Librairie académique Perrin (p. i-ix).

PRÉFACE


La Grande Guerre, en fauchant des millions d’hommes, a posé d’une façon plus instante, plus aiguë, devant des millions d’âmes endeuillées, le problème de la mort, « Les morts vivent-ils ? » Sur cette question, la presse a commencé des enquêtes ; la Sorbonne, des expériences. Certaines techniques de spiritisme, qui aspirent à y répondre, essaient de se présenter à nous sous l’aspect d’une science.

La crédulité des imaginations s’efforce à repeupler la solitude des cœurs : pour apporter l’aide décisive, des médiums complaisants sont là. Entre nos sens et les êtres disparus, la mort interposait un voile : on veut que ce voile tombe, et que les morts soient, en quelque mesure, ramenés à proximité de nos sens, à proximité du sens de l’ouïe, — il faut qu’on les entende —, à proximité, même, du sens de la vue, et la théorie de l’ectoplasme s’élabore. On se flatte d’arracher à l’éternel sommeil quelque chose de leur personnalité ; et, si mal défini, si balbutiant, si vaporeux que demeure ce quelque chose, on se targue de pouvoir remporter, un jour ou l’autre, un quart de victoire sur la mort, grâce à ces nouvelles disciplines du savoir humain.

Parmi tant de curiosités haletantes, anxieuses, naïvement et douloureusement débridées, voici s’élever, dans ce livre de « Véga », la voix d’une chrétienne, qui vient nous dire, au nom de l’Écriture et d’une tradition plus de dix-neuf fois séculaire : La mort ! Mais depuis dix-neuf cents ans elle est vaincue. Oui, les morts vivent et les morts sont présents. Invisibles à vos sens, ils sont près de vous, cependant, si vous savez et si vous voulez être près d’eux !

Ainsi peut se résumer ce livre ; et sous nos yeux s’y déroulent, recueillis avec une diligente ferveur, les textes consolateurs, messagers des certitudes de l’au-delà, qui pendant des siècles aidèrent les âmes à supporter les deuils et à affronter personnellement la mort.



Quelle étrange aventure que celle du scientisme ! Après nous avoir cantonnés dans le domaine de l’expérience brute, après avoir édifié un mur entre notre pensée et ce que dédaigneusement il traitait d’Inconnaissable, le scientisme un jour se sentit muet, lamentablement aphone, en face de l’angoisse que criaient les âmes. Je vous ai émancipées, leur disait-il. Et les âmes répondaient : Nous sommes des appauvries, et nous pleurons maintenant sans espérance. Alors le scientisme, gêné sans être résipiscent, consentait à organiser des expérimentations pour dérober à l’Inconnaissable quelques-uns de ses secrets. Sans faire amende honorable à ces métaphysiques que sont les religions, on se mettrait à inventer des « métapsychiques ».

Comme on ne voulait pas renoncer à être positiviste, on allait solliciter, indiscrètement, la science dite positive, pour qu’elle ramenât dans les tombes des morts un rayon de lumière et dans les cœurs des vivants un rayon de sérénité. Silence au Dieu révélateur ; on se refusait à lui rendre la parole. Mais avec une prétentieuse candeur, on la donnait aux médiums.

La déception fut rapide, et M. Paul Heuzé pouvait récemment conclure, au terme de son enquête de l’Opinion[1] :


« Il semble s’établir peu à peu que :

1o  Quand le médium n’est pas contrôlé, il y a des phénomènes ;

2o  Quand le médium est contrôlé, les phénomènes diminuent à mesure que le contrôle augmente ;

3o  Quand le contrôle est complet, il n’y a plus de phénomènes du tout.

C’est là tout ce que je crois avoir le droit de dire. Le sens exact de ces paroles, l’avenir seul nous l’apportera. »



L’avenir ?… Mais qu’importent ces hypothétiques révélations d’une science future, à ceux qui pleurent dans le présent, à ceux qui veulent, tout de suite, des nouvelles de leurs morts ! Ils interrogent toujours, ils attendent toujours. Véga, son Évangile en main, leur rappelle qu’il y a vingt siècles cette question de la mort fut traitée, qu’elle fut traitée par les lèvres d’un Dieu. Ce Dieu, par une démarche toute gratuite d’infinie pitié, venait sur la terre pour être secourable, pour être bon : puisque la grande détresse dont souffraient les âmes provenait de l’obscurité même du problème de la mort, pourquoi donc aurait-il laissé à des savants le soin de se débattre, quelque deux mille ans plus tard, avec ce problème ? Véga nous redit comment le Christ, loin de le livrer aux disputes des hommes, loin d’en ajourner l’émouvante solution, le résolut au matin de Pâques, par sa résurrection, et puis, en de multiples et solennelles affirmations, en éclaira toutes les données par les rayons de l’inextinguible espérance.

