Les Prisons de Paris sous la Commune
Revue des Deux Mondes3e période, tome 23 (p. 520-559).
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LES
PRISONS DE PARIS
SOUS LA COMMUNE

VI.
LA GRANDE-ROQUETTE[1]


V. — La mort de Delescluze.

« O Paris, qui n’es plus Paris, mais une spélonque de bestes farouches, » dit la harangue de M. Daubray, dans la Satire Ménippée, Cette exclamation, qui de nous ne l’a répétée pendant les exécrables journées du 25 et du 26 mail tout brûlait, tout allait brûler ! Un océan de flammes roulait au-dessus de la ville : jamais bataille ne fut plus acharnée, jamais pareille destruction ne s’était vue. Les greniers d’abondance du quai Bourdon flambaient, et aussi les entrepôts de la Villette, et, au même endroit, le dépôt de la Compagnie des petites voitures, où, en prévision du siège, on avait accumulé des amas de vivres qui s’y trouvaient encore[2]. Sept cent soixante-douze maisons enflammées, sept cent cinquante-quatre autres attaquées par l’incendie ; la caserne d’Orsay, les Tuileries, le Palais-Royal, la Cour des comptes et ses archives, le palais de la Légion d’honneur, la Caisse des dépôts et consignations, le Palais de Justice, la Préfecture de police, les Gobelins, l’Hôtel de Ville, l’Administration de l’octroi, l’Assistance publique, le Théâtre-Lyrique, le théâtre de la Porte-Saint-Martin, le théâtre des Délassemens-Comiques, la bibliothèque du Louvre, le Ministère des finances, tous en feu et s’écroulant, faisaient de Paris un horrible brasier. Plus d’un Parisien, contemplant ce spectacle, a pleuré et s’est demandé, sans oser se répondre, s’il appartenait réellement à la race et à la patrie des hommes qui commettaient ce crime.

Les troupes françaises, enivrées à leur tour et presque affolées, se ruaient à la bataille avec une sorte de rage. Pendant les deux premiers jours de la lutte, le 22 et le 23 mai, elles avaient été très calmes, suivant passivement leurs officiers qui payaient d’exemple, et livrant avec abnégation ce dur combat des rues, antipathique et plus pénible que nul autre. La vue des premiers incendies les remplirent de colère ; la résistance des insurgés les exaspéra, et il ne fut plus possible de les modérer. Dans le cœur des soldats, les mauvais souvenirs s’étaient aigris. Ces hommes, qui avaient tant souffert, qui avaient inutilement dépensé tant de vaillance, qui avaient supporté la captivité, la misère, la faim ; la maladie, les longues étapes sur les routes inhospitalières, la honte d’une défaite imméritée, et qui, pour prix de leurs humbles sacrifices, n’avaient récolté que des injures, devinrent les champions de leur cause personnelle. Ceux dont ils avaient à réduire la révolte, ceux qui incendiaient nos monumens, renversaient nos trophées militaires, assassinaient les plus honnêtes gens du pays, qu’avaient-ils donc fait durant la guerre ? Ils s’étaient amplement gobergés au milieu des tonneaux de vin et d’eau-de-vie, ils avaient péroré dans les cabarets, neutralisé la défense par leurs émeutes sacrilèges, ne s’étaient point portés au-devant de l’ennemi, et avaient misérablement gardé toutes leurs forces pour essayer d’en accabler l’armée et le gouvernement de la France. Ces soldats, que l’on avait accusés de lâcheté, que l’on avait si lestement traités de capitulards, comprenaient instinctivement qu’ils se trouvaient en présence des hommes dont l’indiscipline, les insupportables fanfaronnades, la volonté de ne pas combattre, avaient été les plus sûrs auxiliaires des armées envahissantes ; en les frappant, ils crurent non-seulement obéir à la loi, mais venger la patrie. En réalité, ce qu’ils punirent avec acharnement, ce fut moins l’année meurtrière du 18 mars que l’armée qui, pendant le siège, s’était systématiquement tenue hors du devoir et du danger. C’est là surtout ce qui donna aux derniers efforts de la lutte un caractère d’implacable brutalité. La révolte avait été sans pitié, la répression fut sans merci comme dans les batailles qui se prolongent au-delà des forces humaines, l’enivrement de la tuerie avait saisi tout le monde ; vainqueurs et vaincus n’eurent point de pardon les uns pour les autres. Les lois de sang que la commune avait promulguées et appliquées retombaient sur elle ; à son tour, elle allait mourir égorgée.

L’illusion a-t-elle été sincère chez les chefs de l’insurrection ; ont-ils cru que, répudiés par le pays tout entier, attaqués par l’armée française, menacés par les troupes allemandes, qui auraient forcé l’entrée de Paris si le gouvernement légal ne se fût enfin décidé à agir[3], ont-ils cru que leur cause sans drapeau, sans principe et sans nom, pourrait triompher et n’était pas condamnée à la mort violente ? On pourrait le penser en se reportant à certains documens de l’époque. Le 24 mai, le jour même où l’assassinat des otages brisait toute chance de conciliation, on afficha dans Paris une proclamation que les membres du comité central avaient rédigée la veille. On y lisait, avec stupéfaction, les conditions proposées de puissance à puissance : « 1° L’assemblée nationale, dont le rôle est terminé, doit se dissoudre ; 2° la commune se dissoudra également ; 4° l’armée, dite régulière, quittera Paris et devra s’en éloigner d’au moins 25 kilomètres. » On croit rêver. Si quelques hommes, dont le cerveau était absolument perverti par le rôle étrange qu’ils avaient arraché aux événemens, ont pu s’imaginer que la victoire définitive leur resterait, il n’en était pas de même des spectateurs consternés de cette descente de la Courtille révolutionnaire. Nul, à Paris, ne crut à la durée de ce pouvoir matérialiste jusqu’à l’abjection, et parmi ceux qui eurent le singulier courage de l’exercer, personne ne conservait d’espérance à la date du 25 mai. Le plus simple raisonnement, à défaut de sagesse ou de patriotisme, exigeait que l’on mît bas les armes et que, pour une cause d’autant plus perdue qu’elle n’était pas née viable, on ne sacrifiât pas des milliers d’existences. C’est là ce que commandait l’humanité ; mais ce fut la passion qui l’emporta, et tout fut perdu.

Dès le début de la lutte suprême, les mesures de destruction sont prises, et l’on met en action le programme tracé le 27 novembre 1870 dans une séance du comité de la ligue à outrance : « Paris doit être brûlé ou appartenir aux prolétaires. » L’ordre donné est positif, et le voici dans son implacable simplicité : « Paris, 3 prairial an 79 (22 mai) ; le citoyen Millière, à la tête de 150 fuséens, incendiera, les maisons suspectes et les monumens de la rive gauche. Le citoyen Dereure, avec 100 fuséens, est chargé des Ier et IIe arrondissemens. Le citoyen Billioray, avec 100 hommes, est chargé des IXe, Xe et XXe arrondissemens. Le citoyen Vésinier est chargé spécialement des boulevards de la Madeleine à la Bastille. Ces citoyens devront s’entendre avec les chefs de barricades pour assurer l’exécution de ces ordres. » L’histoire, qui enregistre les excès de la bêtise et de la cruauté humaines, nous prouve que tous les fanatismes sont implacables et se ressemblent. Dans Les belles figures et drolleries de la ligue (1589), l’Estoile nous a conservé un fragment manuscrit qui s’applique avec une précision race aux événemens que nous essayons de raconter. « Pauvre peuple, s’écrie-t-il, ceux qui sont perdus en eux veulent te voir perdre avec eux. J’en demanderai la résolution prise en leur dernière assemblée chez le bon curé de Saint-Cosme, à l’issue de son sermon, qui fut que, n’ayant d’espoir, ils brusleroient tous les registres du parlement, du Chastelet, de la Chambre des comptes et de l’Hostel de Ville ; puis, s’assemblant par leurs quartiers, mettraient le feu chascun chez soy et s’efforceraient d’esteindre ceux qui s’efforceraient de l’esteindre[4]. » Les rêveurs malfaisans de la ligue et de la commune peuvent se donner le baiser fraternel à travers les siècles.

Le 25 mai, la commune était aux abois : elle s’agitait encore et ne vivait plus ; mais les derniers spasmes de son agonie devaient être terribles. Ce jour-là, son pontife, celui que l’on appelait volontiers le vétéran de la démocratie et de la révolution, Delescluze allait mourir. Sa mort ne fut pas sans influence sur le sort des otages détenus à la Roquette, et c’est pourquoi elle nous appartient. Delescluze avait alors soixante-deux ans. ; il avait beaucoup souffert, avait connu les geôles, l’exil, la déportation, était d’une santé délicate, souvent malade, et, malgré son énergie naturelle centuplée par les événemens qu’il tentait de diriger, était parfois affaissé et paraissait beaucoup plus âgé qu’il ne l’était réellement : c’était un vieillard ; malgré les soins recherchés qu’il prenait de sa personne, il en avait l’aspect et la débilité. Depuis la disparition de Rossel, tout le poids de la lutte retombait sur lui ; membre du comité de salut public, délégué à la guerre, il faisait son noviciat militaire à un âge qui ne comporte plus l’apprentissage rapide et dans des circonstances dont la gravité dépassait singulièrement ses facultés originelles ; mais il était de ces hommes pour lesquels les convictions et les passions politiques tiennent lieu de talens naturels ou acquis. Il se croyait homme d’action parce qu’il était franchement jacobin ; il avait accepté, sans contrôle ni critique, toutes les légendes de la révolution : Robespierre était son idéal et son idole ; il n’était pas éloigné de croire à l’influence civilisatrice de la guillotine et s’imaginait avec une naïve sincérité qu’il portait seul l’héritage des « géans de 93. » Comme la plupart des sectaires de cette espèce, il avait l’intelligence courte et rigide. Beaucoup plus bourgeois que démocrate, quoique l’on en ait dit, s’il rêvait le gouvernement du peuple par le peuple, c’était à la condition de représenter celui-ci au pouvoir, ou plutôt à la dictature, car, pour lui comme pour d’autres, « la force prime le droit. » Malgré la violence étroite de ses opinions, quoique son ambition démesurée et les illusions qu’il se faisait sur lui-même l’aient toujours poussé à lutter contre tout état de choses qu’il ne dirigeait lui-même, quoiqu’il se fût associé sans réserve aux criminelles tentatives du 31 octobre et du 22 janvier, il valait mieux que le milieu où il était tombé. Méprisant les socialistes, qu’il traitait de rêvasseurs, il penchait, dans le comité de salut public, vers les hébertistes, fut obligé de s’allier à eux afin de rester le maître, les subit, et n’osa pas leur rompre en visière pour mettre obstacle aux cruautés qu’ils commettaient. S’il ne fut l’auteur principal des actes mauvais, il en fut le complice, et cela seul empêche de plaider les circonstances atténuantes en sa faveur.

Solidaire de son propre passé, engagé dans une voie où il ne voulait pas reculer, Delescluze sut mourir pour une cause néfaste à laquelle, dans le fond de sa conscience, il ne croyait plus depuis longtemps. Il est mort découragé, et les saturnales honteuses auxquelles il assistait depuis deux mois ont dû lui prouver qu’entre les rêves et la réalité il y avait un abîme plein de sanglantes immondices. Il était résolu à ne point survivre à l’écroulement de ses espérances et peut-être aussi à l’anéantissement de ses illusions. Son parti semble avoir été bien arrêté. Le 22 janvier, voyant la débâcle des siens sur la place de l’Hôtel de Ville et sortant de la maison de la rue de Rivoli où il avait attendu le résultat de l’émeute, il dit à Arthur Arnould, sur le bras duquel il s’appuyait : « Si la révolution succombe encore une fois, je ne lui survivrai pas. » Cependant une note secrète expédiée le 15 mai de Belgique à Versailles affirmait que Delescluze venait de faire louer un appartement à Bruxelles afin de s’y réfugier après la défaite prochaine qu’il prévoyait. Cette note semble indiquer les fluctuations de cet esprit à la fois indécis et tenace ; en tout cas, aux dernières heures de la commune, Delescluze paraît avoir renoncé à tout projet de fuite, car, dans la soirée du 24 mai ou dans la matinée du 25, il écrivit la lettre suivante : « Ma bonne sœur, je ne veux ni ne peux servir de victime et de jouet à la réaction victorieuse. Pardonne-moi de partir avant toi, qui m’as sacrifié ta vie ; mais je ne me sens plus le courage de subir une nouvelle défaite après tant d’autres. Je t’embrasse mille fois comme je t’aime ; ton souvenir sera le dernier qui visitera ma pensée avant d’aller au repos. Je te bénis, ma bien-aimée sœur, toi qui as été ma seule famille depuis la mort de notre pauvre mère. Adieu, adieu, je t’embrasse encore. Ton frère, qui t’aimera jusqu’au dernier moment : CH. DELESCLUZE. »

Des bruits contradictoires et mensongers, dont il convient de faire justice, ont couru sur la mort de Delescluze ; deux versions sont en présence qui ne sont pas plus vraies l’une que l’autre. On a dit que dans la journée du 25 mai, alors qu’il était réfugié à la mairie du XIe arrondissement, Delescluze avait été assailli par une prodigieuse quantité de colonels, de commandans, d’officiers de tous grades, de fonctionnaires de tout rang, qui étaient venus, avec des supplications et des menaces, lui demander de l’argent ; il aurait résisté vivement aux importunités dont il était l’objet et se serait même emporté jusqu’à jeter les clés de la caisse au visage des solliciteurs. Le fait est très douteux, car ce jour-là même on distribua dans la mairie des sommes considérables à des officiers fédérés et à plusieurs membres de la commune. Quoi qu’il en soit, Delescluze, désespéré, profondément dégoûté des convoitises dont il était le témoin, se serait levé en disant : « Il faut en finir ; quant à moi, j’ai vécu ! » Il serait sorti alors et tranquillement, comme s’il eût été à la promenade, aurait marché devant lui, sur le boulevard Voltaire, jusqu’à la barricade de la place du Château-d’Eau. Là, il serait monté sur le tas de pavés et y serait resté à découvert, semblable à une cible vivante, jusqu’au moment où un coup de feu le renversa. Ce récit est trop traditionnellement révolutionnaire pour n’être pas suspect. On l’a encore enjolivé : « Le soleil se couchait… Pour la dernière fois, dit M. Lissagaray, cette face austère, encadrée dans sa barbe blanche, nous apparut tournée vers la mort. Il venait de tomber foudroyé sur la place du Château-d’Eau. » — « Le feu des versaillais redoubla d’intensité. Delescluze put faire quelques pas encore sur la place du Château-d’Eau, écrit Fr. Jourde (Souvenirs d’un membre de la commune, p. 82). Devant nous, le soleil disparut, se voilant dans des nuages d’or et de pourpre. Quelque chose comme un déchirement immense, lugubre, se fit entendre. Delescluze venait de tomber foudroyé. » — Ce sont là des amplifications de rhétorique qui n’ont rien à faire avec la réalité. Delescluze n’est point tombé sur la place du Château-d’Eau, au-delà de la barricade qui fermait l’entrée du boulevard Voltaire ; il est tombé en-deçà sur le boulevard même.

