Les Poètes du terroir T I/R. Michalias

Les Poètes du terroir du XVe au XXe siècleLibrairie Ch. Delagrave Tome premier (p. 103-106).

RÉGIS MICHALIAS

1844)


Né à Ambert, de parents auvergnats, le 13 février 1844, M. Régis Michalias a fait ses études au lycée de Clermont-Ferrand. Diplômé de première classe à l’École supérieure de pharmacie de Paris, il a excrcé la profession que lui conférait ce titre, de 1873 à 1895. Actucllement retraité, M. Michalias partage son temps entre la culture des fleurs et l’étude des dialectes de sa province. Provincial dans le plus noble sens du terme, il n’a quitté le sol natal que pour prendre part, en qualité de capitaine de mobilisés, aux opérations de la guerre de 1870. On lui doit un recueil de vers Ers dè lous suts (Chants des montagnes), poèmes du Livradois, avec la traduction littérale en regard, préface de Mistral (Ambert, imprim. Migeon, 1904, in-16) ; une adaptation de scènes burlesques de la vie rurale, en un acte, Margoutou ! o ne batueito au vialage ([Margoton, ou une Dispute au village), Ambert, impr. Migeon, 1907, in-16, et un excellent Essai de grammaire auvergnate (ibid., 1907, in-16). M. Michalias, qui vient d’obtenir la plus haute récompense, pour l’année 1907, au concours des Jeux Floraux de Marseille (section de poésie en dialecte méridional), a, en outre, en cours de publication un second recueil : Ers dau païsan (Chants du paysan), consacré presque uniquement à la vie et aux mœurs locales.

« M. Michalias, écrit M. Desdevise du Dezert, est un bourgeois d’Ambert, qui a trouvé bon d’être Ambertois et n’a jamais voulu quitter sa ville. Il la connaît et il l’aime ; il aime les montagnes qui la dominent du côté du Forez, les montagnettes ne la relient au Livradois. Il parle la langue chantante et pittoresque du pays, sœur de la grande langue limousine des troubadours, cousine du provençal et du catalan. Il aime les bonnes gens de la montagne, et il a compris quel trésor de vraie poésie se cache sous leurs façons rustiques, sous leurs simplesses apparentes. Ers de lous suts est un recueil de petits poèmes en langue auvergnate, en dialecte d’Ambert, avec traduction française en regard. Ces petits poèmes respirent l’amour de la terre natale, ils fleurent le thym et la résine. Ce sont des paysages, dont les aspects changent avec chaque saison ; c’est la chanson des amoureux sous les grands bois ; ce sont les cancans du hameau, les bonnes histoires dont le Gaulois se gaudit, depuis qu’il pousse son rire clair au milieu des nations : ce sont les souvenirs d’enfance, les longues randonnées par la montagne, les vieilles coutumes du pays ; c’est tout ce qui fait de la terre natale votre terre à vous et non une autre, votre sol nourricier, votre domaine et votre bien. »

Bibliographie. — Desdevise du Dezert, R. Michalias, etc. ; Bulletin de la Soc. des amis de l’Université ; Clermont, 1905.



BOIS TOMBÉ

Au bois de pin qui porte — Sa tête dans le ciel, — À la garnasse morte, — Je dis adieu !

Arbres qui êtes couchés — Encore pleins de sève, — Votre vie s’achève, — Çà et là étendus !

Cette colonne, cependant, — Toujours plus haut montait, — Et votre ombre couvrait — Chaque année plus (grand) du chemin, — Lorsque des hommes sont venus, — Chacun avec un outil, — Une hache ou une scie, — Et alors vous êtes tombés — Comme dans la prairie l’herbe — Sous la faux ; comme au champ — Est tombée la gerbe, L’été, sous la faucille…

Et l’écho de la vallée, — Ecoutez, revient de là-bas, — Redire le bruit, lui aussi — De l’arbre lorsqu’il tombe !

Voyez-les, pelés, tordus, — Couchés là par terre — (Troupeau que nul ne garde) ; — On dirait les os blanchis — De quelque vieille guerre. — Vous croiriez voir au premier abord — Des cadavres mêlés, — Des corps éparpillés — Au basard de la mort.

