Librairie académique Perrin (p. 41-48).

VII

LA MORT VAINCUE

À la fille de Jaïrus ainsi qu’au fils de la veuve de Naïn et à Lazare, Jésus parle comme à des vivants, accomplissant ainsi cette parole citée par saint Jean : « L’heure vient et elle est déjà venue où les morts entendront la voix du Fils de Dieu et… vivront. » (Jean, v, 25.) Il enlève ainsi à la mort son caractère irrévocable.

Déjà, avant que l’ange eût annoncé la naissance divine à Marie, Zacharie, le père de Jean-Baptiste, prophétisant la venue prochaine du salut, l’annonçait comme un soleil levant, éclairant ceux qui sont assis dans l’ombre de la mort. (Luc, i,79.) Cette lumière resplendit dans tout l’enseignement de Jésus ; pour lui, le séjour des âmes après la vie n’est plus le schéol vague et ténébreux, mais le ciel radieux, un sûr asile où il invite les siens à s’amasser des trésors, où rien ne s’use ni ne se perd, rien ne peut leur être dérobé, et il ajoute : « Car là où est ton trésor, là aussi sera ton cœur. »

Méditons cette parole, nous qui pleurons nos biens les plus chers ; nous ne les avons pas perdus, Dieu les a recueillis dans un clair refuge où il nous les garde, où les fatigues qui nous rongent, les soucis qui nous torturent les épargnent désormais, où nul malentendu, nulle faiblesse ne nous enlèvera leur amour… Notre trésor est à l’abri ; il nous est acquis si nous lui demeurons fidèles. Ceux qui s’aiment savent se retrouver ; si nos pensées, notre tendresse cherchent constamment à s’élever vers nos bien-aimés, la prophétie du Christ s’accomplira pour nous ; notre cœur sera dans le ciel dès ici-bas. Evidemment, cela ne signifie pas que nous échapperons aux souffrances terrestres, que nous connaîtrons toute la félicité divine ; mais nous commencerons à y participer par le désir, par l’espérance ; quelque chose de la sérénité qui règne là-haut, se reflétera au plus profond de nous-mêmes : « Mon amour n’est plus de ce monde », disait Catherine de Sienne, cri d’une âme affranchie, mot plein de liberté comme de sécurité.

Une parole de Jésus : « Laisse les morts ensevelir leurs morts » (Matth., vii, 24), établit nettement la démarcation entre ceux qui ont reçu de lui l’espoir de la vie éternelle et ceux qui ne voient rien au delà de cette terre. Vivants en apparence, vivants pour un jour et dans les étroites limites de leur pauvre et triste existence d’ici-bas, c’est à eux de se lamenter sur un cadavre, de disputer à la tombe qui les menace et les engloutira demain, les misérables restes de leur félicité trompeuse ; nous qui ne croyons pas à la mort éternelle de nos bien-aimés, nous devons compatir à leur douleur sans la partager. Laissons les trépassés ensevelir leurs trépassés et vivons avec nos vivants.

Car le Christ, lorsque son Église n’existait pas encore, lorsqu’il la fonde sur la foi confessée par Pierre, lui promet déjà la victoire sur la mort. C’est même la première promesse qu’il lui fait. « Les portes (c’est-à-dire la puissance) du séjour des morts ne prévaudront point contre elle. » (Matth., xvi, 18.) Et d’avance il explique à ses disciples comment ils contribueront à cette vietoire : « Celui qui voudra sauver sa vie le perdra, mais celui qui la perdra à cause de moi la trouvera. » (Matth., xvi, 25.) Impossible d’enseigner plus nettement que la mort est une apparence, une chose passagère à laquelle l’essence même de l’être doit se soustraire par le sacrifice voulu ou accepté de ce qui en lui n’est pas immortel. Dans un autre texte de l’Evangile, une idée semblable apparaît sous une forme affectueuse et familière : « Je vous dis, à vous qui êtes mes amis : Ne craignez pas ceux qui tuent le corps et qui, après cela, ne peuvent rien faire de plus. » (Luc, xii, 4.)

Quel contraste entre la simplicité de l’expression et la grandeur de la pensée ! Jésus parle avec la tendresse du Fils de l’homme et la majesté du Fils de Dieu. Il marque la limite du pouvoir humain, de cette force matérielle qui nous épouvante… Elle écrase le corps ; le reste lui échappe.