L’autre version est simplement absurde. M. Washburne, ministre plénipotentiaire, des États-Unis d’Amérique, mû par un sentiment d’humanité, aurait, dans la soirée du 24 mai, fait une démarche auprès des autorités allemandes afin que celles-ci intervinssent et obtinssent un armistice en faveur des insurgés. Le 25, il se serait rendu à la mairie du XIe arrondissement, aurait fait accepter ce projet à Delescluze, aurait vainement tenté de sortir de Paris avec lui dans la matinée, serait revenu le soir vers cinq heures et aurait, pour ainsi dire, assisté à sa mort. Un des historiens de la commune, M. Lissagaray, adopte cette fable en la modifiant légèrement ; ce n’est plus M. Washburne, mais simplement un de ses secrétaires. Ces allégations ne sont que ridicules ; elles seraient odieuses, si l’on ne savait que les gens de la commune et ceux qui les hantaient ne connaissaient pas le premier mot des usages diplomatiques et que leur niaise crédulité égalait leur ignorance. Nous sommes formellement autorisé à déclarer que tout le personnel de la légation des États-Unis, — ministre, secrétaires, employés, — s’est strictement tenu à l’écart pendant ces jours douloureux, que nulle tentative de conciliation n’a été essayée, et que nulle ingérence, même officieuse, n’eût été tolérée par M. Washburne. Cette légende a été fabriquée de toutes pièces et s’est fait jour pour la première fois en 1871, au lendemain de la défaite, dans l’adresse du conseil général de l’association internationale des travailleurs au conseil central de New-York pour les États-Unis. Ce n’est même pas une erreur, c’est un mensonge intéressé destiné à faire croire qu’il existait quelque solidarité entre l’Amérique et la commune[5].

L’intervention d’un membre quelconque du corps diplomatique et des autorités allemandes n’est pas plus vraie que la prétendue fuite tentée par Delescluze. L’avant-propos d’un roman de M. Ranc, une déposition erronée d’un témoin mal informé, ont servi de base à une fable que le souci de la vérité fait encore un devoir de mettre à néant. On a dit que, sous prétexte d’une communication importante à faire à l’un des chefs de l’armée allemande, Delescluze avait essayé de franchir la porte de Vincennes, qu’arrêté, maltraité par les fédérés, il s’était vu obligé de revenir sur ses pas et de reprendre place à la mairie du XIe arrondissement. C’est faux. Dans la journée du 25 mai, la porte de Vincennes étant gardée par le commissaire de police J…, ancien employé au journal le Réveil et qui était absolument dévoué à Delescluze. Si celui-ci s’était présenté, le pont-levis eût été immédiatement abaissé pour lui. Quatre soldats seulement, quatre Espagnols, appartenant au corps franc des Amis de la France, étaient de service et prêtaient main-forte-à J… Personne ne sortit dans cette journée, quoique le nombre de ceux qui voulaient s’échapper fût nombreux ; on refusa même le passage à M. R.., agent d’assurances à Bagnolet, qui justifiait de son identité. Une seule exception fut faite en faveur d’un correspondant du Times, qui donna vingt francs « pour les blessés. » Le lendemain matin 26 mai, quatre officiers fédérés, qui étaient le lieutenant Pitois fils, le colonel Collet, le capitaine Julaud et un autre capitaine dont on ignore le nom, portant chacun un sac de 1,000 francs destinés à la solde des hommes de Vincennes, franchirent la porte en voiture, ne se rendirent pas au fort et ne reparurent plus. On a probablement attribué à Delescluze une démarche qui fut faite plus tard près des autorités allemandes par Arnold et qui fut reçue avec le mépris qu’elle méritait.

Les apologistes de la commune ont déifié Delescluze, de sa fin ils ont fait un martyre héroïque ; mais ils ont omis de raconter à la suite de quelles violences dirigées contre lui il avait marché vers la mort. Mus par un intérêt de parti, ils n’ont pas dit toute la vérité. Cette vérité, nous allons essayer de la reconstituer, tout en prévenant le lecteur que notre récit ne repose que sur des conjectures, mais sur des conjectures tellement probables, appuyées de témoignages si concordans, qu’elles serrent la certitude d’aussi près que possible. — La journée du 25 mai, — qui est, en fait, la dernière journée de la commune, — fut extraordinairement tumultueuse à la mairie du XIe arrondissement. On se tenait dans la salle des fêtes qui était bien réellement devenue les écuries d’Augias. Le parquet était jonché de débris d’assiettes, de bouteilles cassées, de charcuterie : des matelas maculés gisaient dans les coins ; des tonneaux de vin à demi défoncés, des sacs dégorgeant de cartouches, des touries de pétrole encombraient toutes les chambres. Des estafettes, des officiers entraient et sortaient ; on se gourmait aux portes, il n’y avait plus ni chefs, ni soldats ; il n’y avait plus là que des vaincus, des naufragés qui s’entre-dévoraient. Delescluze avait compris que le refuge de la commune, menacé de toutes parts, ne tiendrait pas longtemps encore et qu’il était prudent de s’assurer une dernière retraite. Il donna des ordres afin que les différens services réunis autour de lui, la caisse où l’on devait puiser une dernière fois avant de se séparer à jamais, les blessés principaux que l’on ne voulait pas abandonner aux troupes victorieuses, fussent évacués sur la mairie du XXe arrondissement, c’est-à-dire sur Belleville, où l’on espérait, des hauteurs de Ménilmontant et des Buttes-Chaumont, pouvoir canonner Paris à outrance, pour se faire des funérailles « dignes d’un grand peuple. » C’est là, dans cette journée du 25 mai, que Delescluze signa l’ordre d’extraire tous les otages que renfermaient la Grande et Petite-Roquette, 1,500 personnes environ, et de les transférer à la mairie de Belleville. L’ordre, communiqué à Ferré, fut contre-signé par celui-ci et remis à Benjamin Sicard, qui fut chargé, conjointement avec Émile Gois, d’en assurer l’exécution, aussitôt que la commune, ou ce qui en subsistait, serait établie dans sa dernière bauge. Delescluze espérait encore pouvoir traiter avec le gouvernement légal. Il voulait, se retranchant derrière 1,500 otages tenus à discrétion, imposer des conditions que l’humanité seule aurait forcé d’accepter : ou le massacre immédiat de 1,500 innocens, ou la vie sauve et le droit de fuite pour les coupables ; il eût laissé le choix à « Versailles. »

Ceci fait, il eut une conversation de quelques instans avec le correspondant d’un journal américain, et, fatigué du bruit, voulant peut-être se rendre compte par lui-même de l’état des choses, il sortit et se dirigea vers l’énorme barricade qui, s’appuyant aux no 1 et 2 du boulevard Voltaire, commandait les approches de la place du Château-d’Eau. Protégé par la caserne du Prince-Eugène et par les vastes constructions des Magasins-Réunis, qui en formaient les défenses avancées, cet obstacle vraiment formidable représentait la clé de Belleville. Il était donc très important qu’il pût tenir au moins jusqu’à minuit, afin que l’évacuation projetée ne fût point interrompue par l’arrivée inopinée de l’armée française. Delescluze examina la situation, causa avec un nègre, ancien turco, qui combattait à la barricade ; puis il entra dans la maison portant le no 4. Il y resta plus de deux heures, dans le vestibule, la tête penchée, les mains derrière le dos, se promenant de long en large et paraissant perdu dans ses réflexions. Lorsqu’il revint à la mairie, il fut accueilli par une bordée d’injures. Son absence avait été remarquée et commentée. À cette heure où l’esprit de défiance avait envahi tous les insurgés, on le soupçonna d’une lâcheté, d’avoir voulu fuir en abandonnant ceux qu’il avait entraînés à leur perte. C’est là, sans doute, à ce moment précis, que prit naissance la fable que nous avons racontée plus haut. Pour ces gens affolés, le correspondant du journal américain devint un ministre plénipotentiaire qui avait apporté un passeport ; le temps de l’absence avait été employé à essayer de franchir une porte que le patriotisme des fédérés avait refusé d’ouvrir. Delescluze fut impassible. Il appela près de lui quelques membres de la commune, Franckel, qu’une blessure forçait à garder le bras en écharpe, Jourde, Johannard ; ils ne l’entendirent pas ; ils se disputaient, se vomissaient leurs vérités à la face, s’accusaient mutuellement et rejetaient les fautes de tous sur chacun d’eux. Peut-être, dans l’emportement de leur fureur, s’adressaient-ils l’horrible apostrophe d’un conventionnel à Fouché en 1814 : « va ! traître ! il n’y a pas un pou de ton corps qui ne soit en droit de te cracher au visage ! »

Des soldats, de bas officiers entouraient Delescluze, lui mettaient le poing sous le nez, lui disaient qu’il était un lâche, qu’il avait voulu s’enfuir, mais que, puisqu’il les avait poussés « dans le pétrin, il y crèverait avec eux. » Delescluze prit sa canne et son chapeau, puis, s’étant dirigé vers la porte, il salua le groupe d’insulteurs qui l’avait menacé, dit : « Adieu, messieurs ! » et sortit. Un fédéré cria : « Il va se sauver ! » et une douzaine d’individus se précipitèrent derrière lui. Il marcha dans la direction du Château-d’Eau et traversa sans difficulté deux basses barricades qui embarrassaient la chaussée du boulevard Voltaire. Arrivé près de la rue Rampon, il fit mine de s’arrêter, comme s’il avait l’intention de s’y abriter. Un des fédérés qui le suivaient, moins pour aller combattre que pour le surveiller, crut qu’il tentait de se dérober et tira sur lui. La balle lui effleura le front. Delescluze leva les épaules avec un geste d’inexprimable dégoût et reprit sa route ; une balle venue des troupes françaises l’atteignit au flanc gauche, il fut renversé ; il s’appuya sur les mains et fit effort pour se relever ; une seconde balle aplatie par un ricochet le frappa au cou et le tua. Il tomba devant le no 5 du boulevard Voltaire. La mort fut-elle instantanée ? Nous le croyons. Cependant une femme qui au milieu de la nuit se glissa sur le trottoir vit un homme vêtu en bourgeois se traîner vers un fédéré blessé et l’entendit crier d’une voix éteinte : « tue-moi, je suis Delescluze ! »

Le vent soufflait du sud ; le corps fut couvert par les flammèches et les débris d’étoffes brûlées qui s’échappaient des deux maisons d’angle du boulevard que les insurgés avaient incendiées. Lorsque le 27 on retrouva Delescluze, il était à la même place. L’identité n’était pas discutable ; on eût dit qu’il avait pris soin d’en accumuler les preuves dans son portefeuille. On y découvrit aussi quelques pièces qui semblent symboliser la commune : une dénonciation lui apprenant que Vermorel était décidé à se défaire de lui « par le fer ou par le poison ; » — une demande de quinze litres d’eau-de-vie pour la ration de trente-cinq hommes ; — l’ordre de détruire immédiatement les maisons d’où l’on aurait tiré sur les fédérés et d’en fusiller tous les habitans ; — une lettre de la citoyenne Verdure, déléguée à l’orphelinat de la rue Oberkampf, relative à un fait de galanterie vénale. Le soupçon, d’ivrognerie, la cruauté, la débauche, n’est-ce pas là en effet le fond même de l’insurrection qui allait succomber ? Pendant que Delescluze mourait, Vermorel, en aidant à ramasser un insurgé frappé d’une balle, recevait une blessure dont il ne devait pas guérir. Lui et Delescluze représentaient les deux partis extrêmes de la commune, les deux adversaires futurs qui se seraient disputé le pouvoir ; l’un était un socialiste ardent, haïssant les jacobins ; l’autre était un jacobin, méprisant les socialistes ; la lutte fut devenue très vive entre eux, et il est probable que c’est Vermorel, — un rêveur, — qui eût succombé.

Lorsque la mort de Delescluze fut connue à la mairie du XIe arrondissement, on proposa le commandement en chef à Wrobleski, le Polonais qui avait très solidement combattu à la Butte-aux-Cailles ; il le refusa, par le motif fort sérieux qu’il n’y avait plus assez d’hommes en armes pour espérer raisonnablement de résister aux troupes françaises. La délégation à la guerre fut alors abandonnée plutôt que confiée au colonel Hippolyte Parent, qui était bien digne d’aider la commune à pousser son dernier râle ; car la veille, 24 mai, et le matin même, il avait fait fusiller huit fédérés qu’il accusait d’être en relations avec Versailles ; deux bandits subalternes, Lachapelle et Forestier, avaient dressé le procès-verbal de l’exécution. En outre, ses états de service en faisaient un homme précieux pour les cas désespérés. C’était un ouvrier chapelier auquel la justice avait accordé quelques loisirs dont il avait sans doute profité pour étudier la science sociale et l’art militaire. Le 10 novembre 1859, le tribunal de Montdidier lui applique une peine de trois mois de prison pour escroquerie ; le 13 novembre 1862, le tribunal de Péronne l’envoie pendant une année en prison pour un délit analogue ; le 14 janvier 1863, la cour d’assises de la Somme lui inflige trois ans d’emprisonnement pour faux en écriture privée ; le 30 novembre 1868, il est, à Lyon, condamné à un an de prison pour abus de confiance ; le 14 juin 1870, dans la même ville, six mois d’emprisonnement punissent un nouveau méfait. Or, au mois de mai 1871, Hippolyte-Achille Parent, dit Narcisse, venait d’atteindre sa trente-deuxième année ; on voit qu’il avait su occuper sa jeunesse.

Conformément aux dispositions adoptées par Delescluze, tout ce qui restait de la commune s’installa, vers le milieu de la nuit, au XXe arrondissement, dans la mairie de Belleville, qui était l’ancien restaurant de l’Ile d’amour, si souvent célébré par les romans de Paul de Kock.