Pin, sapin, ou frêne ! — Depuis quand s’en sont allés — Ceux qui vous ont semés — El vous virent naître ?

Depuis cent ans et plus, la terre l’a nourri, — Ce bois ; aujourd’hui, il s’en va — Et, elle, le voit mourir !

On ne verra plus dans les nuages — Ces pins verts — Où perchaient les corbeaux — Aux soirs des hivers !

Ils ne viendront plus de longtemps — Ces couples qui s’aimaient — Lorsque les étoiles s’allumaient — La nuit au firmament…

Vous souvenez-vous, dites, — Maintenant quand le vent — Fait s’agiter les épis — De ce champs de froment, qu’était là une garnasse[1] — Mêlée de genêts, — Où chaque pauvre ramasse — Le bois mort, les babiaux[2] ?

Sur le roc l’herbe se flétrit, — Mais vous verrez germer — Sous peu quelque autre semence, — Et le bois va revenir.

Auparavant, il faut qu’avec la bêche, — Ton vieux corps déchiré, — Terre, bonne nourrice, — Fasse pousser ce blé, — De ta feuille pourrie, — Transformée en humus. — De la mort vient la vie, — Rien ne disparaît entièrement.

Tout finit, tout commence, — De tous c’est le sort : — La mort suit la naissance, — L’un entre, l’autre sort…

Et au fond tout là-bas, — Tranquille, un peu lasse, — Sans cesse la (rivière de) Dore passe, — Comme un ruban d’argent.

(Chants des Montagnes, 1904.)



BEU TOUMBO

Au pinaté que pouorto
Sa tèto diens le cia.
En la garnasso morto,
leu li dise adissia !

Aibris que sès jadus,
Enquéro pies de sabo,
Voùtro vido se chabo,
Ti è çai éitendus !

Quelo pialo, pami,
Toujours pus nau montavo,
E voutro ombro tapavo
Chaqu’an mâi de chami,
Quand d’omis soun ribos
Chacuèn ém d’uno eiplito.
Ou n’acho ou be no chito,
Etalors ses toumbos
Coum’en la prado l’èrbo
Seu le dài ; coum’au champ
Ei toumbado la gerbo
L’eitieu seu lou voulan…

E l’éco de la coumbo,
Aujas, torno d’alài.
Dire le brut se mai
De l’aibre quouro toumbo !


Jas lous, pélos, toursis,
Eivènlos ti per tiarro
(Tropé que dongu paro),
Dirias l’eus èiblanchis
De quaueo vèlho diarro.
Crèirias vèire d’abouor
De cadabris miclos,
De cors éichampelos
En l’asar de la mouort.

Garno, sap on be fraisse !
Dipus quand s’en soun nos
Quous que vou’an semenos
E vous veguèron naisse ?

Dipus cent ans è mai,
La tiarro l’a nurri
Quo bèu ; anu, s’en vài,
E lio, lou ve mouri !

Véiron pus dièns las niolas
Aquous pinatés vars
Ount cuchavon las grolas
Au scro de l’èivar !

Vendron pus de lountems
Quous pares que s’amavon
Quand l’èitialas se tiavon
De nul au fiermamén !
Vous seventès vous, dijas,
A ouro quand le vèn
Fài démena l’éipijas
D’aquéu champ de froumèn,

Qu’èro ti no garnasso
Miclado èm de janiàu,
Ount chaque pàure masso
Lou beù mouort, lous babiàu ?

Au ro l’erbo se fano,
Mas véiri germena
Diens re quàqu’autro grano.
Et le bèu vài tourna.
D’avan chaut qu’em’la bisso,
Toun vé cors èifranlio.
Tiarro, bouno nurriço,
Faje veni quet bliod,

De to fèlho purido
Virado en foumarèi…

— De la Mort ve la Vido,
Re passo per l’èntéi !
Tout chabo, tout coumènço,
Ea tritous qu’ei le sort :
La mouort set la nèissènço,
Vion néntro, n’autre sort…

E au found, d’ati lin,
Tranquilo, tapàu lasso,
Tejour lo Doro passo
Coum’un riban d’argèn.

Ers de lous suts, 1904.

  1. Bois de pin.
  2. Cônes de pin.