Combien de fois, pendant cette guerre atroce, n’en avons-nous pas eu la preuve ! Toutes les découvertes de la science, toutes les puissances de l’argent et de la chair se coalisaient pour anéantir la résistance de quelques soldats, souvent épuisés de fatigue, affamés, altérés, souvent même blessés, mourants… Et ce fut le cri magnifique : « Debout les morts ! » Et les morts se levèrent… Ils triomphèrent.

Des femmes bravèrent les bombes et les baïonnettes ; des enfants tombèrent devant le peloton d’exécution en criant : « Vive la France ! » ou : « Vive la Belgique ! » Des prisonniers agonisèrent pendant des mois et des années sans se déclarer vaincus. L’ennemi tuait le corps… il ne pouvait rien faire de plus. Et nous qui fûmes témoins de ces martyres, nous qui recueillîmes sur des lèvres mourantes les paroles de la vie éternelle, nous en douterions, nous admettrions lâchement que, de ces âmes sublimes, il ne reste qu’un peu de cendre et un souvenir glorieux ! Nous ne serions pas dignes d’elles alors, ni de leur tendresse ; nous n’aurions pas droit à cette parole que Jésus adresse seulement à ses amis ; car seuls les amis du Crucifié ressuscité, ses amis conscients ou inconscients, ceux qu’il aime parce que, comme lui, ils immolent leur vie d’un jour à une vie supérieure, possèdent la force morale qui se rit des puissances matérielles.

Ses amis conscients ou inconscients… Vous les amis de Jésus ne le connaissent pas ou ne se connaissent pas eux-mêmes ; Lui seul les connaît. Ne vous affligez donc pas comme si vous aviez perdu à jamais certains êtres au cœur noble, aux sentiments délicats, aux actions généreuses, qui ne semblaient point partager votre foi ; ne vous attachez pas aux apparences. Ceux qui agissent en chrétiens ne sont-ils pas plus près du Maître que ceux qui se glorifient de son nom et le déshonorent par leur conduite ? Car on juge l’arbre d’après ses fruits. (Matth., vii, 20) Écoutez cette parole miséricordieuse et terrible : « Plusieurs viendront de l’Orient et de l’Occident et seront à table avec Abraham, Jsaac et Jacob dans le royaume des cieux. Mais les fils du royaume seront jetés dans les ténèbres du dehors. » (Matth., viii, 11, 12.)

« Jésus compare la félicité éternelle à un festin, dit le chanoine Crampon dans ses notes sur le Nouveau Testament, parce qu’elle est repos, joie, rassasiement. » Elle est aussi réunion puisque les élus seront ensemble et se reconnaîtront ; ils garderont leur personnalité ; ils partageront le même bonheur. Dès les premiers temps de son ministère, Notrc-Seigneur nous donne cette consolante espérance, répondant déjà à bien des questions, bien des doutes anxieux. Le mot de résurrection se trouve constamment dans sa bouche. Lorsque pour la première fois, il envoie ses disciples prêcher la bonne nouvelle : « Ressuscitez les morts », leur dit-il. (Matth., x, 8.) Quand Jean-Baptiste demande une preuve de la mission divine du Christ, celui-ci répond, citant ce prodige parmi d’autres : « Les morts ressuscitent. » (Luc, vii, 22.) Et lorsque ses adversaires incrédules réclament un miracle, Jésus déclare qu’il ne leur en sera pas accordé d’autre que celui de sa résurrection. (Matth., xii, 39, 40.)



L’ÂME AFFRANCHIE

« Il n’est pas de bonheur dans les amours mortelles. »
          Gérard d’Houville.


Malgré tes pleurs silencieux
Et tes habits de couleur sombre,
La lumière a dissipé l’ombre
Dans les abîmes de tes yeux.

Quand tous deviennent soucieux,
Jamais ton courage ne sombre ;
Ton âme a les clartés sans nombre
Des eaux qui reflètent les cieux.

Ton sang n’a-t-il pas goutte à goutte
Rougi les pierres de la route
Où se meurtrirent tes genoux ?

D’où te vient cette paix profonde,
Ô toi qui souffres comme nous ?
— Mon amour n’est plus de ce monde.