Librairie académique Perrin (p. 1-4).
LES PRÉSENCES INVISIBLES


Je crois à la Communion des Saints…
et à la Vie éternelle. Amen.

Ces pages s’adressent à ceux, si particulièrement nombreux à notre époque, dont un deuil irréparable a bouleversé l’âme et la vie, à tous ceux aussi que glacent et accablent la solitude du cœur et le vide du foyer, à ceux qui demeurent mutilés ou étrangers sur cette terre au milieu des autres hommes dont ils ne peuvent plus partager les espérances et les joies. Combien d’entre nous ont perdu, leur semble-t-il, avec la meilleure part d’eux-mêmes, leur raison d’exister !

Certains, le premier déchirement passé, s’étourdiront ; ils trouveront d’autres intérêts, des affections nouvelles. Comme ces arbres, hachés par la mitraille, brûlés par les gaz dont les racines produisent des rejetons, ils se mettront à revivre d’une vie diminuée ou changée, et plus ou moins complètement, ils oublieront. Mais d’autres n’ont ni le pouvoir ni surtout la volonté d’oublier ; ils ne renoncent pas à leur plus grand, leur plus profond amour, sentant que s’ils y parvenaient, ils se renieraient eux-mêmes : « Si je t’oublie, Jérusalem, que ma droite s’oublie elle-même ! »

À l’apaisement trompeur, à la déchéance de l’oubli, ces désolés, en attendant la mort qui réunit, préfèrent leur douleur, quoique âpre qu’elle soit, parce qu’elle est encore un lien entre eux et leurs bien-aimés : « C’est Rachel, pleurant ses enfants et refusant d’être consolée parce qu’ils ne sont plus. » (Jérémie, xxxi, 15.)

Cependant la plupart d’entre eux croient à la vie éternelle, ou s’imaginent y croire, ou n’osent pas la nier ; beaucoup sont chrétiens de naissance, d’éducation, de conviction sincère et profonde aussi ; leur foi claire ou obscure s’est souvent manifestée par des actes. Et vis-à-vis de la mort, ils resteraient confondus, ils s’avoueraient vaincus, ils pleureraient comme ceux qui n’ont pas d’espérance ! Je voudrais — que Dieu me soit en aide ! — vous dire, à vous qui portez au cœur une blessure incurable, mais qui aimez toujours et qui croyez encore — encore un peu — que vous n’êtes, malgré les apparences, ni vraiment misérables, ni seuls et abandonnés. Car Dieu, notre Dieu, le Dieu de l’Évangile, est amour et ceux qui aiment véritablement ont en eux-mêmes quelque chose de lui, quelque chose d’immortel et de tout-puissant. Les disciples du Christ devraient le savoir puisque la vie éternelle resplendit dans toutes les paroles de leur Maître, à toutes les pages de son Livre.

Mais souvent, dans l’affolement de notre douleur, nous sommes comme Agar perdue au désert avec son fils. L’eau de l’outre est épuisée, le jeune garçon va succomber, la pauvre mère s’écrie en sanglotant : « Que je ne voie pas mourir mon enfant ! » Alors Dieu lui ouvre les yeux et elle aperçoit un puits dont un instant auparavant elle ne soupçonnait pas le voisinage.

Nous aussi, nous avons près de nous, à notre portée, une source que nous méconnaissons. Dieu veuille dessiller en nous le regard de l’âme, celui qui découvre l’invisible !



L’APPEL



Avec notre bonheur très vite ils sont partis

Malgré nos yeux noyés de larmes, nos mains jointes,
Et le temps vainement efface leurs empreintes :
Lequel de nous a cru qu’ils sont anéantis ?

Chère joie envolée, ô morts grands et petits
Qu’invoquent malgré nous nos regrets et nos plaintes,
Vous que nous bénissons chaque jour, âmes saintes
Qui de l’aile effleurez nos fronts appesantis,

Il m’a fallu sans vous m’attarder sur la terre,
Mais je ne sus rester dans ma nuit solitaire
Lorsque vous franchissiez le seuil mystérieux :

Tremblante j’approchai de cette porte noire,
Une voix m’appela, je vis de loin vos yeux,

Et le Seigneur me dit alors : Si tu peux croire !