VI. — LA JUSTICE DU PEUPLE.

Dans la journée du vendredi 26 mai, la commune se mit en mesure de faire exécuter la résolution prise la veille sur le transfert des otages ; mais auparavant on voulut sans doute les épurer et donner une suite aux exécutions dont Sainte-Pélagie et la Grande-Roquette avaient déjà été le théâtre. Un ordre vague, indéterminé, ne désignant personne nominativement, fut rédigé : cet ordre prescrivait au directeur du dépôt des condamnés, à Isidore François, de remettre à qui de droit tous les gendarmes détenus à la Grande-Roquette et tous les otages que le peloton d’escorte pourrait emmener. L’homme qui se présenta, muni de ce mandat, se nommait Émile Gois ; il n’en était point à son coup d’essai révolutionnaire. Déporté à Lambessa en 1852, rentré à Paris en 1865, il avait été condamné par contumace aux travaux forcés à perpétuité lors du procès de Blois, et s’était jeté sans réserve, au 18 mars, dans le mouvement insurrectionnel. Ami intime de Mégy, très lié avec « le général » Eudes, il ne pouvait manquer d’occuper quelque haute situation pendant la commune ; successivement juge d’instruction, président de la cour martiale, colonel d’état-major, gouverneur des prisons, il avait, malgré ces multiples occupations, trouvé moyen de faire, au commencement de mai, un voyage en Belgique, non point pour proclamer la république universelle dans le Brabant, mais pour déposer en lieu sûr, à l’abri de ses propres amis et des curiosités de la justice légale, une forte somme qui ne paraît pas avoir été le fruit de ses économies. Il avait été jadis employé aux écritures dans une maison de commerce. C’était un grand garçon de quarante-trois ans, blafard, les joues pendantes et le regard conquérant ; dans l’intimité on l’appelait Grille d’égout ; lorsque l’on a étudié la catégorie d’hommes qui gravite autour de la prostitution et qui l’exploite, on reconnaît que ce surnom prouve qu’Émile Gois vivait de ressources impures qu’il est inutile de spécifier.

L’ordre qu’il remit à François ne fut même pas discuté ; il est probable, du reste, que le directeur savait à quoi s’en tenir et qu’il avait été prévenu du sort réservé à certains otages, car il avait, dès la veille, fait dresser deux listes comprenant, l’une tous les prêtres, l’autre tous les gendarmes, les gardes de Paris et les sergens de ville. Gois désigna, en outre, verbalement quatre détenus dont il exigea l’extraction : Auguste Dereste, ancien officier de paix ; Joseph Largillière, ébéniste ; François Greffe ébéniste ; Joseph Ruault, tailleur de pierre ; ces trois derniers étaient accusés d’avoir été agens secrets sous l’empire. Greff, nous l’avons dit, était un ami de François, qui depuis le matin le cachait dans son appartement. Le malheureux entendit prononcer son nom et vint naïvement se présenter lui-même à Émile Gois, malgré les signes désespérés que lui faisait François, qui eût voulu le sauver. Le brigadier Ramain fat chargé d’aller chercher les prêtres ; le sous-brigadier Picon reçut ordre de faire descendre les gendarmes et les sergens de ville. Les premiers étaient enfermés dans le bâtiment de l’ouest, à la quatrième section, d’où Mgr Darboy était parti pour la mort ; les seconds étaient détenus au bâtiment de l’est, dans la première section.

Les otages de la quatrième section étaient inquiets, mais préparés. Deux faits caractéristiques feront comprendre la qualité supérieure de l’âme de ceux qui s’attendaient à mourir. Parmi les détenus amenés de Mazas dans la soirée du 22 mai se trouvait un jeune homme de vingt-six ans, frêle, délicat, angélique, disaient ses compagnons de captivité, qui était élève du grand séminaire de Saint-Sulpice et s’appelait Paul Seigneret. C’était un être d’une candeur et d’une foi extraordinaires ; il n’avait pas fallu moins que l’autorité de ses maîtres pour l’empêcher de s’engager pendant la guerre et de faire le dur métier de soldat, auquel sa santé très débile le rendait absolument impropre. Sa faiblesse même augmentait son ardeur et lui donnait une sorte de douce exaltation qui rêvait les sacrifices les plus douloureux pour satisfaire aux besoins de ses croyances. Il y avait en lui du missionnaire et de l’apôtre ; il était de ceux qui meurent volontiers et simplement pour confesser leur Dieu. Entraîné par sa foi militante, il avait, dans la prison, recherché la société d’un prêtre des Missions étrangères, M. Perny, qui arrivait des rives du Fleuve-Jaune pour tomber au milieu des persécutions de la commune. Paul Seigneret ramenait toujours la conversation sur le même sujet et disait : « Voyons, mon père, parlez-moi un peu de vos jeunes martyrs de Chine. » En souriant, le missionnaire lui répondit un jour : « Gourmand ! cela vous fait venir l’eau à la bouche, n’est-ce pas ? » Le pauvre Paul Seigneret n’eut point à aller jusque dans l’Empire du Milieu pour s’offrir en holocauste ; les mandarins de la commune lui réservaient le martyre.

M. Chevriaux, proviseur du lycée de Vanves, était, à la Grande-Roquette, voisin de cellule de M. Guérin, prêtre des Missions étrangères, qui avait quitté son costume ecclésiastique. M. Chevriaux, en causant avec lui dans le couloir ou dans le chemin de ronde, ne lui avait pas caché qu’il était marié, qu’il avait un enfant, et que, dans de telles conditions, la mort lui paraissait bien dure. Pendant la nuit qui suivit l’assassinat de l’archevêque, M. Guérin appela M. Chevriaux, avec lequel il pouvait causer grâce à la disposition des fenêtres, et lui dit ; « Ici nul ne nous connaît ; comme vous, je suis vêtu en laïque ; on ne vérifie pas l’identité ; lorsqu’on vous appellera, laissez-moi répondre à votre place. Ma vie est vouée au martyre, et ma mort sera utile si elle sauve un père de famille. » M. Chevriaux refusa ; M. Guérin, avec une insistance héroïque, supplia son compagnon de lui permettre d’accomplir ce sacrifice, qu’il trouvait tout simple. M. Chevriaux fut inflexible, et M. Guérin le blâma doucement de ce qu’il appelait son obstination. Chacun d’eux, sans doute, lorsque Ramain vint faire l’appel de ceux qui allaient mourir rue Haxo, écouta avec angoisse s’il n’entendrait pas le nom de son voisin de captivité. Ni l’un ni l’autre de ces hommes de bien ne fut désigné. Leur dévoûment fut inutile, mais il n’en est pas moins admirable, car c’est du fond du cœur et d’une inébranlable résolution que tous deux avaient fait l’abandon de leur existence.

Il était environ quatre heures lorsque le brigadier Ramain entra dans la quatrième section. Son premier mot, prononcé d’une voix rude, ne laissa aucun doute aux otages ; on venait chercher une fournée : « Attention ! Répondez à l’appel de vos noms ; il m’en faut quinze ! j’en ai déjà un (il faisait allusion à Greff). » Chacun répondit sans faiblesse. Ramain avait quelque peine à déchiffrer un nom et disait : « Bénigny, Bénigé… » M. de Bengy, de la Société de Jésus, s’approcha, dit : « C’est moi, » et se réunit à MM. Caubert et Olivaint. Paul Seigneret fut appelé, il embrassa un de ses compagnons, serra la main d’un de ses camarades de Saint-Sulpice, arrêté en même temps que lui, et se rangea près des autres victimes. Le brigadier les compta deux fois ; un prêtre voulut prendre son chapeau, un autre quitter ses pantoufles ; Ramain répéta le mot déjà dit au président Bonjean : « C’est inutile, vous êtes bien comme cela. » Les onze ecclésiastiques, les trois laïques marchèrent alors derrière Ramain ; on ne les fit point passer par l’escalier de secours que l’archevêque avait descendu ; on les dirigea vers le grand escalier. Ce changement d’itinéraire fut presque un motif d’espoir pour ceux qui les avaient vus partir. On écouta, on chercha à distinguer au milieu du bruit vague de la fusillade un feu de peloton indiquant une exécution militaire ; on n’entendit rien. Néanmoins les otages qui restaient encore à la quatrième section écrivirent leurs dernières volontés et se tinrent prêts à tout. Ceux que l’on venait d’emmener furent conduits dans la salle du greffe[6].

Pendant que le brigadier Ramain les avait appelés et comptés, le sous-brigadier Picon s’était rendu à la première section, que, depuis deux mois, l’on nommait le quartier des gendarmes. C’est là, en effet, que ces malheureux venant du dépôt avaient été écroués le 6 et le 9 avril en compagnie d’une quinzaine d’anciens sergens de ville faits prisonniers comme eux à la journée du 18 mars. On ne fit point l’appel ; Picon se contenta de dire : En rang, et descendez tous. Il y avait là plus de cinquante : hommes qui vaguaient dans le couloir, car la porte de leur cellule restait ouverte toute la journée. L’un d’eux demanda : « Pourquoi nous fait-on descendre, où allons-nous ? — Picon, qui avait reçu le mot du directeur François, répondit : — Il n’y a plus de pain dans la maison ; on va vous conduire à la mairie de Belleville, vous faire une distribution de vivres et vous mettre en liberté. » Les soldats prisonniers coururent à leur cellule, se bouclèrent le sac au dos, se coiffèrent du képi et s’alignèrent dans le corridor. Cependant le maréchal des logis Geanty semblait hésiter ; il regarda Göttmann, le surveillant, un de ceux qui dans la soirée de la veille avaient voulu tenter un coup de force pour sauver ces malheureux. Le surveillant fit de la tête un geste énergique qui signifiait : Ne descendez pas ! Geanty a dû le comprendre ; mais la discipline, l’habitude de toujours obéir fut la plus forte, et puis peut-être s’imaginait-il que l’on « n’en voulait » qu’aux prêtres ; il se retourna vers ses hommes et leur dit : « Allons, descendons ! » Ils partirent tous, deux par deux, marquant le pas, comme s’ils se rendaient à une inspection. On les réunit dans le grand parloir ; à travers les fenêtres, ils purent voir que l’on avait dépavé la cour dans laquelle se tenait un peloton qui n’était pas composé de plus de trente-cinq hommes. Émile Gois, tout vêtu de rouge, accompagné de François, vint regarder les otages ; rapidement, il en supputa le nombre, trente-sept gendarmes ou gardes de Paris, quinze sergens de ville. D’un coup d’œil, il indiqua son peloton d’escorte à François et lui dit : « C’est trop. » On fit sortir tous les sergens de ville, et on les reconduisit à leurs cellules. Au moment où le surveillant Göttmann venait de refermer la grille de la section, il aperçut un garde de Paris qui, plus avisé que les autres, s’était caché et n’avait point suivi ses camarades ; il appela immédiatement le surveillant Bourguignon. ; tous deux entraînèrent le soldat, le poussèrent vers la salle des bains de l’infirmerie en lui recommandant de rester immobile : celui-là du moins fut sauvé.

Le peloton d’escorte ouvrit ses rangs pour recevoir d’abord les gendarmes, ensuite les laïques, puis les prêtres. Émile Gois monta à cheval, et l’on partit. Pour des hommes résolus, l’escorte eût été dérisoire ; mais, nous le répétons, tout ressort était brisé chez ces pauvres soldats, brisé par les mauvais traitemens dont ils avaient été accablés à Montmartre, brisé par la longue captivité qui avait suivi leur défaite ; il ne leur restait plus que l’habitude de la bonne tenue et le courage de bien mourir. Quant aux prêtres, ils appartenaient à une religion dont le Dieu a dit à son premier apôtre : Remets le glaive au fourreau ; ils ne songeaient point à lutter et priaient à voix basse, Les femmes, les vieillards, les très rares hommes que la commune n’avait point poussés à la bataille, tous les gens du quartier en un mot, étaient sortis devant les portes, regardaient défiler ce cortège et ne cachaient point la commisération qu’ils éprouvaient. Dans le haut de la rue de la Roquette, au moment où l’on allait franchir la place où s’élevait l’ancienne barrière d’Aulnay, une femme cria : « Sauvez-vous donc ! » Il est certain que toute maison se serait ouverte pour les recevoir ; mais aucun des otages ne parut avoir l’idée de se dérober. Geanty marchait en tête, ferme, droit, les épaules bien effacées, comme à la parade. On tourna à gauche et l’on s’engagea sur le boulevard Ménilmontant dont on suivit la droite, le long du mur qui borde le Père-Lachaise ; tout le monde était sympathique à ceux qui passaient.

À l’espèce de demi-lune que le boulevard forme devant la rue Oberkampf, on fit halte. Là se dressait une très forte barricade, occupée par des fédérés du 74e bataillon que commandait un certain Devarennes. Émile Gois, qui ne se sentait pas en force pour maintenir les otages, si ceux-ci avaient tenté sérieusement de résister, demanda à Devarennes de lui donner quelques hommes pour grossir son peloton. Une compagnie tout entière, sous les ordres d’un nommé Dalivoust, qui en temps normal était couvreur, mais qui, en temps d’insurrection, faisait le métier de capitaine d’infanterie, se massa autour des gendarmes, et commença à gravir, avec eux, la longue chaussée de Ménilmontant. Cette partie du trajet fut encore relativement douce ; nulle injure ne fut adressée aux otages. Pendant quelques instans, ils purent se rassurer et, à voir la tranquillité bienveillante des personnes qui les regardaient, se persuader qu’on ne les avait pas trompés et qu’en effet on les transférait à la mairie de Belleville. Un seul prêtre fut malmené, le père Tuffier, de Picpus, sans doute, qui, vieux et n’avançant que lentement, fut insulté par les fédérés de l’escorte. On a dit que Paul Seigneret avait offert son bras à un ecclésiastique âgé qui paraissait souffrant ; il est probable qu’il soutenait et qu’il a soutenu jusqu’au bout de cette voie douloureuse la marche hésitante du père Tuffier.