Je me disais, en lisant Véga : comment se fait-il que dans un univers assombri depuis quelques années par la profusion des crêpes, dans un univers où le problème remue plus d’âmes que jamais il n’en remua, il y ait tant d’âmes, encore, pour se détourner de ces lumières-là, et pour s’évader, fiévreuses, vers le clair-obscur de ces laboratoires d’occultisme où l’on essaie de capter, par d’équivoques méthodes, un écho mal distinct de la voix des morts ?

Certains chapitres de Véga, qui s’intitulent : « Comment nous les faisons revivre ici-bas ; — L’ascension : accepter ; — Renoncement et soumission », m’ont permis de pressentir les secrètes raisons de ces paradoxales démarches. Car ils exposent, ces chapitres, au prix de quelle discipline morale, de quel effort sur nous-mêmes, nous pouvons nous rapprocher de nos morts et nous sentir participants du bienfait de leur invisible présence. Il n’est pas besoin de travail intérieur, ou de transformation morale, ou de conversion de l’âme, pour épier les informations que nous promet le spiritisme ; mais la spiritualité chrétienne, elle, requiert tout cela. Il faut que nos âmes se purifient, pour que le mystérieux et tutélaire voisinage de ces autres âmes devenues de purs esprits nous soit moins inaccessible, moins obscur ; c’est en nous détachant de nous-mêmes pour nous élever vers Dieu que, sur la route même où nous engagera notre élan, nous rencontrerons, nous sentirons nos morts ; et chaque victoire qu’au fond de nous-mêmes l’esprit remporte sur la matière, nous achemine vers eux, nous rapproche d’eux.



Mais dès lors, c’est de notre vie morale, à nous, c’est de la façon dont nous la concevons et la pratiquons, que dépendent nos rapports avec les morts, puisque voilà leur présence d’autant plus sensible à notre âme, que notre âme elle-même se veut plus proche de Dieu.

Voulons-nous pleinement jouir des rassurantes certitudes que Dieu lui-même nous apporta sur la destinée des morts qui, durant leur étape terrestre, ont su croire et aimer ? Voulons-nous réaliser ces certitudes devant nos cœurs, en ce qui regarde les êtres qui nous furent très chers ? Nous devons alors lutter pour abolir en nous le vieil homme, certains que nous sommes, au cours même de cette lutte, de communier plus intimement, malgré la barrière sépulcrale, avec ces vies dont Dieu est devenu la rayonnante joie.

Les présences invisibles dont nous entretient Véga deviennent ainsi comme une réponse à nos propres ascensions d’âme ; elles nous laissent, vers elles, quelque chemin à faire, images pâles et lointaines de l’invisible présence de Dieu, qui vient à nous, mais qui veut en même temps que nous allions à lui.

Ne demandons pas à Véga, ce qu’elle n’a pas voulu nous offrir, un exposé des fins dernières de l’homme d’après la doctrine du christianisme ; elle ne prétend ni enrichir cette doctrine, ni l’amoindrir, ni suppléer aux livres qui l’exposent. Ce qu’elle veut — et ce vouloir fait l’originalité de son œuvre — c’est nous montrer par quel effort personnel de vie chrétienne nous devons faire accueil à ces magnifiques avances de lumière projetées sur le sort de nos morts par la révélation divine. Nous apprenons, en ces pages, quelle virile et forte préparation morale nous devons nous imposer, pour que devienne plus pénétrant, plus conscient, plus empreint d’une surnaturelle sérénité, notre contact avec nos morts. Nous comprenons, en lisant ces méditations où se condense une expérience de paix chrétienne succédant à une expérience de douleur, que faire bon usage de nos vies, c’est en quelque façon faire bon usage de la mort des êtres aimés, et des grâces que dans leur vie nouvelle ils invoquent et obtiennent pour nous. Et ce livre nous persuade que nous mettre aux écoutes de Dieu, c’est en même temps nous mettre aux écoutes des élus que nous avons pleurés.

Si pour faire étape vers eux nous adoptons une telle méthode, nous lui devrons cette douceur de les aimer plus encore, en constatant que notre amour pour eux devient pour nous-mêmes un agent de perfectionnement. Ces êtres chéris, ces vivants par excellence, que nous appelons des morts, nous conjurent de balayer de nos âmes tout ce qu’elles decèlent de ferments de mort ; ils nous aident, ils nous soutiennent, dans notre tâtonnant essor vers la vie pleine, vers la vie vraie. Pour l’agnostique, ils sont des ombres insaisissables ; pour le croyant, ils sont des appuis ; et le sentiment de proximité qui l’attache à eux se transforme en un sentiment de gratitude. Améliorées par ces invisibles présences, nos âmes les fixeront, et les perpétueront, et les illumineront, par la fidélité même de leur progrès dans le bien, et par cette autre fidélité avec laquelle elles leur en diront merci. Et ce merci, nous l’exprimerons par des prières, par des prières pour nos morts.

Georges Goyau.
  1. L’Opinion, 15 septembre 1922, p. 792.