Les Principes et les Mœurs de la République/Les mœurs républicaines/VI


VI

le respect de la loi.


La loi, qui est, dans le système monarchique, l’expression de la volonté d’un individu, et, dans le système aristocratique, celle de la volonté d’une caste, est, dans le système républicain, l’expression de la volonté générale, de la volonté du peuple entier, statuant, soit directement, soit par l’intermédiaire de ses représentants, sur le droit commun ou l’utilité publique. Elle a droit au respect et à l’obéissance de tous les citoyens par cela seul qu’elle émane, non plus d’une volonté autocratique ou oligarchique, mais de la volonté générale exprimée par le suffrage universel. À la vérité cette volonté générale n’est le plus souvent en fait que celle de la majorité des citoyens, car il est bien difficile qu’un accord absolu s’établisse entre tant d’esprits divers, sur des matières aussi délicates que celles qui font l’objet des lois ; il se peut même qu’elle s’égare, car elle n’est pas infaillible ; mais le devoir de tout citoyen n’en est pas moins d’obéir en tout cas à la loi qu’elle décrète, sauf à travailler par les moyens légaux à la changer, parce que cette soumission à la volonté de la majorité est la condition même de la république, et que, sans elle, celle-ci tomberait dans l’anarchie. Nous ne demandons pas aux citoyens d’aimer la loi, comme nous leur demandons d’aimer la liberté, l’égalité, la fraternité, car nous savons que, même dans la meilleure république, la loi n’est pas constamment la traduction exacte de ces grands principes et qu’elle n’est pas toujours faite pour être aimée ; mais nous leur demandons de la respecter, quelle qu’elle soit, dès qu’elle existe et tant qu’elle subsiste, ce qui n’en interdit nullement la critique et la réforme, mais ce qui exclut la désobéissance et le recours à la force. La désobéissance et le recours à la force peuvent être un droit et même un devoir en face de la tyrannie d’un souverain ou d’une faction ; ils sont un crime dans un État républicain. Le respect de la loi est la sauvegarde des républiques ; il est donc aussi un des éléments essentiels de la vertu républicaine. Il faut que les citoyens s’en fassent une habitude. Cela est d’autant plus nécessaire dans les républiques, qu’ils jouissent d’une plus grande liberté et que cette liberté dégénérerait trop aisément en licence, s’ils ne s’imposaient ce frein à eux-mêmes.