Dès que l’on eut pénétré dans la rue de Puébla, on se trouva au milieu d’une population hostile et menaçante. Quelques pierres furent jetées au milieu des otages, et l’on cria : A mort les calotins ! tout le ramassis des vagabonds en armes, toute l’écume de la bataille, tous les enfans perdus, les lascars, les vengeurs, les déserteurs de l’armée, les voleurs en disponibilité, les assassins en fraierie, les galériens en vacances, s’étaient réfugiés sur les hauteurs de Belleville et de Ménilmontant. On leur amenait à tuer sans péril des hommes qui ne se défendaient pas, c’était là une de ces rares bonnes fortunes dont il faut savoir profiter. Sur la place qui s’étend devant le marché, une masse énorme de curieux regardait l’immense panorama de Paris embrasé. Le sourd retentissement du canon bruissait comme une tempête et montait dans les airs sur un nuage de fumée. Le spectacle avait sa grandeur horrible, l’escorte s’arrêta à le contempler. À ce moment, on fut rejoint par des fédérés exaspérés qui arrivaient des Buttes-Chaumont, où ils avaient été battus. Ils crièrent : « Livrez-nous les prisonniers, nous allons les fusiller tout de suite. » Le mot de prisonniers courut immédiatement dans la foule qui suivait les otages, et l’on raconta que c’étaient des gendarmes, des gardes de Paris et des prêtres que l’on avait pris sur la barricade de la rue Sedaine au moment où ils tiraient sur « le peuple. »

La mairie, — aujourd’hui détruite, — du XXe arrondissement, faisant vis-à-vis à l’église Saint-Jean-Baptiste, prenait façade sur la rue de Paris et avait une large entrée dans la rue des Rigoles, rue étroite et resserrée qui fait suite à la rue de Puébla. À côté d’un lavoir qui existe encore, un groupe d’officiers fédérés réunis autour de la commune réfugiée à l’ancienne Ile d’amour, se tenait devant la porte latérale de la mairie ; Gabriel Ranvier, la brute obtuse, féroce, jalouse, ne pardonnant pas à l’humanité la banqueroute qu’il avait faite, les condamnations qui l’avaient justement frappé, l’incapacité qui en lui neutralisait tout, excepté une ambition désordonnée. Ranvier était là, chamarré de son écharpe rouge et regardant venir le lugubre cortège ; s’adressant à Émile Gois, il lui dit : « Fais entrer tous ces gens-là ici. » Au moment où les otages passèrent devant lui, il leur cria : « vous avez un quart d’heure pour faire votre testament, si cela vous amuse ! » Le bruit se répandit, avec une extraordinaire rapidité, que l’on venait d’amener des prisonniers faits sur les barricades et que l’on allait les fusiller. Ce fut une grande joie dans tout le quartier ; les cabarets vomirent leurs buveurs, les postes lâchèrent leurs soldats, et bientôt il y eut devant la mairie une masse vociférante d’individus armés : au moins quinze cents, ont dit quelques témoins oculaires ; plus de deux mille, ont dit les autres. Au bout de vingt minutes environ, les otages sortirent : le maréchal des logis Geanty, toujours le premier ; puis vingt-sept gardes de Paris, dix gendarmes, les quatre « civils, » les prêtres et le pauvre petit Seigneret, bien pâle, mais soutenant toujours le père Tullier.

Gabriel Ranvier, s’adressant à Grille d’égout, lui cria : « Va me fusiller tout cela aux remparts ! » La population était en fête, elle s’amusait considérablement. Elle avait organisé le cortège à sa guise et en avait fait une sorte de marche triomphale. Une vivandière vêtue de rouge, le sabre à la main, juchée à califourchon sur un cheval, s’avançait la première ; après elle, une batterie de tambours, appuyée d’une fanfare de clairons, sonnait la charge et versait l’ivresse du bruit rhythmé dans ces têtes affolées déjà par l’ivresse de l’alcool et du sang. Derrière les musiciens, un jeune homme de vingt ans à peine, merveilleusement agile et adroit, sorte d’acrobate tombé de corde raide en barricade, dansait en jonglant avec son fusil. La foule armée pressait les otages ; des femmes leur « allongeaient » des coups de poing, des coups de griffe à travers les fédérés, qui les gardaient. On criait : « Ici, ici, il faut les tuer ici ! » Émile Gois apaisait le peuple d’un geste de la main et disait : « Non ; vous avez entendu le citoyen Ranvier, il a ordonné d’aller aux remparts. » Dans cette rue de Paris, insupportablement longue, le martyre que ces malheureux eurent à souffrir n’est pas concevable. Pas un de ceux dont ils étaient entourés qui ne voulût frapper son coup, japper son injure, lancer sa pierre. Ils ruisselaient de sueur ; les soldats avaient une admirable contenance et, sous les immondes projectiles qui les accablaient, marchaient comme au feu dans les bons jours de victoire du temps de leur jeunesse ; derrière eux, à haute voix, les prêtres les exhortaient à bien mourir : il n’en était pas besoin. Mais, à distance historique des événemens, il n’en reste pas moins incompréhensible que pas un de ces hommes, qui tous étaient très braves, n’ait tenté un effort désespéré. Un mot nous a été dit qui explique peut-être cet étrange phénomène : tous avaient peur d’être massacrés et espéraient encore qu’ils ne seraient que fusillés. — Cette épouvante de la douleur prolongée semble avoir hanté l’esprit de tous ceux qui ont été assassinés par la commune ; que l’on se rappelle la dernière parole de Jecker : « Ne me faites pas souffrir ! »

Autour d’eux, on chantait, on dansait, on hurlait ; la foule, absolument enivrée, était parvenue à cet état de paroxysme qui enlève la conscience de soi-même et des actes que l’on va commettre. Il n’y avait plus là en présence que des jouets humains que l’on allait torturer pour « s’amuser » et des furieux devenus incapables de distinguer le bien du mal. Cette sorte de folie, c’est la maladie des foules, qui sont des agglomérations nerveuses où la sensation subite, la brusque impression tiennent lieu de sentiment et de raisonnement. À la croix formée par l’intersection de la rue de Paris et de la rue Haxo, la tête du cortège s’arrêta, la queue continua à marcher, et il y eut une confusion qui permit à des énergumènes de se rapprocher des otages et de les frapper au visage. Après quelques convulsions de cette masse en frénésie, on fit halte, et tout le monde se mit à parler à la fois. Il s’agissait de savoir où l’on conduirait les victimes et où on les mettrait à mort. Les uns voulaient, tournant à gauche, prendre le bas de la rue Haxo et aller les tuer à la porte du Pré-Saint-Gervais, ; les autres, demandant à continuer la rue de Paris, proposaient la place des Trois-Communes et la porte de Romainville comme un bon endroit, bien choisi pour les exécutions. On se disputait sans pouvoir se mettre d’accord lorsqu’une voix criât : « Allons au secteur ! » Ce nouvel avis fut immédiatement adopté, et la tourbe, obliquant à droite, entraîna les malheureux avec elle.

Pendant le siège, l’état-major du IIe secteur avait été installé dans quelques petites maisons construites près d’un terrain, mi-jardin, mi-potager et qui formaient ce que l’on appelait la cité de Vincennes. Ce lieu sinistre existe encore et porte aujourd’hui le no 83 de la rue Haxo. Les officiers avaient conservé l’habitude de s’y réunir ; il y avait un dépôt d’armes et de munitions. À l’heure où les otages en approchaient, le secteur était rempli de fédérés harassés de la lutte et demandant que l’on y mît fin. Parmi eux se trouvait un jeune homme de vingt ans qui assista au massacre et en conçut une telle horreur qu’il se sauva, après avoir brisé son fusil, pour ne plus servir une cause capable de tels forfaits. Le soir même, il écrivit le récit de ce qu’il avait vu ; c’est ce récit, empreint d’une sincérité terrible, que nous suivrons pas à pas. Hippolyte Parent, dernier commandant en chef de l’insurrection, avait établi son quartier général au secteur ; Varlin, Latappy, Humbert, étaient près de lui ; Oudet, blessé, avait été déposé dans une chambre ; on disait qu’Eudes et Bergeret venaient de quitter leur travestissement militaire et avaient pris la fuite ; Jourde, après avoir mis 7,000 ou 8,000 francs dans sa poche et avoir laissé à un nommé Guilmois de quoi faire la paie aux sous-officiers qui combattaient encore, avait disparu à son tour. Les gens qui étaient là étaient irrités, inquiets, très hésitans ; ils accusaient les membres de la commune de les avoir trahis et se demandaient s’il ne convenait pas de les fusiller. On entendit tout à coup une immense clameur : c’était la foule qui arrivait, entraînant les otages avec elle ; elle se précipita dans la longue allée bordée de maisons qui formait la cité proprement dite. Quand les otages furent entrés, on ferma une mince barrière en bois ; elle fut immédiatement brisée par les gens qui « voulaient voir. » Des cris de mort retentissaient. Un homme fut très énergique et essaya de défendre ces malheureux. On a dit que cet homme était Hippolyte Parent ; non, non, c’est une erreur, cet homme fut Varlin. Membre de la commune, blessé d’avoir vu le comité central ressaisir le pouvoir. — quel pouvoir ! — après la mort de Delescluze, désespéré de reconnaître que la cause pour laquelle il s’était perdu, allait s’effondrer à jamais dans l’abîme qu’elle se creusait volontairement, il s’était jeté devant les otages, comme pour les protéger et, s’adressant à Hippolyte Parent, il lui criait : « Allons l les hommes du comité central, prouvez que vous n’êtes pas des assassins, ne laissez pas déshonorer la commune, sauvez ce peuple de lui-même, ou tout est fini, ou nous ne sommes plus que des forçats. » Vaines paroles ; nul ne les écoutait. Des fédérés lui répondirent : « Va donc, avocat ! Ces gens-là appartiennent à la justice du peuple, nous avons le droit d’en faire ce que nous voulons ; ils sont à nous ! » Hippolyte Parent se taisait en ricanant, Varlin eut un geste de fureur et voulut recommencer à parler ; quelques-uns de ses amis l’emmenèrent de force. Les otages, maintenus, serrés par la foule, étaient acculés dans un espace carré, assez large, qu’une faible barrière en bois séparant d’un vaste jardin où l’on avait commencé une construction interrompue par la guerre. Contre une muraille élevée d’une douzaine de pieds, une cave inachevée formait une sorte de fosse ; un mur très bas, de 50 centimètres environ, était le soubassement d’une maison future et servait de ligne de démarcation entre le grand jardin et l’étroit terrain où se trouvait le caveau, percé d’une simple ouverture.

Malgré les cris de mort et les menaces qui avaient escorté les otages depuis la rue de Puébla jusqu’à la cité de Vincennes, Il y eut un moment, très court, d’hésitation ; on avait appliqué le maréchal des logis Geanty contre la muraille d’une des maisons ; il se tenait immobile, les bras croisés, impassible sous les pierres et la boue que lui jetaient les femmes[7]. On entendit armer quelques fusils ; on cria : « Ne tirez pas ! ne lirez pas ! la maison est pleine de munitions ! » Il y eut un recul instinctif de la foule ; on eût dit qu’elle était reprise d’indécision et que nul n’osait donner le signal. Un homme grimpa sur une charrette chargée de tonneaux, — poudre ou vin, — qui se trouvait à l’entrée du secteur. Il lut un papier qu’il tenait en main et parla. On applaudit. C’est alors que le boucher Victor Bénot, colonel des gardes de Bergeret, incendiaire des Tuileries, se précipita hors d’une maison, en criant : « À mort ! » Une poussée formidable se fit, la barrière tomba et les otages, d’un seul mouvement, furent entraînés dans le terrain qui précédait le petit mur inachevé. La cantinière qui les avait guidés était descendue de cheval, elle se jeta vers eux ; les femmes excellent aux actes de cruauté, qu’elles prennent pour des actes de courage. Elle porta le premier coup, et tous les hommes qui étaient là devinrent des assassins. Geanty était toujours en tête, — à son rang. — Il entr’ouvrit sa tunique et présenta sa poitrine ; un prêtre âgé se plaça devant lui et reçut le coup qui lui était destiné ; le prêtre tomba, et l’on vit Geanty toujours debout, toujours découvrant sa poitrine ; on l’abattit. À coups de fusil, à coups de revolver, on tirait sur ces malheureux ; des fédérés accourus au bruit s’étaient perchés sur une muraille voisine et chantaient à tue-tête en faisant un feu plongeant. Debout sur un petit balcon en bois, Hippolyte Parent, fumant un cigare et les mains dans ses poches, regardait et regarda jusqu’à la fin.

Le massacre ne suffisait pas ; on inventa un jeu. On força les malheureux à sauter par-dessus le petit mur ; les gendarmes sautèrent ; on les tirait « au vol » et ça faisait rire. Le dernier soldat qui restait debout était un garde de Paris, beau garçon d’une trentaine d’années qui sans doute, de service à la Comédie-Française, avait vu jouer le Lion amoureux de Ponsard ; du moins on peut le croire à la façon dont il mourut. Il s’avança paisiblement vers la basse muraille qu’il fallait franchir, se retourna, salua la tourbe rouge et dit : « Messieurs, vive l’empereur ! » Puis lançant son képi en l’air, il fit un bond et retomba frappé de trois balles sur le monceau de blessés qui s’agitaient en gémissant. L’œuvre n’était point terminée ; cinq otages, quatre prêtres et un « civil, » vivaient encore. On ordonna aux prêtres de sauter par-dessus le mur, ils refusèrent. L’un d’eux dit : « Nous sommes prêts à confesser notre foi ; mais il ne nous convient pas de mourir en faisant des gambades. » Un fédéré jeta son fusil par terre, saisit chacun des prêtres à bras-le-corps, et, pendant que la foule applaudissait, les enleva et les poussa au-delà de la muraille indiquée. Le dernier prêtre résista, il tomba entraînant le fédéré avec lui ; les assassins étaient impatiens ; ils firent feu et tuèrent leur camarade. Un seul restait, le « civil, » évanoui. Son système nerveux n’avait pas été de force à supporter ce long supplice ; le pauvre homme avait perdu connaissance. On le prit par les jambes et par les bras ; on le balança un instant et on le lança sur les autres victimes. On lui fit l’honneur d’une décharge générale[8].

Nul membre de la commune n’assista à cette boucherie, qui avait duré une heure ; était-elle enfin terminée ? Non ; il fallait achever ces blessés qui se plaignaient lamentablement. On se mit à piétiner, à sauter sur eux, on leur tira des coups de fusil et de pistolet sans pouvoir faire taire leurs gémissemens, car ceux qui étaient dessus garantissaient ceux qui étaient dessous. Un fédéré cria : « Allons, les braves, à la baïonnette ! » On lui obéit et cela parut drôle. On larda ces pauvres gens jusqu’à ce qu’ils fussent entrés dans l’éternel silence. Quand on fit la levée des corps, le lundi 29 mai, on constata qu’un des cadavres avait reçu soixante-neuf coups de feu.

