Les Poètes du terroir T I/Pierre Motin

Les Poètes du terroir du XVe au XXe siècleLibrairie Ch. Delagrave Tome premier (p. 182-183).

PIERRE MOTIN

(1566 ?-1610)

Pierre Motin vivait an temps de Mathurin Régnier et de Malherbe. Il eût pu être le disciple de l’un ou de l’autre, s’il n’eût tenu à être un esprit original et à peindre dans ses vers des sentiments personnels. Régnier lui dédia une de ses satires ; Malherbe, quoique d’un autre temps, le considéra toujours comme un de ses disciples. Par la suite, Boileau le méconnut et le calomnia. Ce sont là ses principaux titres de gloire, ou du moins ceux qu’on lui reconnaît. En vérité, il en eut d’autres et de meilleurs, et si sa vie n’avait été bouleversée par des amours malheureuses, il se fût fait une bonne place au sommet du Parnasse. Il débuta par des poésies galantes et finit sur des débauches d’esprit. En mourant, il laissa une œuvre inachevée et un nom obscur. Pierre Motin était né à Bourges vers 1566 ; il s’éteignit dans la même ville en 1610. Ses productions, parmi lesquelles un choix s’impose, ne furent publiées que dans des recueils collectifs. M. Paul d’Estrées a donné dans ces dernières années un volume d’Œuvres inédites de ce poète (Paris, Libr. des Bihlioph., 1882, in-12). Nous en avons extrait deux sonnets intéressant l’histoire de sa province.

Bibliographie. — Paul d’Estrées, Motin, sa vie et ses œuvres, notice publiée en tête des Œuvres inéd. ; Paris, édit. de 1882.

SONNETS
I

Je venois de laisser ma Jehanne qui despouille
D’attraicts et de flambeaux et Venus et l’Amour,
Quand, passant au milieu d’un large carrefour,
Une nuyt qu’il pleuvoit, je trouvay la patrouille.

L’on me dit : « Qui va là ? » on m’arreste, on me fouille,
Puis on me va disant : « Tu brasses quelque tour,

Ou bien contre la ville, ou bien contre la Tour[1] ;
Tu n’as pas grand soucy que ton manteau se mouille. »

Je respondis : « Messieurs, je suis un escollier.
— Ah ! mordieu ! ce dit un, menons-le prisonnier.
Comment ! comment ! la nuit, aller battre l’estrade !

A ces motz je m’escarte et gagne une maison.
Eussé-je résisté ? Nenny, car, d’une oeillade
Jehanne seulette me mit bien en prison.


II

Je m’en vais à Charlet[2], auprès du quay aux Dames,
Et me promeneray par les prez d’alentour ;
Puis je m’iray coucher sous les arbres d’autour,
Que le soleil ne peut pénétrer de ses flames.

Beau soleil reluysant qui tout le monde enflames.
Je pourray t’esviter dans cet ombreux sejour.
Mais je ne pourray pas esviter cet amour,
Invisible soleil qui consume nos âmes.

Amour, ce petit Dieu qui surmonte les Dieux,
Le traistre, le meschant, il me suit en tous lieux !
Si je veux composer soubs ces ombres secrettes

Et chanter le brandon du soleil qui m’espoint.
Mes tablettes je prends : le méchant n’en a point,
Mes esprits et mon cœur luy servent de tablettes.

  1. La Tour, surnommée encore la Grosse-Tour, à Bourges, était fort élevée. Des auteurs prétendent qu’elle fut construite par César. Pendant les guerres de religion, elle fut l’objet des convoitises et des attaques des divers partis, ptetention qui explique le vers de Molin.
  2. Porte de la ville, percée dans une muraille élevée, paraît-il, par Charlemagne ; en sortant de Bourges par cette porte, on côtoyait la rivière d’Yevrette jusqu’au gué qui porte le nom de Gué aux Dames ; un faubourg et deux rues portent encore le nom de Charlet.