Librairie académique Perrin (p. 88-94).

XIII

LE TRIOMPHE DE LA VIE SUR LA MORT

Saint Paul, dans ses épîtres, expose le triomphe de la vie sur la mort ; celle-ci, conséquence du péché, de la désobéissance de l’homme à la loi divine, a régné sur le monde. Mais Jésus est venu accomplir la volonté de Dieu. Obéissant jusqu’au sacrifice, il a vaincu la mort, victoire prouvée par sa résurrection : « Christ ressuscité des morts ne meurt plus ; la mort n’a plus de pouvoir sur lui » et : « Celui qui a ressuscité Jésus d’entre les morts rendra aussi la vie à vos corps mortels par son Esprit qui habite en vous. » (Romains, vi, 9, 23, viii, 1.)

Quelle est la condition de cette immortalité ? Il faut confesser de sa bouche le Seigneur Jésus et croire en son cœur que Dieu l’a ressuscité des morts. (Rom., x, 9.) Il faut croire que le Christ a « détruit la mort » (II, Timothée, 7, 10), suivant l’énergique expression que saint Paul emploie à la fin de son existence, quand il se prépare à subir le martyre. Mais il ne s’agit pas ici d’une opinion, d’une simple adhésion intellectuelle : « Christ est mort et il a vécu afin de dominer sur les morts et sur les vivants. Soit donc que nous vivions, soit que nous mourions, nous sommes au Seigneur. » (Rom., xiv, 8, 9. Si nous voulons participer à la vie du Christ, la vie éternelle, nous devons nous donner, nous abandonner à lui, lui obéir avec l’entière confiance de la foi et de l’amour, alors : « Tout sera à nous, soit la vie, soit la mort, soit les choses présentes, soit les choses à venir, parce que nous serons à Christ, et que Christ est à Dieu. » (I, Cor., iii, 22.) Alors, Christ sera en nous l’espérance de la gloire. (Colossiens, i, 27.)

Une communion de plus en plus étroite avec le Fils de l’homme, Sauveur de l’humanité, voici l’idéal de saint Paul. Il a toujours eu de hautes et nobles ambitions. Avant de connaître Jésus, il s’efforçait d’accomplir toute la loi ; il appartenait par sa naissance et par son zèle à l’élite de son peuple, à la secte orthodoxe des Pharisiens ; mais, aussi loyal et sincère qu’ardent et entier, depuis qu’il a reçu la révélation du Messie, Paul, pareil à l’homme qui vend tout son bien pour acquérir une perle de grand prix, a renoncé à tous ses avantages, à tout son labeur ancien « afin, dit-il, de gagner Christ, afin de connaître Christ et la puissance de sa résurrection, et la communion de ses souffrances en devenant conforme à lui dans sa mort pour parvenir, si je puis, à la résurrection des morts ». (Phil., ii, 8, 10, 11.)

Car Jésus, notre modèle, fut sur la terre l’Homme de douleur, l’Agneau immolé, et ceux qui s’unissent à lui ne doivent pas refuser de participer à son martyre : « Nous portons toujours avec nous dans notre corps la mort de Jésus, écrit saint Paul, afin que la vie de Jésus soit aussi manifestée dans notre corps. Car nous qui vivons, nous sommes sans cesse livrés à la mort à cause de Jésus, afin que la vie de Jésus soit aussi manifestée dans notre chair mortelle. » (II, Cor., iv, 8-11.) Ainsi saint Paul commente la parole du Christ : « Celui qui veut sauver sa vie la perdra. » (Matth., xvi, 4-6.)

Ne dites pas que c’est un rêve mystique, une chimère : « Nous avons connu un soldat, un officier[1] qui, dans l’épître aux Corinthiens, avait souligné ces mots et qui les a réalisés, qui, mutilé, couvert de blessures, restait au front malgré toutes les sollicitations de ses supérieurs, toutes les prières de sa famille, pour ne pas abandonner ses hommes, ne pas délaisser ce qu’il appelait comme le vieux chroniqueur Joinville ; « le menu peuple du Seigneur » ; car le mercenaire s’enfuit quand le danger arrive, mais : « le bon Berger donne sa vie pour ses brebis ». Et cette vie de Jésus qui est l’amour, nous avons eu le privilège de la voir resplendir sur le visage mortel de ce fidèle témoin du Christ, sur son visage pâle et meurtri, moins de trois mois avant que, par une singulière et frappante coïncidence, ce disciple du Crucifié achevât son sacrifice en recevant le coup suprême sur un Calvaire, au pied d’une croix.

Il ne fut pas le seul, s’il fut l’un des meilleurs. Combien de ces soldats de la France qui étaient si souvent des soldats du Christ, se sont volontairement et sans cesse livrés à la mort pour sauver les autres, c’est-à-dire suivant l’exemple et dans l’esprit du Sauveur ! Comment ne croirions-nous pas qu’ils vivent avec Jésus, qu’ils vivent avec nous !

Et certains incrédules nous reprochent, à nous croyants, d’aimer la mort, de mépriser la vie ! J’en appelle à vos souvenirs, j’en atteste les paroles et les lettres de ces victimes volontaires. N’aimaient-ils pas la vie avec toute l’ardeur de leur belle jeunesse ou de leur noble maturité, les combattants héroïques qui s’offraient si généreusement à tous les dangers ? Ils se sont immolés cependant, parce qu’à leur existence passagère ils ont préféré celle de leur pays, parce qu’ils ont cru aux vérités éternelles.

Quelqu’un s’imagine-t-il que ceux qui, pouvant se mettre à l’abri, ne le faisaient pas pour ne point exposer à leur place leurs camarades, pour ne point se séparer d’eux, ou pour les arracher au péril, ignoraient l’étendue de leur sacrifice ? L’âme en eux l’a emporté sur le corps, l’amour sur l’égoïsme ; l’immortel a vaincu le mortel : « Ils ont donné en pleine connaissance et en pleine liberté le démenti à la mort[2]. »

Aussi, à quelque communion religieuse qu’ils aient appartenu, ne fissent-ils même profession d’aucune religion, les disciples du Christ les revendiquent-ils comme les leurs, car celui qui s’immole pour le prochain suit l’exemple de Jésus et porte sa marque ; il y a en lui quelque chose de la grande Victime du Calvaire, quelque chose d’éternel.


SUR LE CALVAIRE

J’aime mieux être auprès de vous sur le calvaire
       Que dans les délices sans vous ;
Ô regardez mon cœur, Maître que je révère,
       Avec vos yeux profonds et doux.

Si les deuils dont ma chair est encore écrasée
       M’ont conduite à vous, mon Sauveur,
Si mon âme vous plaît ainsi toute brisée,
       Vous que j’adore avec ferveur !

Je veux bénir, mon Dieu, la souffrance indicible
       Que rien ne guérit ici-bas,
Et pourtant vous sourire, ô Présence invisible
       Qui ne m’abandonnerez pas.


  1. Le Capitaine Augustin Cochin.
  2. Lettre du capitaine Augustin Cochin (4 mars 1915).