Lorsque l’on fut certain que tous étaient bien morts, on se félicita d’avoir « purgé la terre » de tant de Versaillais ; les femmes furent embrassées ; on porta la cantinière en triomphe. On alla dans les cabarets se rafraîchir un peu en parlant de ses hauts faits ; une jeune femme disait : « J’ai essayé d’arracher la langue d’un des curés, mais je n’ai pas pu ; » un artilleur colossal, sorte d’hercule forain, qui, sans armes, avait frappé les otages à coups de poing, disait en montrant sa main enflée : « J’ai tant tapé dessus que j’en ai la patte toute bleue. » Le lendemain, quelques fédérés prévoyans vinrent en famille dépouiller les morts ; puis ils jetèrent les cinquante-deux otages et le fédéré dans le trou du caveau qui était une fosse d’aisances.

Le valeureux Stanley, alors à Ouganda, aux confins de l’Afrique orientale, avait enfin réussi à retrouver Livingstone, lorsque, le 14 février 1872, il reçut les journaux d’Europe qui lui apprirent à la fois l’existence, la chute, les crimes et le châtiment de la commune. Il a noté son impression : « O France ! ô Français ! pareille chose est inconnue même au centre de l’Afrique ! »


VII. — LA RÉVOLTE DES OTAGES.

Pendant que l’armée insurrectionnelle se transformait naturellement en bande d’assassins, les troupes françaises, marchant toujours à découvert contre des hommes embusqués derrière de hautes barricades, continuaient lentement, mais invinciblement, leur mouvement stratégique. Dans la soirée du 26 mai, elles étaient maîtresses de la place de la Bastille, de la rue de Reuilly, du faubourg Saint-Antoine et de la place de la barrière du trône. L’aile droite, après avoir été obligée de vaincre une résistance acharnée, avait enfin réussi à s’emparer de ces positions très importantes qui, lui ouvrant le boulevard Davout et le boulevard Mortier, permettaient d’attaquer à revers les hauteurs de Belleville. L’aile gauche forçant le passage du boulevard du temple, occupant la rotonde de la Villette, s’établissait boulevard Lenoir et sur les rives du canal Saint-Martin jusqu’à la porte de l’Ourcq ; elle menaçait ainsi directement les Buttes-Chaumont. Si lente qu’elle ait été, la bataille avait été bien conduite ; les deux extrémités de l’arc se rejoignaient pour former autour des débris de la révolte un cercle infranchissable.

La commune râlait ; le samedi 27 mai, elle eut une dernière réunion rue Haxo, no 145, dans une petite maison qui avait servi d’état-major au génie auxiliaire des fédérés. Ils n’étaient pas nombreux les triomphateurs du 18 mars, les héros de la tuerie de la place Vendôme, les législateurs de l’Hôtel de Ville, les dictateurs du comité de salut public, les ordonnateurs des incendies funèbres, les généraux, les galonnés, les délégués ; une douzaine tout au plus., ils délibérèrent selon leur invariable habitude, se distribuèrent quelques fonds de réserve gardés avec soin et décidèrent que chacun d’eux, suivant son inspiration personnelle, ferait acte de combattant là où l’on combattait encore. Cela ne leur suffit pas ; ce n’était pas assez révolutionnaire. L’ennemi qui les entourait était nombreux, et, si leur exécrable cause leur eût tenu au cœur, ils auraient pu jusqu’au bout lutter et tomber pour elle ; mais non, la manie de l’imitation terroriste, le besoin de tuer encore les emporta, et, au lieu de prendre un fusil et de mourir enveloppés dans la sanglante guenille qu’ils nommaient leur drapeau, ils se mirent à rechercher ceux d’entre eux qui les avaient déjà et prudemment abandonnés. Où étaient Pindy, et Billioray, et Félix Pyat, et Cluseret et J. Vallès ? On voulut les retrouver à tout prix et quand même. Pour les conduire à la bataille ? Nullement ; pour les fusiller. On ne découvrit que deux pauvres diables d’agens inférieurs, un certain Richard, qui avait été délégué à la caserne du Château-d’Eau, un nommé Dudach, qui avait rempli nous ne savons quelle fonction subalterne, mais qui cependant s’était distingué à l’incendie de l’Hôtel de Ville ; tous deux furent « collés au mur » et mis à mort. Les partisans de toute perversion sociale ont reproché au gouvernement de Versailles d’avoir été cruel pour les « égarés » de ces mauvais jours ; le gouvernement légal a été moins sévère pour les communards que la commune elle-même. En fait, le 27 mai, celle-ci n’existait plus ; le comité de salut public lui-même, ce groupe « d’hommes de bronze et d’acier, » s’était évanoui. La veille, le comité central s’était saisi de la dictature ; on la lui avait livrée sans discussion. Le promoteur du 18 mars, le metteur en œuvre de toutes les horreurs où Paris succombait, revendiquait l’honneur de présider au dénoûment du drame odieux dont il avait joué la première scène.

La folie de destruction qui agitait ces aliénés atteignit alors son dernier épisode. Au matin de cette journée et sur la zone des fortifications qui va de la porte de Bagnolet à la porte de Pantin, les pièces de rempart retournées vers la ville furent pointées contre elle sous leur inclinaison maxima ; elles lançaient au hasard les projectiles dont on les chargeait à outrance, quitte à les faire éclater. Les soldats allemands, l’arme au pied, rangés dans les villages suburbains, regardaient avec stupeur cette dévastation prodigieuse et se félicitaient sans doute en reconnaissant que chez les populaces envieuses la haine sociale détermine plus d’énergie que le patriotisme. Pendant cette journée, où toute la lutte ramassée sur des points singulièrement faciles à défendre fut d’un acharnement sans pareil, deux tentatives furent faites pour obtenir passage à travers les lignes prussiennes. On eût dit que les gens de la commune, semblables à des créanciers exigeans, réclamaient le paiement de la dette de reconnaissance contractée pendant le siège par les Allemands envers le parti révolutionnaire qui les avait si puissamment aidés par ses impitoyables diversions. Hippolyte Parent fit sonner en parlementaire et alla demander à un chef de bataillon bavarois l’autorisation de faire retraite derrière les lignes d’investissement. On lui répondit que l’on n’avait point d’ordre et qu’on en référerait au général Fabrice, qui commandait à Saint-Denis. Un peu-plus tard, Arnold, le membre de la commune, sortit à son tour ; il essaya d’entrer en pourparlers avec les Allemands, fut promené d’officier en officier, et enfin renvoyé avec sa courte honte. Pendant que les uns se cherchaient pour se fusiller, que les autres s’efforçaient de se mettre à l’abri au-delà des armées de l’Allemagne, Jules Allix, l’ancien délégué à la mairie du VIIIe arrondissement, arrivait, tout rayonnant, sur les hauteurs de Belleville. Avec le bonheur qui accompagne les fous, il avait, nous ne savons comment, traversé Paris, et il apportait cette bonne nouvelle que, le centre de la ville étant dégarni de troupes, rien n’était plus facile que de s’en emparer ; il suffisait pour cela de faire « une légère poussée. » La commune alors serait victorieuse à jamais ; et l’on rentrerait dans l’ère de la félicité universelle. Au lendemain de la victoire, le gouvernement légal eut pitié de ce pauvre homme et s’empressa de le réintégrer à Charenton, d’où il n’aurait jamais dû sortir.

Th. Ferré ne se boitait pas, car cela ne paraît pas avoir été trop dans ses habitudes ; plus délègué que jamais à la sûreté générale, cet avorton au bec crochu se sentait charge d’âmes et pensait aux otages qui étaient fort nombreux encore, car la Petite-Roquette seule contenait 1,333 soldats, amenés de différentes casernes, ainsi que nous l’avons déjà dit. La Grandet-Roquette était moins peuplée, elle renfermait 167 détenus criminels et 315 otages. Ceux-ci n’étaient point réunis dans la même division. Les survivans de la quatrième section étaient enfermés dans le bâtiment de l’ouest ; un groupe de 95 militaires était placé dans les dortoirs en commun du même bâtiment. Dans le bâtiment de l’est, séparé de l’autre par la cour principale, la première section, occupée la veille encore par les gendarmes massacrés au secteur de la rue Haxo, était déshabitée ; au-dessus, au deuxième étage, des sergens de ville étaient incarcérés ; au troisième étage, troisième section, quelques prêtres, des artilleurs, des soldats, de différentes armes étaient en cellules. Celles où les ecclésiastiques étaient emprisonnés restaient fermées par ordre du directeur François ; les autres étaient ouvertes et permettaient ainsi aux détenus de se promener dans les couloirs. Une très forte grille fermait les sections à chaque extrémité et interdisait toute communication entre elles. En dehors des cellules, la deuxième et la troisième section comprennent une vaste chambre appelée le lit de camp, qui peut au besoin servir de dortoir à une trentaine de condamnés. On pénètre dans ces divisions par un large escalier ayant son point de départ non loin des bureaux du greffe, ou par l’escalier de secours, escalier en colimaçon qui prend naissance dans le premier chemin de ronde. Le rez-de-chaussée des bâtimens de l’est et de l’ouest est attribué aux détenus criminels qui y font métier de cordonniers, de menuisiers, de serruriers et de forgerons. Lorsque ces détenus sont en récréation dans la cour, la porte des ateliers est toujours close, et les outils doivent rester sur les établis.

On connaissait à la Grande-Roquette le sort des gendarmes et des autres otages qui avaient été extraits la veille sous prétexte d’être conduits à Belleville. La promesse de leur distribuer des vivres et de les mettre en liberté, qui peut-être les avait déterminés à suivre leurs assassins, les avait conduits à la fosse de la rue Haxo. Les sergens de ville, les soldats, tassés dans la seconde section, étaient farouches. Ces vieux soldats, ces victorieux de Crimée et d’Italie, se révoltaient à l’idée d’être saignés comme des porcs ou assommés comme des bœufs. La colère est parfois bonne conseillère ; leur irritation, doublée par l’angoisse, exaspérée par la faim, car le pain manquait depuis la veille, surexcitée par l’horreur que le forfait commis leur inspirait, leur irritation était au comble. Un sentiment de révolte les réveillait enfin de leur longue torpeur ; ils comprenaient que nulle soumission ne les protégerait, qu’ils n’étaient plus qu’un bétail humain réservé à l’égorgement, et que, si une dernière chance de salut leur restait encore, ils ne la trouveraient que dans leur désespoir. Ils se méfiaient des soldats détenus avec eux ; comme les gens menacés d’un grand péril, ils voyaient des ennemis partout, à voix basse et entre eux, ils s’étaient concertés : « Il faut nous barricader et nous défendre ; il vaut mieux se faire tuer ici que d’être écharpé par la populace. » Une seule inquiétude les poignait : qu’allaient faire les surveillans ? Obéiraient-ils aux ordres de cette troupe de loups aux abois ? Se souviendraient-ils qu’eux aussi ils avaient porté l’épaulette et combattu pour l’honneur de ce pays que les galériens de la politique s’efforçaient de déshonorer sous les yeux mêmes de l’ennemi victorieux ?

Les détenus criminels, les condamnés, réunis dans la cour principale, étaient dans l’anxiété : ils avaient peur. Des obus mal dirigés par la batterie du Père-Lachaise, qui cherchait à atteindre la gare d’Orléans, avaient éclaté sur le toit de la maison. La distribution des vivres n’avait point été faite le matin ; ils se racontaient entre eux que la prison était minée, que l’on devait y mettre le feu, que les artilleurs du Père-Lachaise avaient reçu ordre de la détruire ; un surveillant fort habile leur avait dit : — tout le monde y passera, vous comme les autres. — Le meurtre des gendarmes leur avait paru légitime, en vertu sans doute du jugement par les impairs que Raoul Rigault préconisait ; celui des prêtres et surtout celui de l’archevêque les avait indignés. Sous la souquenille de ces malheureux que la chiourme attendait, il y avait plus de sentimens humains que sous l’écharpe rouge des chefs de la commune. Ces détenus croyaient qu’ils seraient fusillés ; ils se comptaient de l’œil, se trouvaient nombreux, se disaient, eux aussi : il faut nous défendre, et calculaient qu’en dépavant les trottoirs de la cour ils assommeraient quelques fédérés avant d’être tués par eux.

À la quatrième section, les otages, qui avaient, en deux jours, regardé partir et n’avaient pas vu revenir vingt et un de leurs compagnons, étaient silencieux et troublés. Un instant, ils avaient eu quelque espoir dans la matinée. La fusillade avait semblé se rapprocher de la Grande-Roquette, comme si l’armée en eût attaqué les rues voisines ; puis elle s’était éloignée et ne leur parvenait plus que sous forme d’une rumeur confuse ; les prêtres priaient, les laïques pensaient aux êtres chers qui les attendaient au logis. Le brigadier Ramain, le sous-brigadier Picon, s’agitaient beaucoup et tâchaient de remonter le moral des surveillans, qui paraissait singulièrement affaissé. Quelques-uns disaient : « Sauvons-nous de cet enfer ; » les autres répondaient : « Non, restons pour protéger les otages. » François, dans son costume des grands jours, l’écharpe rouge en sautoir, le revolver à la ceinture, le sabre traînant, le képi galonné sur l’oreille, promenait partout son importance et semblait attendre quelque grand événement. Parfois il sortait, regardait vers le haut de la rue de la Roquette ; plusieurs fois, Clovis Briant, le directeur de la maison d’éducation correctionnelle, était venu causer confidentiellement avec lui.

Il était une heure environ lorsque Ferré, à cheval, arriva à la Grande-Roquette ; deux cavaliers l’accompagnaient ; l’un d’eux, dit-on, était Gabriel Ranvier ; nous ne rapportons ce bruit qu’avec réserve, car nous n’avons pu en contrôler l’exactitude. Un bataillon de fédérés les accompagnait ; un peloton pénétra dans la première cour, le reste des hommes fut rangé sur la place. Ferré se rendit au greffe, où il fut reçu par François : — Nous venons chercher les curés et les sergens de ville. — À ce moment, un surveillant nommé Bourguignon se trouvait dans le grand guichet. Il reconnut Ferré, il entendit les paroles adressées à François ; il éprouva un sentiment d’horreur inexprimable. Ferré lui prescrivit de prendre tout de suite une voiture et d’aller chercher des vivres pour les soldats du poste, qui s’étaient plaints de n’avoir pas mangé depuis la veille. Bourguignon se contenta de transmettre l’ordre aux gardes nationaux, et, prenant sa course par le chemin de ronde, il contourna la moitié de la prison et entra à l’infirmerie où son camarade Pinet était de service. Il lui cria : « Ils sont là, ils viennent chercher les prêtres et les gardiens de la paix pour les tuer. » Pinet répondit : « Non, il ne faut livrer personne ! » Pinet était un ancien soldat, employé aux prisons depuis quelques années ; rengagé pendant la guerre, mis plusieurs fois à l’ordre du jour, porté pour la croix, il avait repris son poste à la Roquette après l’armistice. Nous avons dit comment il avait vainement essayé de sauver les gardes de Paris. C’est un homme d’une rare bravoure et parfaitement capable de risquer sa vie dans une aventure qui tenterait son courage. Son plan fut immédiatement arrêté : faire révolter les détenus criminels, pousser les otages à une résistance désespérée et s’associer à eux. Bourguignon et lui se jetèrent au guichet central, prirent les clés des grilles de la deuxième, de la troisième section et celles des ateliers[9].

