure dans laquelle nous nous plongeons si souvent.
Adieu ! je t’embrasse avec l’ardeur d’une sensible amante.