Les Poètes du terroir T I/Stéphane Halgan

Les Poètes du terroir du XVe au XXe siècleLibrairie Ch. Delagrave Tome premier (p. 425-426).

STÉPHANE HALGAN

(1828-1882)


Petit-fils de l’amiral Halgan et cousin issu de germain du poète Evariste Boulay-Paty, Stéphane Halgan naquit à Nantes le 8 avril 1828. Élu sénateur pour la Vendée, il mourut dans sa ville natale, le 19 janvier 1882. Il a composé dans sa jeunesse un recueil de poèmes : Souvenirs bretons (Nantes, A. Guéraud, 1877, iu-8<>), qui fut apprécié, en son temps, par Théophile Gautier. Ce livre, qui n’a jamais été mis dans le commerce, est devenu rarissime. Stéphane Halgan imita trop souvent Alfred de Musset, dont il fut l’admirateur ; mais il sut parfois oublier ses lectures et se montrer original. On l’a dit justement, il a peint la nature bretonne avec le sentiment de Brizeux.

Stéphane Halgan a collaboré à l’Anthologie des poètes bretons du dix-septième siècle et à la Revue de Bretagne et de Vendée.

Bibliographie. — Dominique Caillé, La Poésie à Nantes sous le second Empire ; Tours, Bousrez, 1905, in-8o. — Joseph Rousse, La Poésie bretonne au dix-neuvième siècle ; Paris, Lethielleux, 1895, in-18.



SUR LES LANDES


Quel bruit vient éveiller la campagne assoupie ? —
C’est au coin des guérets un attelage pie,
Deux petits bœufs bretons tirant tant bien que mal
Un chariot, claquant comme un bruit de métal
Aux cahots de la route, et sur lequel s’étale
La moisson des navets montés, charge d’or pâle.
Aux sillons du chemin se heurtant, trébuchant,
Pour entrer dans le bois voici qu’il sort du champ. —
Cependant, aux pàtis d’en haut, de jeunes pâtres
Gardent aux labours neufs leurs grands moutons noirâtres,
L’un d’eux chante ; sa voix, que répète l’écho,
Lointain, s’est adoucie et se change en duo…

Et moi je vais plus loin encore, et, sur le faîte
Des landes, j’aperçois l’horizon imposant.
Au soleil du matin la nature est en fête ;
Voici les noirs sapins des forêts de Grisant.
Sous mes yeux un vallon piqué d’un toit de chaume
Harmonieusement creuse son vert contour ;
Une odeur de printemps, léger et frais arôme,
S’exhale des landiers aux premiers feux du jour.
Tout là-bas, la bruyère aux fleurs roses et mauves
Teinte le pied des monts devant mes yeux placés,
Pendant que leurs sommets, mornes, rougeâtres, chauves,
Sont couronnés de blocs de rochers entassés.
Le genêt fleurissant jaunit la lande verte,
Un clocher lève au ciel son toit pyramidal,
Et le canal de Brest dans la vallée ouverte
Serpente et brille au loin comme un fil de métal ;
Les nuages passant sur le bois rendu sombre,
Sur ces coteaux pelés, sur ces monts gracieux,
Font jouer tour à tour les rayons ou leur ombre :
On dirait des oiseaux géants fendant les cieux.

Travaux des champs, accents dupâtre, aspects splendides,
Nature, — devant toi je sentais autrefois,
Au fond de moi, parler une secrète voix,
Et mon cœur tressaillir en battements rapides.

Les cheveux blancs, depuis ce temps, sinon les rides,
Sont venus ; j’ai vécu loin des prés et des bois ;
Mais nos jardins fleuris et charmants, je le vois,
Sont plus silencieux que ces landes arides.

Devant ces frais tableaux qu’ai-je donc ressenti ?
Suis-je donc jeune encore ? A-t-il bien retenti,
L’appel de cette voix chérie à mon aurore ?

Que le mot qu’il prononce ait changé comme moi, —
Qu’importe ! — c’est bien lui, plus doux et moins sonore ;
Il me disait : « Espère. » Il me dit : « Souviens-toi ! »

(Souvenirs bretons.)