Les détenus condamnés se promenaient dans la cour. Pinet les fit rentrer aux ateliers et leur dit : « On vient vous chercher pour vous fusiller, armez-vous de vos outils et défendez-vous ; nous serons avec vous et nous vous aiderons. » On se précipita sur les valets de menuiserie, les limes, les marteaux de forge, les alênes, les poinçons de cordonniers, et l’on se groupa dans les salles, prêt à la bataille. « Nous pouvons compter sur vous ? » demanda Pinet. — Les détenus répondirent : « Oui. » Pinet leur recommanda de rester dans les ateliers, où ils étaient bien plus en sécurité que dans la cour, et, accompagné de Bourguignon, il monta vers les sections ; Bourguignon entra dans la seconde et lui dans la troisième. En deux mots, Bourguignon expliqua aux sergens de ville, aux soldats prisonniers, qu’il fallait, si on les appelait, refuser de descendre ; que s’ils ne se défendaient à outrance, ils étaient perdus ; qu’il était temps de faire arme de tout bois et de ne laisser pénétrer personne dans la section. Il ajouta : Pinet est là-haut « à la troisième, » je vais aller au greffe surveiller les menées de toute cette séquelle et je reviendrai vous avertir ; je monterai par l’escalier de secours ; placez-y deux sentinelles et assommez tout individu qui ne vous dira pas le mot de ralliement ; ce mot de passe sera : Marseille ! » Les détenus l’acclamèrent et voulurent le retenir parmi eux. Il leur fit comprendre qu’il leur serait plus utile en leur apportant des renseignemens précis ; on le laissa partir et l’on se mit à l’œuvre.

Pendant ce temps, Pinet, refermant derrière lui la grille de la troisième section, criait : « Barricadez-vous ! barricadez-vous ! » Les otages ont-ils commencé à se barricader sur l’injonction de Pinet ; avaient-ils commencé à se barricader avant l’arrivée de celui-ci ? C’est là une question à laquelle il nous est impossible de répondre, les deux versions ont été énergiquement soutenues ; il y a autant de probabilités en faveur de l’une qu’en faveur de l’autre, et le fait en lui-même est trop peu important pour que nous ayons essayé de le dégager des obscurités dont on l’a enveloppé ; mais on peut assurer, en toute sécurité, que sans l’intervention directe et très courageuse de Pinet, escorté de Bourguignon, le sort des otages était singulièrement compromis. La présence d’un surveillant au milieu d’eux, la vigilance d’un autre qui venait les soutenir de ses avertissemens, leur apportaient une force morale qu’ils auraient vainement cherchée entre eux, et que leurs infortunés compagnons fusillés le 24 mai, massacrés le 26, n’avaient point rencontrée. Bourguignon et Pinet représentaient en quelque sorte la prison, qui, elle-même, s’insurgeait pour défendre et sauver ses propres détenus. Quelqu’énergie qu’aient déployée les otages, quelque effort qu’ils aient fait pour assurer leur salut, ils n’auraient peut-être jamais échappé sains et saufs à leur captivité, si ces deux braves gens ne s’étaient sacrifiés avec eux et pour eux[10] !

Très rapidement la résistance fut organisée ; derrière la grille fermée à l’extrémité de chacune des sections, on entassa tous les matelas et toutes les paillasses que l’on put trouver dans les cellules et dans le lit de camp. Depuis le plancher jusqu’au plafond, depuis le mur de gauche jusqu’au mur de droite, l’ouverture fut absolument bouchée : nul jour, nul interstice ; on pouvait bien glisser un canon de fusil entre les matelas, mais le projectile se serait perdu dans les matelas eux-mêmes. On décarrela la chambrée, on rassembla les carreaux en tas à portée des barricades, afin de pouvoir lapider les assaillans si par hasard ils parvenaient, malgré la grille, à démolir l’amas de la literie ; on prit les planches qui servent à soutenir les paillasses, on les fendit, à l’aide de couteaux on les aiguisa de manière à en façonner des lances qui eussent été meurtrières ; on démonta les grosses pièces des lits en fer, afin de pouvoir s’en servir en guise d’assommoirs ; on plaça des sentinelles auprès des grilles, on installa des vigies dans les cellules qui, prenant jour sur la cour principale, découvraient le bâtiment de l’ouest et celui de l’administration. Il y avait là dix prêtres qui priaient Dieu, excitaient les travailleurs et les bénissaient. On était plein d’ardeur, et Pinet, se retrouvant dans les aventures hardies où s’était complu sa jeunesse, payait d’exemple, encourageait tout le monde, jurait de ne point abandonner les otages et de mourir avec eux ou de les sauver avec lui. La troisième section voulant se mettre en relation avec la seconde, on enleva le carrelage, on défonça les plâtres, on arracha les lattes et bientôt un trou de trois ou quatre pieds de diamètre permit aux otages enfin révoltés de communiquer entre eux. Au second étage comme au troisième, on était résolu, armé et prêt. Il y eut une minute solennelle et très touchante ; les otages de la deuxième section se réunirent au-dessous du trou creusé par ceux de la troisième, le front découvert et la tête inclinée ; les dix prêtres s’approchèrent au-dessus de l’ouverture béante, étendirent la main, les bénirent et récitèrent la formule de l’absolution, car chacun s’attendait et se préparait à mourir[11].

Avant de se fabriquer des armes improvisées, on s’était naturellement empressé de barricader les issues des couloirs, car il avait fallu d’abord s’opposer à toute invasion des fédérés. Lorsque Ferré et François eurent causé ensemble et pris quelques mesures pour « l’extraction » des otages, Ramain reçut ordre de faire descendre ceux-ci ; on décida même que les sergens de ville seraient appelés les premiers, et qu’ensuite on ferait descendre « les curés. » Le brigadier envoya chercher au guichet central les clés des grilles de la deuxième et de la troisième section ; le surveillant obéit et revint déclarer que les clés n’y étaient pas. Bourguignon assistait à la scène, en spectateur peu désintéressé ; il faisait le bon apôtre et s’efforçait de rester impassible. Il savait bien où étaient les clés ; celles de la deuxième section étaient entre les mains des otages, celles de la troisième étaient en possession de Pinet. Ramain pensa qu’un surveillant les avait emportées pour faire une ronde dans le bâtiment de l’est, il dit au sous-brigadier Picon d’aller s’en assurer et de faire venir les sergens de ville au greffe. Picon ne fut pas long à revenir ; il avait l’air fort penaud : Les détenus se sont barricadés, les grilles sont closes, impossible d’entrer dans les sections. François, Ramain, Picon, suivis de quelques surveillans qui faisaient du zèle et riaient sous cape, s’élancèrent dans l’escalier. Au second et au troisième étage, on se heurta contre une infranchissable barrière de matelas. On courut au guichet central ; on y chercha vainement les clés des grilles ; on demanda la clé de la porte de secours, on ne la trouva pas davantage, elle était bien cachée, et seul Bourguignon aurait pu la découvrir. Ramain et François juraient à faire crouler les murs de la Grande-Roquette. On fit l’appel des surveillans : Pinet seul manquait : — Je le ferai fusiller, dit François.

Ramain essaya de parlementer ; il se campa dans la cour principale et, levant le nez vers les fenêtres du bâtiment de l’est, il criait : « Voyons, descendez donc, c’est des bêtises tout ça, on ne veut pas vous faire du mal. » Il en était pour ses frais de rhétorique ; nul ne lui répondait. Il reprenait : « Vive la France ! nous sommes tous frères ! Voyons, mes pauvres amis, descendez, c’est pour recevoir des vivres ! » Un soldat mit la tête à sa lucarne, appela le brigadier et lui fit un pied de nez. « Je les brûlerai vif, » dit Ramain en s’éloignant. Les otages placés en face, dans le bâtiment de l’ouest, à la quatrième section, avaient suivi cette scène des yeux et n’y avaient rien compris. Ramain rentra au greffe et dit : « Il n’y a pas moyen de les avoir ! » Il rencontra le regard de Ferré et ne fut point tranquille. Le délégué à la sûreté générale était fort irrité ; il ne le cacha point, et l’atticisme de ses expressions parut s’en ressentir. Il fit appeler Clovis Briant, le directeur de la Petite-Roquette, et lui dit : « Avez-vous préparé l’évacuation ? vous savez qu’elle doit s’opérer en trois détachemens, faites sortir vos hommes. » Clovis Briant retourna promptement à la prison, et Ferré dit à François : « Envoie-moi tous les soldats ; à défaut des curés, je les emmène. » Quatre-vingt-quinze soldats, extraits des chambrées du bâtiment de l’ouest, arrivèrent bientôt ; ils se massèrent dans la cour d’entrée. Lorsqu’ils franchirent le seuil de la prison, ils aperçurent un bataillon de fédérés rangé sur la place, ouvert en deux détachemens, prêts à les recevoir. À l’instant où ils passaient la porte, trois cents militaires, le sac au dos, sortaient de la Petite-Roquette. On mettait à exécution le projet de Delescluze ; on allait réunir à Belleville tous les soldats internés depuis le 18 mars, incarcérés depuis le 22 mai, et essayer de traiter en les offrant en échange de quelques conditions acceptables. Au moment de quitter le greffe de la Grande-Roquette, Ferré dit : « Je vais escorter ces prisonniers, j’aurai encore deux détachemens à conduire ; arrangez-vous de façon à m’avoir les sergens de ville et les curés, car je reviendrai les chercher moi-même, et malheur à vous si je ne les ai pas ! » Il remonta à cheval et s’élança fièrement sur la place, où il arriva juste à temps pour entendre un cri formidable de : « Vive la ligne ! »

Ceci est un fait fort remarquable, encore mal expliqué, et qui fera comprendre comment aucun des 1,428 soldats extraits des deux Roquettes et dirigés sur Belleville ne fut même insulté ! tous les gens du quartier, voyant une troupe armée réunie sur l’emplacement qui s’étend entre les deux prisons, s’étaient groupés par curiosité. Ces petits marchands d’objets funéraires, dont le commerce alimenté par le voisinage du Père-Lachaise était absolument paralysé depuis plusieurs mois, étaient de médiocres partisans de la commune ; de plus, ils étaient révoltés du massacre des gendarmes que la veille ils auraient voulu sauver. En apercevant les soldats, ils crurent qu’eux aussi marchaient à la mort, et, autant pour protester que pour les protéger, ils crièrent : « Vive la ligne ! » Les soldats agitèrent leurs képis et répondirent : « Vive le peuple ! » Les fédérés se mirent de la partie, et tout le cortège s’ébranla au bruit d’acclamations que Ferré n’avait pas prévues. Cette rumeur parvint aux oreilles des otages et leur fit croire que Ferré, usant de subterfuge, essayait de les abuser en ordonnant à ses hommes de pousser des cris rassurans ; ils se sont trompés : ce cri sortit instinctivement de la foule et prouve qu’elle a parfois de généreuses et spirituelles inspirations. Ce fut comme une traînée de poudre qui s’enflamme et court en avant. On ne prit pas la longue route qui avait été la voie douloureuse des martyrs de la rue Haxo ; on tourna au plus court par la rue des Amandiers et la rue de la Mare. Là on disait : « Ce sont de braves Versaillais qui ont tourné au peuple, » et de plus belle on criait : « Vive la ligne ! » trois fois ce fait se renouvela, car trois détachemens sortis de la Petite-Roquette furent conduits à Belleville ; on enferma tous les soldats dans l’église Saint-Jean-Baptiste, où ils reçurent une distribution de vivres dont ils avaient grand besoin. Ils y dormirent un peu à l’étroit et quand ils se réveillèrent, à l’aube du dimanche 28 mai, ils étaient entre les mains de l’armée française qui était arrivée pendant leur sommeil.


VIII. — LA DELIVRANCE.

Le départ de Th. Ferré avait laissé quelques loisirs au brigadier Romain, qui les utilisa en recommençant son inutile parlementage avec les détenus de la deuxième et de la troisième section. Voyant que la persuasion lui réussissait mal, il voulut avoir recours à la force et ne s’en trouva pas mieux. Au poste d’entrée, singulièrement dégarni depuis le matin, il prit quelques hommes de bonne volonté et, marchant valeureusement à leur tête, il gravit le grand escalier. Devant la barricade, d’autant plus résistante qu’elle était molle, il s’arrêta. On essaya de passer des canons de fusil à travers les matelas, et l’on reconnut promptement que l’on parviendrait seulement à trouer quelques vieilles paillasses. On eut alors la pensée féroce de mettre le feu à la barricade et d’enfumer les otages comme renard au terrier ; mais ceux qui l’avaient construite n’étaient pas bêtes, ils s’étaient méfiés de l’imagination des fédérés, et contre la grille ils n’avaient entassé que des matelas : les paillasses ne venaient qu’à l’arrière-plan, comme soutien ; elles restaient hors de la portée de Ramain et de ses acolytes. Les matelas étaient vieux, réduits par un long usage à l’état de « galette ; » ils étaient si violemment comprimés entre le plancher et le plafond qu’ils formaient une masse compacte où l’air ne circulait pas. En outre, la laine est très difficile à enflammer, elle ne flambe guère, elle brûle « noir, » comme disent les pompiers. Néanmoins ces hommes ingénieux versèrent sur les premiers matelas l’huile d’un quinquet décroché de la muraille et, à l’aide d’une allumette, y mirent le feu ; puis ils se retirèrent et vinrent dans la cour regarder l’effet que produirait leur belle invention. Les matelas fumaient et ne brûlaient point. Les otages, enfermés, privés de nourriture depuis la veille, conservaient précieusement un bidon d’eau qui pouvait du moins servir à étancher leur soif ; on n’en voulut distraire une seule goutte pour éteindre ce commencement d’incendie. Quelque lettré se souvint de l’histoire de Gulliver, et « le baquet » de la troisième section fut utilisé. On suffoquait un peu dans le couloir, mais les portes et les fenêtres ouvertes de toutes les cellules établirent un courant d’air qui permit de respirer sans trop de gêne.

Les détenus criminels croyaient à un incendie et, ne se souciant d’être grillés tout vifs, ils s’étaient précipités dans la cour principale en vociférant ; armés de leurs outils, ils réclamaient la liberté et demandaient qu’on leur ouvrît la porte ; ils ébranlaient celle-ci, essayaient d’en desceller les gonds, d’en briser la serrure ; mais la vieille ferraille était solide et résistait. Le brigadier Ramain avait absolument perdu la tête. Son personnel de surveillans ne comprenait plus ses ordres et les exécutait à rebours ; les otages barricadés ne cédaient à rien, ni aux prières, ni aux objurgations, ni à la fumée des vieilles laines brûlées ; les condamnés de droit commun étaient en insurrection et, dans leur langage des bagnes, se disposaient à « chambarder la cambuse. » C’était plus qu’il n’en fallait pour désespérer un homme intelligent et obéi ; or Ramain n’était qu’un mauvais drôle obtus dont l’autorité, toujours discutée, était en ce moment de nulle valeur. Il ne savait à quel parti s’arrêter. Il était plus de quatre heures et demie ; Ferré allait revenir, car le dernier détachement de soldats avait quitté la Petite-Roquette ; Ramain était donc très pressé et peu rassuré. Tout à coup il entendit le bruit des chevaux entrant dans la cour ; c’étaient Ferré, François et une troupe de fédérés. « Et mes otages ? » dit le délégué à la sûreté générale. Ramain, fort piteusement, raconta la vérité. Ferré fut plus calme qu’on n’eût osé le croire. Ce pantin malfaisant comprit tout de suite le parti qu’il pouvait tirer de la situation. Faire cause commune avec les criminels, jeter ceux-ci, appuyés par les fédérés, dans les escaliers, attaquer les grilles, les renverser, démolir les barricades et, coûte que coûte, se rendre maître des otages récalcitrans. Il donna ses ordres à Ramain ; celui-ci rassembla un peloton de fédérés, le précéda et, se présentant dans la cour principale, il apparut, suivi de la force armée, devant les détenus criminels, qui se replièrent rapidement vers le bâtiment du fond formé par la chapelle et gardèrent une attitude menaçante. Ramain leur dit : « Criez : vive la commune ! et vous aurez la liberté. » Les détenus crièrent : « Vive la commune ! » Les fédérés répondirent : « Vivent les condamnés ! » car une politesse en vaut une autre. On se mêla, on fraternisa. Quelques otages ont dit qu’à ce moment les criminels avaient été armés de fusils par ordre de Ferré ; ils se sont trompés. Seul, un condamné à mort nommé Pasquier prit, en se jouant, le fusil d’un sous-officier et fit quelques cabrioles en criant : « Où est Pinet, je vais tuer Pinet ! » Il fut immédiatement désarmé par le brigadier Ramain. La place de la Roquette, la première cour, le greffe, étaient remplis de fédérés et de curieux ; les détenus réunis aux gardes nationaux allaient, sous la conduite de Ramain, tenter l’escalade des sections, lorsque ce mauvais monde disparut tout à coup comme une volée de corbeaux effarouchés. Jamais, sur aucun théâtre, pareil changement à vue ne fut plus rapide. À l’entrée même de la Grande-Roquette, sous la voûte où s’ouvrent le poste et le premier guichet, quelqu’un dont il a toujours été impossible de constater l’identité, — un loustic, — un homme de génie, — un effaré, s’écria : « voilà les Versaillais ! » Ce fut une débandade ; Ferré, François se lancèrent à cheval, les fédérés filèrent par les rues voisines, les détenus firent irruption sur la place après avoir pris des fusils dans le poste, et en moins de deux minutes la prison fut débarrassée des hôtes sinistres qui l’encombraient : la panique fut telle qu’ils ne revinrent plus.

La prison était libre, et ce fait, qui devait paraître d’autant plus heureux qu’il était plus inattendu, allait causer de nouveaux malheurs. Les otages de la deuxième et de la troisième section avaient, des fenêtres du bâtiment de l’est, vu la révolte des condamnés, l’intervention des fédérés, le sauve qui peut général, mais n’avaient pu que se rendre très vaguement compte de ce qui se passait. Pour eux, la situation n’était pas modifiée ; suivant en cela l’avis de Pinet, ils étaient persuadés que le péril était moins pressant derrière leur barricade que hors de la prison, dans les rues encore occupées par les hommes de l’insurrection. Ils s’étaient promis de n’ouvrir les grilles, de ne descendre qu’en présence de l’armée française, qu’ils espéraient toujours voir arriver d’un instant à l’autre. Pour les otages de la quatrième section, du bâtiment de l’ouest, il n’en était pas ainsi. Ils étaient au nombre de vingt-trois, dont seize ecclésiastiques. La journée, pleine d’alternatives poignantes, leur avait été insupportable. Quelques minutes après la fuite des détenus criminels et de tous les fédérés, les auxiliaires de leur section[12] se précipitèrent dans le couloir en criant : « Vite ! vite ! sauvez-vous ! » Sans trop réfléchir et croyant que la liberté serait la délivrance, ils se hâtèrent. M. Rabut, commissaire de police, pressait M. Bécourt, curé de Bonne-Nouvelle, qui s’attardait dans sa cellule ; ne sachant trop s’il n’allait pas à la mort, préoccupé d’un dépôt de 30,000 francs qu’il avait reçu et caché avant son incarcération, cet honnête homme écrivait minutieusement une note destinée à faire retrouver la somme qui ne lui appartenait pas. Lorsque ces malheureux, qui étaient descendus par l’escalier de secours, passèrent dans la cour principale, ils aperçurent les otages de la deuxième et de la troisième section, le visage collé aux barreaux. Ils leur crièrent : « Venez donc, nous sommes libres. » On leur répondit : « Non, ne partez pas, vous serez tués dehors. » Ils n’entendirent pas ou ne voulurent pas entendre, et quittèrent la Grande-Roquette. Mgr Surat, archidiacre de Paris, fut rejoint sur la place par M. Bécourt, par M. Houillon, missionnaire, par un employé du service administratif des prisons nommé Chaulieu. Imprudemment, au lieu de se disperser, ils firent route ensemble. La vue de la place de la Roquette tout à fait déserte les avait rassurés, ils s’engagèrent dans la rue de Saint-Maur pour gagner le boulevard du Prince-Eugène ; près de la rue de Charonne, ils furent arrêtés. Mgr Surat, avec une imprudence injustifiable, dit : « Je suis prêtre et je sors de la Roquette. » Ils furent ramenés jusqu’au mur de la maison d’éducation correctionnelle ; une femme brisa la tête de Mgr Surat d’un coup de pistolet, MM. Bécourt. et Houillon furent fusillés. Chaulieu s’était esquivé, il fuyait à toutes jambes par la rue Servan ; on se lança derrière lui ; se sentant sur le point d’être saisi, il fit volte-face contre les hommes qui le poursuivaient, enleva le sabre de l’un d’eux et en balafra trois ou quatre ; un coup de crosse l’abattit, deux coups de feu l’achevèrent.

Quelques-uns de ces malheureux, M. de Marsy, M. Evrard furent recueillis sur leur route et purent échapper à tout péril ; d’autres, MM. Perny, Petit, deux prêtres de Picpus, M. Grard, séminariste, après avoir tourbillonné au hasard, à travers les rues balayées par les balles et les paquets de mitraille, sentant la mort partout autour d’eux, revinrent isolément à la Grande-Roquette, comprenant que c’était là encore l’asile le moins dangereux. Un retour des fédérés, une invasion de la maison étaient à craindre ; mais ce n’était qu’un péril possible en présence d’un péril certain. Le pharmacien de la maison, M. Trencart, reçut ces hommes, qui ne savaient plus que devenir ; il les conduisit à l’infirmerie, les installa comme malades, avec la connivence des infirmiers, leur fabriqua de faux bulletins et leur dit d’avoir confiance, car il répondait d’eux. Parmi les otages sortis de la Roquette dans les circonstances que nous venons de raconter, il en est deux qui échappèrent miraculeusement à la mort, MM. Chevriaux et Rabut. Celui-ci, que sa barbe longue et ses vêtemens détériorés rendaient heureusement méconnaissable, avait quitté ses compagnons rue de la Vacquerie. Rue Saint-Maur il est arrêté près d’une barricade par des fédérés qui encombraient la boutique d’un marchand de vin. « Où vas-tu ? — Je suis un pauvre galérien ; je me sauve de la Roquette ; laissez-moi passer. » Les hommes hésitaient, et déjà l’un d’eux s’approchait trop vivement du fugitif, lorsqu’une femme cria : « Je le reconnais, c’est un bon, ne lui faites rien ! » — Allons ! file ! — M. Rabut reprit sa course. Plus loin, deux fédérés gardaient une barricade ; pendant qu’ils avaient le dos tourné, M. Rabut escalade les pavés et allonge le pas ; deux balles sifflant à ses oreilles lui apprennent qu’il doit se hâter. Il venait de passer devant le grand café de Bataklan, lorsqu’il s’entend héler : « Eh ! l’homme, où courez-vous donc ? » Il s’arrêta se disant : Cette fois, c’en est fait de moi ; il se retourna et, en bon commissaire de police qu’il était, au lieu de regarder son interlocuteur au visage, il le regarda aux jambes et vit un pantalon rouge. Il avait été interpellé par un sous-lieutenant de la ligne qui le fit conduire sous escorte à l’Assistance publique, où son identité fut immédiatement certifiée. En se faisant passer pour un galérien évadé, il avait eu la vie sauve, comme l’archidiacre de Paris avait été assassiné parce qu’il avait confessé qu’il était prêtre. Ces deux faits rapprochés l’un de l’autre sont toute l’histoire de la commune.

Le soir, vers huit heures, François revint à la prison, il monta dans son appartement, fit un paquet de ses nippes qui furent emportées par quelques camarades ; il déménageait et ne devait plus revenir. Avant de quitter pour jamais cette maison qu’il avait aidé à ensanglanter, il dit à un surveillant : « Et les otages ? — toujours barricadés, répondit le gardien. — Bien ! riposta François, je vais au Père-Lachaise faire démolir la Roquette à coups de canon. » Menace illusoire ; depuis une heure, le cimetière avait été pris sans coup férir par les troupes françaises. La légende se forme si promptement, dans notre pays, même sur les lieux témoins de la réalité, qu’il est acquis aujourd’hui pour tout le monde, même pour certains apologistes de la commune, que le cimetière de l’est a été le théâtre d’un combat désespéré. Les communards disent : la bataille du Père-Lachaise, comme nos soldats diraient : la bataille de Solférino. Il faut en rabattre et raconter la vérité. Une batterie de six pièces de sept et une mitrailleuse furent réunies sur les hauteurs du cimetière et eurent trois objectifs différens : le palais des Tuileries, l’église Saint-Eustache, la gare d’Orléans[13]. Le service des munitions était mal fait et plusieurs fois on expédia des gargousses qui n’étaient point de calibre. Le samedi 27 mai, à sept heures du soir, un bataillon de fusiliers marins, deux bataillons du 74e de ligne, arrivés par le boulevard de Charonne, rompirent à coups de hache le champ-fermage qui protège le cimetière aux environs de la rue de Bagnolet. Des gardiens accoururent au-devant de nos soldats et leur indiquèrent la situation occupée par un groupe de fédérés peu nombreux. Des tirailleurs furent envoyés dans la direction désignée, ils fouillèrent à coups de fusil les parties boisées ; nul ne leur riposta, car les gardes nationaux, qui auraient pu se défendre d’arbre en arbre, de tombe en tombe, avaient détalé au plus vite et s’étaient rejetés sur Belleville, en passant par une brèche prudemment ménagée sur la rue des Rondeaux. On retrouva des victuailles et des munitions déposées dans quelques monumens, surtout dans celui du duc de Morny ; on s’empara des pièces de canon qui n’avaient même pas été déplacées, et ce fut là toute la bataille du Père-Lachaise.

À la Roquette, la nuit fut lourde : les otages couchés à l’infirmerie ne dormirent guère ; les 10 prêtres, les 82 soldats de la troisième section, les 42 sergens de ville, les 10 artilleurs de la deuxième, avaient placé leurs sentinelles et veillaient à tour de rôle ; on souffrait de la faim, depuis vingt-quatre heures, on n’avait rien mangé. Au dehors, il n’y avait que du silence ; la fusillade avait pris fin : surmenés par six jours de lutte, les combattans se reposaient. « Où sont les troupes de Versailles ? » se disait-on avec angoisse. Au petit jour, le dimanche 28 mai, le surveillant Latour, qui gardait la porte d’entrée, entendit heurter avec violence ; il regarda par son judas et reconnut une compagnie de fusiliers marins, il ne fut pas long à ouvrir, il eut un cri qui peint bien l’état des âmes dans ce moment redoutable : « Enfin ! voici la France ! » Cinq minutes après, le pharmacien, M. Trencart, qui dormait chez lui épuisé de fatigue, fut réveillé par sa porte qui volait en éclats sous la projection d’un énorme pavé : c’est ainsi qu’il apprit que l’armée française avait enfin et trop tard repris possession de la Grande-Roquette.

Le surveillant Pourche prévint immédiatement le colonel de Plas, qui commandait les marine, de la situation particulière des otages barricadés ; sans eau, sans pain, ignorant ce qui se passait, ils devaient être dans un état de souffrance qu’il fallait rapidement secourir. On s’empressa de se rendre dans la cour principale ; on cria aux otages de descendre, ils répondirent qu’ils ne descendraient pas. Il y eut là une scène puérile et presque ridicule. Le costume des fusiliers, pantalon, vareuse et béret bleus, était inconnu ; pour ces malheureux encore très effarés, tout soldat qui ne portait pas un pantalon rouge était un ennemi. Les marins avaient beau crier : « Vive la France ! » montrer leur drapeau tricolore ; les prisonniers restaient prisonniers et se disaient comme aux beaux jours des insurrections : « Gardons nos barricades. » Le colonel de Plas comprit cette défiance et fut d’une patience à toute épreuve. On lui demanda son carnet, son revolver, vingt fusils, vingt paquets de cartouches ; il ne refusa rien. À l’aide de cordes à fourrage prêtées par des artilleurs, on montait tous ces objets fort rassurans. Cela ne suffit pas encore, et cette comédie se serait peut-être indéfiniment prolongée, si un détachement du 74e de ligne n’avait pénétré dans la cour. La vue du pantalon rouge leva toutes les hésitations ; on bouleversa les matelas, on ne fit qu’un bond à travers les escaliers et l’on se donna une sérieuse accolade.

« Et l’archevêque ? et M. Bonjean ? — tous fusillés ! » Ce fut un cri d’horreur. Les auteurs du crime n’étaient plus là ! Où les prendre ? On parla de Vérig, qui s’était bénévolement fait l’exécuteur des basses œuvres de la commune ; on savait qu’il demeurait dans la Cité de l’Industrie, vaste ruche ouvrière située au point d’intersection de l’avenue Parmentier et de la rue de la Roquette. On alla chez lui ; il y était. On trouva ce terrassier tout pimpant, vêtu d’une cotte et d’une blouse blanches, rasé de frais, souriant et faisant bon accueil aux visiteurs. On le ramena à la prison ; son interrogatoire fut sommaire et son procès promptement expédié. On lui mit une camisole de force ; d’un coup de crosse dans les reins, on le poussa sur la route que les gens de bien tués par lui avaient parcourue, et, avec une précipitation déplorable, on fusilla cet homme qui savait tant de secrets. On privait ainsi la justice et l’histoire d’un témoin qu’elles n’ont pas remplacé.

François fut plus difficile à découvrir ; on le croyait parti et réfugié hors frontière. Il n’avait point quitté Paris. Semblable à un souverain détrôné qui vient la nuit rôder autour de son palais, l’ancien directeur du dépôt des condamnés hantait, pendant l’obscurité, les environs de la Grande-Roquette. Eheu ! quantum mutatus ! plus de ceinture rouge, plus de képi galonné, moins d’eau-de-vie et l’oreille basse. Il fut reconnu par une femme dans une de ces promenades philosophiques où il pesait sans doute le néant des choses humaines ; désigné à un sergent de ville, il fut suivi et arrêté au moment où il entrait dans un chantier de la rue des Boulets qui lui servait de gîte. Il fut deux fois condamné comme complice de l’assassinat des otages et du massacre de la rue Haxo. On peut apprécier son repentir par le passage suivant d’une lettre qu’il écrivit à l’un de ses codétenus : « Nous n’avons pas de juges, nous n’avons que des assassins ; le jour du châtiment vient à grands pas ; il sera égal à leurs crimes et à leurs forfaits. Je vous assure que, si le bonheur veut que je sois présent, je me régalerai, car je serai sans merci. » Le bonheur ne voulut pas qu’il fût présent. Il était impossible de faire grâce à un pareil homme ; on l’exécuta le 25 juillet 1872, sur le plateau de Satory.

Le jour même où les otages de la Roquette furent délivrés par les fusiliers marins, le dimanche 28 mai 1871, la commune expira comme elle avait vécu, dans le sang et dans la boue ; mais non sans avoir fait à la France une blessure profonde, plus dangereuse cent fois que celle dont l’Allemagne nous a frappés, car elle a atteint et pénétré les œuvres vives de la nation. La flèche était barbelée, elle est restée dans la plaie, qui tôt ou tard se rouvrira. Par un hasard étrange, la commune tomba là même où elle avait pris naissance ; semblable à un sanglier qui vient mourir au lancé, elle succomba aux portes mêmes de son berceau, au coin de la rue de la Fontaine-au-Roi et de la rue Saint-Maur, non loin de cette rue Basfroi où, dans la journée du 18 mars, le comité central, réuni en conseil de guerre, avait pris les dispositions qui lui assurèrent la victoire. La dernière barricade, appuyée d’une soixantaine de fédérés, était commandée, non par un membre de la commune, mais par un clerc d’huissier, nommé Louis-Fortuné Piat ; il s’était bien battu et avait prouvé ainsi qu’il ne doit pas être confondu avec Félix Pyat, le dramaturge romantique. Comprenant que la résistance était devenue inutile, sentant l’armée française victorieuse de l’insurrection, Louis Piat arbora un mouchoir blanc au bout d’un fusil et se rendit aux troupes de ligne ; il était alors une heure après midi.

Elle avait pris fin, cette horrible guerre, dont la victoire ne déplaçait aucune responsabilité ; le gouvernement légal, qui venait de triompher après une lutte de deux mois, terminée par une bataille de sept jours, ressemblait quelque peu à un pompier forcé d’éteindre l’incendie qu’il a laissé allumer par incurie ou par insouciance. Les hommes qui depuis le mois de septembre avaient eu à diriger la garde nationale pouvaient faire un retour douloureux sur eux-mêmes et voir où mènent les compromis avec un peuple armé, surexcité et livré à ses propres instincts. Les uns étaient coupables d’avoir laissé inutiles des forces que l’ennemi aurait dû rencontrer devant lui ; les autres, d’avoir oublié la France blessée, la nation envahie et de n’avoir pensé qu’à leurs chimères politiques ; tous de n’avoir pas compris qu’en présence de l’Allemagne exigeante, les bras et les cœurs du pays devaient agir de concert, frapper au même point, battre de la même pulsation et dédaigner, comme misérable et honteux, tout ce qui n’était pas œuvre de délivrance. Faute d’abnégation, pour n’avoir pas su s’abstraire de rêveries coupables, pour ne s’être pas inspirée de l’esprit de sacrifice qui seul fait les grandes actions, la population révolutionnaire de Paris et ceux dont elle suivait l’impulsion, ceux qui auraient dû la garder, ont commis un des plus grands crimes que notre histoire ait eu à enregistrer.

Si la révolte fut odieuse et dépassa toute mesure, la répression fut terrible. « Dans ces fautes et ces châtimens collectifs que la raison politique commande, a dit le comte de Serres, il y a toujours forcément plus de malheureux que de coupables. » Les exécutions sommaires faites pendant et après la bataille ont une fois de plus confirmé cette triste vérité. Ce ne fut pas l’équité qui frappa, ce fut la colère. Pendant que les principaux chefs de l’insurrection, munis de faux papiers d’identité préparés de longue main, nantis de l’argent économisé par voie de réquisition, trouvaient de sûrs asiles et passaient la frontière, les besoigneux qui, sous peine de mourir de faim, s’étaient associés à des actes qu’ils réprouvaient, les affolés qui ne surent résister au courant qui les entraînait, les imbéciles qui, après tant de révolutions triomphantes, crurent au triomphe de la commune, les simples soldats en un mot, tombèrent pour avoir défendu des théories perverses que pas un d’eux n’avait comprises. Les instigateurs de la révolte, réfugiés à l’étranger, ont porté contre la France une accusation de cruauté. Quelques-uns cependant, mus par un sentiment de haine contre leurs anciens complices, ont poussé un cri d’alarme qu’il faut répéter, car il prouve qu’ils n’auraient point été plus démens que nos soldats. Le journal la Fédération, rédigé à Londres par les anciens acteurs de la commune, contient dans son numéro du samedi 25 février 1873 un long manifeste de Léopold Caria, qui fut lieutenant d’état-major dans « la maison militaire » du général Eudes[14]. Après avoir longuement détaillé tous les méfaits dont son ancien général et ses anciens amis se sont rendus coupables, Léopold Caria termine son factum en disant : « Ouvriers de Paris, révolutionnaires convaincus, si jamais vous voyez cette engeance revenir dans vos murs pour ressaisir le pouvoir, formez-vous en peloton d’exécution, et feu sans pitié sur tous ces gredins. » Ce conseil n’est pas à retenir ; mais il fait comprendre ce que ces gens-là, qui se connaissent bien, pensent les uns des autres.

Le moraliste est moins sévère ; à côté des crimes qu’il dévoile, il cherche, sinon l’excuse, du moins l’explication. Il nous semble que la commune est un cas pathologique analogue au mal des ardens, aux épidémies choréiques, aux possessions dont l’histoire du moyen âge nous a conservé le souvenir. Née pendant l’investissement de Paris par les armées allemandes, sous l’influence de la surexcitation, des privations, de la licence des mœurs, des aberrations proclamées et répétées, entretenue et développée par l’abus des boissons alcooliques, cette maladie atteignit son plus haut degré d’intensité après le 18 mars, tourna à la manie raisonnante, à la démence furieuse, à la folie d’imitation jacobine, à la passion homicide, aux besoins de jouissances violentes, à la pyromanie, et fut exploitée par un groupe d’ambitieux déclassés, d’ignorans vaniteux, de cuistres rongés d’envie, qui conduisirent à tous les crimes une population devenue inconsciente de ses propres forfaits.


MAXIME DU CAMP.


  1. Voyez la Revue du 1er mai, du 1er juin, du 1er juillet, du 1er août et du 1er septembre.
  2. Ce fait, qui peut paraître invraisemblable, est de la plus rigoureuse exactitude ; M. Ducoux, président du conseil d’administration de la Compagnie générale des voitures de Paris, a dit, le 11 mai 1872, à l’assemblée générale de ses actionnaires : « Les circonstances fie nous ont pas permis de réinstaller nos nouveaux ateliers de la Villette, dont vous avez approuvé la création. Un incendie, allumé dans les derniers jours de la période insurrectionnelle, pour atteindre les grands approvisionnemens de vivres que le gouvernement de la défense nationale avait laissés dans les magasins qu’il nous avait loués ou réquisitionnés, a détruit, avec ces approvisionnemens, la totalité des bâtimens existant sur notre immeuble, 372 voitures qui s’y trouvaient remisées et une partie de l’outillage que nous avions acquis. » — (Voyez Compagnie générale des voitures de Paris ; rapport du conseil d’administration sur les comptes de l’exercice 1871, p. 11. Paris, 1872.)
  3. « La commune… retarde l’évacuation du territoire par les Allemands et vous expose à une nouvelle attaque de leur part, qu’ils se déclarent prêts à exécuter sans merci, si nous ne venons pas nous-mêmes comprimer l’insurrection. » Proclamation du gouvernement de la république française aux Parisiens, 8 mai 1871.
  4. Bibl. nat., III, réserve des imprimés : pièce manuscrite L. 25, a 6, fol. XXI.
  5. Quelques publications ont recueilli cette fable avec une déplorable légèreté. Au rédacteur d’un journal franco-américain qui l’avait reproduite, M. Washburne a écrit : « Monsieur, je lis dans votre journal du 10 et du 22 novembre certains détails sur la mort de Delescluze à propos desquels je crois devoir vous dire que votre bonne foi a été trompée. En ce qui me concerne, ces détails sont entièrement apocryphes. Je n’ai jamais eu d’entretien avec Delescluze, ni avec qui que ce soit à son sujet : je ne l’ai même jamais vu. Toute cette histoire n’est pas seulement malveillante, elle est aussi, permettez-moi de le dire, absurde, car, à l’époque à laquelle elle se rapporte, la condition des choses était telle à Paris que les faits dont vous parlez n’auraient pas pu s’y produire. Recevez, etc. E.-B. WASHBURNE. Paris, 20 décembre 1876. »
  6. Prêtres : Olivaint, Caubert, de Bengy, de la Société de Jésus ; Radigue, Tuffier, Rouchouze, Tardieu, de la congrégation des Sacrés-Cœurs de Picpus ; Planchat, aumônier de l’œuvre du Patronage ; Sabatier, second vicaire de Notre-Dame-de-Lorette ; Benoist, abbé, Seigneret, séminariste. Laïques : Dereste, officier de paix ; Greff et Largillière, ébénistes, Ruault, tailleur de pierres.
  7. Il présentait à cet instant, dit le récit qui me sert de guide, l’image d’un homme aussi brave que juste. »
  8. Il est difficile de savoir quel est l’otage, — le seul parmi cinquante-deux, — qui fut faible au dernier instant ; plusieurs prêtres portaient des vêtemens laïques ; sur les quatre « civils, » deux avaient des costumes reconnaissables : Largillière, habillé en sous-officier fédéré, Ruault, couvert d’une blouse. Le doute subsiste, et je n’ai pu l’éclaircir.
  9. A la Grande-Roquette, prison déjà ancienne, inaugurée le 22 décembre 1836, construite avant l’amélioration des maisons pénitentiaires, il n’existe pas de passe-partout ; chaque section a ses clés particulières. On y possède cependant des doubles clés, dites clés de secours. Celles-ci, ordinairement déposées dans une petite armoire, près de l’avant-greffe, avaient été, pendant la commune, transportées au guichet central. Pinet et Bourguignon, s’étant emparés des doubles clés de la deuxième et de la troisième section, nul, sans leur concours, ne pouvait plus ouvrir les grilles du second et du troisième étage, dans le bâtiment de l’est.
  10. Tout le monde a eu entre les mains les récits de M. Amodru, de M. Lamazon, etc. ; je n’ai donc pas à les citer.
  11. Nous avons visité la Grande-Roquette le lundi 29 mai 1871 ; sauf un passage ménagé à travers les matelas des barricades, tout était encore dans l’état que nous venons d’indiquer. Les faits nous furent racontés sur les lieux mêmes par les surveillans, qui en avaient été les acteurs et les témoins ; nul alors ne contestait la grande action de Pinet, et chacun au contraire s’empressait de lui rendre justice pour sa conduite héroïque dans la journée du 27 mai.
  12. On appelle auxiliaires les détenus qui font métier de domestiques dans les prisons.
  13. « Mon tir est dirigé sar Saint-Eustache et sur la gare d’Orléans, boulevard Hôpital, de façon à faire le plus de dégât à l’interception (sic) des boulevards Hôpital et Saint-Marcel et Arago. — Le chef commandant l’artillerie du Xe au Père-Lachaise : VIEULINA. » — La signature est peu lisible, et par conséquent douteuse. Cette dépêche est du 25 mai 1871. Elle répondait à la dépêche que voici : « Informez le Père-Lachaise que les obus qu’ils reçoivent ne peuvent venir que de Montmartre ; tirez principalement sur les églises, excepté le Xe arrondissement et Belleville et le XIe arrondissement. Le membre du comité de salut public : général EUDES. »
  14. Ce Léopold Caria ne paraît cependant pas avoir été un homme bien scrupuleux ; dans le même journal, il dit : « Nous, qui avons fusillé les mouchards dans les derniers jours de la commune. » Ceci ressemble singulièrement à un aveu de présence à la rue Haxo.